Par Immanuel Wallerstein – Le 15 mars 2015 – Source binghamton
Commentaire No. 397
Il semble actuellement y avoir une réelle possibilité d’accord entre le gouvernement turc et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui mettrait fin à la lutte acharnée qui remonte au moins à la fondation de la République turque en 1923.
La question a été très claire dès le début. Dans le sillage de l’effondrement de l’Empire ottoman, un groupe de nationalistes turcs emmené par Mustafa Kemal (Ataturk) s’est emparé du pouvoir et a établi une république laïque, dont les limites comprenaient essentiellement les zones connues comme l’Anatolie et la Thrace. Comme la plupart des nationalistes nouvellement parvenus au pouvoir, ce groupe était idéologiquement jacobin. Il avait établi une république des Turcs, et uniquement pour les Turcs.
Les luttes ethniques avec les Arméniens sont bien connues et, bien sûr, sujet de débats infinis sur ce qui s’est réellement passé. Aujourd’hui, la plupart des analystes du monde entier acceptent la version arménienne de cette histoire comme étant la plus correcte et considèrent qu’il y a effectivement eu purification ethnique.
Les populations de langue kurde se trouvent aujourd’hui dans quatre États différents – la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran. Les nationalistes kurdes ont longtemps cherché à créer une sorte d’État kurde rassemblant les groupes des quatre pays. Jusqu’à présent, cette tentative a échoué et les nationalistes kurdes des quatre pays ont réorienté leurs objectifs pour atteindre une autonomie importante dans chacun des quatre États.
Dans le cas de la Turquie, les populations de langue kurde sont concentrées à la pointe sud-est de l’État turc. En 1976, le drapeau du nationalisme kurde a été repris par le PKK, qui s’est présenté lui-même comme un mouvement marxiste-léniniste, prêt à s’engager dans l’insurrection contre un gouvernement turc non disposé à accorder des droits politiques, culturels ou linguistiques aux kurdophones. En effet, le gouvernement turc a refusé de reconnaître l’existence des Kurdes, les désignant comme les Turcs des montagnes. Une lutte militaire incessante entre le gouvernement turc et le PKK s’en est suivie.
En 1999, le dirigeant du PKK, Abdallah Ocalan, a été capturé par le gouvernement turc avec l’aide de la CIA. Il a été jugé pour haute trahison et terrorisme et condamné à mort. La sentence a été ensuite commuée en détention à vie à l’isolement total dans une île-prison. Pendant ce temps, la vision du monde d’Ocalan a évolué, et il a cessé de croire que le marxisme-léninisme devait être l’idéologie organisatrice du PKK. Simultanément, divers groupes du PKK ont poursuivi la lutte armée.
En 2002, un parti politique islamiste, qui porte aujourd’hui le nom d’AKP, est arrivé au pouvoir en Turquie, évinçant les nationalistes laïques qui avaient longtemps dominé le parlement, et bousculant les dirigeants militaires longtemps attachés à une stricte laïcité. Le dirigeant de l’AKP, Recep Erdogan, a réussi à remporter les élections successives et l’AKP semble aujourd’hui contrôler solidement le pouvoir de l’État.
A la surprise générale, en 2012, Erdogan a entrepris des négociations, d’abord secrètes, avec le PKK et par conséquent avec Ocalan. Les deux parties ont discuté de ce qui pourrait être une solution acceptable au conflit et aux divergences persistantes quant aux droits et à l’autonomie des Kurdes. Il semble que ce qui a incité à cette tentative de règlement politique est le début de prise de conscience par les deux camps que ni l’un ni l’autre n’est capable de remporter totalement la bataille militaire. Comme dans d’autres guerres civiles, l’épuisement a commencé à jouer un rôle, conduisant les forces rivales à envisager une sorte de compromis.
Les compromis sont toujours douloureux et il y a toujours des militants de chaque camp pour les trouver inacceptables. Les questions qui se posent typiquement portent sur ce que chaque camp gagne maintenant dans l’accord envisagé et jusqu’où ils pourront obtenir le soutien de leur base politique.
Pour aller de l’avant, la Turquie doit adopter une nouvelle Constitution. L’AKP est soucieux d’étendre considérablement le pouvoir du président, ce à quoi les autres partis sont opposés. Le PKK est soucieux d’inclure dans une nouvelle Constitution diverses clauses qui reconnaîtraient les Kurdes en tant que peuple jouissant de droits égaux à ceux des Turcs. Le PKK veut plusieurs langues dans la Constitution, qui reconnaîtrait les Kurdes en tant que co-fondateurs de la Turquie moderne.
Une question difficile à résoudre en détail est la cessation des hostilités. Le gouvernement turc et le PKK ont accepté le retrait des forces armées du PKK de la région kurde autonome en Irak. Ce retrait a déjà commencé. Mais il n’y a pas eu de désarmement, et les unités du PKK n’ont pas l’intention de désarmer tant qu’il n’y a pas davantage de progrès concrets. La question de savoir si Ocalan sera autorisé à voir sa détention transférée à son propre domicile en Turquie est en discussion et cela semble probable.
L’urgence pour le PKK, et la réalisation majeure, serait la reconnaissance des droits kurdes, bien que le terme autonomie n’y soit pas inclus. L’urgence pour l’AKP est que, pour obtenir les 75% du parlement turc nécessaires à l’adoption de la nouvelle Constitution, il peut avoir besoin des votes des Kurdes membres du parlement.
Ainsi, avec beaucoup de prudence et une suspicion mutuelle persistante, les deux parties s’approchent de manière significative d’un accord. Avec quelques difficultés, Ocalan sera probablement en mesure de rallier sa base aux futurs accords. Il reste un héros kurde. Si l’accord aboutit, les Kurdes auront obtenu des droits linguistiques et culturels. Il reste à voir combien cela améliorera la situation économique des Kurdes ordinaires.
Immanuel Wallerstein
Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone