Comprendre la Russie
La Russie et l’islam – Acte IV

Par Le Saker Original – 26 février 2013 – Source vineyardsaker

Première partie – introduction et définitions.
seconde PARTIE  – LE CHRISTIANISME ORTHODOXE
Troisième partie – la Russie actuelle
Russie et islam: La menace islamique

La première chose sur laquelle je voudrais attirer votre attention est que dans ce titre, Russie et islam: la menace «islamique», j’ai mis le mot «islamique» entre guillemets. Ceci est très important, car en fait bon nombre des questions dont je vais discuter aujourd’hui n’ont absolument pas de relation directe avec l’islam. Cependant, dans l’esprit de nombreux russes, ces questions sont effectivement reliées à l’islam, et il est par conséquent absolument impossible d’analyser le sujet «Russie et islam» sans effectuer une observation méticuleuse des relations que beaucoup de Russes établissent entre certains problèmes (qui n’ont aucun rapport avec l’islam) et l’islam lui-même.

Le choix des mots dans ce contexte peut être extrêmement traître. Prenez le mot «musulman», que signifie-t-il en réalité ? En Bosnie, le mot «musulman» désignait en réalité un «Bosnien non-orthodoxe et non-catholique» , car en effet aussi bien Croates que Serbes étaient souvent natifs de Bosnie, et Serbes de Bosnie, Croates de Bosnie et Musulmans de Bosnie ne sont qu’une seule et même ethnie (on voit là en quoi il est fallacieux de discuter de «nettoyage ethnique» dans le contexte bosnien). Par la suite on a fabriqué ce terme déplacé de «Bosniaque» en opposition à «Bosnien» parce que utiliser les mots «Musulman» ou «Bosnien» ne faisait aucun sens. Néanmoins, par décret de certains politiciens, ce qui était «Musulman» est devenu du jour au lendemain «Bosniaque».

De la même manière, en Irlande du Nord, il y avait des conflits qui prétendument opposaient catholiques et protestants. Mais en réalité, l’IRA ou les Volontaires de l’Ulster se souciaient-ils vraiment du pape ou de Martin Luther ? Ces critères avaient-ils une réelle importance dans ce conflit ?

Il n’y a rien de nouveau là-dedans. Dans le passé, aussi bien l’empire russe que l’empire ottoman assimilaient des groupes religieux à des minorités ethniques, ce qui fait que les Karaïtes de Russie n’étaient pas considérés comme des juifs, ou que le Patriarche orthodoxe de Constantinople était nommé par les ottomans «Millet Bashi» ou «ethnarque». Il existe dans la France d’aujourd’hui un problème d’immigration musulmane avec les conséquences qu’il génère dans les banlieues des grandes villes. Mais quand on observe de près ces immigrants (algériens pour la plupart), on peut franchement se demander si c’est vraiment un problème «islamique». Cette confusion entre les termes «islam» (une foi, une religion) et «musulman» (utilisé pour désigner aussi bien une pratique religieuse qu’une affiliation ethnique) est aussi fréquente en Russie moderne qu’elle l’est en France. Gardant bien à l’esprit ces mises en garde, regardons voyons maintenant quelles sont les questions qui amènent nombre de Russes à considérer l’«islam» (guillemets) comme une menace.

Immigration et criminalité

Depuis la dissolution de l’ancienne Union soviétique, il y a eu un flux régulier d’immigrants provenant de certaines anciennes républiques soviétiques (Azerbaïdjan, Tadjikistan, etc.) vers les grandes cités russes. En même temps, beaucoup d’immigrants venant du Caucase (Tchétchènes, Daghestanais, etc.) ont émigré vers la Russie centrale. La combinaison de ces flux migratoires a eu comme conséquence une énorme augmentation du nombre d’immigrés dans chaque grande ville russe. Et comme c’est bien souvent le cas, alors que certains de ces immigrants viennent simplement chercher du travail, il y a parmi eux suffisamment d’éléments criminels pour que les questions du crime et de l’immigration soient confondues dans l’esprit des gens. Généralement, ce groupe de migrants du sud comprend quatre catégories :

a) Des travailleurs acharnés, respectueux de la loi, souvent exploités sans merci et traités comme des esclaves par les employeurs locaux.

b) Des jeunes gens arrogants et très mal éduqués qui, sans être nécessairement des criminels, ont des manières offensives et un comportement très provocant.

c) Des petits voyous cumulant un emploi et des activités criminelles mineures.

d) Des criminels endurcis impliqués dans le trafic de drogues, la prostitution, les casinos clandestins, etc.

