Chișinău – Discours de Levan Vasadze


Par Levan Vasadze – Le 16 décembre 2017

Deuxième colloque de Chișinău (15-16 décembre 2017)

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Chers amis,

C’est pour moi un honneur et un plaisir de revenir à Chișinău pour la deuxième fois cette année. Quelle année moldave pour moi grâce au président Dodon et à mon cher ami Iurie Rosca !

Nous nous réunissons ici aujourd’hui, entre autre, pour commencer à conceptualiser l’économie, l’une des sept composantes de ce que j’ai appelé le récit affirmatif de la tradition lors de ma précédente visite ici.

Clairement, c’est mieux fait par les économistes professionnels et les scientifiques, qui, maintenant, se rendent compte que la science économique libérale est largement fausse. Bien sûr, c’est encore une espèce rare d’économistes, bien qu’avec l’évidence croissante d’une crise mondiale artificielle, je suppose, de plus en plus de scientifiques de ce genre se joindront à notre discours. En attendant, nous devrions tous participer.

N’étant pas un économiste, mais un homme d’affaires, un professionnel dans le domaine de la finance et de la stratégie d’entreprise, avec une maîtrise obtenue aux États-Unis et près d’un quart de siècle d’expérience pratique des affaires, peut-être que je peux contribuer aujourd’hui du point de vue de l’acteur. En essayant de le faire, je vous demande pardon par avance, pour mon vocabulaire non scientifique et mes arguments.

Peut-être que la question la plus intrigante, au début de notre quête, que nous devrions nous poser, est de savoir quand et où chacun d’entre nous s’est rendu compte que quelque chose était fondamentalement faux dans le paradigme économique libéral proposé. Venant de l’ère du marxisme économique défaillant et du brillant libéralisme économique, ce n’était pas la plus facile des révélations à réaliser.

Pour moi, la logique fautive est devenue évidente avec la dernière crise de 2008, quand j’ai réalisé qu’il y avait trop de preuves pour étayer mon impression que la pauvreté et le lent développement économique des pays de la FSU étaient artificiels.

L’école de pensée traditionnelle suggère qu’il s’agit d’un processus naturel, qui va de pair avec la transformation de l’économie post-socialiste en une économie capitaliste. Cependant, l’exemple de la Chine suggère le contraire : vous n’avez pas à vous rendre complètement au capitalisme pour avoir maintenant la plus grande économie du monde, qui a connu une croissance multipliée par 10 au cours des 30 dernières années.

Une autre composante de la propagande, suggérée pour expliquer pourquoi les pays de la FSU restent pauvres et fragiles, est la corruption. Cependant, la corruption est omniprésente partout. L’industrie officielle de lobbying à Washington avec ses milliards de dollars et la machine bureaucratique de Bruxelles étant peut-être ses plus grandes manifestations. La Chine susmentionnée exécute publiquement des milliers de corrupteurs chaque année, admettant ainsi le problème de la corruption, mais cela ne l’empêche pas d’avoir un énorme succès économique.

Troisièmement, bien que moins utilisé, l’argument censé expliquer la lenteur de la croissance de nos économies est la fameuse question des droits de l’homme. Cependant, je crois que les chats et les chiens jouissent de plus de droits humains dans la FSU que dans certains pays, qui sont les alliés de l’Occident, mais cela ne les empêche pas d’être riches et économiquement soutenus par l’Occident.

Par conséquent, on peut dire que dans mon cas, le développement du scepticisme envers l’équité et la liberté du paradigme économique libéral occidental a commencé avec la découverte de la dure réalité : en tant que territoires du camp géopolitique vaincu, nous avons été rendus intentionnellement pauvres par les vainqueurs.

Cette école de pensée qui est la mienne est considérée comme une « théorie de la conspiration » péjorative et ridiculisée. On nous dit que personne ne veut que nous soyons pauvres, mais que nous nous enrichissions, pour pouvoir acheter les biens et services occidentaux. Cela sera vrai quand la tâche de domination géopolitique et de soumission sera achevée. Cependant, jusqu’à ce que la Russie elle-même soit dissoute, cette tâche reste en grande partie inachevée, d’où la pauvreté intentionnelle des pays de la FSU, qui les rend ainsi plus faciles à manipuler et à gérer. C’est la seule logique.

Comment cette pauvreté artificielle est-elle organisée ?

Commençons par les constitutions rédigées par les conseillers occidentaux pour tous les pays de la FSU.

Leur caractéristique la plus étonnante (certainement pour celles de la Russie, de l’Ukraine, de la Géorgie, de la Moldavie et des États baltes) est le fait que les banques centrales respectives ne rendent aucun compte à leurs gouvernements ni à aucune autre structure étatique.

Nous savons en fait que toutes sont en effet des satellites informels de la Federal Reserve Bank des États-Unis, qui n’appartient pas à l’État américain, mais à ses propriétaires privés, et qui a le monopole de l’impression du dollar.

Ces banques centrales nationales, malgré l’animosité proclamée entre les différents États de la FSU, mènent des stratégies jumelles, qui peuvent être brièvement décrites par deux caractéristiques :

  1. Taux d’intérêts élevés ;
  2. Masses monétaires abyssalement faibles.

Ces deux dogmes sont proclamés sur la base des conceptions du monétarisme de Milton Friedman. Cependant, même cela est un mensonge, parce que si nous regardons de plus près le travail de Friedman, nous remarquerons qu’il n’utilise pas de fonction linéaire, ou même ne parle pas d’une dépendance inévitable des risques d’inflation pour ces deux dogmes-là. Friedman écrit que ces deux facteurs peuvent avoir des effets négatifs sur l’inflation avec un retard de 4 à 5 mois dans les économies développées et un plus long dans les économies en développement, donc probablement pratiquement pas d’effet pour nous.

Maintenant, regardons notre réalité. Ayant vécu les taux sans risque historiquement bas dans les pays occidentaux (de 0 à 1%), au cours des 10% à 15 dernières années, les pays de la FSU ont dû subir une ère de taux sans risque très élevés pendant la même période (7% à 10%).

Lorsque le mythe de l’inflation est insuffisant, la propagande libérale se réfugie derrière un autre argument : la nécessité d’attirer les investisseurs via les taux élevés de la banque centrale locale. Toutefois, dans le cas d’un pays comme la Russie, par exemple, les données officielles sur la fuite des capitaux se situent aux alentours de 2 000 milliards de dollars depuis l’effondrement de l’URSS et sont donc infiniment plus importants que les investissements étrangers directs sur la même période.

Voyons maintenant la masse monétaire, mesurée par différents coefficients économiques, tels que M1, M2 ou M3. En fonction du paramètre et du pays, dans les pays développés, ces coefficients se situent entre 100% et 200% du PIB, alors que dans les pays de l’ex-Union soviétique, ils se situent en moyenne entre 20% et 40%.

Donc non seulement l’argent est très cher, mais il est également très rare. Ainsi on a une situation artificiellement masquée par les pseudo-préoccupations sur l’inflation. Sans oublier le fait que malgré ces mesures, l’inflation dans les pays de l’ex-Union soviétique a largement dépassé celle en Occident.

Personne ne nie une telle corrélation en théorie, mais les détails comptent.

En revenant sur notre histoire post-soviétique, nous pouvons dire que les quelques années d’hyperinflation dans les pays de la FSU, qui étaient tous gérés par les gouvernements locaux contrôlés par le FMI et le Département d’État, ont été le premier acte de la manipulation en deux étapes. Elle visait à renforcer les arguments en faveur d’une politique monétaire restrictive à venir. Les populations des États de l’ex-Union soviétique se souvenaient des années 1990 avec tant d’horreur qu’elles étaient prêtes à supporter la politique monétaire restrictive actuelle dans la crainte de revenir à la précédente.

