Mer Noire: de zone interdite pour l’Otan à futur champ de bataille


Par Eric Draitser – Le 14 mai 2015 – Source Russia Insider

Un temps considérée comme zone interdite pour les États-Unis, la mer Noire est devenue le décor d’une succession d’exercices militaires de l’Otan, et même maintenant pour les Chinois aux côtés des Russes.

Washington nageant dans le golfe du Mexique

Tandis que la guerre en Ukraine fait rage depuis plus d’une année, le conflit grandissant entre les États-Unis/Otan et la Russie a pris de nouvelles dimensions. De la guerre économique menée par l’Occident sous la forme de sanctions aux disputes diplomatiques sur la commémoration du Jour de la victoire à Moscou, il semble de plus en plus que les relations entre l’Est et l’Ouest se sont dégradées au point de ne plus pouvoir être réparées. Bien qu’il puisse sembler que ce conflit n’est qu’une simple extension de ce qui était connu autrefois comme la guerre froide, le potentiel existe pour une guerre chaude de dimension mondiale.

Couvert par la cacophonie du cliquetis des sabres et des bombements de torse à Washington et à Bruxelles, le déploiement militaire émerge en mer Noire, tranquillement, et infiniment dangereux. Considérée un temps comme une zone interdite pour les États-Unis et l’Otan, la mer Noire, avec ses vastes baies russes, est devenue récemment le site d’un grand nombre de mouvements militaires états-uniens, et de contre-mouvements russes tout aussi importants. Ce qui ajoute encore de l’huile sur le feu, c’est la participation de la marine chinoise dans ce cocktail où couve tranquillement un conflit mondial.

La présence de forces armées US tout le long de la région de la mer Noire est indubitablement une provocation car elle pousse dangereusement près des frontières de la Russie. Le potentiel pour l’escalade – de façon préméditée ou non – fait courir à la région entière, et de ce fait au monde entier, un risque de catastrophe.

Cet article se concentrera sur les développements militaires des États-Unis et de l’Otan dans et autour de la mer Noire. Bien que n’épuisant nullement tous les mouvements de Washington dans la région, c’est une tentative de fournir un aperçu sur un théâtre de déploiement occidental peu développé – mais considéré comme une menace très sérieuse par Moscou.

Washington s’ébrouant dans la mer Noire

Il est indubitable que la stratégie états-unienne à l’égard de la Russie accorde une importance extrême au maintien et à l’expansion d’une forte présence militaire dans et autour de la mer Noire. De récents mouvements des forces armées des États-Unis et de l’Otan rendent ce fait plus apparent. Après avoir déployé une quantité significative de forces dans les pays du littoral [Europe de l’Est et Géorgie, NdT], et lancé une série d’exercices militaires critiques, Washington démontre sans équivoque sa décision de provoquer une escalade du conflit avec la Russie.

Il y a un an environ, en juin 2014, l’ancien secrétaire à la Défense Chuck Hagel a exposé crument les intentions états-uniennes. Dans le sillage de l’annonce publique du président Obama d’augmenter de 1 milliard de dollars la présence états-unienne en Europe de l’Est, Hagel a déclaré que l’engagement pour un milliard de dollars était destiné à «une plus forte présence de navires US en mer Noire», et que «les États-Unis soutiendront ce rythme à l’avenir». Traduit en des termes légèrement plus compréhensibles, les États-Unis ont décidé un important investissement financier pour l’expansion permanente de leur présence militaire dans, et autour, de la mer Noire.

C’est la permanence de ce nouvel engagement qui est frappante, parce que, contrairement à une grande partie du bluff et des fanfaronnades de Washington à propos de l’Ukraine et des questions qui y sont liées, cela représente un déploiement militaire doté d’une valeur tactique réelle. Ce n’est pas purement rhétorique, c’est de l’escalade militaire. Et, au cours de l’année qui a suivi cette annonce, ce processus a sérieusement évolué.

L’armée états-unienne mène actuellement, ou mènera bientôt, une série d’exercices militaires cruciaux en mer Noire. L’un des plus notables est connu sous le nom de Noble Partner. Cette série d’exercices est conduite par la Géorgie, membre de facto de l’Otan, qui est effectivement devenue une tête de pont des forces armées de l’Otan. Comme l’a souligné la page officielle de l’armée US :

Noble Partner soutiendra la contribution d’une compagnie d’infanterie légère de la Géorgie à la Force de réaction de l’Otan (NRF)… L’exercice se concentrera sur des opérations terrestres unifiées… L’exercice Noble Partner offre une occasion à l’armée états-unienne de poursuivre ses relations d’entraînement avec les Forces armées géorgiennes en tant que soutien de la participation de la Géorgie à la NRF. La NRF fournit une force armée à déploiement rapide, lorsque c’est nécessaire… L’exercice Noble Partner impliquera approximativement 600 membres américains et des services géorgiens incorporant une gamme complète d’équipements… Les forces géorgiennes opéreront aux côtés des forces états-uniennes avec leurs véhicules de combat d’infanterie BMP-2. L’exercice comprendra à la fois un entraînement sur le terrain et un exercice de tir réel.

Cependant, dans le cadre de la formation militaire par les États-Unis, une quantité importante de matériel militaire va faire la navette à travers la mer Noire, dans un geste sans précédent de la part des États-Unis, qui n’ont jamais traité aussi impudemment cette étendue d’eau comme leur propre arrière-cour. Comme il est écrit sur la page de l’armée US :

Quatorze véhicules d’infanterie de combat Bradley et plusieurs plateaux de transport de blindés, environ 748 tonnes d’acier et de caoutchouc franchissent la mer Noire… à destination du port de Batumi, en Géorgie, le 2 mai. C’est la première fois que l’armée américaine a déployé une compagnie mécanisée avec son équipement dans la mer Noire. Le matériel soutiendra le 2e bataillon, le 7e régiment d’infanterie, les soldats de la 3e division d’infanterie, qui participent à l’exercice Noble Partner.

Si on combine ces informations avec les commentaires de Hagel il y a un an, il est clair que les États-Unis sont déterminés à intensifier leur présence militaire dans la mer Noire. Bien sûr, il va de soi qu’un tel développement stratégique doit être vu comme une tentative de dépasser et d’intimider la Russie dans sa sphère d’influence traditionnelle.

En plus, et parallèlement à ces exercices militaires, l’exercice prévu Trident Joust 2015 , qui, selon l’amiral de la Marine US Mark Ferguson, «testera les capacités de commandement et de contrôle de la Force de réaction de l’Otan, la NRF, à travailler à pleine capacité opérationnelle… L’exercice renforcera le Plan de préparation à l’action de l’Otan, issu du Sommet du Pays de Galles, et le projet des mesures d’assurance mutuelle pour tous les alliés de l’Otan». L’exercice pourrait aussi être compris comme une tentative de préparer l’architecture militaire de l’Otan à un éventuel déploiement rapide dans la région de la mer Noire, apparemment comme une défense contre la prétendue agression russe tout en cherchant en réalité à étendre les capacités militaires de l’Otan dans le contexte de la guerre en Ukraine et des tensions croissantes avec Moscou.

A aucun moment durant la guerre froide, les États-Unis ne se sont engagés dans des actions si ouvertement hostiles et belliqueuses, destinées davantage à provoquer qu’à se défendre. Il semble que la politique actuelle vise à la fois à se préparer à la guerre et à œuvrer pour s’assurer que cela se concrétise. Pour rendre encore plus manifestes les intentions de Washington avec Trident Joust, l’amiral Ferguson a été cité, disant : «J’apprécie les efforts de la Roumanie lorsque nous travaillons à d’autres mesures pour transformer l’Alliance, comme la formation de la Division multinationale du Sud-Est et l’Unité d’intégration des forces de l’Otan.»

Il y a eu d’autres actions militaires importantes menées par les États-Unis et l’Otan en mer Noire ces derniers mois, toutes destinées à envoyer un avertissement sévère à la Russie. Le Standing NATO Maritime Group Two (SNMG2) de l’Otan a récemment accompli ses exercices de formation «destinés à améliorer l’interopérabilité et à renforcer l’intégration rapide des actifs maritimes de l’Alliance. […] Les exercices comprenaient des procédures de lutte anti-aériennes, anti-sous-marines et anti-surface au cours de manœuvres séparées avec les navires turcs, bulgares et roumains». Dans le cadre du SNMG2, l’Otan a déployé des matériels militaires importants dans le port roumain de Constanta, à une courte distance – et ce n’est pas une coïncidence – de la Crimée et de la flotte russe de Sébastopol, sur la mer Noire. Participaient au SNMG2 l’USS Vicksburg avec son système de lancement vertical Mark 41, des missiles anti-navires Harpoon, et tout un arsenal d’artillerie. En plus, des bateaux de guerre canadiens, italiens et turcs étaient là, chacun transportant sa propre puissance de feu.

A part ces exercices navals spécifiques, les États-Unis avaient des moyens militaires importants sur, et autour, de la mer Noire pour participer à une série de manœuvres ponctuelles et à divers entraînements l’année dernière, même avant l’annonce du secrétaire d’État Hagel en juin 2014. Cela comprend l’USS Taylor récemment déclassé, qui a passé la plus grande partie de 2014 en mer Noire. Peut-être pas tout à fait par hasard, il est maintenant prévu de vendre cette frégate américaine à Taïwan dans un geste qui probablement suscitera le mécontentement de Beijing. En outre, l’USS Donald Cook, un destroyer lance-missile, a conduit des exercices avec l’USS Taylor et la Marine roumaine. Donc l’US Tuxton et l’USS Vella Gulf ont été consignés pendant longtemps en mer Noire en 2014, incitant sans aucun doute la Russie à accélérer ses capacités navales et militaires.

Il est intéressant de noter que les actions de la Russie en Crimée en 2014 sont intervenues dans les jours qui ont suivi l’entrée en mer Noire de ces navires états-uniens. Quiconque doute que la décision de Moscou de soutenir le vote de la Crimée pour sa réunification à la Fédération de Russie était motivé par quelque chose d’autre qu’un pragmatisme militaire et stratégique ferait bien d’examiner la chronologie de ces événements.

Tout cela montre clairement que les États-Unis et son arsenal de l’Otan se préparent à un pivot – pour emprunter la terminologie grossièrement sur-utilisée de l’administration Obama et du Pentagone – qui les verra concentrer leurs forces sur la mer Noire, exactement comme ils ont attiré plus encore l’attention sur la mer Baltique ces derniers mois. Il ne faut pas des capacités de déduction exceptionnelles pour voir ce que sont les intentions des États-Unis : la poursuite de l’escalade, la préparation des forces et l’intimidation de Moscou. Il apparaît toutefois aussi que de telles provocations augmentent le risque d’un faux pas, d’un accident ou d’un malentendu qui pourrait déclencher un conflit mondial majeur. Considérant les joueurs impliqués, une telle bourde pourrait faire éclater la Troisième Guerre mondiale.

Un prochain article sera consacré aux contre-mouvements que la Russie s’emploie à opposer à l’agression US-Otan aux frontières de la Russie. L’article s’axera spécifiquement sur les relations militaires qui se développent rapidement entre la Russie et la Chine.

Eric Draitser est un analyse géopolitique indépendant basé dans la ville de New York, il est le fondateur de StopImperialism.org et chroniqueur pour Russia Today, exclusivement dans le magazine en ligne New Eastern Outlook”.

Article original publié par New Eastern Outlook

Note du Saker Francophone

En concentrant tout cet arsenal naval en Mer Noire, l’US Navy risque de se trouver prise dans une nasse, comme Marc Antoine à la bataille d’Actium en 31 avant JC; Poutine nouvel Auguste ?

Traduit par Diane, relu par jj Pour le Saker Francophone

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