Par Norman Pollack – Le 13 janvier 2017 – Source CounterPunch
Le discours d’adieu d’Obama à Chicago, à destination d’une audience ravie de fausse conscience bien distillée, magnifiait huit ans de néo-fascisme administratif, cherchant l’attrait populaire et l’approbation tout en augmentant simultanément le potentiel de guerre américain, en provoquant la confrontation avec la Russie et la Chine et, pour compléter cette agressivité de l’image néo-fasciste, instituant des mesures de surveillance massive tout en favorisant la concentration de la richesse et en jetant les bases d’un corporatisme économique structurel plus profond que celui dont il avait déjà hérité de ses prédécesseurs.
Magnifier le décor tout en s’engageant, en même temps, dans son contraire, un mode de répression élégant, voilà en fait le trait distinctif de son mode de gouvernance : la trahison auréolée de gloire. Il n’est pas surprenant que le dévouement d’Obama à la stratégie et à la tactique des drones armés pour l’assassinat ciblé – stratégie pour imposer la terreur d’en haut et tactique pour commettre sciemment des dommages collatéraux afin de briser la volonté de l’adversaire présumé – découle clairement de son cadre géopolitique, également hérité de ses prédécesseurs, et maintenant, transmis à son successeur – de la domination unilatérale politico-idéologique mondialisée. Voilà pour la folie. On a affaire ici à un esprit conciliant, complètement fermé à la critique – par lui-même ou un autre –, vindicatif quand il est contrarié ou que ses bouffées d’arrogance sont démasquées.
S’il fallait encore des indices de son identité, l’image de George Washington, qu’Obama a parodiée (le proverbial Homme-à-cheval de l’autoritarisme européen) s’est cristallisée dans un discours d’adieu présomptueux – aux troupes ? aux laudateurs futurs ? – par des proclamations de stature impériale mondialisée, à traduire en héritage illustre, complétant la figure du Grand Artiste Bidon, le POTUS Tartarin, charlatan, gardien du système d’affaires américanistes – les trois qualificatifs interchangeables. Mais il ne s’agit pas d’une seule personne, si important soit son office – capable d’anéantir l’humanité. L’Amérique a placé Obama dans une position dirigeante, cohérente avec tout l’édifice de commandement et de prise de décision depuis la Deuxième Guerre mondiale, un processus séquentiel, non déterministe, mais ancré dans des limites historiques au sein desquelles la guerre froide était parfaitement prévisible.
Après 1945, l’Amérique n’avait pas de patience ni de respect pour les modes alternatifs de développement et de modernisation, mais plutôt un capitalisme puriste qui serait littéralement imbattable dans le monde, intolérant à la transformation sociale qui peut permettre la démocratisation, en particulier dans le Tiers Monde.
Le capitalisme et la démocratie ne se mêlent pas, bien que, historiquement, le capitalisme, à ses débuts, rompant avec le féodalisme, avait encore des caractéristiques de richesse et de pouvoir égalitaires et soumettait la propriété et le droit de propriété à une règle de droit telle qu’interprétée par un groupe ascendant de forces sociales, à caractère non dominant. Rien ne pourrait être plus loin de l’expérience américaine. Ici, manquant de structures féodales, le capitalisme est né mûr – avec des pratiques claires et même l’esclavage fonctionnait, dans les plantations, comme une entreprise – et contre-révolutionnaire dès l’origine, y compris la révolution américaine, qui confirmait la place des élites indigènes dans la structure de classe.
Mais pourquoi revenir si loin dans le passé quand notre préoccupation est l’inclination fasciste actuelle de la politique américaine ? Il y a assez de munitions dans ce qu’on voit sous nos yeux. Obama est sur les épaules de Bush II, et Trump fera de même sur les épaules d’Obama, à savoir le totalitarisme inscrit historiquement dans le fonctionnement du capitalisme avancé, avec ses traits monopolistiques / concentrés qui nous apportent la confirmation naturelle – comme aussi le défilé des présidences et des politiques – d’un ordre social hiérarchique dans lequel la propriété, la richesse, la classe et le statut forment la base socio-économique de la société. Obama n’est pas Eugène V. Debs, ni ne voudrait particulièrement l’être.
