Sanctions iraniennes : la loi du Far-West…


Les États Unis répliquent à une décision de justice en annulant le traité qui donne compétence à ce tribunal


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 3 octobre 2018

Aujourd’hui, la Cour internationale de Justice (CIJ) a rendu un jugement provisoire (pdf, 29 pages) contre certaines des sanctions américaines prises contre l’Iran. Il s’agit d’une injonction préliminaire sur des questions humanitaires urgentes qui sera suivie ultérieurement d’un jugement définitif.

Les États-Unis ont réagi en annulant le traité qui donnait compétence au tribunal sur cette affaire.

La CIJ est le principal organe judiciaire des Nations Unies et règle les différends juridiques entre les États membres. Les décisions de la Cour, dont le siège est à La Haye, sont contraignantes. Mais il n’y a aucune force de police mondiale qui puisse faire en sorte que le gouvernement étatsunien soit forcé à suivre la décision du tribunal.

Néanmoins, le jugement établit un précédent que d’autres tribunaux utiliseront lorsque des cas plus spécifiques dus aux sanctions américaines contre l’Iran se présenteront. Une entreprise qui perdra des contrats d’affaire à cause des sanctions pourra poursuivre les États-Unis pour pertes financières. La décision de la CIJ sur l’illégalité des sanctions américaines pourra alors être utilisée comme référence par un tribunal local, même américain.

L’essentiel de la décision dit :

LA COUR,

annonce les mesures conservatoires suivantes :

(1) À l’unanimité,

Conformément aux obligations qui leur incombent en vertu du Traité d’amitié, de relations économiques et de droits consulaires de 1955, les États-Unis d’Amérique lèveront, par la voie qu’ils auront choisie, tous les obstacles découlant des mesures annoncées le 8 mai 2018 concernant la libre exportation vers le territoire de la République islamique d’Iran de

  1. i) médicaments et dispositifs médicaux ;
  2. ii) denrées alimentaires et produits agricoles ; et

iii) les pièces de rechange, les équipements et les services connexes (y compris la garantie, la maintenance, les services de réparation et les inspections) nécessaires à la sécurité de l’aviation civile ;

 (2) A l’unanimité,

Les États-Unis d’Amérique veilleront à ce que les licences et autorisations nécessaires soient accordées et à ce que les paiements et autres transferts de fonds ne soient soumis à aucune restriction dans la mesure où ils concernent les biens et services visés par l’article 1 ;

 (3) A l’unanimité,

Les deux parties s’abstiendront de toute action susceptible d’aggraver ou d’étendre le différend devant la Cour ou de le rendre plus difficile à régler.

Ce jugement provisoire, équivalent à une injonction, a été rendu en raison des dommages humanitaires imminents que les sanctions américaines causent à l’Iran. Le jugement définitif pourra prendre un an et sera probablement beaucoup plus étendu. Après la décision unanime d’aujourd’hui, l’orientation générale du résultat ne sera pas remise en question.

Les États-Unis ont prétendu que le tribunal n’avait pas compétence concernant ses sanctions contre l’Iran.

L’Iran a fait valoir que les sanctions américaines contreviennent au Traité d’amitié, de relations économiques et de droits consulaires entre l’Iran et les États-Unis d’Amérique (pdf), qui a été signé à Téhéran le 15 août 1955. Ce traité donnait compétence à la CIJ pour arbitrer les différends entre les deux pays sur toutes les questions qui s’y rapportent.

Le tribunal a accepté le point de vue de l’Iran.

Le secrétaire d’État américain, Pompeo, vient de tenir une conférence de presse au cours de laquelle il a annoncé que les États-Unis annulent dorénavant le traité de 1955. Sa déclaration était remplie de fanfaronnades et de mensonges :

Mercredi, les États-Unis ont qualifié de défaite pour Téhéran la décision d’un tribunal international qui a mis fin à un traité signé en 1955 sur lequel se fondait l’affaire.

……

Le secrétaire d’État Mike Pompeo a noté que le tribunal des Nations unies ne s’était pas prononcé de manière générale contre les sanctions américaines et il a insisté sur le fait que les États-Unis exemptaient déjà les denrées humanitaires de ces sanctions.

“La décision de la cour aujourd’hui a été une défaite pour l’Iran. Elle a rejeté à juste titre toutes les demandes sans fondement de l’Iran “, a déclaré Pompeo aux journalistes.

Cette injonction préliminaire est évidemment une victoire pour l’Iran. Le tribunal n’a pas encore statué sur la question plus large des sanctions américaines. Après avoir lu l’argumentaire, je suis convaincu que le jugement final ne fera que confirmer cette victoire. La décision est une grande perte pour l’administration Trump. Cela montre au monde que les États-Unis sont la seule et unique entité qui viole le traité de 1955 ainsi que l’accord nucléaire avec l’Iran (JCPOA) et la résolution unanime du Conseil de sécurité des Nations Unies approuvant l’accord nucléaire.

L’annonce par Pompeo de l’annulation du traité est quelque peu schizophrène. Il accepte la décision et la transgresse :

  • Les États-Unis n’auraient pas annulé le traité sans le jugement du tribunal qui est fondé sur ce traité. Avec l’annulation d’aujourd’hui, ou l’annonce de son annulation, les États-Unis admettent que l’intervention des tribunaux fondée sur le traité est juridiquement correcte. Cela contredit son précédent argument.
  • L’annulation du traité aujourd’hui transgresse le jugement des tribunaux. L’article trois de la décision du tribunal ordonne aux parties de ne pas rendre la question plus difficile à résoudre. L’annulation du traité rend maintenant le règlement de l’affaire plus difficile, aggrave et étend le différend en violation de l’ordonnance du tribunal.

En fait, les États-Unis se moquent ouvertement du tribunal. Il est peu probable qu’un tribunal accepte l’allégation clairement avancée par les États-Unis selon laquelle le traité n’existe plus, que la CIJ a perdu sa compétence dans cette affaire et que ses décisions peuvent donc être ignorées. On ne peut pas changer un contrat simplement parce qu’on a été reconnu coupable de l’avoir violé. L’affaire fera l’objet d’un jugement définitif en vertu du traité de 1955, car c’est ce traité qui a établi le statut juridique de l’affaire au moment où elle a été portée devant le tribunal.

Pompeo et d’autres diront sans aucun doute que cette décision n’a pas d’importance pour les États-Unis et que sa transgression n’entraînera aucun coût. Il sous-estime l’effet d’une telle décision sur les juridictions nationales inférieures. Ce seront elles qui jugeront de la saisie des biens américains lorsque des réclamations pour dommages économiques seront déposées contre les États-Unis et leur régime de sanctions.

L’affaire pèsera également sur l’opinion mondiale. Cela rend plus risqué pour les autres gouvernements de suivre le régime de sanctions américain.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone

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