De la périphérie jusqu’au cœur. Les talibans s’emparent de la première capitale provinciale


Par Moon of Alabama – Le 6 août 2021

Au sujet de l’Afghanistan, le ministère russe des Affaires étrangères me semble être un peu trop optimiste :

MOSCOU, 5 août /TASS/. L'offensive du mouvement taliban (hors-la-loi en Russie) en Afghanistan s'essouffle et il n'ont pas les ressources nécessaires pour s'emparer des grandes villes, y compris Kaboul, a déclaré le porte-parole adjoint du ministère russe des Affaires étrangères, Alexander Bikantov, lors d'un briefing jeudi.

"Les talibans n'ont pas les ressources nécessaires pour capturer et tenir les grandes villes, en particulier la capitale du pays, Kaboul. Leur offensive s'essouffle progressivement", a-t-il déclaré.

Les troupes gouvernementales ont réussi à reprendre le contrôle de districts qu’elles avaient perdus dans certaines provinces, a souligné le diplomate.

Au 26 juillet, les talibans contrôlaient 223 districts et en contestaient 110 autres. Le gouvernement contrôlait 74 districts.

Le fait que certains centres de district changent de mains plus d’une fois n’apprend pas grand-chose sur les ressources des talibans. Ils semblent en tout cas disposer de tout ce dont ils ont besoin et gagnent du terrain avec chaque district et province qu’ils prennent.

Quant à l’affirmation de M. Bikantov selon laquelle les talibans ne peuvent pas gagner et conserver les grandes villes : Les talibans s’en prennent actuellement à Lashkar Gar, la capitale de la province de Helmand, ainsi qu’à Kandahar. Les récentes attaques sur ces villes n’ont ralenti que parce que les États-Unis ont rompu leur accord avec les talibans et bombardent leurs positions autour de ces villes avec des bombardiers B-52.

Mais les États-Unis ne peuvent pas bombarder partout et c’est pourquoi aujourd’hui la première capitale de province, Zaranji, dans la province de Nimruz à la frontière iranienne, est tombée sans grande résistance. En 2015, la ville comptait quelque 160 000 habitants. Ce n’est pas une grande ville mais elle est certainement importante.

Une autre ville qui est sur le point de tomber est Sheberghan, la capitale de la province de Jowzjan et la ville natale du  » général «  Dostum, seigneur de guerre ouzbek. Plus tôt dans la journée, les Talibans ont pénétré dans sa maison et l’ont incendiée. Les combats se poursuivent dans la ville.

Dostum est bien connu pour sa brutalité (et son ivrognerie). Lorsque la CIA a aidé, en 2001, les chefs de guerre de l’Alliance du Nord à vaincre les Talibans, plusieurs milliers de Talibans se sont rendus dans les provinces du nord. Dostum a brutalement tué beaucoup d’entre eux :

Plus de 3 000 prisonniers talibans - qui s'étaient rendus aux forces victorieuses de l'Alliance du Nord lors de la chute de Konduz fin novembre - ont été entassés, malades et affamés, dans un établissement qui ne pouvait en accueillir que 800. ...

Aussi terribles que soient leurs conditions, ils étaient les plus chanceux. Ils étaient en vie. Plusieurs centaines de leurs camarades, disaient-ils, avaient été tués pendant le voyage de Konduz à Sheberghan en étant entassés dans des conteneurs de fret scellés et laissés à l'asphyxie. ...

Le chef de la milice dont les forces auraient perpétré les meurtres est le général Abdul Rashid Dostum, l'un des chefs de guerre les plus impitoyables et les plus efficaces d'Afghanistan.

200 prisonniers étaient placés dans chaque conteneurs de 40 pieds et transportés pendant des jours sans que les portes soient ouvertes. Jusqu’à un millier d’entre eux seraient morts.

Mais tous les prisonniers de Dostum n’ont pas été asphyxiés :

Un témoin proche du cercle restreint du général Dostum a déclaré avoir vu trois ou quatre conteneurs criblés de balles et d'où s'écoulait du sang. Il a accusé les soldats de l'ethnie hazara, mais les soldats qui gardent maintenant Qala Zeina ont déclaré qu'il s'agissait de troupes ouzbèkes appartenant au général Dostum.

Les États-Unis ont refusé d’enquêter sur les massacres de prisonniers et ont ensuite nommé Dostum ministre de la défense afghan. Mais dans ce round de la guerre, Dostum, qui est revenu hier de Turquie à Kaboul pour diriger la défense de sa ville natale, subira la vengeance.

Les talibans sont en train de gagner. Ce n’est que lorsque les forces spéciales afghanes, qui peuvent faire appel à l’appui aérien américain, défendent les villes que les talibans ont des difficultés. Mais il n’y a pas beaucoup de bataillons de forces spéciales dans les environs et les talibans vont d’abord se concentrer sur les villes qui ne reçoivent pas de soutien supplémentaire du gouvernement.

Avec chaque ville qu’ils prennent, ils gagnent en ressources et en hommes. Les unités de l’armée et de la police se rendent et passent du côté des talibans. La première action des talibans à Zaranji aujourd’hui a été d’ouvrir les portes de la prison. Tous les Talibans précédemment arrêtés vont rejoindre leurs troupes. Chaque poste de l’armée et de la police qu’ils envahissent leur laisse plus de Humvees, de munitions et d’armes.

Des rumeurs persistantes indiquent également qu’un nombre important d’hommes pachtounes pakistanais combattent désormais aux cotés des talibans. Certains officiers de l’armée pakistanaise pourraient avoir déposé leurs uniformes pour se glisser dans des tenues talibanes. Ce ne serait pas la première fois qu’ils agissent ainsi. Cela peut expliquer les opérations très méthodiques lors de cette offensive talibane.

Les talibans ont encore besoin d’un grand nombre de troupes pour gagner les villes, les districts et les provinces de tout le pays. Mais après chaque victoire, ils peuvent se réorganiser. Ils laissent quelques administrateurs et un petit nombre de troupes derrière eux, puis déplacent leurs forces principales ailleurs. Plus le nombre de villes tombées est élevé, plus la concentration des forces que les talibans peuvent atteindre est importante.

Si Zaranji, à l’extrême ouest, et Sheberghan, à l’extrême nord, font l’actualité aujourd’hui, c’est parce que les talibans travaillent de la périphérie vers le centre.  C’est pourquoi les grandes villes ne seront sérieusement attaquées que lorsque les plus petites seront sous le contrôle des talibans. Kaboul sera la dernière ville à faire l’objet d’une bataille et les talibans seront probablement en mesure de concentrer plus de 50 000 hommes pour mener cette bataille.

Kaboul est déjà infiltrée et peu sûre. En début de semaine, des talibans ont attaqué le domicile du ministre afghan de la défense. Aujourd’hui, ils ont assassiné le principal porte-parole du gouvernement. Il y aura encore beaucoup d’autres incidents de ce genre avant que la grande attaque de cette ville n’arrive.

Le porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères semble ne pas avoir compris la stratégie des Talibans.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF   

1 réflexion sur « De la périphérie jusqu’au cœur. Les talibans s’emparent de la première capitale provinciale »

  1. Ping : De la périphérie jusqu’au cœur. Les talibans s’emparent de la première capitale provinciale | Groupe Gaulliste Sceaux

Les commentaires sont fermés.