Voyous tchétchènes typiques

Généralement, le premier groupe est plus important que le second, qui est lui-même plus important que le troisième, alors que le quatrième est le moins développé. Et pourtant, cette combinaison explosive produit en Russie exactement les mêmes effets qu’en France : dans l’esprit de beaucoup de gens, sinon de la plupart des gens, le crime est lié à l’immigration.

De plus, comme la plupart de ces immigrés viennent de pays historiquement musulmans, et que beaucoup d’entre eux se considèrent comme musulmans, la première rencontre de beaucoup de russes, voire leurs rapports les plus fréquents avec des «musulmans» ou présumés tels, se passe dans le cadre d’une situation criminelle. Et du point de vue des Russes, il n’est absolument pas clair que dans la grande majorité des cas ces «voyous musulmans» ne connaissent strictement rien à l’islam.

L’auteur et philosophe français Alain Soral, qui est très activement engagé dans une tentative de réconciliation de tous les citoyens français pour une union contre le NOM (Nouvel ordre mondial, NdT), ceci incluant juifs et musulmans, qualifie d’«islamo-racaille» ces jeunes arrogants affublés de tenues «gangster-rap» et de casquettes de base-ball NYC, qui parlent d’Allah et de Kufars (mécréants, terme désignant simplement ceux qui ne croient pas en Dieu, mais aujourd’hui utilisé péjorativement. NdT) tout en patrouillant en voiture de sport à la recherche de victimes à dévaliser, violer ou agresser. Comme Soral le fait remarquer, ces gars-là ne sont pas vraiment le genre que vous voyez sortir des mosquées, et c’est exactement la même chose en Russie. Malgré tout, il est indéniable que beaucoup de Russes persistent à associer «islam» et crime.

Wahhabisme – intérieur

Les guerres de Tchétchénie et le terrorisme islamique au Daghestan, ainsi que dans beaucoup d’autres lieux en Russie, ont eu un impact énorme sur l’opinion publique russe. Les deux guerres de Tchétchénie, surtout, ont eu comme résultat une profonde aversion contre les insurgés tchétchènes et tout autre groupe islamique terroriste qualifié de «wahhabite». Au départ, le tsunami de propagande de la presse alignée occidentale combinée avec les médias «libéraux» russes a mis tout le monde dans la confusion quant à la situation réelle. Mais très vite il est devenu impossible d’étouffer les atroces événements se produisant sur le terrain. Les insurgés tchétchènes combinèrent le pire de l’extrémisme wahhabite avec le pire de la violence criminelle tchétchène. Des milliers de personnes furent exécutées sommairement, des femmes violées, des soldats russes et des civils furent crucifiés, écorchés vifs, violés, décapités. Des otages furent enlevés partout dans le sud de la Russie, et on vit prospérer un marché aux esclaves quotidien dans le centre de Grozny. Et toutes ces horreurs furent commises par des barbus brandissant des étendards verts et noirs sur lesquels étaient brodées des sourates du Coran, vociférant continuellement Allahu akbar (Dieu est le plus Grand, NdT). Et comme les insurgés tchétchènes se faisaient une joie d’utiliser leur cellulaire pour filmer les atrocités qu’ils commettaient, on vit apparaître à la télévision russe et sur l’internet un flot continu de vidéos à vous glacer le sang. Dès 2000, l’opinion publique russe était mûre pour une répression sans quartier de tout terroriste islamique et de quiconque coopérait avec eux.

Le pire, c’est que l’insurrection tchétchène a eu l’approbation de la grande majorité du monde musulman qui, comme en Bosnie et au Kosovo, a pris automatiquement parti pour ce qui était le parti «musulman», quoiqu’il fasse (j’appelle cela la position «ma oumma, quoiqu’elle fasse» – NdT : oumma = communauté). Cette réaction automatique de soutien au parti musulman, même s’il n’était composé que de wahhabites et de criminels, a considérablement sali l’image de l’islam en Russie et a donné beaucoup d’arguments au paradigme du «conflit des civilisations», que l’Occident et ses collaborateurs en Russie voulaient imprimer dans l’opinion publique russe.

Si, sous la direction d’Eltsine, l’État russe s’avéra absolument incapable de prendre les mesures nécessaires pour résoudre la situation, les choses changèrent très rapidement sous la direction de Poutine, ainsi que le démontre la deuxième guerre de Tchétchénie, au cours de laquelle l’insurrection fut totalement écrasée. Par la suite, les efforts combinés de l’appareil sécuritaire russe totalement reconstruit et d’Ahmad Kadyrov, auquel succéda Ramzan Kadyrov, changèrent complètement la situation. Grozny fut reconstruite en un temps record et la Tchétchénie devint une des républiques du Caucase avec le plus haut niveau de sécurité (aux dépens du Daghestan, où la situation empira). Le coût en termes de vies humaines et de souffrances fut absolument épouvantable aussi bien pour les Russes (pratiquement tous ceux qui survécurent quittèrent la Tchétchénie) que pour les Tchétchènes, dont un nombre immense périrent. La cicatrice la plus marquante laissée par cette guerre est que la Russie est devenue une société avec une tolérance zéro pour toute forme de wahhabisme et que le peuple russe a totalement approuvé ce que j’appelle «la doctrine Poutine» en ce qui concerne les wahhabites : «Changez vos façons de faire ou vous serez anéantis.» Ceci, d’ailleurs, est valable aussi bien pour les individus que pour les groupes ethniques: contre un ennemi wahhabite, les Russes approuveront les méthodes de guerre les plus impitoyables, ce qui est une chose dont beaucoup de communautés musulmanes sont très conscientes (nous en reparlerons).

Les Spetsnatz du GRU avec un prisonnier arabe

En Tchétchénie même, Ramzan Kadyrov mit en place un mode de règlement de l’insurrection encore plus dur que dans le reste de la Russie. Pendant la deuxième guerre de Tchétchénie, les mercenaires étrangers et les prédicateurs furent sommairement exécutés après interrogatoire, aussi bien par les forces russes que par les forces tchétchènes, et depuis lors l’entrée de la Tchétchénie est purement et simplement interdite aux prédicateurs saoudiens, yéménites et pakistanais.

Contrairement aux prévisions de la plupart des «experts», la Russie parvint tout à fait à résoudre la situation en Tchétchénie. Mais l’effet corollaire de ce succès fut que bon nombre de ces extrémistes wahhabites expulsés de la région se relocalisèrent au Daghestan et même dans le reste de la Russie. Ce problème est loin d’être résolu. Bien que les États-Unis et l’Angleterre aient diminué leur propagande pro-tchétchène, les Saoudiens continuent à promouvoir l’islam wahhabite en Russie, quoique plus discrètement.

En premier lieu, ils forment des prédicateurs en Arabie saoudite, puis ils les renvoient en Russie.

Ces prédicateurs organisent alors de petites communautés dans des mosquées, où l’on recrute des fidèles pour des activités sociales et religieuses. C’est la phase où les candidats à la prochaine étape sont minutieusement contrôlés, soumis à une enquête approfondie et sélectionnés pour l’étape suivante: la mise en place de caches d’armes, de points de retraite, de terrains d’entraînement, ce genre de chose. Pour finir on utilise ces recrues pour attaquer des postes de police et des banques, pour assassiner les religieux traditionnels (non wahhabites), et pour faire face aux organisations mafieuses. Les services de sécurité russes ont observé ce cycle au Daghestan, à Kazan, à Stavropol (toutes régions comprenant une importante minorité de musulmans), mais également à Saint-Pétersbourg, cité dont la population musulmane est très minoritaire et extrêmement traditionnelle. Jusqu’ici, les services de sécurité ont réussi à conserver une longueur d’avance, mais tout cela est loin d’être terminé, et cette stratégie d’infiltration peut durer très longtemps.