Dans une longue ligne de pratiques établies par ses prédécesseurs, en remontant à Truman – Carter est une exception partielle -, et sans doute d’autres à venir, à commencer par Trump, Obama s’est plié à une ligne dans laquelle l’anticommunisme était le code pour une configuration sociétale réactionnaire, ayant peu à voir avec le communisme, et beaucoup à voir avec ce qui a favorisé la consolidation du capitalisme, depuis l’économie politique se ramifiant partout à l’extérieur jusqu’à un mode de vie inclusif.
Obama a personnifié cette tendance et l’a parfaitement développée, de sorte que Trump pourrait éclore comme l’éternelle primevère américaine, pas un proto-fasciste, mais simplement un restaurateur de la grandeur américaine. Quant à Obama, il a, avec une grande agilité, suivi le script totalitaire, détourner le regard des masses. C’est tout ce qu’il faut, quand la population a déjà, depuis des décennies, été habituée à la haine des autres, et de ceux qui ne correspondent pas bien au paradigme du patriotisme domestique.
Démagogie ? À peine, quand il y a une consonance de valeurs centrées sur l’ethnocentrisme et la xénophobie. Que ce soit la dichotomie nous / eux ou la peur de l’étranger, les Américains sautent à travers des cercles de leur propre fabrication, une architecture de traitements méprisants à l’encontre de ceux qui ne sont pas à la hauteur, comme si la cohésion sociétale dépendait de l’américanisation même de l’inconscient, et moins de l’apparence extérieure.
Pensez au discours d’adieu d’Obama, dépouillez-le de la mise en scène et des dispositifs rhétoriques, écoutez les mots réellement prononcés, libres de la manipulation de la foule. En vantant sa réussite, il n’a pas un mot sur les opérations d’assassinats ciblés par drones ; pas un mot sur la modernisation de l’arsenal nucléaire pour créer et assurer une plus grande létalité ; rien sur les interventions de changement de régime, les escadres de porte-avions le long des côtes de la Chine ; rien non plus sur la déréglementation, le démantèlement important de la législation bancaire, la lutte contre les monopoles restée lettre morte – et ainsi se poursuit la litanie des abus et des trahisons. J’appelle cet ensemble la nazification parce qu’elle intègre le capitalisme et l’État dans un monolithe structurel. La différence avec l’Allemagne [nazie], en plus du degré actuel d’achèvement, est qu’en Amérique les camp de concentration et d’extermination se révèlent inutiles puisque le peuple lui-même s’auto-pacifie.
Dans son discours, Obama se réfère explicitement à une formule politique, peut-être sans le savoir, que Theodore Roosevelt a utilisé dans son premier message annuel (1901), avec le même effet : « Nous allons monter ou descendre ensemble. »
Cette mise à bas de la conscience de classe, en faveur de l’harmonie de classe, est une ouverture au leurre d’une économie ruisselant de richesse du haut en bas et une l’invitation à faire allégeance aux classes supérieures, par une reddition de l’identité de classe qui va loin dans l’explication des raisons pour lesquelles les groupes sociaux économiques supérieurs rencontrent si peu de résistance et jouissent de tels privilèges dans une société nominalement démocratique. Il y a peu de marge de manœuvre pour l’expression de la liberté et de l’autonomie personnelle lorsque l’individu est coincé entre les murs du capitalisme et de l’État, eux-mêmes doublement efficaces pour définir la nature et les zones de consentement par leur relation symbiotique, ainsi que par une étroite intégration.
Pourrait-il y avoir un terrain plus fertile pour la militarisation, et maintenant la financiarisation croissante, du capitalisme américain ? Dès le premier jour, Obama a introduit avec son équipe de saboteurs économiques, menée par Summers et Geithner, un budget militaire gigantesque pour assurer [en échange] un filet de sécurité sociale troué et un système de santé lâchement présenté comme le meilleur que Amérique puisse faire, alors que personne ne se soit battu pour le système du payeur unique [la Sécu à la française] qui n’a même pas été proposé.
