Par Moath al-Amoudi – Le 24 janvier 2018 – Source Chronique de Palestine
Après avoir pris le contrôle administratif de la bande de Gaza, le président Mahmoud Abbas a aboli les exonérations fiscales de l’enclave pour équilibrer ses dépenses grâce à une plus grande contribution fiscale de Gaza, sans tenir compte des épouvantables conditions économiques de l’enclave assiégée.
GAZA, Bande de Gaza – Le Président Mahmoud Abbas a publié un décret présidentiel daté du 3 janvier pour rétablir la perception des impôts sur la bande de Gaza. Ce décret a aboli deux décrets précédents – l’un publié en 2007 et l’autre datant de 2017 – exemptant tous les citoyens des gouvernorats de la bande de Gaza des impôts et des taxes.
L’article 3 du décret fraîchement publié par Abbas stipule que le décret sera soumis au Conseil législatif palestinien de Ramallah et mis aux voix pour approbation lors d’une prochaine session.
Les impôts qui vont être réinstaurés dans la bande de Gaza comprennent la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 17% sur les importations, l’impôt de 20% sur les entreprises, l’impôt sur le revenu des citoyens, et d’autres taxes et prélèvements locaux tels que l’impôt foncier et la taxe sur les cigarettes. Cela s’ajoute à l’augmentation des droits de douane.
Lorsque le Hamas a pris le pouvoir dans la bande de Gaza en 2007, l’Autorité palestinienne (AP) à Ramallah a exempté les Palestiniens de Gaza de l’impôt sur les transactions gouvernementales, de l’impôt sur le revenu, et de la TVA, pour limiter les recettes locales du gouvernement dirigé par le Hamas à Gaza. Maintenant que l’AP a repris le contrôle administratif de la bande de Gaza en vertu de l’accord de réconciliation palestinienne, elle compte sur la suppression de l’exonération fiscale pour augmenter ses recettes et équilibrer ses dépenses. Toutes les taxes et impôts payés par les citoyens palestiniens lui seront transférés.
L’AP dépend des impôts locaux, dont l’impôt sur le revenu, la TVA et l’impôt foncier, pour le financement de ses dépenses. Les recettes tirées de ces taxes représentent 25% des recettes totales de l’AP et sont estimées à 1,1 milliard de dollars par an.
Les économistes palestiniens estiment tous que, dans le contexte actuel, le fait d’appliquer à nouveau ces taxes va aggraver la situation économique de Gaza qui est déjà désastreuse. Augmenter les recettes fiscales alors que sévit une grave crise du chômage amènera la situation politique et économique au bord du précipice.
Mohammed Abu Jiyab, qui est le rédacteur en chef du journal local Al-Iqtisady et un spécialiste de l’économie, a été le premier à annoncer la restauration des taxes sur Gaza. Il a déclaré à Al-Monitor : « La décision d’augmenter les recettes fiscales est conforme aux règles juridiques du ministère des Finances de Ramallah, mais elle ne tient pas compte de l’effondrement de l’économie dans la bande de Gaza. Cette décision va impacter directement tous les types de biens et services fournis par le secteur privé, en particulier les entreprises de télécommunications et d’électricité. Elle augmentera aussi l’impôt sur le revenu. »
Abu Jiyab a expliqué que cette décision intervenait dans un contexte de forte baisse des dépenses publiques et de grave problème de trésorerie dans la bande de Gaza. Le gouvernement de Rami Hamdallah veut couvrir toutes les dépenses de la bande de Gaza avec les recettes fiscales collectées à Gaza, sans avoir à recourir à des fonds levés à l’extérieur de l’enclave assiégée. « C’est la faillite assurée » a-t-il ajouté.
« Abbas est bien conscient que cette mesure alourdira la charge économique et psychologique des citoyens de Gaza sans augmenter significativement les revenus de l’AP et de son ministère des Finances. »
Après la signature de l’accord de réconciliation le 12 octobre 2017, le gouvernement palestinien à Ramallah a pris plusieurs mesures pour augmenter ses recettes fiscales. L’Autorité palestinienne a amélioré la perception des taxes sur les marchandises entrant à Gaza au check-point de Kerem Shalom, dans le sud de la bande de Gaza. Il a également augmenté le prix des cigarettes et du carburant égyptiens.
Mohammad al-Ashi, professeur de Finance à l’Université islamique de Gaza, a déclaré à Al-Monitor : « Depuis que le gouvernement de Ramallah a repris le contrôle administratif des check-points de la bande de Gaza, les tarifs douaniers ont triplé par rapport aux tarifs appliqués par le Hamas. Ce qui a réduit de plus de la moitié le nombre de camions qui arrivent chaque jour dans la bande de Gaza ; il est passé de 700 camions à 300 par jour, en moyenne. »
Il a ajouté : « À compter du 14 novembre 2018, les ajustements douaniers convenus avec Israël s’appliqueront. Il s’agit notamment d’une augmentation des droits de douane sur les articles d’habillement de 6% à 15%, sur les meubles de 12% à 20%, sur les chaussures de 12% à 27% et sur les produits en aluminium de 8% à 16%. »
Les droits de douane qui vont être appliqués dans la bande de Gaza sont les mêmes que ceux appliqués en Cisjordanie, mais comme Ashi l’a souligné, il y a des différences économiques entre Gaza et la Cisjordanie qui n’ont pas été prises en considération.
En effet, selon lui, « environ 70 000 Palestiniens de Cisjordanie travaillent du côté israélien pour une moyenne de 500 shekels [142 dollars] par jour, à quoi s’ajoute le fait que l’électricité fonctionne sans interruption en Cisjordanie, ce qui permet une production continue. Les salaires des employés de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie n’étaient pas soumis aux mêmes réductions que ceux des employés de l’Autorité palestinienne à Gaza. Réinstaurer tous ces impôts serait catastrophique pour Gaza. »
Ashi a souligné que les agriculteurs étaient ceux qui souffriraient le plus de la réinstauration des taxes, car cela augmenterait le prix des produits chimiques et agricoles et donc les coûts de production. Par ailleurs, selon lui, « la décision augmentera de 16% la facture payée par les citoyens aux compagnies de téléphone et d’Internet ».
Il faut noter que la décision, qui a été prise le 6 novembre 2017 par le gouvernement d’unité nationale, d’unifier le montant de la licence pour les nouvelles voitures diesel entre Gaza et la Cisjordanie, n’a pas encore été appliquée. Son montant est toujours de 2 100 shekels (614 dollars) à Gaza, contre 660 shekels (193 dollars) en Cisjordanie.
Le porte-parole du Fatah dans la bande de Gaza, Fayez Abu Eita, a défendu la position du Fatah sur la réinstauration des impôts dans la bande de Gaza en disant que l’AP traverse une grave crise financière et que ces impôts renforceront la gouvernance issue de l’accord à la fois dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Il a déclaré à Al-Monitor : « Nous espérons que les dirigeants palestiniens prendront des mesures pour soutenir l’économie de Gaza qui est dans une situation catastrophique. »
Le 10 janvier, Oussama Nofal, directeur général des études et de la planification au ministère de l’économie nationale de Gaza, a déclaré sur le site Web Arabi21 : « L’AP a perçu 720 millions de dollars de recettes douanières de la bande de Gaza l’année dernière, alors que les exemptions étaient encore en vigueur. Lorsque les taxes seront réinstaurées à Gaza, les recettes de l’AP augmenteront de 35 % pour atteindre environ 1 milliard de dollars par an ; la taxe indirecte sur le gazole industriel qui est allouée à la centrale électrique de Gaza n’est pas comprise dans ce montant. »
Riyad Halasan, chercheur en économie au Centre de planification palestinien de l’OLP, a quant à lui déclaré : « Les impôts sont généralement levés dans l’intérêt des citoyens, mais la bande de Gaza manque d’un environnement stable qui permettrait à l’État d’utiliser les recettes fiscales pour financer des services publics ».
Il a déclaré à Al-Monitor : « Il faut relancer l’économie de la bande de Gaza en adoptant des politiques gouvernementales ayant pour objectif d’augmenter l’emploi, de briser les restrictions à la libre circulation des personnes et des biens, d’assurer un environnement favorable aux investissements et de garantir les droits financiers des citoyens sans aucune restriction. »
Le gouvernement d’unité nationale issu de l’accord de réconciliation palestinienne semble vouloir imposer une nouvelle politique fiscale à la bande de Gaza. Mais c’est une politique qui ne s’accompagne d’aucune mesure visant à améliorer la situation économique de l’enclave.
Les sanctions imposées par Abbas à Gaza n’ont pas encore été levées. Tout cela risque d’exacerber les manifestations et les grèves populaires et de mettre en danger la réconciliation palestinienne.
Traduction : Dominique Muselet
L’article original est paru dans Al-Monitor
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