Amnesty publie un rapport partial sur l’intervention russe en Syrie


Le rapport formule des allégations fantaisistes de crimes de guerre sans preuves concrètes

«...En tant que soutien des campagnes d’Amnesty par le passé, cela me peine de la voir s’éloigner autant du but qui était le sien lors de sa fondation en prenant parti si ouvertement dans des conflits et d’une manière politique si éhontée.» Alexander Mercouris

Alexander Mercouris

Par Alexander Mercouris – Le 24 décembre 2015 – Source Russia Insider

Amnesty International vient de publier un rapport accusant les autorités russes de dissimuler honteusement un grand nombre de morts civils causées par les frappes aériennes russes en Syrie. Le rapport affirme aussi que les Russes pourraient commettre des crimes de guerre en Syrie.

Les Russes ont répondu au rapport en disant qu’il est truffé de clichés.

Je l’ai lu et je peux affirmer qu’il ne fournit aucune preuve utilisable par un tribunal.

Comme le dit Amnesty, son rapport a été établi à distance.

Cela signifie qu’il n’y a pas eu de travail sur le terrain. Aucun enquêteur n’a visité les six endroits où Amnesty dit que les attaques des Russes examinées dans le rapport ont eu lieu. Le rapport est basé entièrement sur de présumés témoins oculaires et sur une preuve en vidéo fournie à Amnesty par des tiers.

C’est inquiétant, en soi. Étant donné que la Syrie est en guerre civile, avec une longue histoire de preuves manipulées par les deux camps – en particulier par les rebelles – dans la poursuite de leurs objectifs, le roseau sur lequel construire un rapport comme celui-ci est bien fragile.

En l’occurrence, l’examen détaillé des six incidents montre qu’il n’y a pas de preuve concluante reliant les Russes à aucun d’eux.

Une attaque sur Talbisseh, le 30 septembre 2015, aurait été le résultat de «frappes aériennes suspectées d’origine russe sur la rue Karama». L’usage de certaines munitions est attribué aux Russes parce que «les forces gouvernementales syriennes ne sont pas considérées comme capables de les lancer» (considérées par qui ? Et qu’en est-il si cette hypothèse est fausse ?). Une attaque sur Darat Izzah est attribuée à un «missile de croisière mer-sol soupçonné d’être russe». Des morts civils à Nuqeyr ont «prétendument impliqué des armes à sous-munitions». Une attaque sur al-Ghantu a comporté «de supposées frappes aériennes russes». Deux missiles qui attaquaient Sermin ont été «tirés par de supposés avions de combat russes».

Enfin, le rapport examine une attaque sur Ariha sans mentionner les Russes ni fournir aucune preuve qu’ils y étaient impliqués.

Étant donné le nombre important de forces aériennes qui opèrent actuellement en Syrie, il est impossible de comprendre comment Amnesty peut être sûre qu’aucun de ces incidents – si même ils se sont produits – impliquait les Russes.

Amnesty tente de contourner le problème en disant que le volume sonore de certaines des attaques ainsi que des comparaisons avec des rapports fournis par les Russes après les attaques confirment indirectement l’implication de ces derniers.

Dire que ce n’est pas convaincant serait un euphémisme.

Comme tout enquêteur le sait, se fonder sur ce qu’un témoin affirme avoir vu est assez problématique. Tirer des conclusions du volume sonore qu’un témoin affirme avoir entendu est nul et non avenu.

Quant aux coïncidences entre certains incidents et les rapports que les Russes ont fournis après les attaques, c’est intéressant mais guère concluant. Ce serait, après tout, une démarche évidente pour quelqu’un essayant de fabriquer des preuves des atrocités commises par les Russes que de tenter de faire correspondre des incidents avec des attaques auxquelles les Russes ont admis avoir participé.

Dans un passage particulièrement extravagant de son raisonnement, Amnesty essaie d’utiliser le démenti russe de la destruction de la mosquée de Omar Bin al-Khattab à Jisr Al-Sughour dans le but de prouver son affirmation que les Russes ont effectivement détruit cette mosquée.

L’argument est que les Russes ont effectivement nié avoir détruit la mosquée, mais ont appuyé leur déni en montrant une photo d’une autre mosquée, et que cela prouve en quelque sorte qu’ils ont détruit la mosquée.

C’est un exemple typique de non sequitur («qui ne suit pas les prémisses»).

Pour voir à quel point ce raisonnement est mauvais, regardons seulement ce que Philip Luther, directeur du programme d’Amnesty pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, a dit de cet incident :

«En présentant des images satellites d’une mosquée intacte et en affirmant que cela montrait une autre mosquée que celle qui avait été détruite, les autorités russes semblent avoir utilisé un tour de passe-passe pour essayer d’éviter l’opprobre et le contrôle sur leurs actions en Syrie. Une telle conduite n’entretient pas la confiance dans leur volonté d’enquêter de bonne foi sur les violations signalées. Le ministre russe de la Défense doit être plus transparent et révéler les cibles de leurs attaques afin de d’évaluer plus facilement s’ils respectent leurs obligations à l’égard du droit humanitaire international.» 

S’il y a un tour de passe-passe, il est dans cette argumentation.

Tout d’abord, c’est un saut énorme – et injustifié – de dire que cela prouve la mauvaise foi parce que les Russes ont fourni une photographie de la fausse mosquée.

Il est aussi possible que cela ait été simplement une erreur. Ce serait très probable si les Russes étaient dans la confusion à propos de la mosquée qu’ils étaient supposés avoir détruite – parce qu’ils n’en avaient, en fait, détruit aucune.

Plus fondamentalement, ce que fait cet argument est d’essayer de prouver du positif – que les Russes ont détruit la mosquée – par du négatif – que les Russes ont montré une image satellite de la fausse mosquée.

C’est un raisonnement erroné, quelle que soit la manière dont on le considère, et il ne prouve rien. Il ne prouve pas que la mosquée – si elle a été détruite – l’a été par les Russes. Elle pourrait tout aussi bien avoir été détruite par quelqu’un d’autre. Dans un conflit comme celui en cours en Syrie, il ne manque pas d’autres gens qui pourraient l’avoir fait.

Le rapport entier est en fait truffé de tels mauvais raisonnements. Outre que son usage répété du mot suspecté (suspecté par qui ?) le révèle pour ce qu’il est effectivement : un tissu de conjectures et de suppositions.

Mais le vrai souci porte sur la provenance de l’information – telle qu’elle est – sur laquelle le rapport est fondé.

Lorsqu’il examine l’attaque sur Maasran, le rapport affirme qu’il est arrivé à sa conclusion sur la base d’«images et de rapports que des activistes syriens des droits humains lui ont envoyés et également documentés par des organisations militaires et de sécurité».

Bien qu’Amnesty affirme avoir parlé avec certains des supposés témoins, il est probable que la plus grande partie des informations du rapport – et toutes les preuves vidéo qu’Amnesty prétend avoir vues – proviennent de ces sources.

Cela soulève la question évidente de qui sont ces «militants syriens des droits humains» et ces «organisations militaires et de sécurité» et quelle confiance on peut leur accorder.

Quels sont les critères qu’utilise Amnesty pour déterminer si quelqu’un rapportant sur la Syrie est un militant des droits humains ?

L’expression militant des droits humains implique quelqu’un dont la préoccupation principale porte sur ces droits et qui est par conséquent éloigné de la lutte politique.

Quiconque a suivi le conflit syrien de manière attentive sait que de telles personnes n’existent pas. Les individus et les organisations qui enquêtent sur la Syrie et se prétendent militants des droits humains – comme l’Observatoire syrien des droits de l’homme – se transforment invariablement en militants anti-Assad et en membres de l’opposition syrienne. En tant que tels, ils sont dans l’impossibilité de rapporter de manière objective ou impartiale ce qu’il se passe.

Un reporter n’a pas à être impartial pour être objectif et précis. Gleb Bazov et Colonel Cassad, qui rapportent sur la guerre en Ukraine dans une perspective de milice, ne sont ni objectifs ni impartiaux et ne prétendent pas l’être. L’expérience a toutefois montré qu’ils sont extrêmement fiables et précis.

La même chose n’est malheureusement pas vraie pour le conflit syrien. Il a été prouvé un nombre incalculable de fois (voyez par exemple mon analyse de l’attaque chimique de Dhouta de juin 2013), et que les gens d’Amnesty soient en contact avec de prétendus militants des droits humains par opposition à des partisans de l’opposition – ce qu’ils sont en réalité – est en soi une bonne raison de douter de ce qu’ils disent.

La référence aux organisations militaires et de sécurité est toutefois bien plus inquiétante que cette dépendance à l’égard des militants syriens des droits humains.

Qui sont ces organisations militaires et de sécurité ? Sont-elles des agences de renseignement des puissances occidentales ? Si c’est le cas, Amnesty devrait-elle obtenir ses informations auprès de telles sources ? [Et si oui, le dire, NdT]

Ce sont de tels commentaires qui expliquent les préoccupations de beaucoup de gens comme moi, qui ont des liens historiques forts avec Amnesty, et qui se demandent si elle ressemble encore un tant soit peu à l’organisation qu’ils ont connue un jour.

J’ai disséqué le rapport d’Amnesty sur la campagne russe en Syrie pour mettre en évidence ses défauts évidents.

Faire cela est cependant à peine nécessaire, en un sens. Inutile de se perdre dans les détails.

La réalité – comme chacun sait – est qu’il est difficilement concevable qu’Amnesty puisse publier un rapport sur l’intervention militaire russe en Syrie et lui mettre une bonne note.

Le rapport réunit en fait deux des ennemis de toujours d’Amnesty – le gouvernement russe et le gouvernement syrien – et étant donné ce que cette organisation dit régulièrement sur chacun d’eux, on ne pouvait rien attendre d’autre du rapport qu’elle vient de publier.

Depuis le début du conflit en Syrie, Amnesty a toujours fait campagne contre le gouvernement syrien, appelant à une intervention occidentale pour protéger les civils, pour la mise en place de zones de sécurité et de zones d’exclusion aériennes (pour comprendre ce que tout cela signifie, voir mon analyse ici) et a tenté d’orchestrer des campagnes publiques contre le soutien de la Russie au gouvernement syrien.

Attendre d’Amnesty qu’elle ne trouve rien à redire à l’intervention russe en Syrie, qui met en échec tous ces objectifs, serait naïf. Cela tout à fait en dehors du fait qu’Amnesty a une longue histoire d’hostilité à l’égard du gouvernement russe.

Elle a soutenu des groupes tels que les Pussy Riot. Elle a baptisé prisonniers d’opinion des gens comme l’oligarque Mikhail Khodorkovsky – un individu que la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré coupable d’évasion fiscale massive.

Le rapport d’Amnesty sur le conflit ukrainien a aussi penché fortement en faveur du gouvernement ukrainien et contre les milices d’Ukraine orientale et la Russie. Elle a par exemple insisté lourdement sur des violations des droits humains dont elle affirme qu’elles ont été commises par la milice, tout en ignorant les bombardements aveugles de l’armée ukrainienne sur des villes et les tentatives de cette dernière de les assiéger.

Amnesty a aussi vigoureusement soutenu les affirmations des gouvernements occidentaux soutenant que l’armée russe intervient aux côtés des milices dans la guerre en Ukraine – au point de publier des photos satellites douteuses pour le prouver – comme si elle était elle-même une agence de renseignements.

Le rapport sur la campagne russe en Syrie doit être lu dans ce contexte.

Ce n’est pas une étude impartiale, basée sur des faits, et effectuée après un travail minutieux sur le terrain. A contraire, cela fait simplement partie de la campagne en cours en Occident pour dresser l’opinion publique contre l’intervention militaire russe en Syrie.

Que ce soit le cas se manifeste dans l’affirmation du rapport que les Russes visent délibérément des civils et donc commettent des crimes de guerre – une allégation incendiaire qu’Amnesty a également portée contre le président Assad.

Dans le cas des Russes, cela n’a aucun sens. Pourquoi les Russes cibleraient-ils délibérément des civils – quelque chose qui ne peut que les inciter à rejoindre les rebelles – en même temps qu’ils travaillent d’arrache-pied pour qu’un processus politique s’engage qui mette fin à la guerre en Syrie ? Assurément, l’un contredit – et sape complètement – l’autre.

Rien de tout cela ne dit qu’il n’y a pas de morts civils en Syrie à la suite des frappes aériennes russes. Quelques-uns sont certainement morts et il serait absurde de prétendre le contraire. Mais prétendre qu’il y a une politique délibérée de viser des civils défie la logique et ne s’appuie sur rien de ce que les Russes ont dit ou fait, ni sur ce qui apparaît dans le rapport dont j’ai disséqué les défauts.

En l’occurrence, le rapport rend compte d’un incident qui pourrait – s’il est vrai – montrer comment des civils pourraient avoir été tués pendant une frappe aérienne russe sans que les Russes ne l’aient voulu.

C’est l’attaque sur al-Ghantu, dans laquelle plusieurs membres d’une seule famille élargie, qui s’étaient réfugiés au sous-sol de ce que le rapport désigne comme un bâtiment civil, auraient été tués lors d’une frappe aérienne russe.

Le rapport affirme que la famille «était liée au chef d’un groupe armé local qui était absent au moment de l’attaque».

Amnesty n’identifie pas l’homme en question ni le groupe qu’il dirige. Pourquoi ? On se demande…

Peu importe, ce récit sonne vraiment comme une tentative de tuer un chef rebelle, qui a échoué, mais qui, en lieu et place, a tué des membres de sa famille.

Les Russes ont affirmé en plusieurs occasions qu’ils ont tué des chefs rebelles dans des frappes aériennes. Il est tout à fait plausible qu’ils visent intentionnellement de tels chefs et que cela ait été une tentative d’en tuer un.

Si c’est ainsi, alors il est évident que ce n’était pas intentionnel de tuer des civils puisque la cible visée n’était pas ces derniers mais le commandant rebelle.

Les pourraient avoir été coupables de négligence par rapport à la présence de civils dans le bâtiment lorsqu’ils l’ont attaqué en croyant qu’un chef rebelle y était. Ou ils pourraient avoir pris par erreur le bâtiment pour un bunker ou un poste de commandement. Ou ils auraient pu penser que seuls le chef et ses gardes y étaient.

Dans aucun de ces cas, tuer des civils n’aurait été délibéré. Cela aurait été – dans l’affreux langage de la guerre moderne – non pas intentionnel mais collatéral.

Certains pourraient soutenir – comme je le fais – que tenter d’assassiner quelqu’un loin du champ de bataille de cette manière est une mauvaise chose. Cependant, le fait est que c’est précisément ce que les puissances occidentales font tout le temps – sans susciter la moindre protestation d’Amnesty.

Pour prendre un exemple parmi des légions d’autres : pendant la campagne libyenne de 2011, les armées occidentales ont mené des tentatives claires de tuer Kadhafi. Que ce dernier avait été visé intentionnellement n’a même pas été démenti, bien que les Russes se soient plaints à ce sujet.

Une telle tentative a impliqué une attaque aérienne sur une villa résidentielle. Elle a manqué Kadhafi – qui n’y était pas – mais a tué un de ses jeunes enfants et trois de ses petits-enfants. Voici ce que j’ai écrit à ce sujet.

A l’époque, j’appelais cela une «descente en cours dans la barbarie».

Si Amnesty l’a condamné, je n’en ai jamais entendu parler, et je n’ai trouvé aucun document à ce propos. Et si Amnesty l’a effectivement condamné, elle n’a sûrement pas attiré l’attention là-dessus. Ils n’ont certainement pas accusé le gouvernement danois – dont les avions ont exécuté l’attaque – de commettre des crimes de guerre.

Pourquoi alors Amnesty trouve-t-elle l’attaque sur al-Ghantu beaucoup plus répréhensible ?

La réponse courte – il n’y en a pas d’autre – est que c’est parce que l’attaque sur la villa de Kadhafi – comme les résultats d’attaques sur des installations civiles dans divers pays avant et depuis lors – était pratiquée par les puissances occidentales, tandis que l’attaque sur al-Ghantu était – à ce qu’on dit, mais ce n’est pas définitivement prouvé – le fait des Russes.

Il est impossible d’éviter le sentiment que, pour les auteurs du rapport d’Amnesty, c’est cela – et non la mort de civils – qui compte, finalement.

Amnesty International a été un jour une organisation universellement respectée, très admirée pour son courage et son intégrité. Son but, lors de sa fondation, était de faire campagne en faveur des prisonniers politiques – des gens emprisonnés non pour leurs crimes mais pour leurs opinions – indépendamment de leurs positions politiques ou des positions politique de ceux qui les avaient emprisonnés.

En tant que soutien des campagnes d’Amnesty par le passé, cela me peine de la voir s’éloigner autant du but qui était le sien lors de sa fondation en prenant parti si ouvertement dans des conflits et d’une manière politique si éhontée.

J’espère et je crois qu’il y a encore au sein d’Amnesty des gens qui réalisent la folie de tout cela, et se battront contre avant qu’il ne soit trop tard.

Quant au rapport sur la campagne militaire russe en Syrie qu’Amnesty vient de publier, il est si loin de ses anciennes règles qu’il doit être traité plus comme un élément de la propagande antirusse que comme une critique sérieuse de la campagne militaire de la Russie.

Alexander Mercouris

Traduit par Diane, édité par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

 

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