Par Peter Van Buren – Le 19 février 2015 – Source TomDispatch
Oui, ils sont devenus la plus grande des générations (une phrase qui m’a toujours fait penser à une pub pour une boisson gazeuse), mais ce n’est pas ainsi qu’ils se voyaient à l’époque. Comme l’a montré Susan Faludi dans son livre Stiffed (Raidis), devenu un classique, et comme j’ai pu le constater enfant, les hommes qui sont rentrés au pays après la Seconde Guerre mondiale étaient particulièrement silencieux à propos de leur expérience des combats, du moins avec leurs enfants. Mon père, qui avait été officier pour le 1er Groupe de commandos aériens en Birmanie, avait quelques anecdotes qu’il finissait par raconter, si on l’y encourageait, mais en général, il ne parlait de la guerre que lorsqu’il était en colère. Par exemple, je peux me rappeler d’une occasion où il s’est emporté et nous a interdit, à ma mère et à moi, d’aller faire nos courses chez l’épicier du quartier car, d’après lui, son propriétaire avait profité de la guerre. En de rares occasions, il pouvait sortir de l’armoire un vieux sac de marin rempli de souvenirs de guerre, dont un brassard nazi (sans aucun doute échangé avec quelqu’un qui avait été sur le front européen) et quelques glorieuses cartes de soie de Birmanie, oranges ou blanches, qui étaient censées ne pas prendre de place dans le sac d’un commando. Il s’agit de moments excitants de mon enfance, bien que mon père n’ait eu que peu à déclarer à propos de ce qu’il nous montrait.
A part cela, sa guerre a été une sorte de trou noir dans notre vie familiale. Mais pour tous les garçons comme moi, ce n’était pas si grave, et ce pour une raison simple : nous savions déjà ce que nos pères avaient vécu à la guerre. Nous l’avions vu au cinéma, souvent avec nos pères assis silencieusement à côté de nous. Nous avions vu John Wayne mourir à Iwo Jima, et le héros de guerre Audie Murphy (jouant son propre rôle) abattant les Allemands. Nous avions été avec les soldats de Doolitle, volant au-dessus de Tokyo pendant plus de 30 secondes, nous avions repris la Birmanie, débarqué à Omaha Beach, et combattu île après île à travers le Pacifique, jusqu’au Japon. Et bien sûr, comme l’impliquait notre victoire culturelle, nous avions gagné.
Il est difficile d’insister assez sur l’influence qu’ont eue ces films de guerre sur un si grand nombre d’entre nous, particulièrement si on y ajoutait ces assortiments de soldats en plastique verts et bon marché de la Seconde Guerre mondiale, avec lesquels nous avons rejoué les versions filmées des combats qu’avaient menées nos pères, à même les sols de nos maisons. Ajoutez-y bien sûr les bâtons, et plus tard les fusils en plastique, avec lesquels nous abattions de façon glorieuse les Japs ou les nazis dans nos parcs et nos jardins. Une génération entière de jeunes Américains sont partis au Vietnam la tête remplie des John Wayne & Compagnie, mais pour une version de la guerre que nos pères ne nous avaient jamais racontée.
Ron Kovic, qui est revenu du Vietnam en fauteuil roulant et a écrit ses mémoires Born on the Fourth of July (Né un 4 juillet), en parlait avec vigueur : «Je pense que la plupart d’entre nous sommes partis au Vietnam avec les images des films de John Wayne à l’esprit. Je me rappelle qu’une fois, en patrouille, je me suis pris à imaginer que j’étais John Wayne.»
Aujourd’hui, l’ancien diplomate et lanceur d’alertes Peter Van Buren explore la manière dont les films de guerre américains, de la seconde guerre mondiale à nos jours, ont produit une vision remarquablement uniforme de la manière dont fonctionnent les guerres américaines. Cette vision, dans sa forme moderne, a sans aucun doute apporté une aide précieuse à la mise en place de nos dernières guerres. En mai 2011, Van Buren est arrivé chez TomDispatch, sortant à peine d’une mission de 12 mois en Irak pour le compte du Département d’État et associé à l’Armée des USA. Dans son premier article pour ce site, il nous a parlé de la bouillie pour chats servie par certains journalistes au peuple américain à propos de l’héroïsme des militaires des USA. Pensez par exemple à Brian Williams. Il s’agissait, d’après lui, d’une véritable pornographie guerrière («Laissez moi vous dire que personne ne rit davantage que les soldats eux-mêmes, lorsqu’ils entendent la prose ampoulée que ces journalistes utilisent pour décrire leur vie.»). Presque quatre ans plus tard, vous pouvez considérer ce nouvel article comme une reprise du même thème, avec Hollywood prenant la place de tous les Brian Williams de notre monde.
Tom
Porno Guerrier – Hollywood et la Guerre
De la Seconde Guerre Mondiale à American Sniper
Par Peter Van Buren
A l’âge d’une armée sans conscription, et avec une liste sans fin de zones de guerres où s’accumulent défaites et matchs nuls, il peut se révéler difficile de conserver intact l’enthousiasme de la Nation pour la guerre perpétuelle. Après tout, vous n’avez par un 11 septembre tous les ans pour remettre au goût du jour les images de ces barbares à nos portes d’embarquement. De nos jours, les citoyens US trouvent difficile de garder l’esprit en ébullition à propos de ces guerres si confuses de Syrie et d’Irak, du pourrissement afghan, et de nos divers raids, attaques de drones et conflits mineurs partout ailleurs.
Heureusement, nous avons la solution, celle qui nous a été administrée encore et encore depuis près d’un siècle: les films de guerre hollywoodiens (pour lesquels le Pentagone est toujours prêt à donner un coup de main). American Sniper, dont les campagnes de pub ont d’abord affiché le slogan racoleur du sniper le plus redoutable de l’histoire américaine et qui s’affichent maintenant comme le film de guerre au plus grand nombre d’entrées de l’histoire, n’est que le dernier d’une longue lignée de films qui ont maintenu l’attention des Américains sur leurs jeux guerriers. Prenez-les comme du porno guerrier, dont le seul objectif est de nous garder continuellement excités. Alors, prenez votre pop-corn et installez-vous pour admirer le spectacle.
Il n’y a qu’un seul film de guerre
Alors que je parcourais YouTube, je suis récemment tombé sur un bon vieux film de propagande gouvernementale. Il s’agissait d’une vidéo dont l’objectif affiché était d’exacerber notre fierté américaine, et de nous préparer à un long combat contre un ennemi déterminé, brutal et barbare, dont le mode de vie était une menace pour les valeurs américaines les plus basiques. Voici ce que j’en ai retenu : nos ennemis sont engagés dans une croisade contre l’Occident, ils cherchent à établir un gouvernement mondial, devant lequel nous devrons tous nous incliner. Ces ennemis combattent comme des fanatiques, décapitent leurs ennemis, et sont prêts à sacrifier leurs vies ou celles de leurs subordonnés dans des attaques suicides inhumaines. Bien que leurs armes soient modernes, leur mode de pensée et leurs croyances sont en retard de 2000 ans et sont incompréhensibles à nos yeux.
Évidemment, vous avez vu le piège, n’est-ce pas ? Ce petit film produit par le gouvernement des USA n’a pas pour sujet les militants de l’État islamique. Réalisé par la marine des USA en 1943, son sujet était Nos ennemis les japonais. Cependant, transformez culte de l’empereur en islam radical, et il trouve encore une certaine actualité de propagande. Bien que les bases en soient largement les même (nous contre eux, Bien contre Mal), les temps modernes demandent quelque chose d’un peu plus subtil qu’un film de propagande en début de séance au cinéma. L’âge de l’internet, avec ses cycles d’attention courts et ses besoins de frisson facile, demande un type de pornographie guerrière plus évolué, mais il est remarquable de voir à quel point la production actuelle rappelle ce que l’on peut trouver dans ce film de 1943.
Tout comme les films de propagande et la pornographie sexuelle, les films hollywoodiens à propos des guerres américaines ont très peu changé au fil des années. En voici les composants basiques, de l’Iwo Jima de John Wayne durant la Seconde Guerre mondiale à l’American Sniper de nos jours.
Les soldats américains sont gentils, l’ennemi est méchant. Pratiquement tous les films de guerre auront une scène dans laquelle des Américains traitent l’ennemi de sauvages, de barbares, ou de fanatiques assoiffés de sang, bien souvent suite à une attaque surprise ou un attentat suicide. Le but de notre pays est de libérer, celui de l’ennemi est de conquérir. Un tel soubassement nous prépare à accepter des choses qui nous auraient choquées autrement. Le racisme va de soi ; auparavant, il s’agissait de japs (et pas de Japonais), aujourd’hui, il s’agit de hadjis et d’enturbannés (et non pas de musulmans ou d’Irakiens). Il ne fait aucun doute que la fin justifie absolument tous les moyens à notre disposition, de l’oblitération nucléaire de deux villes sans aucune importance militaire, aux plus hideuses formes de torture. C’est ainsi que le film de guerre est depuis longtemps une zone où la morale est sans importance pour ses personnages américains.
Les soldats américains croient en Dieu et en leur Pays, ils croient à quelque chose de plus grand que nous, quelque chose qui vaut le coup de mourir en le défendant, mais sans jamais devenir des fanatiques aveugles. L’ennemi, par contre, est totalement dévoué à une religion, une foi politique, ou un dictateur, et il va sans dire (bien que cela soit dit), que son Dieu, qu’il s’agisse d’un empereur, du communisme ou d’Allah, est maléfique. Comme l’a écrit, avec un rien d’hyperbole, un critique en 2007, «dans les films d’Hollywood, à chaque fois qu’un arabe prononce le nom d’Allah… quelque chose explose».
Les films de guerre ne cherchent pas à expliquer pourquoi ces sauvages en ont tellement après nous. Par contre le but des tueries perpétrées par les Américains est presque toujours clairement défini. Leur but est de sauver des vies américaines, ceux qui sont là-bas, et ceux qui ne mourront pas car nous n’aurons pas à combattre l’ennemi chez nous. Sauver ces vies justifie les guerres américaines : dans Démineurs de Katrhyn Bigelow, par exemple, le personnage principal désamorce des bombes sur les routes, afin de rendre l’Irak plus sûr pour les autres soldats américains. Dans le récent Fury, centré sur la Seconde Guerre mondiale, Brad Pitt massacre des bataillons entiers d’Allemands pour sauver ses camarades. Même la torture est justifiée, comme dans Zero Dark Thirty, si elle est utilisée pour sauver nos vies de leurs plans cauchemardesques. Dans American Sniper, le tireur Chris Kyle se concentre sur les nombreuses vies américaines qu’il a sauvées en abattant des Irakiens. Ses troubles de stress post-traumatiques sont, en fait, causés par son incapacité à en sauver encore plus. Vraiment, quand un Américain tue à la guerre, c’est lui qui souffre le plus, pas l’enfant mutilé ou la mère éplorée – Je fais des cauchemars, mec! Je peux encore voir leur visage !
Nos soldats sont des êtres humains, avec des histoires personnelles intéressantes, de belles filles qui les attendent à la maison, et de belles vies devant eux, qui pourraient être tragiquement détruites par un ennemi sorti des portes de l’enfer. Les méchants n’ont pas de telles histoires personnelles. Ce sont des fanatiques anonymes, sans passé qui vaille la peine d’être mentionné, ni futur qui vaille la peine d’être imaginé. Ils sont généralement présentés dans des contextes très grossiers. Par exemple, la Némésis de Kyle, dans American Sniper, s’habille tout en noir. Grâce à ça, vous savez tout de suite qu’il s’agit du grand méchant, sans nécessiter plus d’informations. Et en parlant d’incohérence de contexte, il apparaît de façon improbable dans le film, d’abord dans la cité sunnite de Fallujah, puis dans Madinat al-Sadr, un quartier chiite de Bagdad. Il semble que ses intentions meurtrières de super-méchant lui permettent d’ignorer le sectarisme irakien si meurtrier.
Il est permis à nos soldats, qui possèdent une profondeur dont manquent leurs ennemis, d’exprimer des regrets, voir un peu d’introspection, avant (ou après) leurs meurtres. Dans American Sniper, alors qu’il est en permission aux USA, le protagoniste exprime des doutes sur ce qu’il appelle son boulot (le livre sur lequel est basé le film ne contient pas de tels passages). Bien sûr, au final, il retourne en Irak pour trois nouvelles missions et plus de deux heures d’écran, pour arriver à obtenir ses 160 morts confirmés.
Un autre classique de ce genre de films, est l’entrainement. La jeune recrue peut-elle y arriver? Il s’agit souvent du petit gros qu’on voit souffrir pour atteindre la perfection physique, ou le sac d’os qui prend du muscle, ou le timide qui se transforme en tueur assoiffé de sang (il s’agit également d’un thème récurrent des films pornos classiques; le geek dont se moquent les belles femmes, qui se révèle être une machine de sexe). Le lien, qu’il soit assumé ou implicite, entre la sexualité, la virilité et la guerre, est éculé. Par exemple, en parallèle des curieux syndromes de stress post-traumatiques qu’il développe, Kyle se porte volontaire pour enseigner le tir au fusil de précision à un vétéran paraplégique. Après son premier tir à peu près réussi, l’homme s’écri: «j’ai l’impression d’avoir retrouvé mes couilles!»
Nos soldats, ces pauvres âmes innocentes, ne sont pas responsables de leurs actions une fois jetés dans la fournaise de la guerre. Les tueurs de bébés n’ont pas à être poursuivis, d’après le mantra déculpabilisant des USA post-Vietnam. Dans le premier film Rambo, par exemple, John Rambo est un vétéran du Vietnam qui rentre au pays totalement brisé. Il découvre son camarade de combats décédé suite à un cancer induit par l’agent Orange, et se retrouve persécuté par ces mêmes Américains pour la liberté desquels il croit s’être battu. Comme il a été dévasté par le Vietnam, le film lui donne toute liberté pour se livrer à ses actes meurtriers, dont un carnage de deux heures au travers d’une ville de l’État de Washington. Et le spectateur est censé voir Rambo comme un personnage noble et sympathique. Il revient pour parfaire sa rédemption dans les films suivant, en secourant des prisonniers de guerre américains abandonnés en Asie du Sud-Est.
Pour les films de guerre, l’ambigüité est un mot déplaisant. Les Américains gagnent toujours, même lorsqu’ils vivent une ère durant laquelle les défaites s’accumulent partout dans le monde. Et une victoire est une victoire, même lorsqu’elle provient d’une intimidation unilatérale, comme dans Le maître de guerre, le seul film à avoir traité de la grotesque invasion de la Grenade. Et une défaite est tout de même une victoire, dans La chute du faucon noir, se déroulant durant le désastre de Somalie, et se terminant avec des scènes de guerriers fatigués mais qui ont fait de bonnes actions. Argo, qu’on peut considérer comme du porno guerrier honoraire, réduit la débâcle de l’ingérence des USA en Iran à une opération de récupération d’otages à succès. De nos jours, il suffit, pour transformer une défaite en victoire, de se rapprocher suffisamment pour ne pas voir la défaite. Dans American Sniper, l’occupation désastreuse de l’Irak est reléguée au second plan, afin de permettre à Kyle d’aligner un plus grand nombre d’Irakiens dans son viseur. Dans Du sang et des larmes, une petite victoire américaine est extirpée du bourbier d’Afghanistan lorsqu’un Afghan sauve la vie d’un membre des forces spéciales US avant de retourner à sa vie sous la menace des drones.
Pour résumer: des hommes braves, courageux et dévoués, des épouses stoïques attendant à la maison, de nobles guerriers blessés, des causes justes, et la nécessité de sauver des vies américaines. Et contre eux, l’ennemi est une équipe de sauvage formant des cibles faciles et méritant la mort. Tout le reste n’est que musique, narration, effets spéciaux. Les pornos guerriers, tout comme leurs cousins remplis de sexe, sont en fait tous le même film.
Une illusion qui peut changer la réalité
Mais il ne s’agit que de fiction, n’est-ce pas? Votre film d’action préféré n’a pas prétention à être un documentaire. Nous savons tous qu’un Américain ne peut pas abattre cinquante méchants et s’en sortir sans une égratignure, tout comme nous savons qu’il ne peut pas coucher avec cinquante partenaires sans attraper une maladie vénérienne. Ce n’est que de la distraction. Alors, quel est le problème?
Eh bien, que retenez-vous, vous, ou le jeune typique de 18 ans qui réfléchit à s’engager, de la réalité de la guerre lorsque vous allez au cinéma? Ne sous-estimez pas la facilité avec laquelle de tels films peuvent aider à créer une perception générale de la guerre et de ceux qui la mènent. Ces images clinquantes, mises à jour et réutilisées de façon si répétitive pendant des décennies, aident à créer un semblant de compréhension commune de ce qu’il se passe là-bas, et notamment parce que ce qui nous est montré est ce que la plupart d’entre nous veulent croire.
Aucune forme de porno ne traite de la réalité, bien sûr, mais cela ne veut pas dire que le porno ne peut pas créer sa propre réalité. Les films de guerre ont la capacité de ramener au pays une illusion glorieuse de l’Amérique en guerre, même si ces films peuvent sembler sinistres et rudes au premier abord. Le porno guerrier peut donner à un jeune homme l’envie de mourir avant 20 ans. Vous pouvez me faire confiance à ce sujet : en tant que diplomate en Irak, j’ai rencontré beaucoup de jeunes personnes en uniforme dont c’était le cas. De tels films rendent également la tâche des politiciens plus facile, lorsqu’ils doivent entraîner l’opinion publique au soutien à chaque conflit qui se présente, alors même que des fils et des filles rentrent au pays morts ou détruits, et malgré le record presque absolu d’échecs géopolitiques qu’a expérimenté notre pays depuis le 11 septembre 2001. Détail amusant: American Sniper a obtenu l’Academy Award du meilleur film, au moment même où Washington est retourné en Irak pour un nouveau conflit dont vous auriez cru qu’il serait peu populaire.
Apprendre des exceptions
Vous pouvez voir un grand nombre de porno guerriers et vous arrêter pensant en avoir fait le tour, alors qu’il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg. Mais, au final, vous devriez tenter de plonger en eaux profondes afin de découvrir les exceptions, car il n’y a que là que vous pourrez vous confronter à l’horrible réalité.
Il y a en effet quelques exceptions au porno guerrier, mais ne vous y trompez pas; l’échelle est importante. Combien de personnes ont vu American sniper, Démineurs ou Zero Dark Thirty ? En comparaison, combien ont vu le film antimilitariste sur la guerre d’Irak Battle for Haditha, un récit profondément dérangeant, inspiré événements réels, ceux du massacre par des soldats américains d’hommes, de femmes et d’enfants innocents, suite à l’explosion d’une bombe sur une route?
Le tempo est également important, lorsqu’on se penche sur les quelques exceptions. Les bérets verts de John Wayne, un film favorable à la guerre du Viêtnam, est sorti en 1968, alors que ce conflit atteignait des records en pertes humaines, et alors que la grogne grandissait aux USA (Les bérets verts obtient un prix bonus, car il nous montre un Wayne cynique persuadant un journaliste de gauche de revoir ses opinions négatives sur la guerre). Platoon, avec son message de gâchis et d’absurdité, a dû attendre 1986, plus d’une décade après la fin de la guerre.
En termes de propagande, appelez cela le contrôle de la narrative. Une version des événements domine toutes les autres et crée une réalité que les autres versions peinent à réfuter. Les exceptions révèlent cependant beaucoup de ce que nous ignorons de la vraie nature des guerres américaines. Ces exceptions nous sont difficiles à supporter, mais elles le sont aussi pour les recruteurs militaires, les parents envoyant un enfant à la guerre et les politiciens cherchant à obtenir le soutien du public pour la prochaine croisade.
La guerre n’est pas un divertissement de deux heures et douze minutes. L’état de guerre est ce qui arrive lorsque les règles s’effondrent, lorsque la peur remplace la raison. Alors, rien ne peut arriver de trop terrible. Le vrai secret de la guerre, pour ceux qui en vivent l’expérience, n’est pas de savoir au fond de soi que les gens peuvent être hideux et horribles, c’est le fait de savoir que nous aussi, nous pouvons être hideux et horribles. Vous ne verrez pas cela souvent sur le grand écran.
La longue arnaque
Bien sûr, beaucoup de ce que je viens de décrire n’a rien de nouveau. Les Romains avaient sans aucun doute leur version du porno guerrier, qui impliquait de considérer les Gaulois comme des sous-hommes*. Cependant, dans l’Amérique du vingt-et-unième siècle, alors que les guerres ne sont pas déclarées et que Washington est de plus en plus dépendant de sa nouvelle légion étrangère, le besoin de garder le public suspicieux et craintif envers nos ennemis est peut-être plus pressant que jamais.
Pour finir, voici une devinette : si le message de base de la propagande du gouvernement des USA durant la Seconde Guerre mondiale est pratiquement le même que les accusations émises aujourd’hui envers l’État islamique, et si les films hollywoodiens, étant eux-mêmes une forme particulièrement élaborée de propagande, ont promu les mêmes notions erronées sur les conflits américains depuis 1941 jusqu’à nos jours, qu’est-ce que cela nous révèle? Est-ce que nos divers ennemis à travers près de trois-quarts de siècle de conflit sont toujours incroyablement identiques, ou bien, est-ce que lorsque les USA ont besoin d’un méchant, ils utilisent toujours le même script?
Peter Van Buren
Note du Saker Francophone
*Contrairement à ce qui dit ici l’auteur, la notion suprématiste de sous-homme est une invention moderne de l’Occident née à la fin du XIXe siècle notamment sous l’influence de Gobineau qui a tenté, non sans succès, d’en faire un concept scientifique.
Traduit par Etienne, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone