Une courte histoire de la Tchécoslovaquie 1/2


Par Vladislav B. SOTIROVIĆ − Le 2 juillet 2020 − Source Oriental Review

https://orientalreview.org/wp-content/uploads/2020/07/Prague-380x280.jpgLa Tchécoslovaquie a obtenu son indépendance de l’Empire austro-hongrois en 1918. Même si l’Empire austro-hongrois était une entité politique unique, la partie autrichienne et la partie hongroise existaient sous une double monarchie. Chaque moitié de l’empire exerçait un contrôle important sur sa région, indépendamment de l’autre moitié du pays. Les politiques différentes des Autrichiens et des Hongrois ont eu un fort impact sur ce qui constitue aujourd’hui la République tchèque et la République slovaque.

Les origines de la Tchécoslovaquie (1918-1920)

En particulier, l’industrie tchèque s’est développée, tandis que la Slovaquie est restée une zone essentiellement agraire gérée par une élite hongroise. Cela a conduit à deux différences principales entre les parties tchèque et slovaque du pays qui allaient affecter les politiques du gouvernement :

  1. Les Slovaques avaient une société civile beaucoup moins développée [industriellement, NdSF] que les Tchèques car ils ne pouvaient en construire une tout en faisant partie de la Hongrie.
  2. La Slovaquie est restée une société essentiellement agraire, en partie à cause de sa position de grenier à blé de l’Empire austro-hongrois, mais également à cause du manque d’argent investi dans la région.

Le passé de la Slovaquie aux frontières entre l’Empire ottoman et l’Empire austro-hongrois a affecté son développement. La Slovaquie était différente des régions de la République tchèque, qui avaient pu développer leur industrie non seulement grâce à leurs ressources mais aussi grâce à leur localisation éloignée des actions de guerre, plus proche des grandes villes européennes, et centrale au sein de l’Empire austro-hongrois. Dans l’histoire du Royaume de Hongrie, la Slovaquie s’est développée comme une barrière contre l’avancée de l’Empire ottoman vers l’Europe centrale. Après la disparition du danger lié à l’Empire ottoman en raison de son affaiblissement grave et de sa perte de territoires dans la péninsule des Balkans, l’argent a été investi ailleurs dans la monarchie Habsbourg. Alors que la partie occidentale de l’Empire austro-hongrois fut développée économiquement, la Slovaquie est restée une société essentiellement agricole. Contrairement à la Slovaquie, le royaume de Bohême (plus tard la République tchèque) avait existé en tant que pays indépendant (jusqu’en 1526) puis pays autonome jusqu’au début du XVIIe siècle (1620). Il devint une partie du nouvel empire autrichien en 1804, puis de l’empire austro-hongrois à partir de 1867 et jusqu’à ce que la Tchécoslovaquie soit proclamée État indépendant en 1918.

Le développement et la propagation du nationalisme en Europe au milieu du XIXe siècle ont indirectement conduit au développement d’une identité nationale slovaque. Cela était en partie dû à la peur de la magyarisation [politique d’assimilation en Hongrie au XIXe et début du XXe siècle dont le nom est issu de Magyar, groupe ethnique à l’origine de la création de la Hongrie, NdT] ressentie par toutes les minorités de la partie hongroise de l’Empire autrichien. En 1848, le gouvernement hongrois promulgua les « lois d’avril » qui établirent la Hongrie comme une région autonome au sein de l’Empire autrichien, ce que le gouvernement central de l’Empire autrichien n’a pas pu empêcher en raison des nombreux autres mouvements nationalistes qui se répandaient dans son empire [mais il écrasera finalement cette révolution en 1849, NdT]. Le gouvernement hongrois utilisa ensuite ces lois pour renforcer l’identité hongroise par la magyarisation. Cela eut des effets sur de nombreux aspects de la vie, par exemple l’utilisation de la langue hongroise dans l’éducation. Cependant, le développement d’une identité nationale slovaque n’a commencé véritablement que lorsque la Tchécoslovaquie est devenue un pays, et qu’une résistance s’est constituée contre une identité tchécoslovaque, que les Slovaques considéraient comme la promotion d’une identité tchèque au détriment de l’identité slovaque.

