Le ministre de la Justice sous Obama aime poursuivre pénalement les gens puisque les prisons sont pleines, mais pas les entreprises.
Par David Dayen – Le 21 janvier 2016 – Source The Intercept
Moins d’une plainte sur huit portée contre une entreprise auprès d’une agence fédérale n’a entraîné de vraies poursuites judiciaires durant la période fiscale allant de 2010 à 2014, selon des données du ministère de la Justice compilées par le Transactional Records Access Clearinghouse (TRAC) à l’Université de Syracuse.
Alors que les plaintes en justice déposées contre des individus ont entraîné des poursuites dans 82,1% des cas, dans le cas de plaintes contre des entreprises, le taux de poursuite judiciaire descend à 12,3%.
Selon le rapport du TRAC, «cela veut dire que pour toute plainte déposée, le risque de poursuite judiciaire est presque sept fois plus grand pour un individu que pour une entreprise».
Ce rapport fait suite à un précédent qui montrait une baisse de 29% des poursuites criminelles contre les entreprises entre 2004 et 2014, suggérant que la criminalité des entreprises est devenue une faible priorité pour l’administration Obama. Ces statistiques montrant un rejet significatif des plaintes contre les entreprises pour des crimes en col blanc, puisque seuls 7,4% de ces cas ont entraîné des poursuites, confirment l’impression que les entreprises n’ont pas souffert d’un cadre juridique très agressif ces dernières années.
Ce rapport repose sur l’étude d’un million de plaintes déposées sur une période de cinq ans auprès de 146 agences du gouvernement fédéral, allant de la Securities and Exchange Commission au Bureau of Mines.
Ces agences fédérales ne peuvent enquêter sur ces cas par elle mêmes. Elles doivent les transmettre à l’un des 93 bureaux du procureur du pays. C’est alors qu’un procureur de ces bureaux peut prendre la décision de poursuivre un individu ou une entreprise.
Ainsi, 999 670 plaintes déposées concernaient un individu alors que seulement 10 670 concernaient une entreprise. Plus de 820 000 plaintes (82%, NdT) contre un individu ont abouti devant un tribunal pour seulement 1309 plaintes (12%, NdT) contre une entreprise.
Ces données varient beaucoup en fonction du bureau du procureur concerné. Certains, comme au Nord Dakota, en Louisiane, en Oklahoma ou au Wyoming, poursuivent les plaintes déposées à un taux 40% plus élevé que d’autres.
Par contre, le bureau du procureur du district sud de New York, considéré comme le sheriff de Wall Street, a reçu 179 plaintes entre 2010 et 2014, mais n’en a poursuivi que 11 (un taux de 6% qui le place en 70e position sur les 90 districts judiciaires étudiés).
Le district ayant reçu le plus de plaintes, le New Jersey, a un taux de poursuite encore plus bas avec 707 plaintes déposées mais seulement 32 poursuivies (4,5%).
Quatre bureaux, le district central de l’Alabama, le district occidental du Michigan, le district oriental de New York (l’ancien bureau de l’actuel procureur général Loretta Lynch) et le district septentrional de l’Oklahoma, n’ont poursuivi aucune des plaintes déposées auprès de leur bureau.
Traditionnellement, le procureur général est un membre du parti présidentiel, même si quelquefois l’ancien est en place quelques temps encore après la passation de pouvoir. Ce sont des bureaux semi autonomes mais le niveau de pression provenant du ministère de la justice ne peut être évalué sur la base de ces données.
Les crimes commis par des entreprises les plus souvent poursuivis à la suite d’une plainte, sont ceux concernant l’environnement et l’immigration, transmis par le ministère de l’intérieur, l’agence de protection de l’environnement et le service des douanes et de l’immigration.
Sur les 5 000 plaintes contre des crimes en col blanc, 371 seulement ont donné suite à des poursuites judiciaires. Sur 187 plaintes concernant les droits civils une seulement a fini au tribunal sur cette période de cinq ans.
A peu près un tiers des plaintes criminelles contre une entreprise proviennent du FBI. Le ministère de la Santé, le Service des douanes et de l’immigration, les services fiscaux, l’Agence de protection de l’environnement et le Service des postes sont ceux par qui ont transité de nombreuses plaintes.
Le rapport du TRAC classe aussi les plaintes par agence et les poursuites par bureau du procureur pour chaque catégorie de crime. Le rapport conclut qu’un accès public à ces données peut aider la population à «être mieux informée sur les milliers de décisions prises chaque jour par les bureaux de procureurs, les agences fédérales et, occasionnellement, par le procureur général».
Le ministère de la Justice a été critiqué pour chercher des accords de non-poursuites ou poursuites différées avec les entreprises, abandonnant les poursuites en échange d’amendes. En septembre dernier, un rapport interne du ministère de la Justice rédigé par Sally Yates disait que «combattre la fraude et l’inconduite des entreprises est une priorité». Pourtant, les données du TRAC montrent qu’il reste encore un long chemin à parcourir.
David Dayen.
Article original paru sur The Intercept.
Traduit et édité par Wayan, relu par Literato pour le Saker francophone
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