Vote à L’ONU sur Jérusalem : le Saker pose une question juridique à Alexander Mercouris

[Note : aujourd'hui, j'ai envoyé un courriel à mon ami Alexander Mercouris pour lui poser une question sur le vote de l'Assemblée générale des Nations Unies concernant la reconnaissance par les États-Unis de Jérusalem comme capitale d'Israël. La réponse d'Alexandre était si intéressante que je lui ai demandé si je pouvais l'afficher ici, il a gentiment accepté. Je lui en suis très reconnaissant. Le Saker]

2015-09-15_13h17_31-150x112Par The Saker – Le 21 décembre 2017 – Source The Saker

Cher Alexander

Je viens de lire ceci.

Lorsque l’auteur mentionne que :

« C’est parce que l’Assemblée générale des Nations Unies s’est réunie aujourd’hui conformément à la procédure extraordinaire créée par la résolution 377 (V) (A) de l’Assemblée générale des Nations Unies le 3 novembre 1950. Cette procédure – appelée ‘Uniting for Peace’ – peut être invoquée si le Conseil de sécurité de l’ONU est incapable de parvenir à un consensus sur toute question qui affecte la paix. »

l’auteur écrit en outre :

« Cependant, bien qu’une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies faite conformément à la procédure ‘Uniting for Peace’ soit juridiquement contraignante pour les États membres de l’ONU, il n’y a pas de mécanisme pour l’appliquer, comme c’est le cas si le Conseil de sécurité de l’ONU vote en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. »

Je n’étais pas au courant de cette procédure et je voulais vous demander ceci : la protection par la Russie du référendum en Crimée et l’admission ultérieure de celle-ci dans la Fédération de Russie ont-elles déjà été condamnées par l’Assemblée générale des Nations Unies dans le cadre de cette procédure ?

Plus précisément, la Russie viole-t-elle actuellement le droit international indépendamment de toute question de force exécutoire ?

Dernier point, mais non des moindres, connaissez-vous d’autres cas où l’Assemblée générale des Nations Unies a voté selon cette procédure pour passer outre à un vote du Conseil de Sécurité ?

Si vous pouviez clarifier cela pour moi, je vous en serais très reconnaissant.

Sincères amitiés,

Le Saker


Alexander mercourisCher Saker,

Je peux répondre à toutes ces questions.

  1. « Uniting for Peace » était un dispositif sponsorisé par les États-Unis en 1950 afin de contourner les vétos soviétiques pendant la guerre de Corée. À l’époque, c’était controversé sur le plan juridique et, comme l’a souligné le professeur Tomuschal (cité dans l’article), cela contredit en fait la Charte des Nations Unies. Cependant, en 1950, les États-Unis ayant le contrôle des Nations Unies et du système judiciaire international, comme ils l’ont toujours eu depuis (les vétos soviétiques), ils ont réussi à faire accepter la procédure « Uniting for Peace ».
  2. Elle n’a cependant été invoquée que très rarement, au total pas plus de onze fois (le vote de l’Assemblée générale des Nations Unies sur Jérusalem étant la onzième).
  3. Le fait, concernant une résolution « Uniting for Peace » adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, est qu’elle fait partie du droit international. Elle peut donc être citée comme juridiquement contraignante dans les affaires portées devant la Cour internationale de Justice (« la Cour mondiale ») ou d’autres juridictions internationales. Cependant, elle n’est pas juridiquement exécutoire, sauf par le biais du Conseil de sécurité des Nations Unies. Mais, puisque la procédure de « Uniting for Peace » n’est, par définition, invoquée que lorsque le Conseil de sécurité de l’ONU ne s’est pas mis d’accord, cela la prive de son efficacité.
  4. Vient maintenant le point principal. L’Assemblée générale de l’ONU n’a JAMAIS déclaré illégal le référendum de Crimée et l’unification de la Crimée avec la Russie dans le cadre de la procédure « Uniting for Peace ».

