Comprendre la Russie
La Russie et l’islam – Acte I

Par le Saker original – Le 16 février 2013  – Source vineyardsaker

Aujourd’hui nous ouvrons une rubrique pour aider nos lecteurs à comprendre un peu mieux la Russie.

La Russie, tout le monde connaît : c’est un endroit où il y a de la neige – beaucoup – et de la vodka – beaucoup aussi.

En Russie, il y a des Russes, et ça aussi tout le monde connaît : ce sont des barbares qui boivent beaucoup de vodka, et des communistes qui veulent dominer le Monde libre. Aujourd’hui, ils ne sont plus vraiment communistes, mais ils n’ont quand même pas beaucoup changé: leur chef Poutine (héritier des communistes, ou des empereurs, c’est selon) est un dictateur qui veut toujours dominer le Monde libre. Bref, ce sont de dangereux sauvages.

Humour noir mis à part, la Russie, c’est un peu plus que ça : le plus vaste pays de la terre, 17 millions de km2, neuf fuseaux horaires, 90% de croyants, 128 groupes ethniques ou nationalités différents, et une brillante civilisation plus que millénaire.

On parle beaucoup de la Russie ces derniers temps. Que savons nous de la Russie en fait ? Eh bien, en dehors de la propagande officielle, peut-être pas grand chose, du moins en ce qui concerne beaucoup d’entre nous.

C’est pour cette raison que nous vous proposons un tour d’horizon, dans le but de mieux comprendre ce peuple, qui est en fait beaucoup plus notre proche voisin que les États-Unis, et de vous permettre de forger votre propre opinion sur nos relations avec eux. Et, pour finir, de reconnaître les néfastes effets d’une propagande qui tente de nous dresser contre un peuple pacifique.

RUSSIE ET ISLAM: INTRODUCTION ET DÉFINITIONS

Je commence aujourd’hui une série d’articles sur le très complexe sujet de la Russie et l’islam, sujet largement ignoré en Occident ou totalement incompris lorsque par hasard il est mentionné. Cela fait plusieurs mois que j’effectue des recherches sur ce sujet passionnant, et il y tant à en dire que j’ai décidé de rédiger une série de chapitres couvrant chacun un aspect spécifique du sujet.

La nature de la relation actuelle et de l’interaction entre la Russie et l’islam est très compliqué; elle présente plusieurs facettes, spirituelle, politique, sociale, économique, historique et géostratégique. Sans vouloir me précipiter jusqu’à ma conclusion, je peux dire que la relation dialectique entre Russie et islam est, je pense, dans une période de changements profonds et dynamiques rendant impossible de prédire le futur avec un minimum de certitude.

Mais en premier lieu, il faut insister sur le fait que Russie et islam sont des concepts qui ne sont ni en opposition, ni en exclusion mutuelle. Bien que relativement peu de Russes ethniques soient musulmans, la Russie a toujours été un état multi-ethnique, même lorsqu’elle n’était qu’une petite principauté dont Kiev était le centre.

Le mot « russe » dont nous nous servons dans la langue française exprime deux concepts russes très différents : le mot Russkii, à savoir appartenant à l’ethnie ou à la culture russe, et le mot Rossiiskii, c’est à dire faisant partie du pays Russie. Ainsi, lorsque les Russes parlent de Russkii, ils veulent dire l’ethnie russe, alors que lorsqu’ils disent Rossiiskii, ils désignent l’État-nation, une zone géographique. Prenez par exemple l’actuel ministre de la Défense de Russie, Serguei Shoigu. De par son père, c’est un Tuvan ethnique, et du côté de sa mère. il appartient à l’ethnie russe. Si nous ne tenons pas compte de sa lignée maternelle, nous pourrions dire qu’il n’est pas un Russe ethnique (Russkii), mais il est cependant un citoyen russe (Rossiiskii). Soit dit en passant, Shoigu n’est pas un chrétien orthodoxe comme la plupart des Russes ethniques, mais un bouddhiste. De même, le ministre de l’Intérieur de Russie entre 2003 et 2011 était Rachid Nurgaliev, né musulman puis converti à la foi orthodoxe. Lui aussi serait considéré comme un citoyen russe (Rossiianin) mais pas comme un Russkii.

Ainsi, bien que relativement peu de Russes ethniques soient musulmans, la nation russe a toujours englobé beaucoup d’autres groupes ethniques, incluant de nombreux musulmans, et ces groupes ethniques ont souvent joué un rôle crucial dans l’histoire de la Russie. Depuis les Vikings qui fondèrent Kiev, en passant par les Mongols (principalement musulmans) qui aidèrent Saint Alexandre Nevsky à vaincre les Chevaliers teutoniques des Croisés nordiques de la Papauté, jusqu’aux deux bataillons des forces spéciales tchétchènes qui furent le fer de lance de la contre-offensive russe face à l’armée géorgienne dans la guerre du 08.08.08, les non-Russes ont toujours joué un rôle important dans l’histoire de la Russie. Et on ne peut nier l’existence d’un islam russe pleinement légitimé par l’Histoire. Présenté autrement, si l’islam russkii reste un phénomène mineur, presque privé, en revanche l’islam rossiiskii est un phénomène présent au cours des mille et plus années de l’histoire russe, et une partie fondamentale de l’identité russe.

