Assange, Notre-Dame et les légumes vivants


Par Nicolas Bonnal – Mai 2019 – Source nicolasbonnal.wordpress.com

Nicolas Bonnal

Mirons-nous dans la glace, nous autres antisystèmes ! Nous avons vécu un mois d’avril époustouflant, entre cette arrestation, le grand incendie déjà oublié, la hausse de la bourse et du dollar (qui récompensent la démentielle gestion impériale), les élections espagnoles qui marquent le triomphe de la gauche sauce Soros. Plus le système est fou, plus il semble invincible avec la remontée dans les sondages de l’autre et le réaménagement de nos chefs d’œuvre gothiques en boutiques de luxe.

Même l’arrestation d’Assange (lui-même pas très inspiré de s’être enfermé pendant sept ans dans cette ambassade) s’est passée comme à la parade et n’a pas soulevé les foules. Les anti-systèmes dont nous sommes se sont contentés de cliquer et pas de réagir sur le terrain. Nous aurions dû être des milliers à le protéger dans la rue. En réalité la matrice du web a réussi à nous domestiquer comme personne. Nous ne réagissons même pas physiquement et le système sait ce que nous pensons heure par heure. Nous n’avons plus d’existence physique, juste une vague tremolo psychique que nous prenons pour du militantisme politique ou spirituel.


La désintégration des catholiques-zombies qui subissent les destructions de toutes leurs églises sans réagir est exemplaire à cet égard. Ces morts-vivants nous émerveillent, qui ont même perdu avec leur « vieille idole » (Montesquieu) Bergoglio le semblant de mastoc démographique qui était leur caractère peu auparavant. Quant aux autres anti-systèmes d’extraction néo-stalinienne qui attendent que les démocrates russes ou chinois nous débarrassent de « l’empire américain » ils nous font bien sourire. Car l’empire américain n’en a jamais fini de décliner. Et quelle alternative !

De quoi se plaindrait-il le système ? Avec des anti-systèmes comme ça, il n’a même plus besoin de partisans. De somnambules tout au plus, dans leur aéroport, leur isoloir ou bien leur centre commercial.

Certes, rien de nouveau sous le sommeil. On lit dans la Belgique de Baudelaire :

Stupidité menaçante des visages. Cette bêtise universelle inquiète comme un danger indéfini et permanent.

Et sur le déclin catholique, Gautier écrivait déjà en Espagne :

…Jamais peut-être; car le mouvement ascensionnel du catholicisme s’est arrêté, et la sève qui faisait pousser de terre cette floraison de cathédrales ne monte plus du tronc aux rameaux. La foi, qui ne doute de rien, avait écrit les premières strophes de tous ces grands poèmes de pierre et de granit; la raison, qui doute de tout, n’a pas osé les achever… De notre temps, où tout est sacrifié à je ne sais quel bien-être grossier et stupide, l’on ne comprend plus ces sublimes élancements de l’âme vers l’infini, traduits en aiguilles, en flèches, en clochetons, en ogives, tendant au ciel leurs bras de pierre, et se joignant, par-dessus la tête du peuple prosterné, comme de gigantesques mains qui supplient. Tous ces trésors enfouis sans rien rapporter font hausser de pitié les épaules aux économistes. Le peuple aussi commence à calculer combien vaut l’or du ciboire; lui qui naguère n’osait lever les yeux sur le blanc soleil de l’hostie, il se dit que des morceaux de cristal remplaceraient parfaitement les diamants et les pierreries de l’ostensoir; l’église n’est plus guère fréquentée que par les voyageurs, les mendiants et d’horribles vieilles, d’atroces dueñas vêtues de noir, aux regards de chouette, au sourire de tête de mort, aux mains d’araignée…L’Espagne elle-même n’est plus catholique !

A la même époque des athées comme Michelet ou Feuerbach (j’en ai parlé) s’étonnent de cette hystérésis du catholicisme.

L’hystérésis c’est quand quelque chose dure encore alors que les causes physiques, spirituelles ont disparu : la lumière d’une étoile ou d’une religion.

Dans le cas du christianisme en occident …

Mais depuis le système spectaculaire progresse, et Guy Debord remarque dans ses excellents et inépuisables Commentaires :

Le changement qui a le plus d’importance, dans tout ce qui s’est passé depuis vingt ans, réside dans la continuité même du spectacle. Cette importance ne tient pas au perfectionnement de son instrumentation médiatique, qui avait déjà auparavant atteint un stade de développement très avancé : c’est tout simplement que la domination spectaculaire ait pu élever une génération pliée à ses lois.

Tout cela m’a amené à voir et revoir l’invasion des profanateurs de sépulture (ridiculement traduit comme on sait, les body snatchers étant plutôt des kidnappeurs de corps) ce classique de série B qui conte comment nos corps sont possédés par des extraterrestres et comment nos esprits sont terrassés par des entités. L’idée est proche de la gestion hallucinatoire qui est la marque de notre monde moderne, comme nous l’avons récemment rappelé avec Guénon.
Le monde moderne contrôle industriellement le corps et les esprits, alors…

Pour le critique de cinoche français, pas très fute-fute et toujours politisé à gauche, le petit film du maître Don Siegel traitait de McCarthy (toujours lui !) et de la guerre froide… En réalité le film marque les progrès de la monstruosité passive à l’époque moderne – façon rhinocéros d’Ionesco pour faire franco-scolaire… Le début du film montre des gens qui résistent encore ou qui ont pris rendez-vous chez leur médecin de campagne… Mais ils se soumettent tous ensuite. Ensuite on voit comment les entités nouvelles arrivent dans des cosses avant de remplacer les individus condamnés (c’est le vrai grand remplacement, et on le voit à l’œuvre partout, et Alain Resnais le filme même en Afrique dans les Statues meurent aussi), et ces cosses se disent pods en anglais et cela m’a fait penser à notre iPod et à tout le reste. L’individu actuel reste connecté neuf heures par jour (c’est pourquoi je suis sans portable et sans internet car comment résister ?) et il est progressivement possédé par cette matrice ; le mot est plus juste que système, car la matrice est partout sans être nulle part, comme l’Amérique et ses images, l’Amérique et son dollar finalement, qui n’a plus besoin d’armes, et s’en vante même, adorée pour elle-même. Le simulacre aura tout remplacé.

Au début du film quelque chose me marque, moi qui suis le consommateur zombi de la génération hifi : dans le restaurant déserté le juke-box a remplacé l’orchestre. Là on est dans la galaxie mécanique, la machine va remplacer l’homme pour tout : elle va jouer, jouir et vivre à sa place. C’est le sujet de ce film et pas la guerre froide ou les méchantes persécutions anticommunistes.
Et ce n’est pas moi qui le dit mais Don Siegel en personne :

Nous avions quelque chose à dire, car les envahisseurs, dans notre film, étaient des cosses, des follicules qui en poussant se mettaient à ressembler aux gens, mais qui restaient privés de sentiments, privés d’espoir. Ils mangeaient, ils buvaient, ils respiraient et ils vivaient, mais rien de plus, comme beaucoup de personnes finalement. Le film a presque été ruiné par les responsables d’Allied Studios, qui rajoutèrent un prologue et une conclusion que je n’aime pas… Ce qu’ils n’ont pas compris, c’est que le film était sur eux : ils n’étaient pas autre chose que des légumes vivants !

C’était cité par l’excellent critique Robert Benayoun; de formation surréaliste il est vrai, les surréalistes ayant été les premiers, avant les situationnistes, Philip K.Dick et les routards américains façon Kerouac, à chercher à échapper à ce faux monde.

Les autres s’y complaisent, c’est bien aussi ce que nous devrions comprendre.

Nicolas Bonnal sur Amazon.fr

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Sources littéraires et cinématographiques

  • Gautier – voyage en Espagne
  • Bonnal – Stanley Kubrick; Ridley Scott (Amazon.fr, Dualpha)
  • L’invasion des profanateurs de sépulture (Wikipédia)
  • Alain Resnais – Les statues meurent aussi (YouTube)
  • Guy Debord – Commentaires sur la Société du Spectacle
  • Baudelaire – Notes sur la Belgique
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