Les groupes dirigeants d’Amérique n’ont peut-être jamais eu un allié plus utile et plus docile qu’Obama à la Maison Blanche. Considérons plus attentivement son discours d’adieu. L’exhortation patriotique, à laquelle le discours est dédié, a un but, préserver les inégalités existantes de la richesse et du pouvoir, les inégalités déjà en grande partie intensifiées par les pratiques passées, jusqu’après le New Deal mis en place sur une base bipartisane. S’insinuer dans la confiance du peuple en jouant sur les cordes du cœur est l’instrument césarien de manipulation préféré depuis des temps immémoriaux : « … mes conversations avec vous, le peuple américain dans vos salles de séjour et dans les écoles, dans les exploitations agricoles et sur le plancher des usines, au restaurant et à des avant-postes militaires éloignés, ces conversations m’ont rendu honnête, m’ont gardé inspiré, et m’ont permis d’avancer. Et chaque jour, j’ai appris de vous. Vous avez fait de moi un meilleur président et un homme meilleur. » Oui, bien sûr, avec emphase, en utilisant, par exemple, la loi sur l’espionnage pour faire taire les dénonciateurs et suivre de près les conseils de Brennan sur la sécurité nationale – torture de la baignoire – et ceux de Clapper – surveillance massive. La modestie s’incarne en Obama, un homme meilleur que nous tous, même lui, nous l’avons réalisé.
Note : il parle au chœur, la transcription du discours indique : LA FOULE CHANTE « QUATRE ANS DE PLUS ». Vous ne pouvez pas perdre avec cet accueil. À la façon dont il continue, on ne saura pas qu’il y avait une structure de classe en Amérique, des groupes supérieurs, aux besoins et aux souhaits desquels Obama était indûment sensible : « Maintenant, c’est là que j’ai appris que le changement ne se produit que lorsque les gens ordinaires s’impliquent. Et ils se sont engagés, et ils se réunissent pour le demander. Après huit ans en tant que votre président, je le crois encore. Et ce n’est pas seulement ma conviction. C’est le cœur battant de notre idée américaine – notre audacieuse expérience du gouvernement par nous-mêmes. » Avec des envols rhétoriques comme celui-là, l’Exceptionalisme est gravé dans les Écritures – il ne faut rien de plus. Ici la fusion du capitalisme et de la démocratie, encore une fois sans référence à la structure de classe, à l’inégalité systémique, à une idéologie prédatrice : « Quelle idée radicale [le peuple, instrument de notre démocratie], le grand don que nos Fondateurs nous ont laissé. La liberté de réaliser nos rêves individuels à travers notre sueur, notre labeur et notre imagination, et l’impératif de lutter ensemble pour atteindre un bien commun, un bien plus grand. » Quel bien plus grand que le capitalisme, la sueur et le labeur d’Old Man River, ou toute autre image larmoyante de la manipulation du pathos se précipitant sur nous !
Nous ne devons pas nous vanter et exagérer : « Oui, nos progrès ont été inégaux. Faire fonctionner la démocratie a toujours été difficile… Mais le long parcours de l’Amérique se définit comme un mouvement vers l’avant, un élargissement constant de notre credo fondateur pour embrasser tout le monde, et pas seulement certains. » Que ce soit un clin d’œil à la politique culturelle, au thème de l’inclusion universelle, ou juste une friandise, Obama est à son meilleur. Aucune mention de la répartition inégale de la richesse pour ternir l’image, aucun crime haineux, ni ressentiment sinistre dirigé vers le monde entier. Au lieu de cela, nous lisons dans la transcription : APPLAUDISSEMENTS. Il ne fait pas non plus de mal de dire, comme il l’a fait : « Nous avons tout ce dont nous avons besoin pour relever ces défis [non précisés]. Après tout, nous restons la nation la plus riche, la plus puissante et la plus respectée de la planète [dont il s’attribue le mérite]. » Ah, l’appel : « Mais ils [les Pères Fondateurs], savaient que la démocratie exige un sentiment fondamental de solidarité. L’idée que, malgré toutes nos différences extérieures, nous sommes tous ensemble, que nous nous levons ou tombons comme un seul. » Solidarité, über alles.
