L’Europe à la croisée des chemins


Par Vladimir Nesterov- Le 12 août 2016 – Source Strategic-Culture

L’agence de nouvelles Bloomberg a nommé un certain nombre de pays européens dont ses experts estiment qu’ils pourraient bientôt se transformer en foyers d’instabilité. Ceux-ci incluent l’Allemagne, l’Espagne, l’Autriche et les Pays-Bas. La Grande-Bretagne, la Lituanie, la République tchèque, la Roumanie, la Croatie et la Hongrie peuvent également être inclues pour leur part dans la poursuite de l’instabilité de la région. L’agence de nouvelles relie toute cette agitation potentielle aux prochaines élections législatives, présidentielles et locales dans ces pays, ainsi qu’aux référendums à venir.

Selon les experts de Bloomberg, les élections régionales dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale et à Berlin les 4 et 18 septembre, dans lesquelles l’Alternative du parti d’opposition pour l’Allemagne (Afd) peut être couronnée de succès, permettra de déterminer ce que le paysage politique sera en l’Allemagne à l’approche des élections au Bundestag à l’automne 2017. Si Angela Merkel se présente à nouveau au poste de chancelière, les élections deviendront un référendum de confiance en elle − un plébiscite. La politique de Merkel au sujet des réfugiés a provoqué une réaction grave, affaiblissant la position de la chancelière. À l’heure actuelle, l’Afd est prête à défier les chrétiens-démocrates. Il convient de rappeler que l’Afd a remporté 24% dans les élections régionales de Saxe-Anhalt tenues en mars 2016.

Des élections régionales doivent également avoir lieu au pays basque espagnol en septembre 2016. Les experts prédisent que les nationalistes basques conserveront le pouvoir. En outre, le parti Podemos − qui, bien que favorable au maintien de l’unité de l’Espagne est opposé aux mesures d’austérité et aux réductions de dépenses imposées au pays par ses créanciers− peut améliorer sa position. Après les élections, les nationalistes basques demanderont à Madrid plus d’argent et d’autonomie locale, donnant un nouvel élan aux séparatistes en Catalogne.

Début octobre seront rejouées les élections présidentielles en Autriche. Le candidat du Parti libéral autrichien, Norbert Hofer, a une chance raisonnable de devenir président, bien que la compétition promette d’être serrée. Ces nouvelles élections ont été programmées suite à une décision de justice qui avait annulé le résultat des élections précédentes, tenues le 22 mai, dans lequel le candidat du Parti Vert, Alexander van der Bellen, avait battu Hofer de justesse.

Octobre 2016 verra également un référendum sur la réforme du gouvernement en Italie. La réforme proposée, mise en avant par le Parti démocratique du Premier ministre Matteo Renzi, dépouillera la chambre haute du parlement de la capacité de faire tomber les gouvernements. Le nombre de sénateurs serait réduit de deux tiers. Bloomberg cite les résultats d’un sondage, réalisé en juillet, auprès de l’opinion publique montrant que 35% des Italiens s’opposent à la réforme, 29% l’appuient, et 18% sont indécis. Matteo Renzi a promis de démissionner s’il perd le référendum. Une crise politique, si elle se produit, sera bénéfique au mouvement eurosceptique Cinque Stelle [Cinq Étoiles] en Italie, qui réclame un référendum sur l’adhésion de l’Italie à la zone euro. Par ailleurs, le Mouvement Cinq étoiles bénéficie actuellement de meilleurs sondages que le Parti démocrate au pouvoir actuellement.

Un référendum est également prévu en Hongrie en octobre. Les Hongrois devront répondre à la question : « Voulez-vous que l’Union européenne ait le droit de prescrire l’hébergement obligatoire de citoyens non-hongrois en Hongrie sans le consentement du Parlement ? » Le Premier ministre Viktor Orban estime que les « quotas de l’UE pour la distribution des réfugiés répandent le terrorisme à travers l’Europe ». Il n’y a aucun doute sur le résultat : la majorité des Hongrois est contre l’arrivée des réfugiés. La seule question est de savoir si le taux de participation sera inférieur à 50%.

Il y a quelque chose de plus à ajouter à l’article de Bloomberg.

Selon les résultats du sondage réalisé par Deutschland Trend pour la télévision du service public ARD et publié le 4 août, 47% des sondés ayant répondu ont dit qu’ils étaient satisfaits du travail de Merkel, 12% de moins qu’en juillet. De plus, c’est la politique des réfugiés de Merkel qui provoque le plus d’insatisfaction, avec 67% des sondés disant qu’ils ne sont pas d’accord avec elle.

Suite à un article paru dans Der Spiegel en mai, les Allemands savent maintenant que €93,6 milliards seront consacrés aux réfugiés d’ici à 2020. Et cela représente juste la pointe de l’iceberg en ce qui concerne les problèmes économiques de l’Allemagne. Entre janvier et mars, la croissance a été de 0,7%, cependant en mai la production industrielle a commencé à décliner. La Bundesbank a réduit ses prévisions de croissance économique à 1,7% pour l’année en cours et à 1,4% pour 2017. L’une des principales raisons est la situation difficile sur les marchés émergents et sa conséquence sur les exportations.

Les difficultés économiques poussent les banques à accroître les transactions douteuses. Le stress test effectué par la BCE et l’Autorité bancaire européenne (ABE) sur les plus grandes banques de l’UE a montré que la Deutsche Bank était parmi la douzaine des banques les moins performantes. La banque a une exposition aux dérivés de €55 mille milliards, ce qui est quatre fois plus élevé (!) que le PIB annuel de toute l’Union européenne. Il s’agit tout simplement d’une bombe à retardement financière.

Quant à l’Espagne, c’est la Catalogne qui donne le ton pour un changement politique possible là-bas. À la fin de juillet cette année, le Parlement catalan a approuvé les conclusions d’une commission mise en place pour étudier les questions liées à la sécession de  la région catalane. Dans les conclusions de la commission sont incluses des suggestions pour un processus de sécession unilatéral et l’adoption d’une constitution pour une Catalogne indépendante par référendum. Madrid a interjeté appel contre la décision de Barcelone devant la Cour Constitutionnelle, mais apparemment il est déjà trop tard pour changer quoi que ce soit. Les élections de septembre dans le Pays Basque montrent à quel point le peuple basque est disposé à suivre la voie tracée par les Catalans.

En ce qui concerne l’Autriche, il convient de rappeler pourquoi les résultats des élections présidentielles du pays ont été annulées. La raison est extrêmement banale : afin d’éviter qu’un eurosceptique ne devienne chef de l’État, les résultats des élections dans la république alpine ont été truqués. Cela concerne, en particulier, le dépouillement des bulletins de vote par correspondance. Le tribunal autrichien ne pouvait manquer de le remarquer.

Et en Italie, c’est non seulement le mouvement Cinq étoiles qui cherche à redéfinir ses relations avec Bruxelles. La Lega Nord [Ligue du Nord], qui ne voit plus l’avenir de son pays dans l’Union européenne, est à la recherche de la même chose. En tant que leader de la Ligue du Nord, Matteo Salvini, a noté qu’après le Brexit, l’Italie ne sera pas le dernier pays à sauter du navire en perdition qu’est l’Union européenne. Selon Salvini, l’UE agit comme un « carcan » pour l’Europe. Nous devons vivre en Europe, dit Salvini, mais cela ne sera possible que sans l’Union européenne.

En ce qui concerne les changements politiques inévitables dans un certain nombre de pays européens, l’agence de nouvelles Bloomberg essaie d’effrayer ses lecteurs avec la perspective d’une instabilité imminente. Mais le changement est loin d’être synonyme d’instabilité. C’est l’Europe que nous voyons aujourd’hui qui est instable. Le remplacement imminent des élites politiques ouvrira vraiment la voie à une nouvelle stabilité.

Vladimir Nesterov

Traduit et édité par jj, relu par Catherine pour le Saker Francophone

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