Par Gilles Verrier – Le 1er octobre 2018 – Source gilles-verrier
La défaite cuisante à l’élection du premier octobre devait immanquablement arriver pour le Parti québécois. Avec seulement 9 députés élus sur 125 et un creux historique de 17 % des voix exprimées, comparativement à 23 % à sa première prestation en 1970, le parti souverainiste touche le fond du baril. Ces chiffres marquent un désaveu qui se préparait depuis longtemps.
Le Québec ne pouvait gagner
Allons tout de suite aux explications de cet hécatombe. Avec le recul, nous savons aujourd’hui que si les référendums de 1980 et de 1995 avaient été gagnés, ils ne pouvaient mener qu’à une impasse comme en Catalogne. Éventuellement, peut-être, à une négociation, où Ottawa restait le maître du jeu face à un appui à la souveraineté variable et un leadership mal préparé. Avec la stratégie référendaire comme seul levier pour faire aboutir sa cause et une doctrine du national jamais bien fixée, le projet ne pouvait réussir. Malgré deux échecs référendaires et une négociation constitutionnelle en 1981, à laquelle il participa sans plaider son option, mais dont il sortira tout de même perdant, le PQ a toujours résisté à s’imposer une réflexion en profondeur. Peut-être parce que l’intérêt pour les maroquins dépassait tout le reste ?
Le paradigme national péquiste, élaboré à la fin des années 1960, est resté à peu près inchangé depuis ce temps, à l’exception notable de l’étapisme référendaire, adopté en 1973. La ferveur argumentaire des premières années a tombé. Du reste, depuis le deuxième référendum le parti s’était réfugié dans un souverainisme incantatoire. Pour la présente élection, le nouveau chef, Jean-François Lisée, ira plus loin dans le renoncement à la cause, passant de l’incantation au mutisme, il promettra de la repousser à un prochain mandat. La succession des échecs, dont certains d’entre eux s’expliquent mal ou sont excusés par une coterie de journalistes, finalement l’ensemble de l’œuvre a fini par décourager les partisans. Ils se sont dispersés pour aller à gauche, chez Québec solidaire, qui récolte 10 élus; et à droite, à la Coalition avenir Québec (CAQ), les deux gagnants de l’élection. Non seulement ce qu’on a appelé jadis « la grande coalition souverainiste » n’existe plus, mais ce qui en restait ne servait plus qu’à encombrer le terrain du national par le poids de son inertie.
Avec cette élection, les Québécois se sont libérés d’une option qui n’en était plus une et qui, par conséquent, ne justifiait plus qu’on se coupe en deux en son nom. Le vote du 1er octobre s’est donc exprimé de façon plus naturelle, se découpant de nouveau selon les lignes de fracture sociologiques traditionnelles, antérieures au Parti québécois. Chacun des deux principaux groupes du Québec a davantage voté en bloc pour ce qu’il considère être ses intérêts nationaux. Les francophones, dans un mouvement d’unité, qui était disparu depuis cinquante ans, ont voté massivement pour la Coalition avenir Québec, lui donnant 75 députés. Quant aux anglophones, ils ont procédé les yeux fermés à la ré-élection de députés du Parti libéral dans tous leurs comtés. Avec ces résultats, Philippe Couillard, chef du parti libéral a été rejeté pour son manifeste manque d’amour envers ses concitoyens francophones et la doctrine péquiste s’en trouve mise à l’écart. Dans ce contexte, les vannes de la réflexion sur la question des nations au Canada et au Québec vont pouvoir s’ouvrir plus librement.
Après un tour de piste de cinquante ans dans l’orbite de la « québécitude », les Québécois peuvent redescendre sur terre. Ils peuvent redevenir ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être : des Canadiens français de plein droit. Ce réalisme pourrait rendre à leur combat la profondeur et la légitimité perdues.
La question nationale au Canada
Il faut souhaiter que la réflexion sur un certain nombre d’enjeux nationaux, longtemps laissée en jachère, reprenne enfin ses droits pour profiter d’un terreau qui pourrait être plus fertile. D’évidence, le cadre limité de cet article ne me permet pas de tout couvrir. Je vais toutefois tenter de synthétiser l’essentiel dans le prochain paragraphe, pour revenir ensuite avec quelques questions et explications.
La question des nations au Canada est au cœur de ce pays. Pour le dire avec une image que tous comprendront : les Catalans n’ont pas fondé l’Espagne, mais les Canadiens-français ont fondé le Canada. Soixante mille pionniers et explorateurs intrépides, renforcés par une alliance de 150 ans avec les Premières nations, ont fondé un pays relativement égalitaire, grand comme les deux tiers de l’Amérique du Nord. Ce Canada a été vaincu militairement en 1760. Le Canada moderne s’est superposé au premier, il a été fondé sur les bases d’une conquête injustifiée. On pourrait oublier tout ça si le vainqueur n’avait pas perpétué sa victoire par le déni des nations fondatrices. Le mépris avec lequel le deuxième Canada refuse toujours la co-existence avec les nations pré-britanniques se vérifie par leur exclusion de la constitution de 1982, adoptée dans la discorde, sans référendum de ratification et sans l’accord du Québec. Le nœud de la question nationale au Canada est de mettre fin aux survivances coloniales de la conquête par l’égalité statutaire des nations.
La nation ? Il faudra bien se demander si la nation qui souffre d’un déficit de reconnaissance statutaire est la nation québécoise ou la nation socio-historique formée des descendants des vaincus, soit les Canadiens-français ? L’enjeu consiste à bien définir la nation dont on parle. Parle-t-on d’une nation formée dans la matrice de l’histoire ou d’une nation qui se définit par la volonté d’un État sur un territoire ? Le concept anglo-saxon de la nation reste assez flou, faut-il s’en contenter où préciser le sens des mots, comme le font des auteurs comme
Jean-Thomas Delos ?
Delos saisit le concept anglo-saxon de la nation quand il cite le texte officiel suivant :
La nation est une personne morale et juridique, création de la loi et subordonnée à la loi comme la personne naturelle dans la société politique.
Finalement, le concept de nation qui nous sert de référence déterminera-t-il si nous sommes des Canadiens-français ou des Québécois ?
« Une communauté avec des droits consacrés ». Il s’agit de l’expression officielle utilisée dans une loi organique du Québec (la Loi 99) pour désigner les anglophones. Les anglophones forment-ils au Québec une communauté minoritaire indépendante où sont-ils indissociablement liés à la nation anglo-canadian ? Qui dit vrai ? La portion d’une nation dominante au Québec ou une communauté minoritaire avec des droits consacrés ?
Pour Georges Balandier, « Le volume d’un groupe social ne suffit pas à faire de ce dernier une minorité…» Une minorité statistique ne fait pas d’elle une minorité sociologique, soit une minorité socialement, politiquement et économiquement subordonnée. C’était le cas des minorités coloniales en Afrique du Sud et en Algérie, par exemple. Pour le cas du Québec, la minorité statistique dont on parle peut-elle être sérieusement associée à la vulnérabilité, à une relative infériorité ou à un état de fait qui pourrait appeler la protection de l’État ?
Quelle est la nature de la présence anglophone au Québec ? Des faits peuvent aider à la comprendre. Une simple revue des statistiques économiques et de la part du budget de l’État qui leur est consacré permet de constater le cas du surnombre et du sur-financement des hôpitaux et des universités anglophones par rapport au nombre de Québécois de langue maternelle anglaise. Aussi, comment expliquer l’attraction de l’anglais pour les migrants qui préfèrent se joindre à une « communauté aux droits consacrés » plutôt qu’à la majorité francophone ? En fin de compte, il faudrait explorer la raison pour laquelle les législateurs québécois ont refusé de reconnaître la nation « canadian » au Québec ?
Repli québécois ou déploiement continental
Le repli québécois c’est de réduire la question nationale canadienne à la dimension du Québec. Tout devient québécois. Les Canadiens- français le deviennent, puis ensuite les Canadiens-anglais, qui deviennent une « communauté »… L’extension de l’enjeu national sur l’ensemble du Canada est ignoré.
Suivant cette logique, faire nation c’est courtiser la nation dominante. C’est l’inviter à voter sur notre avenir collectif dans un référendum commun, et tenter de les convaincre à nous dire OUI. Avec ce gommage des distinctions sociologiques, survivances de rapports coloniaux tenus dans l’ombre, on a pensé avoir plus en commun avec eux qu’avec les Acadiens ou les communautés francophones que nous avions engendrés ailleurs. C’était rejeter le bébé pour l’eau du bain. Avec la défaite du PQ, c’est aussi la quête de cette nation québécoise qui ne peut apparaître autrement qu’un peu artificielle, une créature de l’État, qui risque d’en prendre un coup. D’ailleurs, après cinquante ans, on peut tirer le trait pour constater que les Canadiens-français du Québec auront été les seuls y croire, y laissant même leur nom au profit de celui de la nation imaginée.
Nous ne sommes pourtant pas de cette tradition
J’ai évoqué plus haut une alliance de 150 ans avec les Premières nations. L’histoire des Canadiens-français a ceci de particulier qu’elle s’est distinguée comme celle des créateurs d’alliance en Amérique. Par la tournure exemplaire que prit la rencontre entre deux continents, qui du reste était inévitable, c’est une rencontre qui avait fait plus de gagnants en Nouvelle-France que partout ailleurs dans les deux Amériques.
Cette part de notre passé qui nous fait honneur devrait nous inspirer une ouverture au monde, à notre monde. La lutte pour la reconnaissance des nations au Canada ne concerne-t-elle pas tous les laissés pour compte du deuxième Canada ?
La fin du Parti québécois est peut-être la fenêtre d’opportunité qu’il fallait pour que les enjeux de la question nationale soient remis à plat et qu’on se mette à en parler sérieusement. Si d’avoir effleuré ces questions suscite de l’intérêt et alimente la réflexion, j’aurai atteint mon but.
Gilles Verrier
Liens
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