Un des aspects clé de cette dynamique se trouve être la réaction des dirigeants spirituels musulmans locaux. D’abord, comme je l’ai dit plus haut, aucun musulman russe ne veut d’une «deuxième guerre de Tchétchénie» dans sa ville ou dans sa région, car la conséquence d’une telle situation ne fait aucun doute. Ensuite, les dirigeants spirituels traditionnels sont eux-mêmes les premières victimes d’agents infiltrés, dont la phase d’opération «active» commence par le meurtre des imams locaux. Troisièmement, les musulmans de Russie sont généralement très vite déçus par la version wahhabite de l’islam, qui déclare «non musulmanes» nombre de coutumes et de traditions qui sont au cœur de l’identité culturelle de nombreux groupes musulmans de Russie. Quatrièmement, malgré le comportement odieux et les manières vulgaires des voyous du Caucase, il ne faut pas oublier que les communautés musulmanes dont ils sont issus sont en général très conservatrices et pacifiques, et que les anciens désapprouvent absolument ce type de comportement qui, à leur avis, ne fait qu’amener la honte sur leur peuple. Cinquièmement, il ne faut pas sous-estimer le legs de la période soviétique, qui promouvait à la fois sécularisme et modernisme, et qui est resté fortement imprimé au sein de élites locales. Ces élites sont à la fois outrées et horrifiées lorsque les prédicateurs wahhabites leur expliquent qu’il vont devoir abandonner tout à fait leur mode de vie et commencer à vivre selon des règles moyenâgeuses. Enfin, il y a une tension inhérente entre toute forme de nationalisme et le wahhabisme de type saoudien qui est importé en Russie. Cette tension est un des éléments clé qui ont dressé le clan Kadyrov contre les différents seigneurs de guerre wahhabites en Tchétchénie, où les plus nationalistes des Tchétchènes les considèrent comme des étrangers arrogants ennemis des traditions ancestrales tchétchènes. Toutes ces raison font qu’il y a un forte rejet de la part des communautés musulmanes locales et de leurs dirigeants à l’égard de l’islam modèle wahhabite que les Saoudiens tentent d’imposer à la Russie.

Wahhabisme – extérieur

Pour la Russie, le wahhabisme n’est pas seulement une menace interne, il représente aussi un risque considérable à l’extérieur de ses frontières. Selon les analystes russes, l’administration Obama a dans ses tiroirs un tout nouvel ensemble de recettes impérialistes qu’elle s’évertue actuellement à mettre en application. Pendant la période Bush, les USA contrôlaient directement le Moyen-Orient et l’Afrique, principalement par le moyen des opérations militaires. Cette approche «directe» est la méthode que préconisaient le lobby juif et les néo-conservateurs dans le but que les USA conservent leur empire global. Obama est le représentant d’un tout autre groupe (la bonne vieille finance «anglo-saxonne»), catégoriquement opposé aux néo-conservateurs, et qui accordera à la rigueur une attention de pure forme aux amoureux d’Israël, mais qui en vérité place les intérêts stratégiques US bien au-dessus de toutes les priorité sionistes. Sur le plan pratique, cela se concrétise par le retrait du plus grand nombre de troupes US possible et l’abandon du contrôle direct sur les zones à risque, et par l’installation du chaos pour assurer sa domination sur un pays ou une région. C’est une politique de contrôle impérial indirect.

Après tout, pourquoi envahir et occuper un pays, ce qui coûte cher en sang et en argent, alors qu’on peut utiliser des intermédiaires pour créer une situation de chaos total dans ce pays? Dans le meilleur des cas, le chaos amène un changement de régime selon le «modèle libyen» et, au pire, à une guerre civile comme celle à laquelle nous assistons en Syrie. Mais dans les deux, on aura «arraché les crocs» aux dictateurs indésirables comme Kadhafi ou Assad, et on aura supprimé le risque de voir leur pays adhérer à toute alliance anti-US. Et en ce qui concerne les «bons» (comme Abdullah en Jordanie ou Hamad au Bahreïn), ils sont protégés du chaos avoisinant à des coûts somme toute modiques.

Selon les analystes russes, le modèle Al-Qaida wahhabite n’est autre que le fantassin de cette nouvelle politique impérialiste US. Le gouvernement des Etats-Unis n’a qu’à les «injecter» dans toute société qu’il veut subvertir puis s’installer dans la tribune sans avoir grand-chose d’autre à faire que d’envoyer les forces spéciales ici où là, en fonction des nécessités du moment. Dans ce type de fonctionnement, l’agent de la CIA est un marionnettiste et le cinglé wahhabite une marionnette, qu’il en soit conscient ou non.

La grande crainte des analystes russes est que cette stratégie US soit employée pour retirer Assad de l’équation, et par la suite à l’encontre de l’Iran. Il est vrai que la Syrie a une population majoritairement sunnite, alors que l’Iran est avant tout chiite, ce qui en fait l’objet d’une haine féroce et sans limite de la part des wahhabites. Mais l’Iran a quand même quelques minorité kurdes, turkmènes et baloutches (sunnites) qui, si on les combine avec les «révolutionnaires type Gucci» pro-occidentaux des classes supérieures, peuvent représenter un risque réel pour le régime. Et si ça ne marche pas, il y a encore l’option de déclencher une guerre entre l’Iran et un pays sunnite quelconque. La plupart des analystes russes pensent que l’Iran est assez fort pour pouvoir résister à de telles tentatives de déstabilisation, mais restent très attentifs à la situation, car les opinions sont unanimes que si l’Iran était englouti par un chaos généré par les Etats-Unis, cela affecterait directement les régions du sud de la Russie.

Selon certains analystes cette stratégie de «contrôle indirect» ou de «chaos contrôlé» représente une option «gagnant-gagnant» pour les USA même si leurs mandataires wahhabites sont vaincus. La question posée est simple: que se passera-t-il si Assad gagne de façon indiscutable la guerre en Syrie? Que feront les wahhabites ensuite? Retournerons-t-ils au Mali, dont ils se sont retirés pour éviter une confrontation avec la France? Iront-ils en Algérie pour y déclencher une guerre civile? Ou peut-être au Kosovo, ou, allez savoir, dans le sud de la France? Et que se passerait-il si ces wahhabites décidaient de «tâter le terrain» au Kazakhstan?

Ce type de préoccupations a amené certains spécialistes russes de la sécurité à considérer qu’il pouvait y avoir un aspect positif à la guerre en Syrie. Pour dire les choses simplement – Assad est occupé à détruire plein de ces gars d’Al-Qaida, et tout cinglé wahhabite abattu en Syrie est un candidat en moins pour une autre guerre sainte dans un autre coin de la planète.

Ce qui nous permet de voir clairement le motif qui sous-tend la politique russe d’éviter de menacer les lignes d’approvisionnement de l’OTAN passant par le territoire russe, quelle que soit la quantité de déclarations odieuses ou d’actions hostiles venant du côté américain: les Russes veulent que les Américains restent le plus longtemps possible en Afghanistan, ce qui donne à la Russie et à ses alliés comme le Tadjikistan le temps nécessaire pour se préparer au retour d’un régime taliban à Kaboul. Dans l’intervalle, la Russie renforce sa puissante base militaire 201 (anciennement Division motorisée 201) au Tadjikistan et fournit une assistance technique aux gardes-frontière tadjiks.

Les récentes réformes des Forces armées russes ont réorganisé la totalité de l’armée russe en quatre Commandements stratégiques, chacun étant capable de mener indépendamment une guerre défensive régionale au moyen du contrôle direct de pratiquement toutes les forces militaires et de toutes les ressources de sa zone. Il est intéressant de remarquer que bien que le Commandement stratégique sud contrôle la zone la moins vaste, c’est cependant, et de loin, le mieux préparé au combat. Si la guerre de Géorgie du 08.08.08 a bien démontré quelque chose, c’est la vitesse fulgurante à laquelle la 58e Armée et la Flotte de la mer Noire se sont retrouvées prêtes au combat (et ceci même s’il a fallu au Kremlin pas mal de temps pour réagir). Il est tout à fait clair qu’après les succès de Géorgie et de Tchétchénie, Moscou ne compte absolument pas baisser sa garde et reste prêt à s’engager dans des opérations militaires de toutes sortes, depuis l’escarmouche jusqu’à la guerre à grande échelle.

L’islam vu au travers du prisme du «conflit des civilisations»

Cet aspect de la «menace islamique» est fondamentalement différent de tous les autres, car il se fonde sur une thèse qui n’a jamais été vérifiée, seulement posée : il existerait un «conflit de civilisations» entre, en gros, «l’Europe chrétienne» d’une part, et l’islam oriental, ou l’islam «arabe» d’autre part. Oublions le fait que l’Europe a pratiquement perdu tout indicateur de christianisme depuis bien des années, ne tenons pas compte du fait que l’islam n’est à priori pas plus «oriental» qu’il n’est ’«arabe», laissons tomber le fait que l’islam comprend des civilisations très différentes (du Maroc à l’Indonésie) et ignorons qu’il n’y a pas eu d’agression de la part d’une «civilisation» musulmane ou islamique contre les intérêts occidentaux depuis très longtemps. Au fait – les partisans de cette théorie incluent une théocratie raciste comme Israël dans le camps occidental, voire dans le camp chrétien, tout en ignorant le rôle clé que joue la Turquie musulmane dans l’OTAN. Pour le dire clairement – ce point de vue est idéologique à 100%, il ne s’encombre pas des faits. Et malgré tout, il y a pas mal de groupes en Russie ravis de promouvoir cette vision du monde.

a) Les communistes. Dans la triste mentalité soviétique, l’islam, comme toute autre religion, est un ennemi idéologique. Si Ziuganov et Cie n’entonnent pas la rengaine de «l’opium du peuple», c’est parce qu’ils craignent de se mettre à dos leurs membres chrétiens orthodoxes, surtout qu’à l’heure actuelle être «orthodoxe», c’est être «patriote». Mais être musulman vous donne auprès des communistes un crédit égal à «zéro». Ils auraient plutôt tendance à voir l’islam et les musulmans comme des agents agissant en faveur d’intérêts étrangers.

b) Les sionistes. Contrairement à la croyance populaire, il y a en Russie encore énormément de sionistes, dans les médias entre autres, qui ne manquent jamais une occasion d’attiser les flammes de l’islamophobie. Un de leurs coups tordus favoris est de faire l’amalgame entre toutes les formes d’islam avec les actions de tout «musulman», qu’il soit pratiquant ou non, et d’en tirer la conclusion que «l’islam est notre ennemi moral commun». Ces gens considèrent que la Russie et Israël sont des alliés naturels contre l’ennemi islamique, y compris l’Iran, en qui on ne peut avoir aucune confiance. Est-il besoin de le dire, les Israéliens sont ravis de fréquenter ces cercles et de promouvoir le cliché «Vous aviez les Tchétchènes, nous avons les Palestiniens.»

c) Les racistes néo-nazis russes. C’est en réalité un petit groupe, mais qui fait beaucoup de vent. Ce sont les fameux skinheads russes qui ont le sentiment de défendre la race blanche lorsqu’ils agressent un tadjik dans le métro. Certains d’entre eux se disent orthodoxes, mais la majorité préfère rechercher ses racines quelque part dans une lointaine Russie païenne peuplée de guerriers blancs aux yeux bleus. Ces groupes se manifestent surtout sur internet, mais il leur arrive de se rassembler dans un endroit isolé pour «s’entraîner pour le conflit qui se prépare».

Récemment, un groupe de vrais patriotes russes s’est constitué discrètement pour mener une enquête sur ce groupes. Il s’est avéré que ceux qui vociféraient le plus et qui étaient les plus racistes ont généralement des adresses IP au Canada, aux États-Unis et en Israël. Les services de sécurité russes ont la conviction que tous ces groupes sont discrètement soutenus par les services secrets US et autres Occidentaux dans le but de provoquer des tensions ethniques en Russie. Cela ne vous surprendra pas, depuis que Poutine est arrivé au pouvoir, les chefs de ces groupes ont pour la plupart atterri en prison ou se cachent à l’étranger.

d)Les catholiques romains et les orthodoxes œcuménistes. Ces deux groupes partagent une conviction commune: quelles que soient les «divergences mineures» qui ont pu exister dans le passé, la Russie orthodoxe fait partie de «l’Occident chrétien», ne serait-ce que parce qu’un «ennemi commun» les «menace». Ces gens évitent soigneusement de mentionner que la Russie a toujours choisi l’Asie par rapport à l’Europe, et l’islam par rapport à la papauté, ne serait-ce qu’à cause de toutes les guerres de conquête engagées par l’Occident contre la Russie. Ce groupe n’a aucun impact sur la masse des gens, mais a quelques partisans dans les cercles pro-US des grandes villes.

Aucun de ces groupes n’a de réelle puissance, à l’exception des sionistes. Et officiellement, ils ne coopèrent pas. Mais s’il n’y a pas d’indicateurs de conspiration, il y a une collusion de fait dès qu’il s’agit de diaboliser l’islam sous toutes ses formes, même les plus modérées. Ceci, évidemment, signifie qu’il y a une minorité de la population qui continuera, vaille que vaille, à considérer l’islam comme une menace.

La bonne nouvelle est que ces groupes sont neutralisés par des forces beaucoup plus puissantes qui voient en l’islam un allié potentiel, sinon véritable, de la Russie. Ceci sera le sujet du prochain chapitre.

Le Saker

Traduit par Abdelnour, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone

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