Sur la base de ce qui précède, en pensant au paradigme post-libéral alternatif, nous devrions nous poser la première question suivante : peut-être, que s’il était laissé libre, le paradigme économique libéral serait réellement productif et nous ne devrions nous occuper de rien mais au contraire le libérer de l’hégémonie de la FED. Ceci, à mon avis, serait une stratégie erronée pour la simple raison que l’espoir naïf de détourner le cadre libéral des mains de ses auteurs et de l’utiliser efficacement sans eux semble absurde par définition.

Cela dit, tout comme nous devons nous débarrasser des concepts erronés du fascisme et du marxisme, nous devons faire de même envers le libéralisme, nous ne devrions pas réinventer la roue là où ce n’est pas nécessaire.

Par conséquent, voici les questions de base suivantes que nous devons aborder dans le cadre d’une harmonie économique post-libérale (ici HEPL, qui ironiquement s’épelle presque comme HELP).

Mon temps de parole ne me permet pas d’entrer dans de longues considérations entre les avantages et les inconvénients des différents systèmes. Par conséquent, je donnerai mes opinions préliminaires sur les sujets en question, admettant que je ne suis pas venu ici avec trop d’idées préconçues et que, comme n’importe lequel d’entre vous, je souhaite rester ouvert et flexible dans cette nouvelle discussion.

Q1 : Devrait-il y avoir le concept de propriété privée dans ce HEPL ?
R1 : Absolument oui, tout le reste signifierait répéter la tragédie du marxisme.

Q2 : Devrait-il y avoir le concept de propriété privée dans tous les secteurs industriels de l’HEPL ?
R2 : Chaque pays devrait être libre de décider par lui-même. Toute standardisation signifierait répéter le double standard insidieux du libéralisme. Pour un pays, l’eau est une ressource stratégique pour l’autre, c’est l’éducation. Chaque État devrait être libre dans son choix et indépendant des normes pseudo-universelles

Q3 : Devrait-il y avoir un institut des banques centrales et, dans l’affirmative, devraient-elles être indépendantes de leurs États ?
R3 : Si nous supprimons leur fonction de subordination aux banques centrales étrangères, elles peuvent être facilement fusionnées dans les services du Trésor locaux ou même dans les ministères des Finances.

Q4 : La politique économique devrait-elle être exempte d’idéologie ?
R4 : Pour commencer, être libre de toute idéologie, cela n’existe pas. Le paradigme économique libéral actuel est gouverné par l’idéologie du profit, par conséquent il n’est pas libre par rapport à une idéologie non plus. Le paradigme HEPL devrait servir tout ce qui est central à chaque État : les valeurs familiales, la nation, etc.

Q5 : Quelle devrait être la forme de crédit de base autorisée dans l’HEPL, l’usure ou la participation ?
A5 : La participation a ma préférence.

Q6 : Devrait-il y avoir une réglementation sur la mobilité transfrontalière du capital ?
A6 : Oui, mais cela reste à l’appréciation de chaque État.

Q7 : Monnaie fiduciaire ou monnaie sécurisée ?
A7 : En principe, chaque État décide, mais la monnaie fiduciaire me semble plus réaliste.

Q8 : Faut-il réglementer le droit du travail?
A8 : Il doit être présent mais basé sur les priorités de chaque pays.

Pour résumer, la révolution conservatrice fondamentale de l’HEPL, telle que nous la voyons aujourd’hui, se situe dans la proposition d’abolition de l’usure et du détachement des politiques monétaires des États des banques centrales.

Inutile de dire que tout ce qui précède est très cru et préliminaire, mais nous devons bien commencer quelque part. L’invention de l’HEPL équivaut à écrire de la musique par les sourds, et si Beethoven a eu sa chance, c’était peut-être grâce à sa mémoire phénoménale, la mémoire, dans laquelle nous devons chercher les réponses dans nos sociétés pré-modernes respectives.

Merci de votre attention !

Levan Vasadze

Géorgie
Président de la Société géorgienne de démographie XXI

Traduit par Hervé, relu par Cat pour le Saker Francophone

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