Biden en colère contre Netanyahu ? Mon œil.


Par Jack Mirkinson – Le 13 février 2024 –  Source The Nation

Le Washington Post publiait dimanche un rapport contenant une déclaration dramatique : la relation entre Joe Biden et Benjamin Netanyahu est terrible. Voici ce que dit le Post : « Le président Biden et ses principaux collaborateurs sont plus proches d’une rupture avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu que jamais depuis le début de la guerre de Gaza, ne le considérant plus comme un partenaire productif qui peut être influencé même en privé, selon plusieurs personnes familières avec leurs discussions internes. La frustration croissante à l’égard de Netanyahou a incité certains collaborateurs de Joe Biden à le pousser à critiquer plus publiquement le Premier ministre au sujet de l’opération militaire de son pays à Gaza, selon six personnes au fait de ces conversations ayant parlé sous couvert de l’anonymat pour évoquer les délibérations internes« .

« Plus proche d’une rupture » que « jamais depuis le début de la guerre de Gaza« , dites-vous ? « La frustration monte, n’est-ce pas ? Le lecteur moyen ne peut que supposer qu’un grand changement dans l’approche américaine de l’assaut israélien sur Gaza est en cours. »

Permettez-moi de modifier cette pensée. Le lecteur moyen qui n’a jamais lu un seul article sur Gaza avant ce rapport du Washington Post ne pourra que supposer qu’un grand changement dans l’approche américaine de l’assaut israélien sur Gaza est en cours.

Mais le lecteur moyen qui a suivi la couverture de Gaza au cours des derniers mois, cependant, reconnaîtra ce qui est devenu l’un des genres les plus prévisibles et les plus exaspérants de l’après 7 octobre : l’histoire « Biden est vraiment en colère contre Netanyahou dans les coulisses« . Il y a un problème avec ces articles : Ils n’ont pratiquement rien à voir avec la façon dont Biden gère réellement cette guerre.

Depuis le début des bombardements israéliens, les principaux médias n’ont cessé de publier ce type d’articles.

  • Le 9 novembre, un peu plus d’un mois après le début de la guerre, ABC News écrivait qu’il y avait « une distance de plus en plus grande » entre Biden et Netanyahou.
  • Le 15 novembre, NBC News déclarait que « les responsables de l’administration Biden sont de plus en plus en désaccord avec le gouvernement du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu« .
  • Le 16 novembre, The Guardian rapportait que « en coulisse, les tensions s’intensifient« .
  • Le 14 décembre, CNN faisait état de « tensions sans précédent » au sujet de la guerre.
  • Le 18 décembre, The Hill écrivait que la Maison Blanche est « de plus en plus critique« .
  • Le 21 décembre, le Washington Post écrivait que Biden et Netanyahu « sont en désaccord avec une véhémence croissante » sur la planification de l’après-guerre.
  • Le 31 décembre, le New York Times indiquait que les relations entre les deux pays étaient « de plus en plus tendues« .
  • Le 14 janvier, Axios rapportait que Biden était « de plus en plus frustré » par Netanyahu.
  • Le 17 janvier, NBC News parlait des « frustrations croissantes de l’administration Biden« .
  • Le 19 janvier, NPR déclarait qu' »un fossé se creuse » et AP écrivait que « les relations entre les dirigeants montrent de plus en plus de signes de tension« .
  • Le 24 janvier, The Hill écrivait que la « relation… montre de nouveaux signes de tension« .
  • Le 8 février, le Times rapportait que « les relations entre l’administration Biden et Netanyahu sont devenues de plus en plus tendues« .

Ces articles reviennent presque toujours sur les mêmes points. Un groupe variable de fonctionnaires anonymes (« plusieurs fonctionnaires de l’administration » pour le rapport de NBC du 17 janvier, « des fonctionnaires américains et israéliens clés » pour le rapport du Times du 31 décembre, « quatre fonctionnaires américains ayant une connaissance directe du sujet » pour le rapport d’Axios du 14 janvier, « 19 hauts fonctionnaires de l’administration et conseillers extérieurs » pour le rapport du Post du 11 février) transmet des récits sur le désenchantement officieux, mais néanmoins croissant, de l’administration Biden à l’égard de Netanyahou. Peut-être ajoutent-ils quelques commentaires sur la réduction du nombre de victimes civiles par Israël (« Nous sommes préoccupés par le fait qu’ils ne font pas tout ce qui est possible pour réduire les pertes civiles« , a déclaré un fonctionnaire de l’administration à NBC le 15 novembre ; « Les dirigeants américains … avertissent que les niveaux élevés de pertes civiles garantissent qu’une population radicalisée vivra à côté d’Israël pendant les décennies à venir« , affirme le rapport du Post du 11 février). Peut-être font-ils allusion à un appel téléphonique supposé glacial entre Netanyahu et Biden ou à une réunion tendue entre de hauts responsables américains et israéliens (« Lors de leurs derniers appels, la frustration de Biden à l’égard de Netanyahu est devenue plus évidente« , rapporte l’article d’AP du 19 janvier).

Et tous nous disent que la frustration monte en flèche, que l’indicateur d’effroi vient de grimper d’un cran, que les tensions sont encore plus fortes, que la brèche qui était déjà ouverte l’est maintenant encore plus. À en juger par ces témoignages, Joe Biden doit atteindre les limites extrêmes de l’énervement, de la perte de patience et de la tension qu’une personne peut ressentir sans exploser. Mais quiconque a prêté ne serait-ce qu’un peu d’attention à ce qui se passe réellement peut voir clair dans tout cela. Seule la presse semble y croire.

Dans le monde réel, les massacres d’Israël se poursuivent sans relâche. Le 9 novembre, lorsque ABC News a juré qu’il y avait une « discorde croissante » entre Biden et Netanyahu, au moins 10 812 personnes avaient été tuées à Gaza. Le 8 février, lorsque le Times affirmait que la situation était devenue « de plus en plus tendue » entre Biden et Netanyahu, au moins 27 840 personnes avaient été tuées à Gaza.

Dans le monde réel, Biden et ses partenaires législatifs ont pourtant continué à armer Israël ; la direction Démocrate du Sénat a même fait venir des gens le dimanche du Super Bowl pour voter sur un projet de loi qui, en plus de réarmer l’Ukraine, enverrait à Israël 14,1 milliards de dollars supplémentaires pour ce que l’on appelle par euphémisme « l’assistance à la sécurité« .

Dans le monde réel, Biden a bloqué les initiatives en faveur d’un cessez-le-feu permanent aux Nations unies et refuse d’exercer une quelconque pression publique sur Israël pour qu’il contribue à sa mise en œuvre. Le Times rapportait vendredi que lors d’une réunion spécialement conçue pour apaiser les tensions entre la Maison Blanche et la communauté arabo-américaine du Michigan, les assistants de Biden « ont refusé de dire s’ils avaient conseillé ou conseilleraient au président d’appeler à un cessez-le-feu, que les participants demandaient« . (« Vous n’obtiendrez pas cette réponse« , a déclaré un responsable).

Dans la réalité, Biden a refusé de poser des conditions à l’aide militaire à Israël. La semaine dernière, Biden a émis un ordre présidentiel « autorisant une réduction rapide de l’aide militaire aux pays qui violent la protection internationale des civils« , comme l’a indiqué AP. Les Démocrates se sont empressés de qualifier ce décret d’historique et de puissant (« Il s’agit d’un changement radical dans la manière d’aborder l’aide militaire américaine et son impact sur les civils« , a déclaré la sénatrice Elizabeth Warren). L’attaché de presse de Joe Biden a immédiatement précisé que cela ne signifiait pas que l’aide à Israël serait suspendue, que les États-Unis « n’imposaient pas de nouvelles normes en matière d’aide militaire » et qu’Israël avait assuré à la Maison Blanche qu’il s’engageait à protéger les civils.

Certains de ces articles du style « Biden est vraiment encore plus en colère que ce que nous avons déjà dit les 15 dernières fois » ont la décence de reconnaître cette réalité ; l’article du Post de dimanche, par exemple, admet dans le sixième paragraphe que « Pour l’instant, la Maison Blanche a rejeté les appels à suspendre l’aide militaire à Israël ou à l’assortir de conditions, affirmant que cela ne ferait qu’enhardir les ennemis d’Israël« . Nombreux sont ceux qui ne font même pas cela. Et ils aident tous la Maison Blanche à prétendre que « s’énerver lors d’un appel téléphonique » ou « faire une déclaration générale et vaguement critique lors d’une conférence de presse » est en quelque sorte aussi important que de donner à Israël des armes qu’il utilise ouvertement pour massacrer le plus grand nombre de personnes possible.

Comme je l’ai déjà écrit, il n’existe aucun autre domaine dans lequel la personne qui fournit des armes dont elle sait qu’elles seront utilisées pour commettre des violences de masse serait prise au sérieux si ses amis déclaraient aux journalistes qu’elle était mécontente en privé de toute cette affaire. Seule la politique étrangère américaine bénéficie d’un tel traitement. Même la déclaration de Joe Biden selon laquelle il tient les autres pays qui expédient des armes pour responsables des violences pour lesquelles ces armes sont utilisées ne semble pas suffire à enrayer ce discours.

Aujourd’hui, alors que Netanyahou prépare une invasion terrestre de Rafah qui s’annonce catastrophique – la région qui était censée être la « zone de sécurité » pour les civils – Biden manifeste une fois de plus son mécontentement tout en ne faisant rien pour empêcher la machine à tuer israélienne de tourner. Les journalistes auront encore de nombreuses occasions d’abandonner l’idée que Biden exerce un contrôle significatif sur Israël. S’ils veulent vraiment demander des comptes à Biden – plutôt que d’aider la Maison Blanche à colporter encore et encore le même fantasme creux – ils devraient commencer dès maintenant.

Jack Mirkinson

Note du Saker Francophone

Pour le Deep State qui est derrière Biden, pas question d’empêcher Israël de faire ce qu’il est en train de faire. Mais cela met en colère une bonne partie des électeurs Démocrates, en particulier les plus jeunes, alors il faut que Biden joue le rôle de « celui qui veut empêcher Netanyahou de faire des bêtises mais qui n’est pas écouté par ce vilain garçon ».

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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