Par Andrew Korybko – Le 12 mai 2017 – Source Oriental Review
En approchant de la fin de cette recherche sur la guerre hybride en Afrique, la série va maintenant prendre en compte les vulnérabilités stratégiques inhérentes au Niger, un pays qui est particulièrement important pour ses réserves d’uranium, sa position géographique juste au nord du Nigeria et la récente concurrence franco-chinoise qui y fait rage. Ces trois facteurs se combinent de manière à rendre ce pays enclavé et atrocement appauvri, beaucoup plus important que le lecteur ignorant pourrait le penser, expliquant ainsi largement la raison pour laquelle il est inclus dans cette étude continentale. La recherche commencera par mettre en évidence certaines des caractéristiques les plus pertinentes du Niger, afin d’introduire de manière exhaustive le pays auprès du lecteur. Par la suite, il examinera les secteurs d’intérêt français et chinois, avant d’approfondir les différentes menaces asymétriques qui pèsent sur la stabilité du Niger. Une fois cela fait, la dernière partie de la recherche parlera de l’importance des coups d’États dans la courte histoire du pays et prévoira pourquoi il est plus que probable que cela restera un événement récurrent dans les décennies à venir.
Niger: Au milieu de nulle part ou importance inconnue?
Géographie
La plupart des gens qui ont une familiarité, même superficielle, avec le Niger pourraient penser a priori ce pays comme rien de plus qu’un vaste désert sans valeur stratégique. Des individus aussi superficiels et sans éducation se tromperaient lourdement, et d’autres avec, en ne prenant pas le temps de connaître ce pays et d’apprécier sa signification stratégique. Il est vrai que le Sahara occupe la grande majorité de son territoire et qu’une grande partie du Niger est peu habitable, si même il est peuplé. De plus, il est aussi vrai de dire que c’est un pays immense, parce que sa superficie totale est presque égale à celle de la France, de l’Allemagne et de la Pologne réunies (le triangle de Weimar).
Démographie
Si des recherches astucieuses creusent un peu plus profondément, elles découvriront que ce pays de 17 millions de personnes est celui qui connaît la croissance la plus rapide dans le monde en ce qui concerne sa population. Le rapport 2015 des perspectives sur la population mondiale de l’ONU prédit qu’elle atteindra 72 millions de personnes d’ici le milieu du siècle, puis 209 millions d’ici à 2100. Jusqu’à présent, cette croissance devrait avoir lieu le long de la frontière sud densément peuplée du Niger et parmi des personnes qui dépendent déjà de l’agriculture et de l’aide étrangère pour survivre. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles le Niger est l’un des pays les plus pauvres du monde aujourd’hui, et il est malheureusement prévu qu’il le reste dans le futur, à moins que quelque chose ne change fondamentalement pour résoudre ce problème.
Énergie
Même si le Niger a de grandes réserves d’uranium et a récemment commencé à développer son secteur pétrolier, il semble peu probable que l’une de ces deux ressources soit utilisée de manière responsable par les autorités (qui sont sous l’influence dominatrice de l’armée) pour améliorer la situation de la population. Même la construction possible du gazoduc trans-saharien à travers le Nigeria, le Niger et l’Algérie en route vers l’Espagne et le reste de l’UE ne devrait vraisemblablement pas être utile à grand chose, en raison de la structure oligarchique et corrompue de l’élite dirigeante. En outre, ce projet pourrait ne jamais voir le jour, parce que la diffusion à grande échelle de la technologie GNL [Gaz Naturel Liquéfié, NdT] rend rapidement le transport maritime de cette ressource assez – sinon plus – concurrentiel que les routes terrestres dans certains cas, comme par exemple dans le cas mentionné ci-dessus.
Militaire
Outre l’attrait pour les grandes puissances des ressources énergétiques du Niger, le pays est également un point focal des concurrences, principalement en raison de sa position stratégique. Dans le sens des aiguilles d’une montre, le Niger côtoie l’Algérie, la Libye, le Tchad, le Nigeria, le Bénin, le Burkina Faso et le Mali, et il est également très proche du Cameroun, grâce à l’espace régional qu’il partage autour du bassin du lac Tchad. Étant situé au cœur du Sahara, les forces étrangères peuvent opérer facilement dans la région frontalière autour des différents États et donc dans la plus grande partie de la largeur et de la profondeur de l’Afrique du Nord-Ouest.
C’est pourquoi la France a des troupes dans le pays, dans le cadre de l’Opération Barkhane (et avant cela, simplement pour protéger ses mines d’uranium). Les États-Unis utilisent eux des bases de drones dans la capitale, Niamey, et dans la ville saharienne d’Agadez, et ont envoyé des forces spéciales dans la ville frontalière de Diffa, menacée par Boko Haram. On dit qu’ils auraient des droits d’accès dans l’aérodrome de la deuxième plus grande ville du pays, Zinder. Il n’est donc pas difficile de voir pourquoi le Niger est devenu le nouveau pôle pour les opérations spéciales des États-Unis en Afrique du Nord-Ouest et par une inférence raisonnable comme allié via l’OTAN, on comprend que l’armée française exploite également le pays à des fins similaires.
Résumé
Bien que le Niger puisse être proverbialement situé « au milieu de nulle part », il a certainement une signification négligée par la plupart des observateurs jusqu’ici. Les statistiques démographiques du pays, en particulier son extrême pauvreté et ses taux de natalité explosifs, montrent des risques surprenants pour sa stabilité à long terme et manifestent les signes indubitables et effrayants d’une crise humanitaire imminente. Mais les enjeux énergétiques de la France dans le pays, combinées aux intérêts militaires géostratégiques américains, garantissent que l’Occident jouera un rôle certain, chaque fois que cela se produira. Les perspectives de conflit intérieur au Niger sont inquiétantes, mais avant d’entrer dans les détails de ce que cela implique, il est important d’examiner plus en profondeur l’implication de la France et de la Chine dans le pays, afin d’avoir une idée de la manière dont ses deux plus grands partenaires économiques pourraient être affectés par toute violence à venir là-bas.
La Nouvelle Guerre froide frappe le Niger
La plupart des analystes conviennent que la Chine et l’Occident rivalisent farouchement en Afrique, pour les marchés et les ressources. Le Niger, géographiquement « forgé par les dieux », n’est pas différent du reste de ses pairs continentaux. Les États-Unis ont élargi leur empreinte militaire à travers l’Afrique et, bien que ce soit la force la plus militairement dominante au Niger, elle manque de l’héritage de contacts institutionnels et économiques d’influence dont jouit la France, et dont la plupart reposent sur le besoin pressant de soutenir la sécurité de son commerce vital d’uranium.
L’auteur l’a brièvement abordé dans un article de 2014 qui a été publié sur RT, et le lecteur est invité à s’y référer pour voir comment les États-Unis pourraient un jour tirer parti de leur influence militaire au Niger, afin de faire pression sur la France. Ce ne sera cependant plus développé dans le texte actuel, et la suite de cette section étudiera les spécificités de la participation stratégique franco-chinoise au Niger, afin d’acquérir une compréhension plus profonde de l’interaction des plans à long terme de chaque acteur concurrent dans le pays.
France
Comme cela a été décrit dans la section précédente, l’accent militaro-économique de la France sur le Niger est principalement dû au commerce d’uranium que sa société d’État Areva pratique avec le pays. Pour donner au lecteur une idée de l’importance des chiffres du Niger dans l’équation énergétique de la France, il suffit de mentionner que l’ancienne puissance impériale tire environ 75% de son électricité à partir de l’énergie nucléaire, l’uranium nigérien en représentant 40%. Cela permet au pays saharien de représenter environ un tiers du total des besoins énergétiques de la France, ce qui témoigne de la raison pour laquelle Paris a déployé des troupes dans ses deux mines à Arlit et sur celle non ouverte à Imouraren, afin de protéger ses atouts stratégiques des attaques salafistes punitives de 2013. Cette décision a été prise dans le cadre de la campagne militaire de la France au Mali voisin, bien que cette opération n’ait pas empêché Arlit et la ville de transit irremplaçable d’Agadez d’être frappée en mai de cette année-là.
Afin de développer un peu plus autour de la pertinence d’Agadez pour la sécurité énergétique de la France, l’uranium extrait des mines d’Arlit doit traverser cette ville par la route vers la ville côtière béninoise de Cotonou, qui est la plus grande ville du pays, et l’emplacement de son seul port maritime et aéroport international. Il est clair que la France veut éviter à tout prix toute sorte de dépendance stratégique de transit par rapport à l’Algérie. Elle préfère se baser sur la voie géographiquement indirecte par route, grâce à un Bénin beaucoup plus facilement impressionnable, avant d’envoyer la précieuse ressource par bateau vers sa destination. En outre, on peut déduire logiquement que le convoi d’uranium est gardé par des troupes françaises ou des équipes privées de sécurité, et alors que l’Algérie serait absolument opposée à ces unités militaires en transit sur son territoire, le Bénin n’a probablement pas de pareilles requêtes. Dans une note connexe, on parle d’améliorer l’efficacité de cette voie jusqu’à présent uniquement routière vers l’Atlantique, en profitant des plans de chemin de fer régionaux qui visent à construire un corridor de fer à travers le Burkina Faso, le Togo, la Côte d’Ivoire et, surtout, très important pour la France, de Niamey au Niger à Cotonou au Bénin.
Cependant, le psychodrame juridique de l’entreprise Bolloré a bloqué l’initiative et a amené le Niger à détourner sa route côtière à travers le Burkina Faso et le Togo, ce qui pourrait présenter à l’avenir une voie alternative et / ou complémentaire pour les exportations d’uranium d’Areva. Pour l’instant, la route Niger-Bénin a la préférence de l’entreprise, mais cette nécessité de transit implique aussi les problèmes de sécurité énergétique de la France à travers ce voisin au Sud du Niger. Le Bénin est un pays assez stable, mais il a eu des histoires susceptibles de l’ébranler par des divisions ethno-régionales entre ses tribus musulmanes du nord, les descendants du sud-ouest de l’ancien et très fier Royaume du Dahomey, et les Yorubas du sud-est qui s’étendent également au Nigeria voisin et constituent l’un des principaux groupes ethniques. En conséquence, bien que la France n’ait pas directement de présence militaire sur le terrain dans ce petit pays, la situation pourrait l’obliger un jour à avoir ou à mettre en scène une intervention néo-impérialiste de type Françafrique, en violation de la volonté du pouvoir local, si le Bénin devait glisser vers un chaos intérieur perturbant la viabilité des routes d’exportation d’uranium de la France sur son territoire.
Chine
L’approche de Pékin au Niger est légèrement différente de celle de Paris, bien que compréhensible, compte tenu du fait que la Chine est de loin le « dernier arrivant » dans ce pays et a donc eu beaucoup moins de temps pour y exercer une influence. Cela noté, la Chine a réussi à gagner une influence impressionnante à l’intérieur du pays, en se concentrant principalement sur l’extraction des ressources en pétrole et en uranium. Contrairement à la France qui est beaucoup plus impliquée dans cette industrie, la Chine a seulement accès à une mine d’uranium dans la ville d’Azelik. Business Insider a fait un commentaire sur cet investissement, bien qu’il soit typiquement biaisé, il reste intéressant pour le lecteur. Le point principal que la publication tente de pousser est que les habitants sont apparemment vent debout contre les Chinois. La raison à laquelle cet article tente de faire allusion, c’est l’évitement stéréotypé de la Chine en termes de droits de l’homme et du travail, bien que cette sorte d’angle d’attaque en dise plus sur l’ordre du jour de ce média pro-occidental que sur celui de la Chine. On sait depuis longtemps que l’Occident utilise cette attaque rhétorique pour délégitimer les investissements chinois et pré-conditionner les masses à accepter la possibilité de troubles sur les lieux de travail et d’activités de militants qui pourraient être stratégiquement armés par les États-Unis, contre les projets de Pékin, et prendre la forme d’une guerre hybride contre la Chine. L’empiétement concurrentiel de la Chine sur la précieuse industrie de l’uranium de la France au Niger est probablement la raison pour laquelle l’Occident est si proverbialement énervé et veut littéralement que ses proxys locaux le deviennent aussi un jour.
Le complément à l’investissement dans le secteur de l’uranium de la Chine est son incursion dans l’industrie pétrolière, et cela a également été très controversé. Un conflit entre la Chine et le Niger l’automne dernier a conduit à l’arrêt temporaire de la raffinerie de pétrole de Pékin à Soraz, une petite ville près de la deuxième plus grande ville de Zinder, dans la partie centre-sud du pays. Comme expliqué dans le lien ci-dessus, en passant également par Business Insider, cette installation est située à une certaine distance des réserves de pétrole voisines du lac Tchad, que la Chine a la permission d’exploiter. Cela peut aussi être dû à des raisons politiques internes au Niger et attribuable à son gouvernement, voulant faire illusion pour que plus de ses citoyens bénéficient de cet investissement grâce à l’emploi visible des habitants de l’une des principales villes du pays. À l’avenir, la Chine espère étendre ses exportations de pétrole dans le pays, en construisant un pipeline à travers le Tchad, qui le relierait alors à celui déjà construit par Exxon en 2003 et qui, désormais, livrera l’or noir du Niger à la ville portuaire camerounaise de Kribi. En raison de la dépendance du transit avec le Tchad et surtout le Cameroun, on peut soutenir que la Chine cherche à intégrer le Niger dans sa Route de la Soie CTS. L’utilisation de ce pipeline semble être un test avant d’élargir le couloir prévu pour y inclure des produits commerciaux.
Peser les différences
France
En évaluant la France et les grandes stratégies de la Chine au Niger, il est facile de voir que chaque grande puissance a des approches similaires, mais fondamentalement différentes. Les Français dépendent de leur armée et de celle de leur allié américain pour assurer les itinéraires d’exportation du précieux uranium vers Paris. L’ancien maître colonial ne semble pas avoir d’intérêt plus important dans le pays, au delà de l’uranium. On peut argumenter de manière rhétorique que la France ne veut pas que le Niger devienne jamais un havre terroriste (cf. Opération Barkhane), mais ce n’est que cyniquement pour empêcher toute attaque terroriste contre les intérêts français, qu’il s’agisse du commerce de l’uranium ou sur son sol en Europe. Les groupes terroristes / rebelles anti-gouvernementaux qui ne sont pas liés à un mouvement islamique et ne sont donc pas considérés comme présentant une menace significative pour les intérêts français, pourraient effectivement être très utiles à Paris un jour, car ils pourraient exercer une pression sur Niamey s’il se rapprochait trop près de Pékin.
Tout ce que la France aurait à faire dans un tel cas, serait de tolérer l’existence de tels groupes et veiller à ce que l’opération Barkhane n’interfère pas avec leurs activités, ou au contraire contribue d’une manière ou d’une autre à créer et / ou à favoriser ces mouvements pour qu’ils prennent forme. Cette politique machiavélique pourrait un jour devenir l’application standard de la Françafrique dans l’espace de l’Opération Barkhane, la France ordonnant à ses troupes dans le pays d’intervenir sélectivement contre ces groupes, dans le cas où elle les trouverait stratégiquement ou politiquement utiles. Dans le contexte nigérien, la France a intérêt à prouver sa « bienveillance » post-impériale envers ses hôtes et pourrait donc aider les militaires du pays saharien à mener des tâches d’importance commune, comme fournir un soutien logistique, technique et de renseignement pour les opérations contre Boko Haram, les rebelles touaregs et / ou al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Paris veut essentiellement faire ce que Pékin ne peut pas faire, ce qui renforcerait son importance pour Niamey et rendrait le gouvernement / l’armée moins disposée à prendre des décisions susceptibles de mettre en danger les intérêts vitaux de l’uranium français (par exemple, permettre à la Chine d’être mieux implantée dans cette industrie).
Chine
La façon dont la Chine traite avec le Niger est tout à fait différente de celle de la France, même si elle partage en principe la même base énergétique que son rival européen. La pierre angulaire de la participation chinoise au Niger est l’intérêt de Pékin pour les industries de l’uranium et du pétrole, mais c’est là où les motifs de la Chine divergent nettement de ceux de la France. Au lieu de comploter pour utiliser ses investissements en énergie comme un atout pour inviter à un racket de « protection » militaire dans le pays, la Chine cherche à élargir ses itinéraires d’exportation d’énergie planifiés à travers le Tchad et le Cameroun pour inclure une composante commerciale réelle, qui promet de transformer fondamentalement les perspectives de développement du Niger. Certes, il serait trop optimiste de supposer qu’une telle route sera jamais entièrement créée, et encore moins assurée d’une protection sûre contre toutes les perturbations de la guerre hybride qui seront décrites dans la section suivante. Cependant le concept de stabilité et de croissance par le biais des routes commerciales soutenues par la Chine est une idée puissante qui a déjà beaucoup d’analogues dans tout le continent. Elle s’est donc diffusée dans l’imagination de certains citoyens nigériens – et surtout, de leurs décideurs politiques et militaires – si Pékin décide un jour de dévoiler une nouvelle stratégie de Route de la Soie pour le pays.
En pratique, la Chine pourrait investir dans les routes, les chemins de fer et d’autres infrastructures facilitant les échanges le long de la bande sud du Niger densément peuplée, afin d’étendre la Route de la Soie de l’énergie CTS de la ville du centre-sud de Zinder à travers la périphérie inférieure du pays et ainsi relier Niamey à Douala (le terminal de la Route de la Soie de la CTS). S’il était combiné avec le système prévu de chemin de fer de l’Afrique de l’Ouest à travers le Niger, le Bénin, le Burkina Faso, le Togo et la Côte d’Ivoire, il serait intéressant de créer un réseau d’infrastructures de transport autour du Nigeria qui combinerait, en terme d’infrastructure, l’espace trans-régional ouest-central africain composé des anciennes colonies françaises. En outre, l’interconnexion d’un chemin entre le Soudan et le Tchad (deux des trois États de transit sur la Route de la Soie CTS) avec un autre au Burkina Faso, et au-delà vers le reste des pays d’Afrique de l’Ouest (comme le propose le projet de ligne de chemin de fer de l’Afrique de l’Ouest) par le Niger, permettrait de mettre en place un corridor transcontinental commercial sahelo-saharien de l’océan Atlantique aux côtes de la mer Rouge. Le plan directeur est celui des autoroutes transafricaines 5 et 6, à part que le Nigeria serait contourné jusqu’à ce qu’il se stabilise suffisamment pour être intégré de manière responsable dans ce réseau et que la partie soudanaise se termine à Port-Soudan au lieu de continuer à travers l’Éthiopie vers Djibouti (mais cette dernière route devrait éventuellement être utilisée un jour).
Compétition France-Chine
Les observateurs ne doivent pas sous-estimer les conséquences considérables que la Route de la Soie sahelo-saharienne du Sénégal à Port-Soudan aurait pour transformer radicalement la géopolitique de ce vaste espace, raison pour laquelle la France s’en préoccupe avec hésitation, alors que la Chine est très enthousiaste. Cependant, les défis sont multiples et incluent non seulement les risques perturbateurs de la guerre hybride, mais des questions plus banales telles que la bureaucratie et le manque de volonté politique et économique de la part des États de transit (comme le problème avec le Tchad en ce moment, en lien avec la Route de la Soie CTS). Ces obstacles jouent en faveur de la France pour renforcer sa présence militaire transnationale tout au long de cette route sous l’égide de l’Opération Barkhane. Mais si la Chine devait réussir à franchir ces obstacles et faire des progrès significatifs sur ce projet, cela engendrerait certainement une sorte de réponse française asymétrique, très probablement sous la forme d’une guerre hybride ou d’une prise de contrôle via un coup d’État, ou par des rebelles soutenus par Paris dans l’un ou l’autre des États de transit.
L’importance que cela représente pour le Niger est primordiale, car si la dynamique régionale se déplaçait de manière à favoriser la perception que la vision sahelo-saharienne de la Route de la Soie chinoise pourrait être vraiment terminée (par exemple, si des progrès tangibles étaient réalisés le long des deux vecteurs de l’est et de l’ouest), les chefs militaires / faiseurs de rois du Niger pourraient décider que l’avenir de leur pays est entre les mains de la Chine et non de la France. Si un tel changement de perspective restait uniquement au niveau de l’attitude et n’avait pas de manifestations concrètes, il ne constituerait pas un défi pour l’hégémonie actuelle de la France dans le pays, et n’empêcherait pas Paris de conserver indéfiniment une épée de Damoclès de contrôle perturbateur et d’influence sur cette route (par exemple guerres hybrides, coups d’État, etc.). Si le Niger entreprenait des démarches qui effraient la France, comme la réduction de sa coopération militaire et sa présence dans le pays et / ou la participation de la Chine dans le secteur de l’uranium, cela pourrait entraîner une aggravation soudaine de la concurrence franco-chinoise dans cet État saharien stratégiquement positionné.
Les rebelles, les insurgés et les terroristes
Toutes les menaces de la Guerre hybride du Niger tournent autour de quelques groupes armés, avec cinq acteurs distincts décrits dans cette section. Ils peuvent être classés en catégories – réelles ou latentes, et frontalières ou intérieures – bien que la distinction à l’intérieur et à cheval de chacune de ces classifications puisse rapidement devenir floue. En effet, différents scénarios peuvent passer d’actifs à passifs ou devenir géographiquement concentrés vers une menace globale grandissante, ou vice-versa. En commençant par les menaces les plus pertinentes et en allant vers celles qui sont encore latentes, l’éventail de risques de guerres hybrides du Niger ressemble à ceci.
Boko Haram
C’est un fait que Boko Haram serait la plus pressante de toutes les menaces du Niger, après avoir vu comment l’organisation terroriste transfrontalière a directement visé le pays lui-même à plusieurs reprises. Le Niger participe activement à la coalition anti-Boko Haram dirigée par le Tchad et a même demandé que son voisin saharien déploie 2000 soldats dans le pays. Niamey craint que Boko Haram ne se transforme un jour en une menace existentielle pour le Niger en raison de la convergence de plusieurs facteurs, à savoir que le groupe terroriste est déjà actif dans les territoires limitrophes du Nigeria, que la frontière Niger-Nigeria est très poreuse et que les militants pourraient soudainement causer beaucoup de dégâts et de panique dans le pays, en frappant n’importe où dans la bande frontalière sud densément peuplée. En outre, certains analystes croient que le groupe cible aujourd’hui plus fréquemment le Niger, après avoir subi une lourde défaite début septembre, qui a affaibli sa position autrefois dominante dans le nord-est du Nigeria, l’État de Borno.
Sous la menace toujours croissante des terroristes, le meilleur pari du Niger est d’établir un degré de profondeur stratégique avec son allié tchadien, dans la recherche d’un espace tampon le long de la frontière nigériane partagée. C’est bien sûr plus facile à dire qu’à faire et cela exige un degré élevé de coordination multilatérale et de confiance entre tous les côtés, même si ces deux éléments manquent et si le Nigeria est particulièrement sensible aux opérations de troupes étrangères menées sur son sol, peu importe si cela se fait » pour le bien collectif » et aussi parce que l’armée du Nigeria, corrompue depuis des décennies, est incapable et / ou ne veut pas libérer le territoire elle-même. Si tous les pays de la coalition anti-Boko Haram réussissaient à isoler les terroristes et à sécuriser la région frontalière, cela ne ferait que les défendre contre le danger expansionniste conventionnel que pose cette organisation en raison de son importance. Même si Boko Haram n’avait plus la capacité d’organiser des raids transfrontaliers et de s’emparer d’un territoire périphérique faiblement gouverné dans le bassin du lac Tchad, cela ne devrait pas être considéré comme significatif, car ses cellules dormantes dans toute la région peuvent fonctionner comme des bombes à retardement en donnant au groupe un « second souffle » dans le futur.
C’est là que réside le problème, entre la croissance exponentielle de la population du Niger et sa vulnérabilité au terrorisme, car le gouvernement sera incapable de fournir des ressources à tous ses citoyens à l’avenir et beaucoup d’entre eux pourraient être attirés par la propagande terroriste. En fait, il pourrait même s’avérer que le « second souffle » de Boko Haram commence au Niger, une fois que la situation démographique sera hors de contrôle (quel que soit le temps que cela puisse prendre) et qu’il se répète inversement sur la frontière nigériane, dans une ironie du destin. Après un certain temps, il pourrait être judicieux de considérer le Niger et le nord du Nigeria comme un espace stratégique unique, une fois que la population du premier arrive à rivaliser avec celle du second et que les problèmes transfrontaliers continuent entre eux. Alors que l’amalgame du Sud du Niger et du Nord du Nigeria en un théâtre de planification unifié pourrait théoriquement conduire à des résultats positifs pour le développement et d’autres considérations humanitaires, il n’est pas prévisible que les décideurs de chaque côté de la frontière le verront de cette façon, sauf lorsqu’ils seront pressés de le faire avec des problèmes de sécurité urgents, comme celui que nous venons de décrire, le plus probable. Il serait plus judicieux que l’initiative chinoise sahelo-saharienne de Route de la Soie puisse jouer un rôle proactif pour franchir positivement la frontière entre ces deux régions afin de prévenir ce problème. Il pourrait cependant se révéler que le scénario perturbateur décrit ci-dessus dépasse réellement le scénario d’intégration proposé par la Chine.
Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI)
Le long d’une veine connexe à Boko Haram, la même explosion démographique imminente qui menace de provoquer une poussée de soutien de la part de cellules dormantes locales de terroristes basés au Nigeria pourrait également conduire à un résultat équivalent pour AQMI. Cette organisation est beaucoup plus dans l’ombre et n’a jusqu’à présent pas revendiqué de territoire comme Boko Haram, sauf lorsque AQMI et son affilié Ansar Dine ont détourné le projet « Azawad » mené par les Touareg dans le Mali voisin de 2012-2013. Cet exemple pourrait même être considéré comme le prélude à une poussée semblable de Daech dans le désert le long de la frontière syro-irakienne, même s’il serait dans ce cas beaucoup plus pertinent d’étiqueter l’Union des tribunaux islamiques proto-Al Shabaab en Somalie comme parrain ultime de cette tendance, pour son expansionnisme territorial incontrôlable en 2006. De toute façon, l’importance de rappeler ces exemples est d’illustrer comment un groupe terroriste mystérieux, actuellement inactif au sens territorial et administratif, pourrait rapidement passer à ce modèle si les circonstances intérieures, internationales et géographiques sont favorables. Il faut se souvenir des leçons stratégiques introduites dans les deux chapitres précédents, concernant le Cameroun et le Tchad, dans lesquelles il a été précisé que des espaces géographiques facilement traversables, tels que l’espace sahelo-saharien autour du bassin du lac Tchad, risquent beaucoup plus fortement d’être soumis à un expansionnisme soudain de terroristes que leurs homologues comparativement impassibles des jungles.
Une différence essentielle entre Boko Haram et AQMI, au moins jusqu’à présent, est que le premier ne lance généralement que des attaques dans ou près des zones qu’il espère un jour contrôler, en s’abstenant de menacer les autres parties plus éloignées du Cameroun, du Tchad, du Niger et du Nigéria. AQMI, cependant, ne s’impose apparemment pas de contraintes, car la franchise d’al-Qaïda, dont elle fait officiellement partie, a une histoire de meurtres de personnes partout dans le monde et frappe des objectifs qu’elle choisit apparemment de manière aléatoire. Bien qu’il soit difficile de le quantifier avec précision, on peut supposer en toute sécurité que AQMI a une portée opérationnelle plus large que Boko Haram en raison de son réseau mondial, probablement de meilleures finances et plus de conspirateurs « qualifiés », ainsi qu’un théâtre d’activité géographique sans contrainte. Par conséquent, alors que Boko Haram pourrait, pour le moment, ne menacer que l’espace central du Niger méridional, AQMI pourrait plus facilement frapper de façon imprévisible ici et là, partout dans le pays, que ce soit près de la capitale ou dans le désert au Nord à majorité touareg. Si AQMI ne semble pas être une menace majeure pour l’instant, c’est parce qu’il a été en grande partie inactif et totalement éclipsé par les exploits beaucoup plus médiatisés de son concurrent Daech au Moyen-Orient et en Afrique de l’Ouest (avec Boko Haram « formellement » allié du « califat » d’Al-Baghdadi). Les observateurs responsables ne devraient pas négliger son potentiel futur.
Touaregs
L’une des menaces de la guerre hybride évoluant avec le plus de dynamisme au Niger vient de l’ethnie transnationale touareg qui réside principalement dans la région nord d’Agadez. Les Touaregs sont principalement des nomades qui vivent également au Mali, dans le sud de l’Algérie et au sud-ouest de la Libye, même si beaucoup de ceux des deux derniers pays soient des réfugiés poussés là pendant les nombreux conflits civils qui ont éclaté au Niger et au Mali, et même si on ne peut pas dire que ce groupe n’est pas endémique à ces régions. Cependant, la présence des Touaregs en Algérie et en Libye a donné à chacun de ces pays rivaux la possibilité d’intervenir diplomatiquement dans la résolution des crises liées aux Touaregs au Mali et au Niger, afin de mieux se positionner et de concurrencer indirectement ces pays. Ce fut le cas dans le passé, bien qu’il soit extraordinairement improbable que la Libye revienne à une domination diplomatique de cette communauté, comme sous Kadhafi. Cela signifie que l’Algérie continuera probablement de conserver un certain degré d’influence ou un potentiel d’intervention diplomatique sur les Touaregs dans le nord du Mali. Mais on ne sait pas si une force extérieure (en dehors de leurs frères voisins) pourrait exercer une pression sur leurs homologues nigériens et combler le vide laissé par la Libye.
Pour parler davantage des Touaregs eux-mêmes, plusieurs comparaisons importantes peuvent être faites avec les Kurdes et les Baloutches. Les trois groupes sont fiers de leur identité et sont violemment séculiers. Certains membres de leur communauté ont des antécédents de conflits séparatistes qui se sont propagés facilement à travers la frontière. En outre, les Touaregs, les Kurdes et les Baloutches sont « apatrides », dans le sens où ils n’ont pas leur propre État-nation et vivent dans de plus grands ensembles cosmopolites. Un fait politique qui a été exploité de manière récurrente par les démagogues de leurs propres communautés et par les instigateurs étrangers, afin d’inciter à un conflit contre leur État de résidence. La grande différence entre les Touaregs, les Kurdes et les Baloutches, cependant, c’est que les premiers sont beaucoup plus petits en nombre que les deux autres bien qu’ils soient, à l’inverse, répartis sur la plus grande zone des trois. De plus, d’un point de vue géographique et tactique, les Touaregs vivent principalement dans des zones désertiques plates, facilement traversables lors d’offensives de type blitzkrieg, comme celle lancée au Mali en 2012, qui sera bientôt abordée. Certains Touaregs vivent également au Mali et au Niger, dans des régions montagneuses qui fonctionnent comme des « redoutes » militaires et constituent de précieux bastions en période de conflit civil. Ces bastions sont également moins vulnérables aux attaques aériennes, ce qui augmente les enjeux de l’armée nationale qui doit mener des opérations au sol risquées pour les éliminer, ce pour quoi, généralement, ni les forces armées maliennes ni les forces nigériennes n’ont l’estomac.
Les considérations stratégiques et tactiques ci-dessus sont importantes à comprendre, car elles ont été observées de façon évidente lors des quatre conflits régionaux auxquels les Touaregs ont participé de manière prééminente, dont chacun a fini par se répandre à travers la frontière ou a eu le risque élevé de le faire. Les Touaregs se battaient dans chaque cas pour une ou plusieurs des raisons suivantes :
- L’indépendance
- Une large autonomie économique et politique (dévolution)
- La décentralisation
- L’action positive / discrimination positive pour l’inscription dans les institutions de l’État (militaire, gouvernement, etc.)
- Des frustrations générales, violemment exprimées (par exemple, sur le rapatriement des réfugiés, l’amnistie des rebelles, les retards dans la mise en œuvre du cessez-le-feu / de la paix, les railleries, etc.).
Le premier conflit touareg de l’ère moderne était une rébellion de très faible ampleur au Mali entre 1962-1964, qui a été dûment contenue par les autorités. Ce n’est qu’en 1990-1995 qu’un conflit transfrontalier beaucoup plus important a éclaté, à la fois dans ce pays et au Niger. Il a finalement été circonscrit, alors que Niamey a dû recourir à un blocus radical de la région d’Agadez pour y parvenir. Le résultat final fut que les Touaregs étaient censés être intégrés dans les institutions étatiques nigériennes et maliennes, bien que cela ne se produise pas au rythme ni selon la portée que certains Touaregs attendaient. Une autre guerre a finalement éclaté en 2007-2009 dans les deux pays. Cette phase du conflit régional récurrent a été significative pour deux raisons. Tout d’abord, AQMI a commencé à s’en mêler avec des enlèvements et du banditisme, attirant ainsi l’attention internationale sur ce qui n’aurait autrement été qu’un conflit obscur au milieu de nulle part, dans les médias internationaux. Et deuxièmement, les Touaregs ont fondé le groupe rebelle Mouvement pour la Justice au Niger qui a servi de front « inclusif » pour leurs intérêts respectifs, tout comme les Forces démocratiques syriennes pour les Kurdes dans la Syrie d’aujourd’hui.
Ces deux tendances – l’exploitation salafiste des conflits touaregs et la création touareg d’organisations rebelles « inclusives » pour dissimuler leurs objectifs locaux – se sont répétées une fois de plus, lors de la dernière guerre touareg de 2012 au Mali. Pendant ce temps, les Touaregs armés qui vivaient en Libye ont fui leur État protecteur à cause de l’effondrement de la loi, de l’ordre et de la sécurité que l’OTAN a provoqué, emportant leurs armes lourdes avec eux, alors qu’ils retournaient dans leur patrie d’origine au Mali (par le biais du Niger). L’explosion du conflit qui a résulté a conduit à l’établissement de facto d’« Azawad », qui est ce que le groupe rebelle du Mouvement national pour la libération d’Azawad (MNLA) a appelé comme une unité politique contre la France qu’ils avaient créée pour eux-mêmes. Une partie de la raison pour laquelle ils ont réussi à faire cela en quelques mois, c’est leur alliance avec Ansar Dine, une filiale d’AQMI qui a finalement repris l’Azawad à l’été 2012 et l’a transformé en un État terroriste. Cela a provoqué l’opération Serval de la France au début de 2013 et l’intervention en soutien de près de 2 000 troupes terrestres tchadiennes, qui ont traversé le Niger, en route vers le conflit, et ont servi à souligner les relations militaires très étroites entre Niamey et N’Djamena (qui seront renforcées deux ans plus tard par la coalition anti-Boko Haram).
Le résultat de l’intervention franco-tchadienne dans l’Azawad a été que le MNLA s’est joint à la contre-offensive pour expulser les terroristes de leur patrie déclarée, mais avec une concession politique importante, le renoncement à leurs revendications séparatistes. Après que la « fin officielle » du conflit (bien que cela ne soit pas total militairement, comme on le voit encore aujourd’hui), les autorités centrales maliennes ont accordé une autonomie partielle aux Touaregs, mais ce n’était pas assez satisfaisant pour apaiser certains des éléments durs. La situation dans le nord du Mali se détériore au point où il semble qu’une autre insurrection touareg à petite échelle est imminente, mais il est difficile de savoir à quel point elle serait étendue et si elle aurait ou non le potentiel de se répandre à travers la frontière du Niger. Le Niger est resté relativement calme au cours des événements de 2012-2013 au Mali, et les autorités ont fait un travail efficace pour maintenir la paix et empêcher toute « tentative » d’émulation. À l’avenir, cependant, le déploiement de l’Opération anti-terroriste Barkhane dans le pays pourrait être destiné à encourager et / ou à soutenir les « rebelles » dirigés par les Touaregs, comme moyen d’exercer une pression anti-chinoise contre Niamey. La situation doit donc être surveillée en permanence pour détecter tout signe de développement de ce scénario.
« Rebelles » anti-gouvernementaux
Descendant dans l’échelle des menaces de guerre hybride les plus susceptibles d’arriver au Niger, il faut, à un moment donné, discuter du rôle des « rebelles » anti-gouvernementaux, qu’ils soient menés par les Touaregs ou autre. Ces groupes font appel à certains segments de la population sur la base de leur plate-forme redistributive, dans laquelle ils demandent un partage plus équitable des revenus provenant de l’uranium et des ressources pétrolières du pays. Ce terrain populiste pourrait théoriquement devenir très attrayant pour de nombreux Nigériens, espérant vainement échapper à la pauvreté ignominieuse de leur pays. Si leur message est habilement développé et diffusé activement, les rebelles pourraient cristalliser un mécontentement anti-gouvernemental qui pourrait être redirigé pour provoquer une révolution de couleur et / ou une guerre non conventionnelle (guerre hybride). La bande méridionale du Niger risque fortement de tomber sous l’influence des idées rebelles, en raison de la pauvreté et de la croissance démographique hors de contrôle, qui vont de pair avec la promotion des sympathies anti-élites. La recherche a déjà décrit comment cela pourrait jouer au profit des terroristes salafistes, mais les mêmes principes d’appel pourraient également s’appliquer aux insurgés laïques, et on pourrait même voir ces deux acteurs idéologiquement opposés s’affronter à l’avenir, dans le cadre d’une guerre civile impliquant plusieurs participants.
En élargissant cette idée, le Niger a déjà connu une histoire documentée de formations rebelles dirigées par les Touaregs, mentionnées comme étant principalement des organisations ouvertement rhétoriques pour la promotion des intérêts touaregs. En raison de leur expérience sur le champ de bataille au Niger et au Mali, les Touaregs pourraient encore une fois prendre l’initiative de rassembler une organisation anti-gouvernementale armée, même si, cette fois, elle travaillerait aussi réellement pour promouvoir l’agenda du sud du pays, là où vivent les Haoussas. La coordination tactique entre les deux populations frontalières, les Touaregs et les Haoussas, et le renforcement régulier de la confiance entre ces parties aux identités distinctes pourraient être difficiles à mettre en place, mais si on devait l’atteindre, le nouveau groupe rebelle qui serait créé à partir de cette alliance pragmatique pourrait devenir une grave menace pour les autorités. Niamey devrait diviser ses forces militaires entre le nord et le sud, chaque point cardinal nécessitant une stratégie différente pour lutter contre l’insurrection. En effet, les combats contre les rebelles dans les déserts balayés par le vent au Nord, région habitée par les Touaregs, nécessite une approche différente de celle menée contre leurs homologues et alliés potentiels dans la région du Sahel, majoritairement peuplée de Haoussas dans la partie sud du pays. Dans la pratique cependant, le scénario ci-dessus pourrait ne pas être réaliste, car les difficultés techniques, logistiques et autres qui empêchent une alliance anti-gouvernementale touareg-haoussa pourraient être trop fortes à surmonter, ce qui conduit à ce que ce front rebelle inclusif entre ces deux groupes soit principalement nominal et symbolique.
Compte tenu de cela, Niamey pourrait plus facilement diviser chaque composante du front rebelle et les traiter séparément selon ses propres termes, réduisant ainsi le défi physique de contenir cette sorte d’insurrection. L’aspect haoussa de ce scénario sera discuté dans la prochaine sous-section consacrée plus complètement à ce sujet. Par conséquent, pour l’instant, l’analyse se déroulera selon la tangente touareg. Avec l’histoire comme indicateur fiable, les Touaregs joueront plus que probablement un rôle de premier plan, dans le cas où un groupe rebelle nouveau et inclusif serait formé pour lutter contre le gouvernement. Cependant, pour un avantage tant tactique que d’incorporation des militants touaregs dans l’insurrection naissante, cela inciterait également à jouer sur une certaine vulnérabilité stratégique, parce que Niamey pourrait argumenter de manière convaincante que la tentative d’établir un «Azawad nigérien» pourrait aussi être piratée et prise sous contrôle par les extrémistes d’AQMI ou de Boko Haram, tout comme les salafistes ont repris en main leurs homologues maliens il y a plusieurs années. Cet présentation, basée sur la peur, fondée sur des situations concrètes ou une hyperbole historique, serait aussi l’objet d’arrières pensées, quant à l’attrait du soutien français pour les opérations anti-insurrectionnelles du gouvernement, obligeant ainsi Paris à participer activement ou passivement au conflit. D’un côté, la France pourrait rester en marge, comme elle l’a fait officiellement au cours de toutes les précédentes insurrections impliquant les Touaregs du Niger, même si elle décide discrètement de soutenir les rebelles ou le gouvernement. De l’autre côté, cependant, la France pourrait être plus interventionniste et encourager avec enthousiasme l’une ou l’autre des parties, que ce soit par des opérations anti-rebelles conjointes avec Niamey ou par un soutien ouvert aux insurgés.
En fin de compte, l’attitude de la France à l’égard de tout mouvement rebelle dirigé par les Touaregs sera conditionnée par l’état des relations entre Paris et Niamey et si l’ancien maître colonial perçoit que sa politique françafricaine est sous la menace de la Chine et des liens de Pékin avec Niamey. Si la France se sent confiante dans sa position, alors elle ne sera certainement pas intéressée à déstabiliser le Niger et pourrait, au contraire, s’impliquer activement dans l’arrêt de tout conflit naissant avant qu’il n’échappe à son contrôle. Mais, si les Chinois sont perçus comme faisant souffler des vents contraires au Niger, mécontentant Paris en général, ou si Paris devait avoir des raisons (spéculatives) de craindre que ses investissements en uranium ne soient affectés négativement (peut-être par des craintes qu’un Niger pro-chinois puisse jouer le jeu de l’uranium avec la France comme l’a fait une Ukraine pro-occidentale avec le gaz russe), Paris pourrait redéfinir secrètement la mission de l’Opération Barkhane dans le pays en provoquant des insurrections anti-gouvernementales, du moins en ne s’y opposant pas. Comme l’habitude générale de ces interventions aussi dissimulées nous le montre, la France pourrait par inadvertance avancer les conditions de l’effondrement total du Niger, associé aux menaces d’AQMI et de Boko Haram déjà existantes. Le tout pourrait transformer le pays traditionnellement laïque en un foyer de terreur salafiste, tout comme la Syrie l’est devenue, avec des conséquences similaires sur le plan régional, face au Nigeria cette fois au lieu de l’Irak et de la Turquie.
Haoussa
Enfin, les Haoussas du sud du Niger constituent la plus grande population démographique du pays, tout en étant la cause la plus improbable de toute future guerre hybride potentielle. Mais leur implication généralisée dans toute agitation pourrait avoir l’impact le plus puissant et immédiat sur l’un des scénarios susmentionnés. Cela s’explique non seulement par cette donnée numérique et leur concentration dans la ceinture sud du pays, fortement appauvrie et en croissance démographique exponentielle, mais aussi en raison de l’identité transnationale haoussa et de sa forte présence dans le nord du Nigeria. En fait, il y a près de six fois plus de haoussas au nord du Nigeria que dans le sud du Niger, ce qui signifie que la possibilité d’être influencés par leurs homologues nigérians existe effectivement, pour les membres nigériens de ce groupe démographique. En outre, si les Haoussas dans les deux États s’identifient plus avec leur identité ethnique que civile, ils pourraient s’agiter pour un « Pays Haoussa« , que ce soit en tant qu’entité séparatiste ou comme « identité fédéralisée« sous-nationale avec une quasi-indépendance.
Une façon d’éviter que cela se produise est que chaque pays tienne suffisamment compte des intérêts de ce groupe, afin qu’il ne sente pas (ou ne soit pas induit en erreur par des forces intentionnelles négatives) que leurs problèmes pourraient être mieux traités en dehors de leur État respectif. En ce qui concerne le Niger, le gouvernement doit veiller à ne pas trop décentraliser, au point où les Touaregs seraient perçus comme ayant bénéficié d’avantages démesurés, par exemple par une autonomie politique et / ou financière de facto (cette dernière liée aux recettes de la production d’uranium ). Niamey ne se lancera pas volontairement dans cette direction, sauf comme concession à une insurrection touareg à venir qu’il aurait des difficultés à contrôler, même si l’effet involontaire de ce genre de compromis pratique pourrait éveiller la haine des Haoussas dans le sud et inspirer un type totalement différent de défis anti-gouvernementaux (par exemple, une révolution de couleur et une guérilla). Encore une fois, ce scénario particulier ne semble pas trop prometteur, car il nécessiterait d’abord une rébellion touareg, qui ne s’est pas encore déclenchée, et ensuite un gouvernement incapable de traiter la situation de lui même ou en coopération avec la France, avant de s’engager dans le genre de concessions politico-économiques aux Touaregs qui pourraient ensuite braquer les Haoussas.
Cependant, si on regarde les choses sous un autre angle, les Haoussas ne doivent pas nécessairement être considérés comme constituant uniquement une menace de guerre hybride, puisqu’ils pourraient également se matérialiser comme une ancre de stabilité transfrontalière, si le Niger devait prendre les mesures appropriées en ce sens. La tendance mondiale à l’intégration régionale semble irréversible pour le moment, et il est possible que les Haoussas jouent un rôle unique dans la liaison entre le Niger et le Nigeria pour resserrer la région centrale d’Afrique de l’Ouest (RCAO) et la transformer en un centre plus robuste de la multi-polarité africaine. Cela pourrait également étendre la perspective sahelo-saharienne de Route de la Soie dans le nord du Nigeria, parallèlement aux incursions similaires réalisées par celle Cameroun-Tchad-Soudan (CTS) dans le sud du Nigeria dans le cadre d’une stratégie globale pour relier le Nigeria aux réseaux commerciaux trans-régionaux que la Chine prévoit à sa périphérie. Le problème, cependant, est que Niamey ne fait pas entièrement confiance à Abuja, croyant que son voisin du sud pourrait utiliser la supériorité numérique des Haoussas sur son territoire pour influencer ses homologues transfrontaliers et, dès lors, les affaires politiques intérieures du Niger. En outre, si l’un ou l’autre pays « perd le contrôle » des Haoussas, ils pourraient se faufiler pour promouvoir un « Pays haoussa » entre eux, ce qui pourrait être tout aussi susceptible d’un détournement par Boko Haram, comme l’« Azawad nigérien » le serait par un subterfuge similaire d’AQMI.
Tôt ou tard, le Niger doit trouver une politique visionnaire pour améliorer les moyens de subsistance de cette population dont la croissance explosive prévue dans l’avenir entraînera des problèmes d’instabilité, d’incertitude et des problèmes humanitaires susceptibles de converger en une grande crise. Elle serait aggravée par le fait que les Haoussas nigériens pourraient un jour dépasser en nombre leurs homologues nigérians et donc inverser la dynamique de pouvoir présumée existant actuellement entre les deux voisins (celle du Nigeria ayant la possibilité d’utiliser les Haoussas pour influencer le Niger). Dégradé par les attentats terroristes et les soulèvements rebelles, le Niger pourrait facilement tomber au statut d’État défaillant et devenir une victime géopolitique de la guerre froide franco-chinoise dans cette région au cœur de l’Afrique de l’Ouest.
Coups d’État
Le dernier instrument de la guerre hybride qui pourrait être utilisé contre le Niger serait un coup d’État militaire, dont le pays a déjà une histoire bien étayée. Des coups d’État ont été réalisés en 1974, 1996, 1999 et 2010, dont le plus récent immédiatement après le conflit de 2007-2009 impliquant des Touaregs et au milieu d’une forte détérioration des relations franco-nigériennes. Il est certainement possible que les Français aient eu pour but de renverser le président Tandja, après la crise constitutionnelle qui a été déclenchée quand il a entrepris des démarches pour se présenter pour la troisième fois. Il est également pertinent que ce soit exactement au moment où la Chine a reçu sa première mine d’uranium dans le pays, ce qui a probablement envoyé des signaux d’alarme à Paris et a incité Sarkozy à prendre des mesures pour s’en occuper indirectement et empêcher un alignement pro-chinois présumé du gouvernement nigérien devenant hors de contrôle et mettant en péril la sécurité stratégique des investissements français dans l’uranium. Le gouvernement a annoncé qu’un complot militaire mystérieux aurait été déjoué en décembre 2015, mais en raison de la pénurie de détails et des secrets entourant cette situation, on ne sait pas exactement à quoi cela aurait pu être lié, qui aurait pu éventuellement être derrière ou même s’il s’agissait vraiment d’une menace réelle et non d’un scandale pré-électoral surmédiatisé ou fabriqué par le président sortant Issoufou (qui a gagné la réélection au début de 2016 avec une marge de plus de 80%) .
En estimant que le Niger connaîtra probablement de nombreux problèmes internes à l’avenir, en raison de la croissance explosive de sa population, de sa pauvreté généralisée et de son risque élevé de violence militante (qu’elle soit de caractère salafiste ou laïque), il est prévisible que les militaires puissent un jour être contraints d’intervenir pour stabiliser la situation si le gouvernement formel était incapable d’y faire face. Tout comme la façon dont le coup d’État au Mali en 2012 a eu lieu à cause de la détérioration des conditions intérieures, un coup d’État pourrait également advenir, poussé par des contraintes similaires en réaction à la pression démographique et / ou au terrorisme incontrôlable le long de la ceinture sud. La population pourrait même l’encourager, en raison du soulagement que cela pourrait lui apporter pour améliorer les difficultés dont certains pourraient accuser exclusivement le gouvernement civil au moment de ces épreuves. L’armée, contrairement aux politiciens, est la seule institution capable de rassembler le Niger, de protéger ses frontières et de lutter contre les rebelles / terroristes. Comme elle est déjà intégrée dans l’État par son influence sur les ressources économiques et naturelles, il ne devrait pas être trop difficile, dans la plupart des cas, que les généraux déposent le président. À en juger par l’histoire du Niger, les putschistes seraient plus ou moins acceptés par leurs homologues de l’Union africaine, malgré l’opposition stricte à l’encontre de leurs actions et la suspension temporaire du pays de cette organisation. À la suite du modèle établi par le Niger, des motions démocratiques seraient entamées, des changements cosmétiques seraient apportés à la Constitution et les militaires encourageraient un gouvernement civil à diriger publiquement à sa place après la tenue des élections.
Le facteur déterminant qui pourrait rompre ce cycle souvent répété serait que la France s’oppose au coup d’État militaire, ce qui ne serait le cas que si elle n’en avait rien à faire ou si « quelque chose se passait mal » et si la « mauvaise faction » s’emparait du pouvoir. Pour le rappeler au lecteur, la France est en pleine concurrence avec la Chine pour l’influence dans toute l’Afrique, le Niger étant l’un des champs de bataille de cette guerre froide. La France pourrait lancer une procédure sous couverture ou donner le feu vert à toute éventuelle tentative de coup d’État contre le gouvernement existant, afin de compenser ce qu’elle ressent comme trop de liens entre les autorités et les Chinois, bien qu’il soit également théoriquement possible qu’un « contre-coup » puisse se produire parmi les membres de l’élite militaire qui croient réellement (ou ont un investissement intéressé) dans la vision One Belt One Road de la Chine. Le même dernier point pourrait également s’appliquer à la population, à la fois en ce qui concerne ceux qui pourraient être pro-Chine à ce moment-là et en faveur du projet de la Route de la Soie sahelo-saharienne ou ceux qui, pour quelque raison (qu’ils en soient conscients ou non) appuient les intérêts français dans ce pays. En conséquence, l’indignation populaire contre un coup pourrait prendre la forme d’une révolution de couleur (si elle est soutenue par les Français) ou d’une manifestation populaire (en accord avec les intérêts chinois). Par conséquent, il faut s’attendre à ce que les coups et les révolutions de couleur interconnectés puissent devenir une occurrence occasionnelle dans la politique nigérienne, alors que l’accroissement de la compétition franco-chinoise dans le pays prend des formes nouvelles et adaptables.
Andrew Korybko est un commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone.
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