Par Michel J. Cuny – Le 19 avril 2016
Dans un récent article publié ici-même, j’avais évoqué le contenu des accords Sykes-Picot (mai 1916) censés présider au démantèlement, alors espéré par la Grande-Bretagne et la France, de l’Empire ottoman. La Première Guerre mondiale faisait rage : elle devait trouver une partie de ses conséquences sur ce terrain qui est à nouveau troublé aujourd’hui par des stratégies qui le dépassent largement, très largement.
Puisque la Grande-Bretagne et la France se préparent aujourd’hui à d’autres assauts militaires… arrêtons-nous un instant à ce qu’enseigne l’Histoire un peu plus lointaine.
Derrière tous les conflits plus ou moins vastes qui ensanglantent la planète, il y a des rapports de force et les divers porte-parole qui s’en font l’écho. Je voudrais ici revenir au personnage que la finance internationale considère, depuis bientôt 250 ans, comme l’un de ses maîtres en matière de mise en œuvre des guerres et des intérêts d’argent qui vont avec : Voltaire.
C’est en 1763 que le premier vaisseau de guerre anglais a pénétré dans le golfe Persique, et que l’Iran a perdu officiellement le contrôle de celui-ci, ce qui peut encore se dire dans les termes que Robert Baer utilise dans son ouvrage Iran, l’irrésistible (Jean-Claude Lattès 2008, page 151) : «C’est alors qu’il devint le Golfe (et non plus le golfe Persique), et les Arabes, les loyaux sujets de la Couronne d’Angleterre.»
Mais 1763, c’est aussi l’effondrement majeur d’un Royaume de France qui vient de perdre la guerre de Sept Ans (1756-1763) sous la houlette de la marquise de Pompadour, des frères Pâris – ses mentors depuis toujours – et d’un Voltaire que l’Université française et, à sa suite, l’Éducation nationale, négligent toujours de nous présenter en semblable occurrence. Et pourtant…
Dans cette petite affaire, la France ne faisait que céder… à l’Angleterre – et par le traité de Paris du 10 février 1763 – ces quelques bricoles dont Pierre Calmettes nous fait le détail (Choiseul et Voltaire, Plon 1902, page 165) : «Nous perdions le Canada, la Nouvelle-Écosse, les îles du Saint-Laurent, le Sénégal, Minorque et une partie des petites Antilles ; nous devions évacuer l’Allemagne et raser les fortifications de Dunkerque ; il nous était interdit d’armer nos possessions de l’Inde ; enfin il nous fallait céder la Louisiane à l’Espagne, en dédommagement de Minorque prise par les Anglais.»
Mais revenons-en plutôt du côté du gousset de ce Voltaire qui écrivait à son homme d’affaires, le banquier genevois Jean-Robert Tronchin, le 27 septembre 1756 : «Ne croyez-vous pas les troubles d’Allemagne préjudiciables au commerce de Lyon ? Ne serait-il pas à propos de mettre quelque chose dans les fonds publics de Paris ? Pourriez-vous à votre loisir, Monsieur, me communiquer vos idées ?»
Il s’agissait d’investir dans la dette de guerre annoncée… Celle qui allait mettre, à un peu plus d’une trentaine d’années de là, la tête d’un Louis XVI à la merci de la guillotine.
Et Voltaire, dira-t-on. Eh bien, le voici qui fait ses comptes avec le même Jean-Robert Tronchin le 14 octobre 1758 – c’est-à-dire après deux années de guerre seulement – en une époque où la rémunération annuelle d’un manouvrier parisien peut être évaluée à 200 livres : «Comptons, mon cher correspondant, afin que je ne fasse pas de sottises […]. Voilà donc 456 000 livres [2228 années de travail !!!] et plus pour payer 240 000 livres [1200 années de travail !] ou environ ; restera entre vos mains 216 000 livres [1080 années de travail !!!]. Que la guerre continue, que la paix se fasse, que les hommes s’égorgent ou se trompent, vivons et buvons.»
Pour atteindre un pareil niveau de jouissance, il faut d’abord rassembler des moyens financiers très importants, sauf à être un héritier qui aura su patienter jusqu’au moment – parfois lointain – de la dévolution des biens qui doivent lui revenir.
Voltaire, lui, est parti de rien, en termes de fortune personnelle… Mais il est surtout parti des bons conseils que lui ont prodigués les frères Pâris dont l’un des biographes, l’abbé Pierrard, écrivait qu’avant de devenir les inventeurs de la marquise de Pompadour…
«Ils s’enrichirent dans les entreprises des guerres qui commencèrent en 1700 pour finir en 1713. Leur crédit commença à s’affirmer à partir de 1707.»
Un demi-siècle plus tard, Voltaire lui-même est emporté, avec la marquise et quelques autres, dans la grande ronde. Il est promoteur de guerre, et fournisseur de vivres aux armées.
À son exemple, aujourd’hui même, les émules de Voltaire, qui ont toujours bon pied et bon œil, attendent de voir ce que vaudra la prochaine curée…
Voici en effet qu’est survenue la concrétisation d’une partie des accords signés en 2010 entre la Grande-Bretagne et la France : le lancement de Griffin Strike 2016, un exercice militaire qui a lieu en ce moment même, c’est-à-dire entre le 14 et le 23 avril 2016. Il concerne 5 500 militaires et devrait permettre, à l’avenir, une coopération franco-britannique dans le cadre d’opérations bilatérales ou menées au sein d’une coalition. Quant aux accords de 2010 eux-mêmes, ils avaient, un
an après leur signature, débouché sur la destruction de la Libye…
La finance internationale sait, en tout cas, que l’essentiel est chez Voltaire, et surtout, elle ne s’attend pas à ce que les bons peuples puissent venir troubler ses petits manèges. C’est qu’elle a pris la précaution de faire de Voltaire, au sein d’une culture de pacotille, un sirop à usages multiples…
Je rappelle tout de même que cette potion est à base de sang humain.
http://voltairecriminel.canalblog.com
Michel J. Cuny
Avec sa compagne Françoise Petitdemange, écrivaine professionnelle et indépendante depuis 1981, Michel J. Cuny, écrivain professionnel indépendant depuis 1976, développe un travail de recherche, à caractère historique, qui s’étend de la fin du Moyen Âge pour atteindre l’époque contemporaine, et dont les résultats apparaissent peu à peu sur leur site : http://unefrancearefaire.com