La Tchécoslovaquie a obtenu son indépendance en plusieurs étapes. Avant même la création de l’État commun, l’idée de la Tchécoslovaquie était défendue par des Tchèques et Slovaques vivant à l’étranger (aux États-Unis). Cette idée a également été soutenue par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale pour diverses raisons :

  1. L’idée que les empires multinationaux devaient être remplacés par les États nationaux.
  2. Les monarchies devaient être remplacées par les gouvernements démocratiques des républiques.
  3. Les pays devaient justifier leur légitimité auprès du reste du monde et une façon de le faire était d’affirmer la revendication d’un groupe ethnique sur un territoire en raison de sa présence historique.
  4. Une autre raison pour laquelle la Tchécoslovaquie a été défendue par les émigrants était le concept politico-idéologique du panslavisme. Bien que ce concept ait joué un rôle dans les motivations de la politique russe en Europe de l’Est et surtout dans les Balkans, on ne s’accorde pas sur la mesure dans laquelle il a contribué à l’idée de la Tchécoslovaquie, mais il a certainement influencé certains penseurs. Le panslavisme a été utilisé pendant la Grande Guerre pour encourager certains des soldats slovaques capturés, à l’époque en tant que soldats de l’Empire austro-hongrois, à lutter contre ce dernier. Cependant, après l’indépendance de la Tchécoslovaquie en 1918, l’idée du panslavisme n’a pas été fortement défendue, perdant la faveur de ceux qui l’avaient soutenue.

La Tchécoslovaquie avant la Première Guerre mondiale

Les terres tchèques ont, les premières, obtenu leur indépendance de l’Empire austro-hongrois. La Slovaquie a proclamé son indépendance et son désir de rejoindre le pays tchèque deux jours plus tard. Cependant, ce processus a pris plus de temps. Les troupes tchèques qui se trouvaient en Slovaquie furent vaincues par l’armée bolchevique, qui occupa brièvement une partie du pays et installa un gouvernement soviétique fantoche. Les forces hongroises parvinrent à expulser les bolcheviques du pays mais finirent par perdre la possession du pays après le traité de paix de Trianon de 1920, qui a créé la frontière entre la Tchécoslovaquie et la Hongrie. Une partie de la justification de la fondation de la Tchécoslovaquie était de donner aux Tchèques et aux Slovaques leur propre pays, contrairement à leur intégration à l’Empire austro-hongrois où ils étaient privés de droits en raison de leur statut de minorité. Néanmoins, en raison de la façon dont la Tchécoslovaquie a été établie, elle était vouée à avoir des problèmes avec les populations minoritaires (Allemands et Hongrois) à l’intérieur de ses frontières et à choisir la meilleure façon de les traiter.

La Tchécoslovaquie est l’État d’Europe centrale qui est apparu sur la carte politique en conséquence de l’effondrement de la double monarchie (l’Empire austro-hongrois). L’indépendance officielle du pays a été déclarée le 28 octobre 1918 et confirmée lors des conférences de paix de Paris, le 10 septembre 1919. Les frontières définitives ont été fixées par le traité de paix de Trianon de 1920.

Le pays était composé de deux parties différentes :

  1. Les régions historiques économiquement avancées de Moravie, de Bohême et certaines parties de la Silésie historique, qui constituaient les terres tchèques (ancienne partie de l’Autriche).
  2. La Slovaquie, industriellement attardée, qui comprend des parties des Carpates, encore plus pauvres (ancienne partie de la Hongrie).

Le fait est que le nouvel État était devenu extrêmement hétérogène sur le plan ethnique, puisqu’il se composait de 66 % de Tchèques et Slovaques, 22 % d’Allemands, 5 % de Hongrois et 0,7 % de Polonais, suivis par d’autres groupes. Cette mosaïque ethnique a obligé le nouvel État à mener une politique extrêmement libérale pour réconcilier ses nombreuses minorités. Cette tendance libérale a été renforcée par ses dirigeants issus du milieu intellectuel éduqué, Thomas Masaryk et Edvard Beneš. Leur politique libérale a été pleinement soutenue par la classe moyenne bien développée et prospère des territoires tchèques.

