Par Andrew Korybko – Le 2 octobre 2018 – Source orientalreview.org
Bobi Wine, icône de l’opposition ougandaise, est rentré chez lui après avoir été soigné aux USA suite à des blessures graves qu’il dit avoir reçues lors de son arrestation le mois dernier, pour des charges de trahison.
Le chanteur populaire, devenu politicien, est devenu un modèle pour la majorité adolescente de la population de l’Ouganda, mais s’est vu récemment accusé d’avoir participé à une violente attaque contre le cortège présidentiel. Ses soutiens, qui le considèrent comme la principale menace envers les ambitions d’un sixième mandat de Yoweri Museveni en 2021 – le président vieillissant, dénoncent des intimidations de l’État à son égard. Mais considérer Wine comme un « combattant de la liberté » ou comme un « traître terroriste » ignorerait la réalité, qui est bien plus complexe. Mais avant d’y venir, nous devons rappeler quelques faits.
En premier lieu, Wine est ouvertement soutenu par les USA – c’est documenté dans les grandes largeurs par le chercheur en géopolitique Tony Cartalucci, installé à Bangkok, dans ses travaux récents pour le journal NEO – et ressemble beaucoup plus à un démagogue de révolution de couleur qu’à un homme politique proposant une vision claire de l’avenir. Wine et ses partisans n’ont, pour le meilleur et pour le pire, aucune expérience politique pourtant nécessaire à la gestion d’un pays présentant autant de défis en développement, en politique, et en sécurité que l’Ouganda ; l’attrait qu’il constitue vient surtout de son opposition totale à Museveni.
Le président en place a pris le pouvoir à la fin de la guerre civile [en 1986, NdT] et a depuis centré sa politique intérieure sur la sécurité ; il se targue d’un bilan de stabilité pour l’Ouganda, alors que ses détracteurs dénoncent la mise en place d’une « dictature ». Autre fait d’intérêt, Museveni était l’un des principaux mandataires des USA pendant les guerres du Congo, qui ont fait plus de 5 millions de morts mais ont institué l’Ouganda comme puissance régionale militaire.
Si l’on s’en tient aux apparences, il peut apparaître étrange que les USA se détournent de leur allié de longue date, mais le fait est que Museveni a œuvré à « équilibrer » au cours des décennies les influences américaines et chinoises, et qu’il s’est positionné pour jouer un rôle central dans la route de la soie à l’Est de l’Afrique, au travers de la possible extension du Kenya vers l’Ouganda et l’Afrique centrale du chemin de fer à voie normale construit par la Chine. Les USA ont également tout intérêt à anticiper quelque peu les changements de gouvernement inévitables, comme ils l’ont fait en Égypte et en Tunisie, mais si cela passe par une trahison de leurs partenaires de confiance ; voir cela arriver en Ouganda n’est donc pas sans précédent.
Bobi Wine est devenu l’emblème de la révolution de couleur des USA en Ouganda, ce qui ne signifie pas que les sentiments anti-gouvernementaux doivent être pour autant déconsidérés : les gens ont leur part de griefs tout à fait légitimes à l’encontre de Museveni. Le plus troublant dans tout ceci, pour autant, c’est que le gros des soutiens à Wine est constitué d’adolescents, et s’ils étaient manipulés jusqu’à mener des actions violentes contre l’État, et que la police était forcée en retour de faire usage de ses armes contre ce que la loi considère comme des « enfants », on imagine le désastre en terme de relations publiques pour Museveni, et le fondement facile qui pourra en être tiré pour déclarer des sanctions.
Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Radio Sputnik le vendredi 28 septembre 2018.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone