L’“exceptionnalisme” de Joe Biden va perdurer


Par Moon of Alabama – Le 19 juin 2024

L’accent mis sur l’exceptionnalisme des États-Unis a été un thème majeur tout au long de la présidence de Joe Biden.

Remarques du président Biden sur un avenir « Made in America » – 18 mai 2021

Nous sommes aux États-Unis d’Amérique, nom de Dieu.

60 MinutesPrésident Joe Biden : Transcription de l’interview de 2023 dans 60 Minutes – 15 octobre 2023

Scott Pelley : Les guerres en Israël et en Ukraine sont-elles trop pour que les États-Unis puissent les assumer en même temps ?

Nous sommes les États-Unis d’Amérique, nom de Dieu, la nation la plus puissante de l’histoire – pas du monde, de l’histoire du monde. L’histoire du monde. Nous pouvons nous occuper de ces deux points tout en maintenant notre défense internationale globale.

Transcription complète de l’interview du président Joe Biden avec TIME – 5 juin 2024

Q : L’Amérique est-elle encore capable de jouer le rôle de puissance mondiale qu’elle a joué pendant la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide ?

Joe Biden : Oui, nous prévoyons même de l’être encore plus. Nous sommes la puissance mondiale.

Le discours sur l’exceptionnalisme américain est généralement bipartisan.

Mais il y a enfin une voix dans la politique étrangère américaine qui s’élève contre l’exceptionnalisme et appelle à une vision différente des choses.

Ben Rhodes, ancien conseiller à la sécurité nationale du président Barrack Obama, écrit dans les pages du magazine Foreign Affairs.

Pour une politique étrangère dans le monde tel qu’il est
Biden et la recherche d’une nouvelle stratégie américaine

[L’esprit de restauration de l’administration Biden a parfois lutté contre les courants de notre époque désordonnée. Une conception actualisée du leadership américain – adaptée à un monde qui s’est éloigné de la primauté américaine et des excentricités de la politique américaine – est nécessaire pour minimiser les risques énormes et saisir de nouvelles opportunités.

Ce conseil semble bien intentionné. Les États-Unis ont tendance à volontairement ignorer les conséquences de leurs politiques. Ils n’y réfléchissent pas. S’ils commençaient à le faire, leurs politiques pourraient changer :

Jusqu’à présent, Washington n’a pas procédé à l’audit nécessaire de la manière dont sa politique étrangère de l’après-guerre froide a discrédité le leadership américain. La “guerre contre le terrorisme” a enhardi les autocrates, mal réparti les ressources, alimenté une crise migratoire mondiale et contribué à un arc d’instabilité allant de l’Asie du Sud à l’Afrique du Nord. Les prescriptions du soi-disant consensus de Washington en matière d’économie de marché se sont soldées par une crise financière qui a ouvert la voie aux populistes s’insurgeant contre des élites dépassées. Le recours excessif aux sanctions a entraîné une augmentation des solutions de contournement et une lassitude mondiale face à l’arme qu’est la domination du dollar. Au cours des deux dernières décennies, les leçons américaines sur la démocratie ont été de plus en plus ignorées.

Le cas de Gaza le souligne et a ravivé le rejet mondial des politiques américaines :

En effet, après l’attaque du 7 octobre du Hamas contre Israël et la campagne militaire israélienne à Gaza, la rhétorique américaine sur l’ordre international fondé sur des règles a été perçue dans le monde entier comme un écran d’hypocrisie, puisque Washington a fourni au gouvernement israélien des armes utilisées pour bombarder les civils palestiniens en toute impunité. La guerre a créé un défi politique pour une administration qui critique la Russie pour les mêmes tactiques aveugles qu’Israël a utilisées à Gaza, un défi politique pour un Parti démocrate dont les électeurs ne comprennent pas pourquoi le président soutient un gouvernement d’extrême droite qui ignore les conseils des États-Unis, et une crise morale pour un pays dont la politique étrangère prétend être guidée par des valeurs universelles. En d’autres termes, Gaza devrait choquer Washington : Gaza devrait faire sortir Washington de la mémoire musculaire qui guide un trop grand nombre de ses actions.

Le monde a évolué. Si les États-Unis veulent continuer à en faire partie, ils devront s’y adapter :

Trop souvent, les États-Unis ont semblé incapables ou peu désireux de se voir à travers les yeux de la majorité de la population mondiale, en particulier les populations du Sud qui estiment que l’ordre international n’est pas conçu dans leur intérêt. Pourtant, le recours excessif aux sanctions, ainsi que la priorité accordée à l’Ukraine et à d’autres intérêts géopolitiques des États-Unis, est une erreur d’interprétation. Pour établir de meilleurs liens avec les pays en développement, Washington doit constamment donner la priorité aux questions qui leur tiennent à cœur : l’investissement, la technologie et l’énergie propre.

Une fois de plus, Gaza interagit avec ce défi. Pour être franc : pour une grande partie du monde, il semble que Washington n’accorde pas autant d’importance à la vie des enfants palestiniens qu’à celle des Israéliens ou des Ukrainiens. L’aide militaire inconditionnelle à Israël, la remise en question du nombre de morts palestiniens, le veto opposé aux résolutions de cessez-le-feu au Conseil de sécurité des Nations unies et la critique des enquêtes sur les crimes de guerre israéliens présumés sont autant d’éléments qui peuvent sembler en pilotage automatique à Washington, mais c’est précisément le problème. Une grande partie du monde considère désormais que la rhétorique américaine sur les droits de l’homme et l’État de droit est plus cynique qu’ambitieuse, en particulier lorsqu’elle ne parvient pas à lutter contre une politique du deux poids, deux mesures. La cohérence totale est impossible à atteindre en matière de politique étrangère. Mais en écoutant et en répondant à des voix plus diverses à travers le monde, Washington pourrait commencer à construire un réservoir de bonne volonté.

Mais cela changerait-il les politiques ? Rhodes ne plaide pas en faveur d’un rajeunissement des organisations internationales et d’une soumission des États-Unis à celles-ci. Il semble toujours considérer les États-Unis comme une sorte d’entité exceptionnelle.

Il y a de toute façon peu de chances que Biden adopte les conseils de Rhodes. Pendant l’administration Obama, l’équipe de Biden a eu plusieurs démêlés avec l’atelier de sécurité nationale dirigé par Rhodes.

Cela donne l’impression que Rhodes ne veut qu’une nouvelle rhétorique, et non une nouvelle façon de faire de la politique internationale. Continuez à faire ce que vous faites, dit-il, mais vendez-le différemment.

Cela correspond à un autre article de l’édition actuelle de Foreign Affairs, dans lequel trois professeurs tentent de vendre leurs politiques fondamentalement néoconservatrices – faites ce que nous disons ou sinon ? – comme un programme “progressiste” :

Un cas progressif de puissance américaine

Le repli sur soi ferait plus de mal que de bien

Les progressistes d’aujourd’hui doivent s’accommoder de la puissance américaine qui, malgré tous ses défauts, a un rôle crucial à jouer. Cela ne signifie pas qu’il faille tolérer des actions illibérales pour atteindre des objectifs justes ou invoquer cyniquement des idéaux progressistes pour justifier l’aventurisme militaire. Mais cela signifie qu’il faut chercher à exploiter le pouvoir pour promouvoir les valeurs que les progressistes chérissent, et accepter que la force ait parfois raison.

C’est, à première vue, l’opposé de ce que Rhodes défend.

J’applaudis l’idée qui sous-tend l’article de Rhodes, mais je vois peu de chances qu’elle soit mise en œuvre, surtout sous la présidence de Biden.

LA “puissance mondiale” – comme Biden appelle les États-Unis – ne s’écartera pas à moins que quelqu’un ne l’y oblige.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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