Il vaut mieux le croire, car qu’est-ce qui pourrait être plus rose ? « Les riches paient leur juste part des impôts. Même si le marché boursier bat des records, le taux de chômage est le plus bas depuis dix ans. » La modestie faite homme : « Parce que, après tout, c’est ce à quoi nous servons. Non pas à marquer des points ou à nous attribuer les mérites. Mais pour améliorer la vie des gens. » Puis sa seule reconnaissance de la réalité : « Alors que le premier pour cent a amassé une plus grande part de la richesse et des revenus, trop de nos familles dans les centres des villes et dans les comtés ruraux ont été laissés pour compte. » Cela aurait pu être l’introduction pour un message et un programme de reconstruction sociale. Au lieu de cela, il est oublié. « Maintenant, il n’y a pas de solution rapide à cette tendance à long terme. » En effet, le coupable ici, responsable du problème – si cela est admis –, « vient du rythme impétueux de l’automatisation qui rend obsolètes beaucoup de bons emplois de la classe moyenne ». La discrimination fondée sur la race – c’est bien qu’il mentionne cela – est destructrice pour tous les intéressés, mais la romance de l’Amérique continue : « Et nous avons montré que notre économie n’est pas condamnée à être un jeu à somme nulle. L’année dernière, les revenus ont augmenté pour toutes les races, tous les groupes d’âge, pour les hommes et pour les femmes. » La prudence de ne pas en demander trop, trop tôt : « Mais les lois ne suffiront pas. Les cœurs doivent changer. Cela ne changera pas du jour au lendemain. Les attitudes sociales prennent parfois des générations pour changer. »
Peut-être que si Obama quittait la Salle des réunions sur le terrorisme tous les mardis [réunion où se décide la liste des assassinats extrajudiciaires], en abandonnant sa liste d’autorisation d’annihiler des terroristes présumés à 8 000 milles de distance, peut-être accorderait-on plus d’intégrité à sa volonté d’apporter une plus grande démocratisation dans le pays et la paix dans le monde.
En dépit de la rhétorique brillante quand il termine son discours, nous avons la même vieille société de classe, de vastes clivages dans la richesse, le pouvoir et le statut, une militarisation totale de la culture, et un autoritarisme rampant vers la droite. Comme je l’ai noté, Trump est sur les épaules d’Obama, ce qui est difficile à imaginer pour beaucoup, mais si Obama avait posé une alternative plus claire, une authentique quête de la démocratie, Trump aurait été marginalisé dès le départ comme un cinglé excentrique. Au lieu de cela, il est devenu le Sauveur politique actuel. Quant à Obama, l’esprit d’innovation gagnera : « C’est cet esprit, cet esprit né des Lumières qui a fait de nous une puissance économique. L’esprit qui a pris son envol à Kitty Hawk et au Cap Canaveral » – et la mystification politique continue. Mais avec un éloge final pour les troupes : « Et pour tous ceux qui servent ou ont servi – cela a été l’honneur de ma vie d’être votre commandant en chef. »
Adieu, Prince Charmant.
Norman Pollack Ph.D. Harvard, Guggenheim Fellow, il écrit sur le populisme américain en tant que mouvement radical, prof, activiste. Ses intérêts sont la théorie sociale et l’analyse structurelle du capitalisme et du fascisme. Il peut être contacté à pollackn@msu.edu.
Note du Saker Francophone Même si l'image choisie est à relativiser, bien sur, Obama reste l'incarnation d'un espoir planétaire déçu, d'un immense gâchis dont on mesure encore mal l'ampleur. Est-ce que l'idée même de démocratie réelle, de la gouvernance par les peuples, s'en remettra? Rien n'est moins sur. On a maintenant un Trump qui est plus ou moins dans la même position mais qui ne s'appuie pas sur la même partie de la population mondiale. Reste à espérer que lui non plus ne va pas gâcher les espoirs de l'autre moitié de l'humanité jusqu'à nous dégoûter de nous même. Les attentes sont faibles, on lui demande juste de casser le jouet. Peut être sera-t-il celui par qui l’Apocalypse arrivera?
Traduit et édité par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone