Par Dmitry Orlov − Le 30 Octobre 2024 − Source Club Orlov
La majeure partie de l’humanité est inconsciente du fait qu’elle vit et se déplace dans un monde de fantasmagorie, dans lequel son sens de l’identité nationale, les lois qu’elle a intériorisées et selon lesquelles elle vit, et même les mots qu’elle utilise pour se décrire, sont déterminés, dans une mesure assez surprenante, non par une quelconque considération rationnelle, mais par les résultats de rituels magiques qui ont été exécutés pour la première fois dans un passé lointain et qui continuent d’être exécutés aujourd’hui. Bien que nous souhaitions nous considérer comme pleinement rationnels et motivés par des calculs d’intérêt personnel et par des conceptions du bien individuel et du bien public, il est assez difficile de nier que nous sommes régulièrement confrontés à diverses formes de psychose de groupe : obsessions, fixations, engouements, attachements émotionnels, dévouements… fanatisme.
Nier l’existence de ces forces puissantes, c’est nier la nature humaine, et donc la réalité. Il s’avère que l’empiriste sceptique pur et dur conduit à l’aveuglette, incapable de voir l’invisible et pourtant si important terrain psychologique. Et si le refus de percevoir et d’aborder correctement les questions de psychologie individuelle donne généralement lieu à des échecs personnels et à des tragédies mineures, un tel aveuglement volontaire en ce qui concerne la psychologie de groupe peut conduire à des résultats arbitrairement horribles.
Pour nous permettre de percevoir et de comprendre les choses invisibles, nous sommes obligés de conceptualiser des objets dont l’existence ne peut être vérifiée de manière indépendante mais peut seulement être déduite de leurs influences observables, de la même manière que les physiciens déduisent l’existence des particules subatomiques. Il est donc entendu qu’en dehors de notre perception physique, il existe des entités artificielles générées par la dévotion, l’enthousiasme ou le fanatisme, traditionnellement appelées égrégores. Le mot vient du grec et signifie « ceux qui veillent ». Les égrégores sont les cœurs battants de tous les grands courants de la psychologie de groupe ou de masse, qu’ils soient bons ou mauvais.
Le puissant égrégore du christianisme est identifié par des titres tels que l’Église apostolique, la Jérusalem céleste et le Corps du Christ. L’islam, le taoïsme, le bouddhisme, la franc-maçonnerie et le protestantisme, avec toutes ses sectes mineures ou majeures, ont tous leurs propres égrégores. Beaucoup de gens perçoivent ces égrégores comme des passerelles vers quelque chose de sacré, de saint ou de divin, mais c’est strictement une question d’opinion. Les grandes idéologies politiques ont également leurs propres égrégores, qui sont plus facilement identifiables comme ayant une origine démoniaque, en particulier le national-socialisme et le communisme (bolchevisme, maoïsme).
Ils n’ont même pas la prétention de bénéficier d’une bénédiction divine ; il n’y a donc que des démons – des créations de la volonté et de l’imagination humaines. Certains spécialistes de l’occultisme (il existe une telle discipline !) ont théorisé que tous les égrégores sont démoniaques parce qu’ils sont des projections objectivées des désirs humains qui sont, par leur nature fondamentale, déchue, des péchés. Mais si l’on veut rester empirique et sceptique, pour déterminer la nature d’un égrégore, il faut regarder ses effets observables :
Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des raisins sur les épines, ou des figues sur les chardons ? De même, tout bon arbre porte de bons fruits, mais l’arbre corrompu porte de mauvais fruits. (Matthieu 7:16-20)
Cette technique fonctionne pour les égrégores petits et grands, objectivés par des symboles allant du crucifix, de la croix gammée ou de la faucille et du marteau jusqu’à divers logos d’entreprises et écussons de clubs. Les égrégores sont partout, voyez-vous, et soupçonner automatiquement les forces démoniaques en jeu derrière la dernière vidéo TikTok virale (un égrégore minuscule et éphémère) vous ferait probablement passer pour une sorte de zélote.
J’espère que la discussion qui précède a permis d’établir que les égrégores ne sont pas imaginaires ou fictifs, mais qu’ils existent bel et bien, mais qu’ils ne sont pas directement perceptibles. Il est peut-être plus facile de considérer un égrégore comme une force invisible – comme la gravité, ou les champs électriques ou magnétiques – qui est rendue apparente par ses actions. Il vaut mieux éviter d’être trop littéral, mais un égrégore a un semblant de corps (il est investi, dans une certaine mesure, d’objets physiques), un esprit (représenté par divers livres et écritures, sacrés ou non), et un but (servir les besoins de sa communauté). Il possède des caractéristiques essentielles qui le distinguent des autres égrégores. Il a une volonté qu’il manifeste à trois niveaux : matériel (en contrôlant les comportements), psychique (en provoquant des états émotionnels) et mental (en formant et perpétuant des idées). Il se nourrit des émotions de ceux qui y participent et répond à certaines attentes et à certains désirs de ses créateurs et de ses adeptes. Pour rester vital et efficace, un égrégore doit conserver un certain nombre de membres. L’exécution régulière et correcte de certains rituels qui renforcent l’union spirituelle de ses membres est tout aussi essentielle au maintien de sa vie physique.
Sans cela, un égrégore devient quiescent, mais pas nécessairement mort, car les égrégores sont notoirement difficiles à tuer tant que leurs manifestations physiques et intellectuelles restent intactes. C’est ce qui a permis aux Banderistes ukrainiens de reconstituer, d’une manière bizarre et avec un cerveau endommagé, certains éléments du national-socialisme allemand, engendrant une cohorte de jeunes fascistes ukro-nazis enthousiastes (aujourd’hui morts pour la plupart). C’est également ce qui a permis à la Fédération de Russie de sauter par-dessus les éléments indésirables de l’expérience soviétique (tout en célébrant les éléments souhaitables) et de rattacher l’égrégore de l’Empire russe, gagnant ainsi toute une série non seulement de héros, mais aussi de martyrs et de saints pour lui servir d’inspiration et de protection, puisqu’avec eux est apparue l’Église orthodoxe russe millénaire – l’autre tête de l’aigle bicéphale russe (ne me demandez pas laquelle).
Pour tuer un égrégore, il est plus efficace d’utiliser le feu, qui est généralement considéré comme une force purificatrice. C’est pourquoi les livres sont brûlés plutôt que compostés, utilisés comme paillis ou donnés aux chèvres, et c’est pourquoi les sorcières sont traditionnellement brûlées sur le bûcher. Les égrégores ayant tendance à s’attacher à certains bâtiments et sites, ceux-ci doivent être démolis en profondeur, sans laisser pierre sur pierre :
Jésus leur dit : Ne voyez-vous pas tout cela ? Je vous le dis en vérité, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit renversée. (Matthieu 24:2)
Il peut être tout aussi difficile de se libérer des griffes d’un égrégore puissant, de le purger de son esprit et de son cœur. La tâche la plus simple est peut-être de chasser les égrégores strictement démoniaques, car « la lumière chasse les ténèbres ». Cette phrase est la clé de la lutte contre les démons : une fois qu’un démon est vu, c’est-à-dire une fois que la lumière de la conscience est projetée sur lui, il est automatiquement réduit à l’impuissance. Plus généralement, se libérer de l’influence d’un égrégore demande souvent bien plus que de s’en éloigner et peut impliquer une déprogrammation complète, comme c’est le cas pour les cultes destructeurs qui contrôlent l’esprit. La quantité d’énergie émotionnelle, les relations sociales, les aspirations, les valeurs et les liens amicaux et familiaux se combinent pour rendre l’extraction émotionnellement douloureuse et difficile. À cette fin, il est utile d’avoir quelque chose vers quoi se diriger : un plan, un nouveau but et une source de sens sont nécessaires pour combler le vide social et émotionnel. Selon le degré d’implication, il peut s’agir d’un événement important, qui change la vie, comme le fait de s’adapter à la vie après la fin d’une carrière, de faire face à la mort d’un partenaire ou de surmonter une dépendance. L’ensemble du processus peut durer plusieurs années.
Note du Saker Francophone
Depuis quelques temps, des gens indélicats retraduisent “mal” en anglais nos propres traductions sans l’autorisation de l’auteur qui vit de ses publications. Dmitry Orlov nous faisait l’amitié depuis toutes ses années de nous laisser publier les traductions françaises de ses articles, même ceux payant pour les anglophones. Dans ces nouvelles conditions, en accord avec l’auteur, on vous propose la 1ere partie de l’article ici. Vous pouvez lire la suite en français derrière ce lien en vous abonnant au site Boosty de Dmitry Orlov.
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Il vient d’être réédité aux éditions Cultures & Racines.
Il vient aussi de publier son dernier livre, The Arctic Fox Cometh.
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone