Cette affaire se passe au Canada. Mais on imagine très bien que la même chose se passe dans d’autres pays occidentaux, avec ou sans autorisation.
Par David Pugliese – Le 27 septembre 2021 – Source National Post
Le gouvernement fédéral n’a jamais ordonné cette campagne dite d’opérations d’information, et le Cabinet n’a pas non plus autorisé cette initiative élaborée pendant la pandémie de COVID-19 par le Commandement des opérations interarmées du Canada, alors dirigé par le lieutenant-général Mike Rouleau.
Mais les commandants militaires croyaient qu’ils n’avaient pas besoin d’obtenir l’approbation des autorités supérieures pour élaborer et mettre en œuvre leur plan, selon le major-général à la retraite Daniel Gosselin, qui a été chargé d’enquêter sur cette affaire.
Le plan de propagande a été élaboré et mis en place en avril 2020, alors que les Forces canadiennes reconnaissent pourtant que « les opérations d’information et les politiques et doctrines de ciblage sont destinées aux adversaires et ont une application limitée dans un concept national. »
Une copie de l’enquête Gosselin du 2 décembre 2020, ainsi que d’autres documents connexes, a été obtenue par notre journal en utilisant la loi sur l’accès à l’information.
Le plan conçu par le Commandement des opérations interarmées du Canada, également connu sous le nom de CJOC, reposait sur des techniques de propagande semblables à celles employées pendant la guerre d’Afghanistan. La campagne prévoyait de « façonner » et d’« exploiter » l’information. Le CJOC a affirmé que le plan d’opérations d’information était nécessaire pour éviter la désobéissance civile des Canadiens pendant la pandémie de coronavirus et pour renforcer les messages du gouvernement sur la pandémie.
Une initiative distincte, non liée au plan du CJOC, mais supervisée par des officiers de renseignement des Forces canadiennes, a recueilli des informations sur des comptes publics de médias sociaux en Ontario. Des données ont également été compilées sur les rassemblements pacifiques de Black Lives Matter (BLM) et sur les leaders de ce mouvement. Les officiers supérieurs ont affirmé que ces informations étaient nécessaires pour assurer le succès de l’opération Laser, la mission des Forces canadiennes visant à aider les maisons de soins de longue durée touchées par le COVID-19 et à contribuer à la distribution de vaccins dans certaines communautés du Nord.
Les organisateurs de BLM ont demandé pourquoi les responsables militaires ont recueilli des informations de leur propre initiative, soulignant qu’ils ont suivi les règles de la pandémie et n’ont pas organisé de rassemblements à l’extérieur des foyers de soins de longue durée.
Le général Jon Vance, alors chef d’état-major de la défense, a mis fin à l’initiative de propagande du CJOC après qu’un certain nombre de ses conseillers eurent mis en doute la légalité et l’éthique du plan. Vance a alors fait appel à Gosselin pour examiner comment le CJOC a pu développer et lancer l’opération de propagande sans approbation.
L’enquête de Gosselin a révélé que le plan n’était pas simplement l’idée de spécialistes « passionnés » de propagande militaire, mais que le soutien à l’utilisation de telles opérations d’information était « clairement un état d’esprit qui imprègne de nombreux niveaux du CJOC ». Les membres du commandement considéraient la pandémie comme une « occasion unique » de tester de telles techniques sur les Canadiens.
Le contre-amiral Brian Santarpia, alors chef d’état-major du COCJ, résume l’attitude du commandement, a noté le général Gosselin dans son rapport. « Il s’agit vraiment d’une occasion d’apprentissage pour nous tous et d’une chance de commencer à intégrer les opérations d’information dans notre routine (CAF-DND) », a déclaré le contre-amiral.
Le commandement a vu la réponse pandémique de l’armée « comme une occasion de surveiller et de recueillir des informations publiques afin d’améliorer la sensibilisation pour une meilleure prise de décision du commandement », a déterminé Gosselin.
Gosselin a également souligné que l’état-major du CJOC avait eu une « attitude dédaigneuse palpable » à l’égard des conseils et des préoccupations soulevés par les autres chefs militaires.
Gosselin a recommandé un examen complet des politiques et directives des Forces canadiennes en matière d’opérations d’information, en particulier celles qui peuvent avoir un impact sur toute activité pour les missions nationales.
L’utilisation des techniques d’opérations d’information fait l’objet d’un débat permanent au sein du quartier général de la Défense nationale à Ottawa. Certains officiers des affaires publiques, spécialistes du renseignement et planificateurs principaux veulent étendre la portée de ces méthodes au Canada pour leur permettre de mieux contrôler et façonner l’information gouvernementale que le public reçoit. D’autres, au sein du quartier général, craignent que ces opérations n’entraînent des abus, notamment que le personnel militaire n’induise intentionnellement en erreur le public canadien ou ne prenne des mesures pour cibler les députés de l’opposition ou ceux qui critiquent la politique gouvernementale ou militaire.
La formation et les initiatives de propagande militaire au Canada au cours de l’année dernière se sont avérées controversées.
Les Forces canadiennes ont dû ouvrir une enquête après un incident survenu en septembre 2020, lorsque le personnel des opérations d’information militaire a falsifié une lettre du gouvernement de la Nouvelle-Écosse mettant en garde contre des loups en liberté dans une région particulière de la province. La lettre a été distribuée par inadvertance aux résidents, ce qui a provoqué des appels paniqués aux représentants de la Nouvelle-Écosse, qui ne savaient pas que l’armée était derrière cette tromperie. L’enquête a déterminé que les réservistes chargés de l’opération n’avaient pas reçu de formation officielle et que les soldats ne comprenaient pas bien les politiques régissant l’utilisation des techniques de propagande.
Un autre examen encore a porté sur la branche des affaires publiques des Forces canadiennes et ses activités. L’année dernière, la branche a lancé un plan controversé qui aurait permis aux officiers des affaires publiques militaires d’utiliser la propagande pour modifier les attitudes et les comportements des Canadiens, ainsi que de recueillir et d’analyser des informations provenant des comptes publics de médias sociaux.
Le plan aurait vu le personnel passer des méthodes gouvernementales traditionnelles de communication avec le public à une stratégie plus agressive consistant à utiliser la guerre de l’information et des tactiques d’influence sur les Canadiens. Parmi ces tactiques, citons le recours à des analystes de la défense et à des généraux à la retraite sympathiques pour diffuser des messages de relations publiques militaires et critiquer sur les médias sociaux ceux qui soulèvent des questions sur les dépenses et la responsabilité militaires.
Les Forces canadiennes ont également dépensé plus d’un million de dollars pour former des officiers des affaires publiques à des techniques de modification du comportement du même type que celles utilisées par la société mère de Cambridge Analytica, l’entreprise impliquée dans un scandale d’extraction de données en 2016 pour aider la campagne électorale présidentielle américaine de Donald Trump.
L’initiative visant à modifier la stratégie des affaires publiques militaires a été brusquement arrêtée en novembre après que ce journal a révélé des détails sur le plan. Une enquête militaire a déterminé que ce que faisait la direction des affaires publiques des Forces canadiennes était « incompatible avec la politique de communication du gouvernement du Canada (et la) mission et les principes des affaires publiques. » Aucun dirigeant n’a été sanctionné pour ses actions.
Il y a plusieurs mois, le chef d’état-major de la Défense par intérim, le général Wayne Eyre, et le sous-ministre du MDN, Jody Thomas, ont reconnu dans un document interne que les diverses initiatives de propagande avaient échappé à tout contrôle. « Les erreurs commises au cours des opérations et des entraînements nationaux, ainsi que les mentalités parfois insulaires à divers échelons, ont érodé la confiance du public dans l’institution », notait un message du 9 juin 2021 signé par Eyre et Thomas. « Cela comprenait la conduite d’OI (opérations d’information) dans le cadre d’une opération intérieure sans directive ou autorisation explicite du CEMD/DM pour le faire, ainsi que la production non sanctionnée de rapports qui semblaient viser à surveiller les activités des Canadiens. »
David Pugliese
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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