Nous devons prendre au sérieux la possibilité d’une attaque nucléaire américaine


Par Ariel Noyola Rodríguez et Michel Chossudovsky – Le 15 mai 2017 – Source globalization.ca

La présidence de Donald Trump traverse une crise grave, surtout quand il s’agit plus que jamais du danger latent de l’explosion de la Troisième Guerre mondiale, qui cette fois serait nucléaire. Voici l’interview accordée à Ariel Rodriguez Noyola par Michel Chossudovsky, économiste canadien et fondateur du Centre de recherche sur la mondialisation (Global Research).

Chossudovsky, considéré comme l’un des plus grands experts de la géopolitique de l’économie mondiale, analyse en détail les événements les plus controversés des quatre premiers mois de cette année. L’interview aborde le sujet du bombardement ordonné par Trump contre une base militaire du gouvernement syrien, début avril dernier ; la question de la rivalité croissante entre les États-Unis et les puissances comme la Chine et la Russie ; et les contradictions entretenues dans la relation avec l’Union européenne ; entre autres sujets.

Selon le professeur émérite à l’Université d’Ottawa, bien qu’à l’origine le magnat de New York [Trump] ait semblé devoir émerger comme un président qui mettrait fin à la politique étrangère impériale de ses prédécesseurs, ses actions ont montré un caractère chaotique par rapport aux groupes d’intérêt qui composent le soi-disant «Deep State» (« État profond »), à savoir les compagnies pétrolières, les banques d’investissement de Wall Street et le complexe militaro-industriel.


Ariel Noyola Rodríguez (ANR): – Jusqu’à présent, les actions de Trump ont principalement consisté à signer des décrets. La construction d’un consensus brille par son absence. Son plan budgétaire par exemple, fait face à une forte opposition parmi les législateurs, autant démocrates que républicains. Quelle marge de manœuvre accordez-vous à Trump, durant ces premiers mois, pour mener à bien ses promesses de campagne ?

Michel Chossudovsky (MC) : – Eh bien, tout d’abord il convient de noter que la campagne électorale de Donald Trump a été essentiellement soutenue par la rhétorique, au-delà des objectifs qu’il pourrait réellement atteindre. Pour moi, l’élément fondamental de sa plate-forme politique a concerné des changements dans la politique étrangère des États-Unis, par exemple une éventuelle normalisation des relations diplomatiques avec la Russie.

La vérité est que jusqu’à présent presque toutes les déclarations antérieures, du point de vue rhétorique, ont été ignorées. Les relations avec la Russie sont bien pires qu’à l’époque du gouvernement de Barack Obama. L’offensive contre la Syrie est une intervention diabolique. Les conséquences de l’autorisation, par Trump, du bombardement du 7 avril vont beaucoup plus loin que celles qu’avait entraînées l’administration Obama.

Un autre élément que je pense important est de noter que Trump est un président avec très peu d’expérience en politique active, à savoir une personne qui ne connaît pas la politique étrangère ; il n’est jamais allé dans certains pays et ne sait même pas où ils sont situés, rappelez-vous comment il s’est mépris récemment, sur l’emplacement de l’Irak et de la Syrie. Avant de devenir président, il semblait très clair sur ce qu’il allait faire, mais il a été très limité dans la mise en œuvre de son plan d’action car, à mon avis, il  lui manque un cadre sérieux d’analyse de la situation générale.

Le plus visible dans cette présidence est la débâcle de la diplomatie internationale comme nous la connaissions traditionnellement, c’est à dire une manière propre à Trump de gérer la politique étrangère des États-Unis comme s’il s’agissait d’un « reality show », une question de relations publiques. C’était évident lors de sa rencontre avec le président chinois Xi Jinping. Trump a donné l’ordre de bombarder la Syrie juste au moment où il dînait avec Xi.

Ensuite, nous avons un président qui ne comprend pas la complexité de la politique internationale. Il ne comprend pas grand-chose non plus à la gestion des affaires militaires, lui et son équipe n’ont aucune idée claire, par exemple, des conséquences terribles d’une guerre nucléaire. Mais rien de tout cela n’est nouveau. La propagande interne aux États-Unis, depuis 2002 – 2003, est soutenue par la doctrine de la guerre préventive, qui présente la bombe nucléaire comme un instrument qui ne causerait aucun tort à la population civile. Un énorme mensonge, mais cependant écrit dans les manuels militaires.

