Syrie Sitrep – Un officier français critique la façon dont les États-Unis font la guerre


Assad offre une certaine autonomie aux Kurdes


Par Moon of Alabama – Le 18 février 2019

2015-05-21_11h17_05Un double attentat à la voiture piégée (vidéo) a frappé aujourd’hui la ville d’Idleb, dans le nord-ouest de la Syrie. Entre 20 et 30 personnes ont été tuées et d’autres blessées. Le gouvernorat d’Idleb est contrôlé par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), aligné sur Al-Qaida, mais de nombreux autres groupes terroristes continuent d’exister dans la région. Tous se disputent les ressources disponibles.

En septembre, l’accord d’Astana entre la Turquie, la Russie et l’Iran a servi de base à un cessez-le-feu dans le gouvernorat d’Idleb. La Turquie était censée nettoyer la zone et la débarrasser de HTS – faux-nez d’Al Qaida – et des autres groupes terroristes. Elle a déployé des soldats dans des postes d’observation fortifiés dans toute la région, mais n’a guère fait plus pour respecter l’accord.

Mais la Turquie ne fait pas que traîner les pieds à Idleb, elle permet aussi à de nouveaux combattants étrangers d’y pénétrer :

Selon des sources locales de la province, citées par Spoutnik, environ 1 500 terroristes ont franchi la frontière turque pour entrer à Idleb sous le couvert des autorités turques, soutenus par des agents turcs et directement supervisés par la gendarmerie turque (Jandarma) qui est affiliée à l'armée turque. ...

Les sources ont indiqué que les terroristes sont de nationalités occidentales, ainsi que d'autres de nationalités est-asiatiques et arabes, qui ont été transportés vers la zone de Jisr al-Shughour, qui est sous le contrôle de terroristes chinois et turcs, tandis que les autres terroristes étrangers ont été transférés vers les camps de Jabhat al-Nusra et Hurras Eddin dans la campagne du sud et sud-est de Idleb.

Il est probable que nombre de ces nouveaux arrivants sont des terroristes d’État islamique ayant fui l’Est de la Syrie en direction de la Turquie et ont ensuite été dirigés vers Idleb. Les terroristes du gouvernorat d’Idleb continuent d’attaquer les troupes syriennes situées autour d’eux. Ils utilisent beaucoup de munitions et doivent avoir des lignes de ravitaillement en provenance de Turquie pour soutenir de tels combats.

Une autre réunion tenue récemment à Astana entre la Russie, l’Iran et la Turquie a confirmé l’accord de base, mais n’a pas abouti à une position commune sur la manière de procéder.

Le journal turc Hurriyet vient de publier une interview du porte-parole de Poutine, Dmitry Peskov. À propos d’Idleb, il a dit :

Q : Faut-il s'attendre à une opération à court terme sur Idleb ?

R : Nous devrions laisser cela à nos experts militaires. Nous avons besoin d'une opération, mais nous devons décider si cette opération sera menée par la Turquie ou d'autres pays. Nous ne devrions pas espérer conclure un marché avec les enfants d'Ahrar al-Sham. C'est un faux espoir, ce sont des terroristes, ils sont comme Al-Nusra, ce sont les enfants d'Al-Qaïda.

Lors de la récente conférence sur la sécurité à Munich, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergej Lavrov, a également mentionné (vid @~15:00min) la situation à Idleb. Il a indiqué qu’il y aurait des patrouilles russes et turques communes dans certaines zones du gouvernorat d’Idleb, mais n’a fourni aucun détail.

Pour l’instant, tout le monde attend que les États-Unis se retirent du nord-est de la Syrie, comme l’a ordonné Trump. Idleb ne sera attaquée que lorsque cela sera fait.

État islamique en tant qu’entité détentrice d’un territoire est terminé. Il continuera d’exister pendant un certain temps en tant que mouvement terroriste clandestin en Syrie et en Irak et en tant que marque, que les groupes locaux d’ailleurs utiliseront pour leurs méfaits.

Depuis la fin de la semaine dernière, la dernière résistance de EI est coincée dans quelques milliers de mètres carrés. Les États-Unis négocient de nouveau avec les terroristes au lieu de les achever :

Plus de 300 militants de État islamique, encerclés dans une toute petite région de l'est de la Syrie, refusent de se rendre aux forces soutenues par les États-Unis et tentent de négocier une sortie, ont déclaré lundi des militants syriens et une personne proche des négociations. ...

Le DeirEzzor 24, un collectif d'activistes de l'Est de la Syrie, a déclaré que plusieurs camions chargés de denrées alimentaires sont entrés dans des zones contrôlées par EI à Baghouz, Deir el-Zour, le lundi matin. Le groupe a également rapporté qu'EI avait relâché 10 combattants des SDF, dimanche, sans préciser si l'approvisionnement en nourriture était en échange de cette libération.

DeirEzzor 24 a déclaré que la trêve conclue entre EI et les SDF, la semaine dernière, a été prolongée de cinq jours à compter de dimanche.

Un colonel français à la tête d’un groupe d’artillerie dans la lutte contre EI a critiqué la manière américaine de mener cette guerre :

Le colonel François-Regis Legrier, qui est chargé de diriger l'artillerie française de soutien aux groupes commandés par les Kurdes en Syrie depuis octobre, a déclaré que la coalition s'était concentrée sur la limitation de ses propres pertes, ce qui avait considérablement augmenté le nombre de morts parmi les civils et les niveaux de destruction.

« Oui, la bataille de Hajin a été gagnée, du moins sur le terrain, mais en refusant l'engagement sur le terrain, nous avons inutilement prolongé le conflit et ainsi contribué à augmenter le nombre de victimes dans la population », a écrit M. Legrier dans un article de la Revue de défense nationale.

« Nous avons massivement détruit l'infrastructure et donné à la population une image dégoûtante de ce qui pourrait être une libération à l'occidentale, laissant derrière elle les germes pour la résurgence imminente d'un nouvel adversaire », a-t-il dit, dans de rares critiques publiques d'un officier en service.

Artillerie française dans le nord-est de la Syrie (source)

A noter le mélange de grenades LU107 à haut pouvoir explosif et LU214 au phosphore blanc (catalogue Nexter) qui, ensemble, peuvent être utilisés pour “secouer et rôtir” les forces ennemies. La tactique est très controversée. Agrandir

Plusieurs fois au cours des derniers mois, le mauvais temps a empêché l’utilisation de bombardements aériens et de tirs d’artillerie contre EI. Les terroristes utilisaient toujours ces pauses pour contre-attaquer. Les SDF kurdes/arabes, mal armés et mal dirigés, ont subi de nombreuses pertes à cause de ces attaques. Le colonel estime qu’une force terrestre professionnelle bien armée aurait raccourci le conflit avec moins de pertes et beaucoup moins de dégâts.

L’essai original de celui qui sera bientôt un ex-colonel a été retiré de la toile. Il est disponible en français en téléchargement.

On ne sait toujours pas si et quand les forces américaines quitteront le nord-est de la Syrie. Le président Trump avait demandé à la Turquie de prendre le contrôle de la région, mais la Syrie, la Russie, l’Iran et les forces kurdes utilisées par les États-Unis comme mandataires contre EI sont contre. Une tentative américaine de recruter des forces britanniques, allemandes ou françaises pour occuper la région a échoué.

Le terrain syrien doit évidemment être redonné au gouvernement syrien. Les forces kurdes, contrôlées par le PKK/YPG anarcho-marxiste que la Turquie et d’autres désignent comme terroristes, utilisent leur position pour exiger l’autonomie politique dans la zone qu’elles contrôlent actuellement. Le gouvernement syrien s’y oppose fermement. Toute fédéralisation de la Syrie serait le début de sa fin.

Hier, le président syrien Bachar al-Assad a offert un compromis aux Kurdes. Dans un discours devant les chefs des conseils locaux, il a annoncé des élections locales et la décentralisation de certaines décisions politiques. La loi 107 requise est déjà en place mais sa mise en œuvre a été retardée par la guerre :

[Assad] a dit que l'essence même de la loi sur l'administration locale est de parvenir à un équilibre en matière de développement, dans tous les domaines, en donnant aux unités administratives locales le pouvoir de développer leurs domaines en termes d'économie, de développement urbain, de culture et de services, améliorant ainsi les conditions de vie des citoyens en lançant des projets, en créant des emplois et en fournissant des services locaux, notamment dans les régions isolées.

Le président al-Assad a déclaré qu'il n'est plus utile de gérer les affaires de la société et de l'État et de parvenir à un développement équilibré de la même manière centralisée que celle utilisée depuis des décennies, notant que la population de la Syrie en 1971 lorsque la loi précédente a été adoptée était d'environ 7 millions, alors que la population en 2011 lorsque la loi 107 fut adoptée avait atteint environ 22 millions.

Le fait que la mise en place d’administrations locales élues soit proposée maintenant est un signe clair pour les Kurdes qu’ils peuvent obtenir une certaine autonomie mais pas celle qu’ils demandent. S’ils pourront organiser des élections locales, des conseils et des administrations comme toutes les autres régions, il n’y aura pas de force armée, de police ou de justice indépendante dans les zones à majorité kurde.

À plusieurs reprises au cours de la guerre, les Kurdes ont dépassé les bornes, ont fait des demandes trop importantes et ont perdu à cause de cela. La Turquie a pris la région d’Afrin et la population kurde a dû fuir parce que ses dirigeants ne voulaient pas que l’armée syrienne en prenne le contrôle. Dans une partie ultérieure du discours, Assad s’adressa de nouveau aux Kurdes sans les nommer spécifiquement. Il a prévenu :

« Les Américains ne vous protégeront pas... vous serez une monnaie d'échange dans leur poche en plus de l'argent qu'ils ont, et ils ont déjà commencé à négocier. Si vous ne vous préparez pas à défendre votre pays, vous serez de simples esclaves pour les Ottomans. Seul votre État vous protégera et seule l'armée arabe syrienne vous défendra lorsque vous la rejoindrez et combattrez sous sa bannière. Lorsque nous nous trouvons dans une même position et dans la même tranchée, que nous faisons face à un seul ennemi et que nous visons dans la même direction au lieu de nous viser les uns les autres, nous ne craignons aucune menace, quelle qu'en soit l'ampleur » a dit Son Excellence.

Le président al-Assad a déclaré que le temps est venu pour ces groupes de décider comment l'histoire les jugera, et qu'ils ont le choix : être maîtres sur leur propre terre, ou esclaves et pions aux mains des occupants.

L’offre est très claire et les conséquences d’un refus seront sévères. Les Kurdes et la région qu’ils détiennent doivent revenir sous le contrôle du gouvernement syrien ou la Turquie s’en emparera et mettra les Kurdes sous sa botte. L’entêtement de leurs dirigeants pourrait facilement mener à cela. Dans son discours, Assad prédit déjà qu’ils rejetteront son offre avant – peut-être – de l’accepter.

« Comme vous l'avez remarqué, je ne nommerai pas ces groupes, mais comme d'habitude, pendant quelques heures ou peut-être quelques jours, ils feront des déclarations attaquant ce discours, alors vous saurez de qui je parle » a-t-il ajouté.

Quelques heures après le discours d’Assad, le commandant kurde des SDF suppliait à nouveau les États-Unis d’y maintenir 1 500 hommes.

Mazloum Kobani, commandant en chef des Forces démocratiques syriennes (FDS) soutenues par les États-Unis, quémandait auprès des alliés de la coalition internationale de maintenir 1 000 à 1 500 soldats en Syrie.
 ...

« Nous aimerions avoir une couverture aérienne, un soutien aérien et une force au sol pour assurer la coordination avec nous », a déclaré M. Kobani aux journalistes dans une base aérienne non divulguée du nord-est de la Syrie, rapporte Reuters.

Il est très peu probable que Trump change de position. Les troupes américaines vont partir. Seul le gouvernement syrien peut donner aux Kurdes la protection dont ils ont besoin.

Combien d’autres Kurdes devront mourir avant que leurs dirigeants l’acceptent enfin ?

Moon of Alabama

Note du Saker Francophone

L'essai original du colonel (ou futur ex-colonel) François-Regis Legrier est disponible en français en téléchargement. Il est vraiment très intéressant à lire car il raconte une réalité de la guerre qui dénote totalement de la vision qu'en donne les médias occidentaux et se rapproche des analyses publiées ici notamment.

Il tape gentiment mais fermement sur les bureaucrates étoilés de l'OTAN. Il énonce une vérité largement partagée, les tensions au sein de la gouvernance militaire des USA entre Trump et le Pentagone, chacun menant sa guerre et surtout il met le gouvernement français mais aussi tous les gouvernements occidentaux face à leurs responsabilités.

L'analyse tactique et stratégique est aussi fort passionnante. Il en ressort qu'au niveau des colonels d'active au moins, les gradés n'en pensent pas moins et sûrement aussi les soldats notamment les fameuses forces spéciales sur le terrain qui sont censées gagner cette guerre. Les gars protégez-vous, ce n'est pas notre guerre.

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone

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