Comme une odeur de désespoir


Par James Howard Kunstler – Le 17 octobre 2016 – Source kunstler.com

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Il doit être évident, même à des observateurs occasionnels de neuf ans, que l’élection nationale américaine est elle-même en train de se pirater. Elle n’a besoin d’aucune sorte d’assistance. Les deux grands partis ne pouvaient pas trouver des candidats plus mauvais pour le poste de président, et la lutte entre eux a tourné au spectacle public le plus sordide de l’histoire électorale des États-Unis.

Bien sûr, l’histoire du piratage des Russes (forcément) émane de l’appareil de sécurité contrôlé par l’exécutif du Parti démocratique, qui agit désespérément pour préserver ses avantages et ses privilèges. (Je vous écris en tant que démocrate encore encarté mais très mécontent.) Les courriels qui ont fuité du président de la campagne de Clinton, John Podesta, et d’autres figures parmi les employés de Human Rights Campaign, représentent un record de fausseté tactique, un empressement joyeux à mentir au public, et un mépris pour l’opinion du monde qui sont bien assez lamentables en eux-mêmes. Et le cadeau fantastique fait à Trump suite à cette gaffe ne pourrait guère être amélioré par une puissance étrangère s’ingérant dans la campagne. Le système politique américain est lui-même en train d’imploser.

Je dis cela avec la compréhension que les systèmes politiques sont des phénomènes émergents avec l’objectif principal de maintenir leur contrôle sur les organismes du pouvoir à tout prix. Autrement dit, il est naturel pour un régime politique de se battre pour sa propre survie. Mais le fait que le système politique des États-Unis est maintenant en train de se battre avec l’énergie du désespoir pour sa survie montre la fragilité de sa légitimité. Il ne faudrait pas beaucoup pour le pousser dans un précipice et vivre un nouveau type de guerre civile beaucoup plus confuse et insoluble que celle que nous avons vécue dans les années 1860.

Des événements et les circonstances du moment conduisent littéralement la folie américaine. Nous ne pouvons pas construire un consensus cohérent sur ce qui nous arrive et donc nous ne pouvons pas former un ensemble de plans cohérents pour y faire quoi que ce soit. L’événement principal est que notre dette a dépassé de loin notre capacité à produire suffisamment de richesses nouvelles pour la servir, et nos tentatives pour contourner le problème avec la fraude comptable de la Réserve fédérale ne fait qu’aggraver le problème de jour en jour, et même d’heure en heure. Tout cela tend à saper le moral national et le niveau de vie, alors qu’il nous enfonce dans une crise que j’appelle The Long Emergency.

Il est difficile de voir comment la Russie profite d’une Amérique devenant le taureau fou d’une économie mondiale qui patauge. Au contraire, le mème d’une Russie diabolique semble une projection des propres insécurités et des contradictions de notre pays. Par exemple, nous semblons penser que le maintien de la déstabilisation en Syrie est préférable à permettre à son gouvernement légitime de rétablir un peu d’ordre. La Russie est sur la scène, essayant de soutenir le gouvernement Assad alors que nous sommes en coulisses à faire tout notre possible pour garder une variété d’adversaires sur le ring afin de prolonger un état de guerre incessant. La politique américaine en Syrie a été à la fois incohérente et tragiquement dommageable pour les Syriens.

Les Russes se sont tenus à l’écart tandis que les États-Unis démolissaient l’Irak, l’Afghanistan et la Libye. Nous avons démontré de manière adéquate que pousser les nations souveraines à un effondrement civil n’est pas la meilleure façon de résoudre les tensions géopolitiques. Pourquoi serait-ce une si mauvaise chose pour les États-Unis de se mettre à l’écart en Syrie et voir si les Russes peuvent sauver ce pays de l’échec ? Parce qu’ils pourraient garder une base navale sur la Méditerranée ? Nous avons des dizaines de bases militaires dans la région.

Il est en fait assez facile de comprendre pourquoi les Russes pourraient être paranoïaques sur les intentions de l’Amérique. Nous utilisons l’OTAN pour exécuter des manœuvres militaires menaçantes près des frontières de la Russie. Nous avons déstabilisé l’Ukraine – autrefois une province de l’État soviétique – pour qu’elle devienne un État presque en faillite, et ensuite nous nous sommes plaints bêtement à propos de l’annexion russe de la Crimée – aussi un ancien territoire de l’État soviétique et de la Russie impériale remontant à plusieurs siècles. Nous avons organisé des sanctions envers la Russie, pour qu’il lui soit difficile de participer au commerce et au système bancaire international.

Ce qui est vraiment comique, c’est l’idée que la Russie utilise Internet pour mettre du désordre dans nos affaires – comme si les États-Unis n’avaient pas d’ambition autour des cyberguerres ou des opérations en cours contre la Russie (et d’autres, tels que le piratage du téléphone personnel d’Angela Merkel [et de Dilma Roussef, NdT]). Flash spécial : tous les pays ayant accès à l’Internet piratent en permanence les autres pays connectés. Tout le monde le fait. Il s’agit peut-être d’une projection hystérique sur un viol en cours de l’Amérique, qui pense être la seule victime particulière de cette activité universelle.

James Howard Kunstler

Note du Saker Francophone

Comme le rappelle l'auteur, il est Démocrate. Cela rend donc son témoignage précieux car il joue pour la Gauche américaine un rôle de passerelle entre les narratives de la presse-système et la réalité d'un environnement géopolitique complexe. Dans cet article, il met simplement sur la table le point de vue de la Russie, ce qui est déjà beaucoup pour un public américain saturé de Russian bashing. Il n'y a pas un film d'action hollywoodien récent qui ne présente les Russes comme les super méchants. Le dernier en date avec la diffusion du dernier épisode de Captain América sur TF1 ce dimanche, Le soldat de l'hiver. Hiver russe, forcément.

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone

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