Par Caitlin Johnstone – Le 12 septembre
Vous plongez d’un trou de lapin à l’autre, à la recherche de l’homme caché derrière le rideau. Vous en avez vu assez pour être convaincu que tout ce qu’on vous a appris sur le monde est faux, et maintenant il s’agit juste de trouver qui est vraiment responsable d’un tel gâchis.
Pendant un certain temps, votre recherche semble fructueuse. Vous découvrez que vous ne vivez pas vraiment dans une démocratie comme on vous l’a enseigné, où le public influence le comportement du gouvernement par ses votes, ni même dans une nation souveraine distincte comme vous l’avez appris à l’école. Vous découvrez que votre pays fait partie d’une structure de pouvoir mondiale qui fonctionne effectivement comme un empire – l’empire le plus puissant qui ait jamais existé. Et vous découvrez que cet empire a des dirigeants qui ne sont pas redevables à l’électorat de quelque manière que ce soit, et qui agissent non pas pour promouvoir les intérêts du public, mais pour faire avancer leur agenda de domination planétaire.
Qui sont donc les moteurs de l’empire ? On s’enfonce alors dans d’autres terriers de lapin. Vous découvrez des agences gouvernementales secrètes avec des anciens fonctionnaires qui ne partent pas avec le gouvernement officiel élu sortant, mais qui restent, aidant à faire tourner les rouages de l’empire indépendamment de la personne que les électeurs élisent pour servir de façade de l’opération. Vous découvrez un système de portes tournantes dans lequel les mêmes gestionnaires de l’empire occupent tour à tour des postes au sein du gouvernement officiel élu, travaillant dans des groupes de réflexion, des conseils consultatifs du complexe militaro-industriel et des médias de masse lorsque leur parti n’est pas au pouvoir, puis revenant à leur poste lorsque leur tour est venu. Vous découvrez des ploutocrates qui utilisent leur immense richesse pour influencer la politique gouvernementale par le biais de dons de campagne, de groupes de réflexion influents, du contrôle des médias et du lobbying d’entreprise, qui opèrent souvent avec – et profitent de – un nombre considérable de chevauchements avec les agences gouvernementales. Vous découvrez des organisations et des institutions au sein desquelles les riches et les puissants se rassemblent et se coordonnent pour faire avancer leurs programmes, souvent dans le plus grand secret.
Mais dans toutes ces recherches et découvertes, on ne trouve toujours pas l’homme qui est caché derrière le rideau. Vous vous rendez compte que n’importe laquelle des personnes que vous avez observées pourrait mourir demain et que la machine impériale continuerait à fonctionner de manière ininterrompue. Il pourrait y avoir une révolution violente géante et ces gens pourraient être guillotinés par milliers, et à moins que des changements radicaux ne soient apportés aux systèmes qui les ont fait naître, quelqu’un d’autre prendrait leur place.
C’est ainsi que l’on commence à faire des recherches sur les systèmes. Vous commencez à étudier les systèmes économiques, les systèmes financiers, la manière dont les ressources sont distribuées, dont l’argent est alloué, dont la main-d’œuvre est exploitée, dont la richesse est extraite. On en vient à découvrir comment notre civilisation a été transformée en une gigantesque machine à produire des richesses pour une classe de riches exploiteurs, à l’aide de la propagande, des lois sur la propriété, de la pénurie artificielle, de l’appropriation des biens communs et du vol des populations indigènes, le tout articulé autour de ce concept d’argent inventé qui se traduit directement en pouvoir politique dans le cadre de nos systèmes actuels. Parce que les personnes les plus aptes à obtenir des quantités massives de richesse/pouvoir sont celles qui manquent suffisamment d’empathie pour faire tout ce qu’il faut pour l’obtenir, nous nous retrouvons naturellement gouvernés par des sociopathes. Et nous le serons toujours, jusqu’à ce que ces systèmes changent.
Vous creusez alors encore plus profondément. Vous découvrez qu’on ne vous a pas seulement donné de fausses informations sur le fonctionnement des gouvernements et des nations, mais qu’on vous a aussi donné de fausses informations sur vos hypothèses les plus fondamentales concernant la réalité. Vous découvrez par votre propre expérience qu’il n’existe pas de moi séparé ; que ce que nous appelons linguistiquement « je » et « moi » sont des illusions psychiques qui sous-tendent la plupart des souffrances et des dysfonctionnements de l’espèce humaine. En réalité, les êtres humains sont inséparables de la biosphère dont ils sont issus, laquelle est à son tour inséparable de l’univers dont elle est issue, lequel est à son tour inséparable du Big-Bang ou de tout ce qui a existé dont il est issu. Tout est un, et le Moi est une illusion.
Et vous réalisez que c’est également le cas de tous les oligarques et gestionnaires d’empire que vous avez observés. Ils ne sont pas des entités distinctes agissant dans le monde, mais des reflets de conditionnements et de traumatismes qu’ils ont hérités de leurs ancêtres, transmis par leur héritage évolutif du chaos et de la confusion inhérents à l’existence en tant que petites proies qui marchaient sur la terre il y a des millions d’années. Ils ne sont que des tourbillons dans une mer d’énergie ineffable comme n’importe qui d’autre, somnambules dans la vie, fouettés par des forces inconscientes à l’intérieur d’eux-mêmes qu’ils ne comprennent pas.
Vous réalisez alors qu’il n’y a pas d’homme caché derrière le rideau, et qu’il n’y en a jamais eu. Vous avez écarté rideau après rideau dans l’espoir de trouver l’homme, et tout ce que vous avez trouvé, c’est un trou en forme d’homme dans l’univers.
Et vous n’êtes même pas en colère. En fait, vous trouvez cela hilarant. Vous riez et vous riez de la bêtise de tout cela. Vous riez du sérieux avec lequel nous prenons tous ce jeu de séparation et d’inimitié, et du sérieux avec lequel vous le preniez quelques instants auparavant. Vous riez de l’innocence finale de chacun d’entre nous, même des pires d’entre nous. Vous riez de notre gentillesse. Vous riez de ce jeu de formes. Et l’univers rit à son tour. Un bouddha rieur, riant d’un univers fait de bouddhas rieurs.
Et vous voyez, en essuyant les larmes sur votre visage, que tout se déroule comme il se doit. L’univers devient de plus en plus capable de se percevoir lui-même – d’abord avec la vie, puis avec les humains, puis avec les progrès constants de la science, de la technologie, de la psychologie et de l’éveil – et il n’y a aucune raison de penser que cette explosion continue de la perception s’arrêtera. Nous finirons par comprendre. La conscience continue de s’étendre. La lumière devient de plus en plus vive. La vérité ne peut se cacher plus longtemps.
Caitlin Johnstone
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
Ping : D’illusions en désillusions