Il est important de garder cela à l’esprit lorsque l’on entend les opinions mal fondées de ceux qui voudraient voir en la Russie une partie de ce que l’on appelle Occident chrétien. Soyons clair : l’aspect le plus manifeste et le plus fréquent des interactions entre Russie et christianisme occidentale a été la guerre. Et chacune de ces guerres fut une guerre défensive contre une agression occidentale.

Il est vrai qu’une bonne partie de la noblesse impériale russe, qui était bien souvent d’extraction germanique et presque entièrement composée de membres actifs de la franc-maçonnerie, voulait voir la Russie faire partie de la civilisation occidentale. Mais ceci était une mode en vogue seulement au sein des élites fortunées, ces classes déjà bien occidentalisées que Marx nomma par la suite la superstructure de la Russie. Le peuple russe orthodoxe était bien plus proche de ses voisins musulmans et bouddhistes que des élites occidentalisées qui parvinrent au pouvoir au cours du XVIIIe siècle sous le règne du Tsar Pierre Ier.

Alors qu’avant le XVIIIe siècle personne n’aurait défendu sérieusement que la Russie appartenait à la civilisation occidentale, il y eut à partir de ce moment un effort soutenu de la part de certains membres de la classe supérieure russe pour moderniser la Russie, ce qui voulait dire en réalité l’occidentaliser. Depuis le Tsar Pierre Ier, en passant par le Mouvement décembriste franc-maçon et le régime de Kerensky, jusqu’aux années Eltsine, les occidentalistes russes n’ont jamais abandonné leur combat pour faire de la Russie un état occidental. J’irai même jusqu’à affirmer que toute l’expérience soviétique fut une tentative d’occidentalisation de la Russie, mais sur un modèle marxiste à la place de l’habituel modèle papiste ou franc-maçon. Le point commun de tous ces modèles est une détestation viscérale de la culture et de la spiritualité russes, et un désir obsessif de transformer la Russie en Pologne. Le mot de Napoléon «Grattez le Russe et vous trouverez le Tartare» exprime à la perfection ce mépris, cette haine pour la culture et la nation russes. Ceci, venant d’un empereur maçonnique qui utilisait le sanctuaire des églises orthodoxes russes comme étables pour ses chevaux et qui, de rage et de dépit, tenta de faire sauter le Kremlin, révèle bien la source de son aversion pour le peuple russe.

En contraste, cinq cent ans auparavant les Mongols (principalement musulmans) qui envahirent la Russie traitèrent généralement l’Église russe et le clergé orthodoxe avec le plus grand respect. Il est vrai qu’ils pouvaient sans hésitation incendier un monastère et massacrer tous ceux qui s’y trouvaient, mais uniquement si ce monastère était utilisé par des insurgés dans leur combat contre l’envahisseur. Et c’est vrai, certains Mongols forcèrent des princes russes à passer par leur feu purificateur, mais il ne s’agissait pas de musulmans, il s’agissait de païens. C’est un fait indéniable que chaque fois que les Russes furent sous le joug musulman, ce fut toujours infiniment moins cruel et barbare que les agissements des envahisseurs papistes, maçonniques ou nazis à chacune de leurs tentatives d’invasion et de domination de la Russie. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de courant véritablement anti-islamique dans la culture russe, du moins pas avant l’ère soviétique, qui malheureusement a gravement compromis le délicat équilibre atteint avant 1917.

Dans le passé, les forces occidentales se considéraient comme européennes face aux asiatiques, et sont devenues remarquablement anti-musulmanes à l’heure actuelle (nous en reparlerons). Là où on défend avec enthousiasme le droit d’organiser des gay prides ou les actions des Pussy Riots, ces mêmes forces sont catégoriquement opposées au droit des jeunes filles musulmanes de porter un foulard à l’école.

En toute franchise, je ne vais pas discuter davantage des forces pro-occidentales en Russie, parce qu’elles ont été affaiblies au point de ne plus représenter à l’heure actuelle qu’un ou deux pourcents de la population. Il me fallait mentionner ces forces, qui sont le résidu de trois cent années d’infructueuses tentative d’occidentalisation de la Russie, mais ce n’est pas là que se trouve le plus intéressant de nos jours. Aujourd’hui, ce sont les débats enflammés au sein des différents groupes anti-occident ou patriotiques qui est vraiment intéressant, et ce sera le sujet d’un prochain chapitre. Mais d’abord, il nous faut porter le regard sur la condition spirituelle actuelle de la majorité du peuple russe.

Le Saker.

Traduit par Abdelnour relu par jj et Diane pour le Saker Francophone

Suite…SECONDE PARTIE  – LE CHRISTIANISME ORTHODOXE

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