Par Rostislav Ishchenko – Le 28 juillet 2021 – Source The Saker’s Blog
Comme nous le savons tous, avant de vendre un objet qui nous est inutile, il faut d’abord l’avoir acheté. À un moment donné, Washington a acheté l’Ukraine, à un prix élevé. Le processus d’achat a pris beaucoup de temps, car l’Ukraine a été achetée morceau par morceau.
Lors qu’enfin, en 2014, toute l’Ukraine est devenue la propriété des États-Unis, la Maison Blanche a rapidement réalisé, à son grand désarroi, que plusieurs administrations américaines avaient investi d’importantes sommes d’argent dans un produit totalement inutile.
Les Américains n’ont pas jugé nécessaire de cacher leur sentiment. C’est pourquoi, en 2015 déjà, certains des « héros du Maïdan », guidés par certaines réactions émotionnelles de leurs propriétaires américains, ont entendu, sans la comprendre, une théorie selon laquelle Poutine aurait organisé lui-même le Maïdan dans le but de prendre la Crimée et de charger les Américains du reste de l’Ukraine. Pendant que les résidents des territoires contrôlés se divertissaient avec de telles théories du complot, les Américains réfléchissaient à qui ils pourraient refourguer l’Ukraine.
Au début, ils pensaient que la Russie allait absolument s’intéresser à l’Ukraine. Les raisons étaient évidentes :
- Une longue histoire commune ;
- Des liens personnels et familiaux ;
- L’importance pour l’économie russe d’une bonne coopération pour l’industrie et le transit du gaz ukrainien ;
- La solution au problème de la Crimée (avec la disparition de l’Ukraine, le prétendant à la péninsule disparaîtrait également).
Les États-Unis avaient l’intention d’inciter la Russie à acheter l’Ukraine en échange d’une carte blanche en Syrie et au Moyen-Orient. Ils pensaient que les sanctions introduites pour « l’occupation de la Crimée » seraient laissées en place, cette fois sous couvert de sanctions pour « l’occupation de l’Ukraine ». En bref, Washington prévoyait d’échanger quelque chose d’inutile contre quelque chose d’utile, tout en conservant tous les moyens de pression sur la Russie. Les Américains ne seraient pas les Américains s’ils ne parvenaient pas à gagner de l’argent, même face à une perte potentielle.
Cependant, cette fois-ci, les États-Unis allaient être déçus. Moscou n’a montré aucun intérêt pour ce produit inutile. Même en étant payée pour le faire il n’était pas sûr que Moscou ait voulu prendre l’Ukraine. Quant à payer quelque chose pour obtenir l’Ukraine – il en était hors de question. La série suivante de sanctions, visant à créer une situation pour le Kremlin dans laquelle l’annexion de l’Ukraine serait moins ruineuse que le maintien du statu quo, n’a pas non plus résolu le problème. Il s’est avéré que la Russie, bien que subissant des pertes financières à court terme du fait des sanctions, a appris à les utiliser pour remporter des victoires stratégiques sur le long terme.
En 2016, l’Ukraine a cessé de jouer un rôle important dans les actions américaines à l’encontre de la Russie. L’Ukraine est donc restée à vendre et il fallait chercher un nouvel acheteur. En outre, étant donné qu’à ce moment-là, même les Pigmés africains auraient réalisé à quel point l’Ukraine était vraiment inutile, il était essentiel de trouver un acheteur qui ne soit pas en mesure de refuser l’offre. La vente de la colonie étatsunienne de Kiev est donc entrée dans le mode « achète ma brique » 1, mode qui permet de présenter un vol ordinaire comme un achat volontaire.
Obama, durant son mandat, n’a pas réussi à trouver un « acheteur » approprié. Trump n’était pas très intéressé par le problème ukrainien, préférant intriguer contre la Chine et lutter contre Nordstream-2 au profit de l’industrie gazière américaine. Cependant, en fin de compte, ce sont les politiques de Trump qui ont aidé l’administration Biden à dégoter un « acheteur » qui ne serait pas en mesure de refuser l’offre de la brique.
En luttant contre Nordstream-2 et en essayant de minimiser le coût de l’hégémonie mondiale américaine, Trump a sérieusement endommagé les relations avec l’Allemagne. Les Allemands, qui se sont retrouvés dans une situation inattendue lorsque les États-Unis sont passés du statut d’allié à celui de concurrent économique et ont cessé de garantir leur protection militaire et politique, n’ont pas osé changer brusquement de cap et passer sous l’aile russe. En outre, cela aurait pu facilement provoquer une scission irréversible de l’UE. Berlin a commencé à chercher des moyens de rétablir les bonnes relations avec les États-Unis.
C’est ainsi que l’administration Biden a pu opérer le revirement. N’étant pas lié par les intérêts de l’industrie pétrolière et gazière américaine (Biden favorise l’énergie « verte » au lieu de l’énergie traditionnelle) et comprenant parfaitement que les Allemands étaient déterminés à achever le Nordstream-2 à tout prix, Washington a fait semblant de se préoccuper du sort de l’Ukraine. Lors d’un entretien avec l’Allemagne à ce sujet cela a été présenté comme une condition préalable à la normalisation des relations. Dans le même temps, les États-Unis ont fait un geste inhabituel en refusant d’imposer des sanctions contre les politiciens et les entreprises allemands impliqués dans le projet Nordstream-2.
Normalement, Washington ne cède jamais rien en premier lors des négociations, exigeant au contraire des concessions de la part de ses partenaires. Dans ce cas, cependant, les Américains se sont montrés remarquablement constructifs. La véritable raison de cette attitude a été rapidement révélée : les Américains ont fait signer à l’Allemagne un accord censé servir les intérêts de l’Ukraine.
Les célébrations à Kiev ont été de courte durée. Lorsque les détails de l’accord ont été dévoilés, il est apparu clairement que personne ne garantissait quoi que ce soit à l’Ukraine ni n’avait l’intention de la dédommager pour quoi que ce soit. L’Allemagne a fait une vague promesse de se battre pour les intérêts de l’Ukraine et de pousser Gazprom à négocier la prolongation du contrat de transit. Ce que, soit dit en passant, le gouvernement russe n’a jamais refusé de faire, à condition que l’Ukraine puisse offrir des conditions de transit compétitives. Mais c’est précisément ce que Kiev ne veut pas faire et continue à rêver de profiter de l’« exclusivité » de ses capacités de transit. C’est pourquoi l’Ukraine s’est battu si farouchement contre Nordstream-2. Mais personne n’a promis de forcer Moscou à conclure un accord non rentable. L’Ukraine a fini par le comprendre et a immédiatement poussé de grands cris de trahison.
L’Ukraine se trompe : elle n’a pas été trahie, elle a été vendue. En outre, malgré ce que disent les opposants de Biden, ce dernier ne l’a pas vendue à Poutine. Ce dernier utilise la situation en Ukraine pour servir les intérêts russes de manière très efficace, mais il n’a pas payé un centime ni fait une seule concession politique. Au contraire, Gazprom et la Russie prévoient de tirer un profit de tout cela, en compensant les pertes forcées de la période précédente. Biden a vendu la « brique » ukrainienne à Merkel.
Pour partir en beauté et laisser à son parti une chance de rester au pouvoir, la Bundes-kanzlerin devait rétablir la bonne relation mutuelle avec les États-Unis. Toutefois, le Nordstream-2 était un projet tellement important que, pour ce sujet-là, Mme Merkel n’était pas prête à faire la moindre concession. Mais les Américains, qui sont de rudes négociateurs, ont réussi à lui faire une offre qu’elle ne pouvait pas refuser.
Ils ont retiré Nordstream-2 de l’équation. Les sanctions existantes ont été laissées en place, car elles ne font aucun mal, tandis qu’aucune nouvelle sanction, notamment contre les Allemands, ne sera imposée. Toutes les obligations de l’Allemagne envers l’Ukraine seraient exprimées de la manière la plus vague possible. Il reviendrait à Berlin de décider de la nature exacte de ces obligations.
La seule promesse spécifique est que les États-Unis collecteront de l’argent auprès des occidentaux pour un montant de 1 milliard de dollars, qui sera donné à l’Ukraine pour développer son énergie « verte » afin de pouvoir compenser d’éventuels problèmes d’approvisionnement en gaz naturel. L’Allemagne servirait de gestionnaire du développement de l’énergie « verte » en Ukraine en contribuant à hauteur de 150-200 millions de dollars à ce milliard (une somme minuscule pour l’Allemagne).
Biden a fait d’une pierre deux coups. Tout d’abord, il a montré à ses partisans aux États-Unis à quel point il se bat efficacement pour l’écologie en introduisant l’énergie « verte », même dans un endroit aussi éloigné et oublié de Dieu que l’Ukraine.
Deuxièmement, les Allemands, qui se battent depuis des années contre les centrales nucléaires et thermique dans leur pays, pourraient appliquer leur expérience en Ukraine tout en utilisant un milliard de dollars. Ils devront, bien sûr, en partager une partie avec les indigènes, mais pas tant que ça. En outre, les Allemands seraient en mesure de résoudre le problème de la douzaine de réacteurs nucléaires existant toujours dans les centrales ukrainiennes – tous des Tchernobyls potentiels – qui sont aux mains des insouciants Ukrainiens.
Troisièmement, comme après ce « soutien » et ces « réformes », l’Ukraine sera inévitablement confrontée à un déficit en énergie électrique, l’UE serait en mesure de lui rétrocéder non seulement du gaz naturel mais aussi de l’électricité.
Quatrièmement, les États-Unis se sont finalement débarrassés de la « valise sans poignée » ukrainienne en réussissant à l’imposer à l’Allemagne. Il est maintenant temps pour les successeurs de Mme Merkel de réfléchir à la manière de revendre l’Ukraine à la Russie, même avec une compensation financière.
Merkel elle-même n’a pas à se plaindre. Elle a acheté une « brique », bien sûr, mais une brique joliment emballée dans une feuille d’or. Le temps que l’achat soit déballé, les élections seront terminées et la chancelière sera à la retraite. Si la CDU/CSU ne parvient pas à rester au pouvoir, ce ne sera certainement pas sa faute. Mme Merkel transmet un pays solide et bien entretenu, sans dette ni problème. Les promesses auxquelles s’accrochent les fauteurs de troubles de Kiev feront surface plus tard, lorsque le sort des élections et de la coalition aura été décidé.
Il faut rendre à l’honneur ce qui est à l’honneur : les Américains ne jettent jamais rien et arrivent toujours à obtenir leurs sous pour le produit le plus inutile et le moins attrayant.
En ce qui concerne l’Ukraine… Eh bien, plus personne ne s’occupe de l’Ukraine. Il ne reste aux citoyens ukrainiens que l’espoir qu’à un moment donné dans le futur, après une série de reventes, cet invalide qu’est l’Ukraine, malgré sa personnalité odieuse, son habitude de ronger les meubles du propriétaire, d’abîmer le papier peint et de chier partout, finisse entre de bonnes mains.
Mais c’est très peu probable.
Rostislav Ishchenko
Traduit du russe par Eugenia. Source
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
- « Achète ma brique » – une blague russe courante. Un grand type tenant une brique s’approche d’un passant : « Eh, mec, achète cette brique ». La personne répond : « Non, merci, je n’en ai pas besoin ». Le grand type agite alors la brique de manière menaçante au-dessus de la tête de l’autre : « Tu ferais mieux d’acheter cette brique et ne pas tenter ton destin ». ↩
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