De mon point de vue, la présidence Trump continue l’orientation de la politique adoptée par les administrations de Barack Obama et George W. Bush. Il est très regrettable que la tendance des dernières administrations présidentielles aux États-Unis, au moins depuis le gouvernement de Ronald Reagan, soit que celui qui détient le pouvoir exécutif n’exerce pas le pouvoir décisionnel direct.

La présidence est plus une entité de relations publiques, elle sert à faire des discours. Légalement, le président a bien sûr, beaucoup de pouvoir, mais les principales décisions sont dictées par les parties prenantes de l’État profond (Deep State), composé des grandes compagnies pétrolières, des banques d’investissement de Wall Street et du complexe militaro-industriel. Le président américain est plutôt une figure de proue décorative. Cela est apparu très clairement lors de l’administration Obama qui, il faut le reconnaître, n’avait quasiment aucune marge de manœuvre étant plutôt séquestré. Tout a été dicté par les think tanks de Washington, ainsi que par l’État profond des groupes d’intérêt.

Nous sommes devant la privatisation de l’État américain. Le Commandant en chef est également privatisé. Trump ne répond pas correctement aux intérêts des citoyens, mais obéit plutôt aux différents groupes du pouvoir économique. Ce qui est différent dans le cas de Trump est que, au moins au début, sa campagne n’a pas été dictée par les conglomérats d’entreprises aux États-Unis, contrairement à Hillary Clinton.

Hillary a reçu de l’argent directement de la part d’entreprises comme Lockheed Martin, appartenant au complexe militaro-industriel, de certaines banques d’investissement comme Goldman Sachs, Citibank et JP Morgan, de compagnies pétrolières, etc. Hillary a été étroitement liée à des groupes d’intérêt traditionnels aux États-Unis, de plus elle a également été prise en charge par les grands médias corporatifs simplement pour être la candidate disposée à perpétuer le système.

Avec Trump c’était différent, parce qu’il avait son propre argent. Il avait une logique de financement de la campagne électorale très différente de celle d’Hillary. Il contrôlait ses finances et, par conséquent, avait l’opportunité de soumettre des propositions qui rompaient en quelque sorte avec les directives émises par l’État profond.

Pour l’instant, il est devenu clair que le président Donald Trump a été incapable de répondre à plusieurs de ses promesses de campagne

Mais en même temps, ce qui a toujours été très clair pendant la campagne Trump est qu’il n’a jamais compris la logique de l’État profond ni de la politique étrangère, ni de l’économie. Il a dit qu’il créerait massivement des emplois aux États-Unis par le biais d’une restructuration des accords de libre-échange. Il a menacé des entreprises – les constructeurs automobiles par exemple – pour qu’ils cessent de délocaliser leur production. Ce sont des questions importantes, bien sûr, mais il croyait que la rhétorique seule résoudrait tout.

L’économie mondiale ne fonctionne pas ainsi. Les relations contradictoires entre les pays à salaires faibles et élevés font partie de la logique de l’économie mondiale. Les entreprises produisent en Chine parce que le salaire est 20 fois inférieur à celui des États-Unis. Néanmoins, il est vrai que la rhétorique de Trump a été soutenue par la classe ouvrière située dans des villes comme Detroit, l’un des principaux sites de l’industrie automobile.

La réalité est que les entreprises américaines ne vont pas abandonner la logique de la production délocalisée dans les pays à faible salaire, seulement parce que Trump le veut. Au Mexique par exemple, c’est ainsi que fonctionnent les entreprises installées en zones franches sur la frontière. Et vous ne pouvez pas changer cette histoire, simplement par une série de déclarations d’un candidat. Et quand Trump est devenu président, ses idées  n’ont tout simplement pas rencontré les bases pour se matérialiser.

De là, l’évidence de la nature du gouvernement de Trump : Rex Tillerson au Département d’État, Mike Pompeo à la CIA, James Mattis au ministère de la Défense, etc. La désignation de ces personnalités est une démonstration claire de la soumission de Trump aux parties prenantes de l’État profond, qui elles représentent toutes la continuité [des politiques antérieures].

Parmi les décrets les plus controversés signés par Trump il y a ceux qui sont liés à l’immigration. Par exemple, en limitant l’entrée des musulmans sur le territoire des États-Unis sous prétexte de « lutte contre le terrorisme », une décision à laquelle la Cour suprême a plus tard opposé son veto. Tout aussi controversé est le projet de construction d’un mur le long de la frontière avec le Mexique. Quels dangers représentent les politiques de Trump pour la population musulmane ? Pensez-vous que Trump pourchasse vraiment les immigrés, ou cela fait-il  plutôt partie de la propagande ?

En cela, il y a aussi la continuité. L’islamophobie n’est pas nouvelle aux États-Unis. Oui, je pense que c’est un élément de propagande, mais il faut tenir compte du fait que la propagande a ses éléments concrets. Voyez Guantánamo comme un exemple de propagande. Au début, les gens disaient « Oh quelle horreur, des actes de torture sont commis à Guantánamo ! », c’était de notoriété publique. Mais aussi servi par la propagande : « Ce sont des terroristes, il est donc important de les garder enfermés là-bas (…) la base militaire de Guantánamo contribue à assurer la sécurité des États-Unis. »

Le décret de limitation de l’entrée des musulmans peut être interprété de la même façon, même s’il faut ensuite faire marche arrière à un moment donné. Mais l’élément de propagande qui salit les musulmans en disant qu’ils sont des « voyous » fait partie du langage utilisé par Trump. Il envoie ainsi le message que « nous [les Américains] sommes civilisés », alors que “ces voyous qui ne respectent pas les droits des femmes sont des terroristes ». Ces discours sont créés pour soutenir la “guerre contre le terrorisme”.

Les États Unis ont eu recours à l’islamophobie pour justifier la « guerre contre le terrorisme », le gouvernement de Donald Trump n’est pas une exception

Mais ils savent parfaitement que la justification de la « guerre contre le terrorisme » est extrêmement fragile, du point de vue idéologique. Les principaux groupes terroristes ont été créés par la CIA, ce sont des instruments des services de renseignement des États-Unis. Voilà pourquoi la « guerre contre le terrorisme » est un mensonge. Mais pour soutenir un mensonge, il est nécessaire d’avoir non seulement un discours anti-terroriste, mais aussi de l’étendre à l’ensemble de la population musulmane pour justifier les guerres qui sont menées dans les pays musulmans.

De fait, l’idéologie militaire américaine, si on l’analyse attentivement, est basée sur la « guerre contre le terrorisme », il est même intéressant de noter que cette doctrine justifie l’utilisation d’armes nucléaires contre al-Qaïda. Ils disent qu’il y a quatre pays qui sont des cibles de « guerre nucléaire préventive » (la Chine, la Russie, l’Iran et la Corée du Nord), mais al-Qaïda et État islamique sont aussi des cibles, ce qui est absurde.

D’un autre côté, nous savons très bien que les États-Unis soutiennent al-Qaïda et ISIS en Syrie et en Irak. L’initiative d’Obama en 2014, d’organiser une opération de lutte contre le terrorisme, était un leurre. En fait, toutes les interventions des États-Unis en Syrie et en Irak ont ​​pour but de soutenir l’insurrection d’al-Qaïda, avec évidemment le soutien de ses principaux alliés (l’Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar).

Beaucoup ont été surpris par le fait que Trump a ordonné d’attaquer une base militaire du gouvernement syrien, d’autant plus qu’il n’y a jamais eu de recherche sérieuse pour montrer que Bachar el-Assad a ordonné l’utilisation d’armes chimiques contre la population. En ce sens, pensez-vous que Trump pourrait regretter d’être intervenu militairement en Syrie de manière unilatérale ?

Honnêtement, je ne pense pas que Trump revienne en arrière dans sa ligne d’action contre la Syrie. Il y a eu un rapport publié par la Maison Blanche, au sujet de ce qu’elle appelait l’attaque aux armes chimiques, ce rapport complètement débile a même a été réfuté par plusieurs sources importantes. Nous avons aussi l’étude de Theodore M. Postol, un scientifique de renom à l’Institut de Technologie du Massachusetts (MIT), une personne proche du Pentagone. Théodore a contesté la véracité du rapport de la Maison Blanche.

Par ailleurs, les médias aux États-Unis insistent pour répandre l’idée que Bachar el-Assad est responsable de cela et, de plus, la gauche elle-même aux États-Unis prend une position tout à fait contradictoire sur ces faits. Les groupes progressistes sont silencieux. Ils ne disent rien parce que, d’une certaine manière, ils soutiennent les « actions humanitaires » des forces armées américaines et de l’OTAN, malgré quelques nuances claires, le groupe progressiste n’a pas un discours homogène.

Beaucoup d’entre-eux soutiennent que le gouvernement de Bachar el-Assad a commis des atrocités contre la population ; ce sont des déclarations non fondées, ils insistent sur le fait que nous devons promouvoir un changement de régime en Syrie. En outre, il convient de noter que l’opinion publique aux États-Unis est très mal informée. Il est regrettable que la plupart du public américain ait exprimé son accord avec le bombardement [de Trump] en Syrie.

En ce qui concerne la région Asie-Pacifique il semble aussi y avoir une ligne de continuité. Alors que Donald Trump a signé les premiers jours de son gouvernement un ordre exécutif pour que les États-Unis quittent le Partenariat Trans-Pacifique (TPP), le harcèlement militaire contre la Chine persiste. Trump renforce la coopération militaire avec le Japon et la Corée du Sud, alors que les relations entre les États-Unis et la Corée du Nord ont atteint un point de tension extrême. Quelle est votre point de vue sur la politique étrangère de Trump en Asie-Pacifique ?

Les missiles THAAD  (Terminal High Altitude Area Defense) étaient prêts à être installés sous l’administration Obama. La militarisation de l’Asie du Sud-Est, y compris la mer de Chine du Sud, fait partie d’une politique bien formulée. Tout cela vise à contenir la Chine. Maintenant, sous la présidence de Trump, il y a quelques différences. Mais Trump ne comprend pas ses actions de politique étrangère en Asie, il ne comprend pas la portée des relations de coopération militaire entre la Corée du Sud et des États-Unis ou le Japon.

Trump ne comprend pas non plus, comme je l’ai déjà dit, les dangers de l’utilisation des armes nucléaires. Le changement au sujet de l’Asie réside dans le dialogue avec la Chine qui a commencé aujourd’hui, avec le président Xi Jinping, mais est largement soutenu par la naïveté politique. Trump a pensé que si Xi était invité à un événement très luxueux à Mar-a-Lago, en Floride [la résidence privée de Trump, NdT] et s’il lui offrait un repas grandiose, les relations entre la Chine et les États-Unis prendraient une nouvelle direction. Cela ne s’est pas passé ainsi.

Donald Trump reçoit le président chinois Xi Jinping dans sa maison de Mar-a-Lago, en Floride, au début du mois d’avril de cette année

La Chine est étroitement liée à la Russie par de nombreux accords multilatéraux. Par exemple, par l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) ou les BRICS (un acronyme pour Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). La Chine est maintenant une puissance, et son président ne peut pas être traité comme une personne facile à corrompre. La Chine a ses propres lignes directrices en politique étrangère. Je ne pense pas qu’elle va travailler beaucoup avec les États-Unis. Les pays émergents comme la Chine sont conscients qu’un système multipolaire d’alliances est extrêmement pertinent.

On peut supposer, bien sûr, une certaine coopération avec les États-Unis dans le domaine économique, par exemple, la relation bilatérale est très développée dans le commerce. Les institutions financières de Wall Street sont installées en Chine depuis de nombreuses années. D’autre part, il y a une véritable collision dans le domaine militaire : dans la mer de Chine méridionale, le détroit de Taiwan, etc.

Il faut également noter que les relations bilatérales entre la Chine et la Corée du Nord ne sont pas si bonnes. Il y a un jeu de puissance là-bas, de sorte que du point de vue des Chinois, il peut y avoir un certain opportunisme dans une relation avec les États-Unis, mais en termes de questions plus fondamentales, je ne le pense pas. L’installation de missiles en Corée du Sud est dirigée contre la Chine, et non contre la Corée du Nord.

La base navale et la force aérienne tripartite (États-Unis, Japon et Corée du Sud) située sur l’île de Jeju, une île au sud de la péninsule coréenne, près de Shanghai, a été utilisée par le Japon comme base stratégique pendant la Seconde Guerre mondiale. Et maintenant, les États-Unis prétendent militariser toute la frontière maritime de la Chine, et la haute direction du Parti communiste chinois le sait.

Un secteur des élites chinoises est très pro-États-Unis. Les couches intellectuelles spécialisées en sciences sociales et économiques, certains groupes d’affaires sont très pro-États-Unis. Ainsi, en Chine, il y a différentes factions et les États-Unis cherchent des alliances avec Pékin visant à affaiblir la Russie, en provoquant des divisions.

Mais les Chinois ne révéleront jamais publiquement leurs intentions. Il y a des contradictions dans leurs discours, parce que les Chinois ne dévoilent pas leurs objectifs. Les Chinois continuent à travailler avec qui leur convient. Les groupes d’entreprises savent parfaitement bien que dans certains domaines, il y a confrontation. Je parle, par exemple, du secteur pétrolier, il y a un affrontement face-à-face avec les intérêts américains. Voyons aussi comment la Chine a connu une expansion, grâce à ses relations commerciales en Afrique et en Amérique latine, cela représente un danger pour l’hégémonie économique des États-Unis.

Mais les Chinois n’ont pas vraiment un projet hégémonique dans la construction de ces relations commerciales, du moins jusqu’à présent. Autrement dit, leurs accords économiques ne sont pas accompagnés par des relations militaires, c’est la différence avec les États-Unis. Washington a un intérêt en Amérique latine, mais signe également des accords de sécurité, installe des bases militaires, mais la Chine ne fonctionne pas ainsi. Les Chinois entrent en Afrique et créent des relations d’affaires fructueuses avec les gouvernements, mais cela va à l’encontre des intérêts occidentaux, car cela donne plus de souveraineté aux gouvernements nationaux qui font des affaires avec les Chinois. Pour cette raison, la confrontation se produit non seulement en Asie à travers la géopolitique du « pivot » décidée par Obama, mais aussi d’une façon plus générale.

Parlons de l’Europe. Tout semblait indiquer que Trump allait prendre ses distances avec l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), mais il s’est radouci quand il a dit qu’il ne la considérait plus comme « obsolète ». D’autre part, l’Allemagne est accusée de « manipuler l’euro » pour son propre bénéfice, tandis qu’un certain nombre de hauts fonctionnaires de l’administration Trump ont proposé de réduire le rôle de Washington, à la fois au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale. Quel avenir pronostiquez-vous quant au rôle des États-Unis dans les exercices de l’OTAN ? Trump est-il un ennemi des institutions nées à Bretton Woods ?

Ce que nous voyons en Europe, c’est que les gouvernements n’ont plus la souveraineté d’autrefois. Il y a des interférences des États-Unis dans la politique intérieure de plusieurs pays, dont l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et maintenant même la France. Dans ce dernier cas, l’intervention a commencé à prendre forme sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy, qui, durant la campagne électorale était le candidat favori des États-Unis à la présidence.

L’OTAN est une organisation dominée par le Pentagone. L’acteur le plus important est Washington : les pays membres de l’OTAN financent un grand appareil militaire qui sert les intérêts de Washington. Trump, bien sûr, veut davantage de fonds pour l’OTAN. Tous les accords de coopération militaire que signent les États-Unis, y compris ceux établis avec la Corée du Sud et le Japon, avaient pour objet d’imposer aux pays participants le financement des guerres promues par les États-Unis. Et l’OTAN suit la même logique : tous les États membres la financent, mais sa ligne de conduite est déterminée au Pentagone.

Quant aux institutions de Bretton Woods, nous savons que ce sont des entités étroitement liées à la puissance économique des États-Unis. Je parle de Wall Street, du département du Trésor, des think tanks, etc. Il s’agit de la substance même de ce que nous appelons le « consensus de Washington ». Trump signale qu’il serait bon que les autres pays membres financent plus les institutions de Bretton Woods que les États-Unis, mais c’est là un discours totalement dépassé.

Trump ne comprend pas la ligne de conduite du FMI en Grèce. Regardez, lorsque le FMI intervient dans un pays, en Grèce ou ailleurs, et dit « nous allons prêter 1 000 millions de dollars », la réalité est plutôt que l’argent ne pénètre jamais dans le pays. Cet argent, fictif par ailleurs, est utilisé pour financer les créanciers, qui pourraient aussi bien être des banques d’investissement de Wall Street ou le gouvernement allemand. Un prêt du FMI ne vise pas à financer le développement économique d’un pays en difficulté, il est destiné à assurer le paiement de la dette, il s’agit d’un instrument de domination.

Chaque fois que le FMI prête de l’argent à la Grèce, cet argent va dans les coffres de la Deutsche Bank ou de Goldman Sachs, c’est ainsi que les choses fonctionnent. Et ces prêts sont financés par les pays membres du FMI. Le gouvernement grec prend l’argent, mais ces ressources se terminent généralement dans les poches des grands banquiers.

Enfin, par rapport à ce qui advient, devant la menace réelle d’une troisième guerre mondiale, qui cette fois sera nucléaire, que pouvons-nous faire pour mettre en place une résistance globale ? Comment la société peut-elle éviter un dénouement dramatique ?

– Il est très important que l’opinion publique reste en état d’alerte contre les incursions militaires américaines dans le monde entier, en particulier à la frontière avec la Russie, à la frontière de l’Ukraine, au Moyen-Orient et aussi en Corée du Nord. La possibilité d’une attaque nucléaire par les États-Unis, que ce soit délibéré ou accidentel, est quelque chose à prendre au sérieux. Il faudrait examiner dans le détail les importantes études concernant l’impact d’une guerre nucléaire qui pourrait conduire à la fin de l’humanité telle que nous la connaissons. Ce sont des études tout à fait sérieuses, qui donnent à penser que même une guerre nucléaire régionale serait une catastrophe mondiale.

Quant à ce qu’il faut faire, je voudrais souligner deux éléments. Tout d’abord, les mouvements de masse sont nécessaires. Mais ces mouvements doivent avoir lieu à  l’Ouest. En outre, ils doivent rompre les liens avec les milieux progressistes, qui ont été complices du statu quo autant en Europe qu’aux États-Unis. En France, c’est très clair, mais aussi aux États-Unis, où les secteurs progressistes du Parti démocrate ont promu les intérêts de l’État profond.

Compte tenu du panorama mondial actuel Chossudovsky voit un besoin urgent de reconstruire le mouvement anti-guerre, principalement dans les pays occidentaux

Il faut répondre aux mouvements anti-guerre qui croient que la guerre qui se déroule en Syrie est une guerre civile. Beaucoup pensent à tort que le mouvement anti-guerre ne devrait pas s’en inquiéter, mais simplement accepter l’idée qu’il s’agit d’une « guerre humanitaire ». Le vrai mouvement anti-guerre est mort, nous avons donc besoin de le construire à nouveau, en tenant compte des dangers de Troisième Guerre mondiale.

En second lieu, l’Histoire nous dit que les changements dans l’appareil d’État, dans l’establishment militaire, doivent venir de l’intérieur de l’État, c’est à dire des forces armées, des services de renseignement, etc. Il y a une machine de propagande dirigée contre les officiers de l’appareil politique et militaire des États-Unis. Il est essentiel qu’il y ait un changement au sein de l’appareil d’État, où les décisions sont prises. Ce n’est pas facile, il faut que la société civile ait des liens avec les différents secteurs de l’appareil institutionnel.

Nous voyons cela aux États-Unis à travers certains groupes d’anciens officiers des services de renseignement, des gens qui prennent des positions contre la guerre, alors qu’à un moment donné ils ont servi la CIA et d’autres appareils militaires et de renseignement des États-Unis. Par conséquent, je le souligne encore une fois, le mouvement anti-guerre doit investir les entrailles de l’appareil d’État pour obtenir des changements fondamentaux dans la prise de décision.

Merci Michel, cela a été un plaisir de vous parler.

Michel Chossudovsky est professeur émérite d’économie à l’Université d’Ottawa, il est le fondateur et le directeur du Centre de recherche sur la mondialisation (Global Research). Ses écrits ont été publiés dans plus de 20 langues, c’est un anti-mondialisation et un activiste anti-guerre. Il a été professeur invité dans des organisations universitaires en Europe de l’Est, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, ainsi que conseiller pour les gouvernements de pays en développement et consultant des organisations internationales comme le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Il a reçu la Médaille d’or de la République de Serbie pour ses écrits sur la guerre d’agression de l’OTAN contre la Yougoslavie (2014).

Ariel Noyola Rodriguez est économiste diplômé de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM) et correspondant du Centre pour la recherche sur la mondialisation en Amérique latine. Il fait partie ainsi de plusieurs groupes de travail du Conseil latino-américain des sciences sociales (CLACSO). Le club des journalistes du Mexique lui a accordé à plusieurs reprises le Prix national du journalisme dans la catégorie de la meilleur analyse économique et financière.

Traduit et édité par jj, relu par nadine pour le Saker Francophone

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