À ma connaissance, la seule fois où la procédure « Uniting for Peace » a été utilisée contre la Russie était en 1980 pour déclarer illégale l’intervention soviétique en Afghanistan. Bien que la Russie soit mise constamment en minorité au Conseil de sécurité des Nations unies, les États-Unis n’ont jamais réussi à mobiliser suffisamment de soutien contre elle à l’Assemblée générale pour obtenir une résolution « Uniting for Peace » sur toute question depuis le vote de 1980 sur l’Afghanistan.

L’Assemblée générale des Nations Unies a voté sur la question du référendum de Crimée en mars 2014, mais la résolution n’était pas contraignante et n’était pas incluse dans la procédure « Uniting for Peace ».

De plus, seulement 100 des 193 États membres de l’ONU l’ont soutenue (11 États, y compris bien sûr la Russie, ont voté contre, 58 États dont l’Inde et la Chine – au total 58% de la population mondiale – se sont abstenus et 11 États dont l’Iran et Israël n’ont pas participé au vote, ce qui est une forme d’abstention.

Ce fut pratiquement une défaite pour les États-Unis et l’Ukraine parce que pour faire passer une résolution à l’Assemblée générale des Nations Unies, elle doit avoir le soutien de plus de la moitié de tous les États membres des Nations Unies. – puisque l’ONU compte 193 États membres, au moins 97 États membres de l’ONU doivent voter pour elle.

En d’autres termes, la résolution sur le référendum de Crimée n’était pas simplement non contraignante, mais elle dépassait à peine le seuil avec seulement 100 voix pour.

Étant donné que les États-Unis ont automatiquement le vote de tous les États membres de l’OTAN / UE, cela montre la faiblesse de la position des États-Unis et de l’Ukraine vis-à-vis de la Crimée en dehors de l’Alliance occidentale, avec des pays clés comme la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, et d’autres comme  le Pakistan et le Vietnam refusant de soutenir la résolution.

Inutile de dire que les États-Unis n’ont pas risqué un autre vote sur la Crimée depuis lors, alors que pendant les années 1980, ils ont organisé tous les ans, avec la régularité d’une horloge, un vote de l’Assemblée générale critiquant l’intervention soviétique en Afghanistan. Il va sans dire que le vote de l’Assemblée générale des Nations Unies de mars 2014 sur la Crimée n’est pas quelque chose que les commentateurs occidentaux évoquent, précisément parce qu’il était si proche d’être une débâcle.

Le résultat est qu’il n’y a aucune constatation, ni à la Cour internationale de justice, ni à l’Assemblée générale des Nations Unies ou au Conseil de sécurité de d’une violation de la loi internationale sur la question de la Crimée et ceux qui l’affirment ne peuvent arguer d’aucun consensus international sur cette question.

Je présume que vous connaissez l’avis consultatif de la Cour internationale de justice sur le Kosovo qui dit très clairement que les déclarations unilatérales d’indépendance, telles que celle faite par la Crimée en 2014, ne sont pas contraires au droit international, même si elles contreviennent à la Constitution du pays dont la région s’est séparée.

Cela signifie aussi que la déclaration d’indépendance de la Crimée en 2014, et la décision ultérieure de celle-ci de rejoindre la Russie, n’est pas contraire au droit international. Poutine l’a souligné à maintes reprises, mais les États-Unis – qui ont exercé des pressions sur la Cour internationale de Justice pour obtenir l’avis consultatif sur le Kosovo – comme elle l’a fait en 1950 pour la procédure « Uniting for Peace » – préfèrent l’oublier, et vous n’avez jamais vu l’avis consultatif arriver sur le tapis dans aucune discussion occidentale sur la question de la Crimée.

C’est bien sûr à cause de l’avis consultatif sur le Kosovo et de l’échec de l’Assemblée générale de l’ONU à adopter une résolution contraignante « Uniting for Peace » déclarant illégale l’union de la Crimée avec la Russie que l’Ukraine n’a jamais intenté d’action en justice contre la Russie sur la question de la Crimée devant la Cour internationale de Justice. J’espère que cela répond à vos questions. S’il vous plaît n’hésitez pas à me contacter s’il y a un autre point que vous voulez que je clarifie.

Meilleurs voeux,

Alexander

Nos amis de Dedefensa ont commenté ce vote sous le titre American-Zombie à l’ONU

 

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