Dans les années 1920, la Tchécoslovaquie a connu un développement économique plus important que toutes les autres économies d’Europe centrale. Grâce au pacte de la Petite Entente soutenu par la France et à ses bonnes relations avec Paris, le pays a réussi à renforcer sa position dans les affaires étrangères. Néanmoins, dans les années 1930, après la grande dépression économique de 1929-1933, il devint extrêmement difficile de sauver le pays de la montée du nazisme, du fascisme et des autres formes de systèmes politiques autocratiques qui entouraient le pays. Le nouveau mouvement nazi de l’Allemagne, en particulier, attira les Allemands des Sudètes dans le nord-ouest de la Bohême. Ils réclamèrent plus d’autonomie et d’auto-administration, de manière de plus en plus agressive. Des griefs interethniques existaient également dans la partie slovaque du pays : comme la classe moyenne instruite était majoritairement tchèque, les Slovaques se retrouvèrent sous-représentés dans le système politique du pays et, par conséquent, demandèrent plus d’autonomie pour la moitié slovaque de l’État.

L’entre-deux-guerres et la question des Allemands des Sudètes (1919-1938)

D’une partie de l’empire austro-hongrois multi-national, la Tchécoslovaquie est devenue un pays comptant d’importantes minorités ethniques. Les trois plus grands groupes ethniques en Tchécoslovaquie dans l’entre-deux-guerres étaient les Tchèques, avec environ 6,5 millions de personnes, les Allemands, avec environ 3,1 millions de personnes, et les Slovaques, avec 2,2 millions de personnes. Les autres groupes ethniques comprenaient les Hongrois, les Polonais, les Ukrainiens, les Roms et d’autres minorités. Les relations entre le gouvernement tchécoslovaque et les Allemands des Sudètes étaient tendues et le sont restées tout au long de l’entre-deux-guerres. Les Allemands n’avaient pas accepté leur inclusion dans le nouveau pays après la Première Guerre mondiale et craignaient de perdre leur identité. Les Slovaques, en revanche, acceptaient davantage le nouvel État pour au moins deux raisons essentielles :

  1. Une croyance préconisait toujours, sans aller aussi loin que le panslavisme, que les Tchèques et les Slovaques étaient des branches de la même famille.
  2. La Tchécoslovaquie était considérée comme une alternative préférable à la domination des Hongrois, sous laquelle les Slovaques devaient faire face à la magyarisation et à la prévention du développement d’une identité nationale slovaque.

Les Allemands des Sudètes ont créé un problème pour le gouvernement tchécoslovaque en raison de leur taille et de leur manque d’engagement dans l’idée du nouvel État. La stabilité politique et la force économique de la Tchécoslovaquie pendant l’entre-deux-guerres ont permis de réduire la tension. En fait, les allemands des Sudètes ont connu à cette époque un niveau de vie plus élevé que les Allemands d’Allemagne. Toutefois, cela n’a pas empêché le nazisme d’être bien accepté dans la région lorsque les nazis sont arrivés au pouvoir en Allemagne. Les Allemands des Sudètes ont également développé une forte politique anti-tchèque, en particulier pendant la Seconde Guerre mondiale. L’adoption du nazisme était en opposition avec les politiques des dirigeants tchécoslovaques. En effet, contrairement à de nombreux autres pays qui ont expérimenté différents types d’autocratie durant cette période, la Tchécoslovaquie parvint à maintenir son identité de démocratie libérale d’Europe centrale.

La Tchécoslovaquie en 1928-38

 

La vigueur avec laquelle les Allemands des Sudètes ne voulaient pas faire partie de la Tchécoslovaquie a également conduit au deuxième problème. Deux types de politiques ont été menées afin de réduire le risque de conflit avec eux :

  1. L’un de ces types de politiques concernait l’autonomie. Le gouvernement tchécoslovaque a décidé de ne pas s’engager dans une organisation étatique fédérale. Cette décision a été prise afin que les Allemands des Sudètes n’acquièrent pas plus de pouvoir politique qui risquerait de détériorer leurs relations avec le gouvernement tchécoslovaque. Néanmoins, cela signifiait également que les Slovaques ne pouvaient pas non plus avoir plus d’autonomie politique et juridique. Cela n’était pas un problème au départ, en raison de l’absence de développement d’une identité et d’une société civile slovaques pendant les siècles de domination hongroise.
  2. Cependant, le deuxième type de politique a contribué à leur développement, ce que le gouvernement tchécoslovaque n’avait pas prévu. Un moyen de renforcer non seulement le gouvernement tchécoslovaque contre les Allemands des Sudètes, mais aussi le pays lui-même, était de développer la Slovaquie et de promouvoir une identité tchécoslovaque commune. Tout d’abord, si les Tchécoslovaques étaient considérés comme un seul groupe ethnique dans le pays, le rapport entre les Tchécoslovaques et les Allemands des Sudètes serait plus important que si l’on ne considérait que les Tchèques ou les Slovaques par rapport aux Allemands. Deuxièmement, il était estimé qu’un pays économiquement fort diminuait le potentiel de griefs contre le gouvernement.

En raison du manque de développement du territoire slovaque, les flux monétaires se faisaient presque exclusivement de l’ouest vers l’est afin de développer l’économie slovaque. L’argent était également utilisé pour le développement d’écoles et d’institutions publiques et contribuait au développement de l’intelligentsia slovaque.

La Tchécoslovaquie de l’entre-deux-guerres n’était cependant toujours pas à l’abri d’un effondrement interne, avec l’accord de Munich de 1938, lorsque les Sudètes ont été annexées par l’Allemagne nazie et que les terres habitées par la minorité polonaise (Teschen) et la minorité hongroise ont été annexées par la Pologne et la Hongrie respectivement.

Les Allemands des Sudètes ont fortement soutenu l’inclusion des Sudètes dans l’Allemagne, car ils avaient conservé une forte identité allemande. Lors de la conférence de Munich de 1938, les dirigeants de quatre pays (Allemagne, France, Royaume-Uni et Italie) se sont réunis pour discuter de ce qu’il convenait de faire au sujet des Sudètes. Le 30 septembre 1938, les Sudètes ont été intégrés à l’Allemagne. En donnant les Sudètes à l’Allemagne, d’autres pays espéraient que le désir allemand de disposer de plus de terres serait satisfait. Les Sudètes comptaient un grand nombre de citoyens allemands et environ deux tiers de leur population étaient favorables à l’intégration à l’Allemagne. Cependant, cela remettait également en question la force et la légitimité du gouvernement tchécoslovaque. Les nazis travaillant en Tchécoslovaquie avaient plaidé pour l’autonomie de la région. Au lieu de cela, le gouvernement tchécoslovaque avait accordé plus de droits aux minorités, mais refusé de désigner la région des Sudètes comme région autonome.

En perdant les Sudètes au profit de l’Allemagne, le gouvernement tchécoslovaque a été perçu comme faible. À cette époque, les Slovaques avaient développé non seulement une intelligentsia, mais aussi une idée plus cohérente de l’identité nationale et de l’indépendance slovaques. L’une des conséquences géopolitiques cruciales de l’accord de Munich de 1938 a été d’encourager les personnes qui soutenaient la création d’un État slovaque indépendant au lieu d’une Tchécoslovaquie faible qui n’obtint pas le soutien européen pour son intégrité territoriale.

Néanmoins, si d’une part les nationalistes slovaques avaient été encouragés par la perte des Sudètes lors de la conférence de Munich en 1938, ils se trouvaient maintenant confrontés à un dilemme. On soupçonnait que l’Allemagne nazie ne se contenterait pas de l’acquisition de la région des Sudètes. L’idée allemande du Lebensraum, basée sur l’acquisition de terres pour le peuple allemand, ainsi que l’expulsion ou l’extermination d’autres groupes ethniques considérés comme racialement inférieurs, a également conduit à la conclusion que les nazis chercheraient à acquérir plus de terres. Les membres tchèques du gouvernement commun étaient fermement opposés au nazisme et l’on soupçonnait que si les Allemands battaient la Tchécoslovaquie, les politiques instituées par le nouveau gouvernement allemand porteraient préjudice à tous les citoyens de Tchécoslovaquie. Cependant, les Slovaques avaient un moyen de se sortir de cette situation difficile. Le gouvernement allemand leur fit clairement savoir qu’il seraient prêt à soutenir la formation d’un État slovaque indépendant au lieu d’un État commun avec les Tchèques. Les Slovaques devaient choisir entre rester en Tchécoslovaquie ou proclamer leur indépendance officielle sous le patronage de l’Allemagne.

Les 14 et 15 mars 1939, l’armée allemande envahit le reste des territoires tchèques historiques de la Tchécoslovaquie avec la création du protectorat allemand sur la Bohême et la Moravie. Ces deux provinces historiques devinrent relativement autonomes, avec un président fantoche, Emil Hácha. Cependant, l’administration brutale de l’Allemagne nazie supprima les classes moyennes et instruites tchèques pendant la période du protectorat (1939-1945).

Vladislav B. SOTIROVIĆ

Deuxième partie ici.

Traduit par Clément, relu par jj pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF