L’effondrement et la bonne vie


Par Dmitry Orlov – Le 26 juillet 2018 – Source Club Orlov


Une grande partie de ce que j’ai écrit ces 13 dernières années, à commencer par l’article « Leçons post-soviétiques pour un siècle post-américain », a été négatif : le sujet de l’effondrement lent, mais s’accélérant, des États-Unis n’est pas un sujet joyeux. L’aspect négatif est inévitable : mon but a été d’inspirer mes lecteurs pour qu’ils transforment leur vie de manière à leur éviter d’être blessés par l’effondrement, et la motivation à le faire est en deux étapes. Une première est négative : comprendre de quoi s’éloigner ; l’autre, tout aussi essentielle, est positive : vers quoi aller. La partie négative est beaucoup plus simple à énoncer que la partie positive, car si les facteurs négatifs ont tendance à affecter tout le monde, bien que de manière différente et à des degrés divers, il n’existe pas de solution positive unique pour tous.


Au fil des ans, j’ai essayé de présenter diverses alternatives, dont certaines ont été testées. Elles manquent totalement d’universalité. Mais c’est inévitable.

Ma première grande décision a été de me débarrasser de ma maison et de ma voiture et de vivre à bord d’un voilier. Cela m’a permis d’éliminer toute dette, de réduire considérablement mon taux de consommation et d’accumuler rapidement des économies, tout en travaillant pour des compagnies high-tech à distance de marche ou de vélo de la marina où le voilier était stationné. Ma femme et moi avons aussi beaucoup navigué. Nous sommes restés à bord après la naissance de notre fils et il y a grandi jusqu’à l’âge de cinq ans. Sa vie en bateau lui manque maintenant que nous sommes à terre.

J’ai distillé nos expériences dans un projet de conception de bateau, « Quidnon – Une péniche qui navigue ». Le processus de conception est en cours, et il semble que j’aurai les fonds pour commencer à le construire l’année prochaine. Mon objectif est de faire du Quidnon une option abordable pour tous ceux qui veulent se lancer dans la « seasteading » [homesteading mais en mer, NdT]. Mais vivre à bord d’un bateau n’est pas pour tout le monde. Certaines personnes ont le mal de mer et beaucoup de gens ne sont pas assez manuels pour prendre soin d’un bateau.

J’ai essayé une autre vie en passant l’hiver sans payer de loyer dans les tropiques d’Amérique centrale. Il y a beaucoup de possibilités de gardiennage – assez pour ceux qui en veulent un, et nous en avons trouvé un assez facilement. Tout le monde ne peut pas quitter les États-Unis, ou un autre pays prêt à s’effondrer, dans lequel ils sont coincés, pendant de longues périodes, mais cela devient une idée de plus en plus tendance. C’est une bonne idée de déménager dans un endroit où la nourriture peut être cultivée ou pêchée toute l’année sans effort, où le chauffage n’est pas nécessaire, où la climatisation est assurée par les alizés et où les habitants survivent sans pratiquement aucun argent.

En cours de route, je me suis mis en relation avec Greg Jeffers dont j’ai publié le livre Prosperous Homesteading. Greg a essayé une approche différente : abandonner la vie en ville et l’achat de nourriture en faveur de la vie sur un « homestead » autosuffisante. Il a travaillé sur la microéconomie de la gestion d’un « homestead », par opposition à la gestion d’une ferme. La différence est qu’une ferme nourrit des gens qui ne vivent pas à la ferme, alors qu’un « homestead » nourrit ceux qui y sont (et on gagne un peu d’argent en vendant du bétail). L’agriculture est un jeu idiot, sous-payé, risqué, trop réglementé ; Le « Homesteading » est un mode de vie.

Greg a récemment écrit pour me dire que son prochain livre sur le travail avec les chevaux sera bientôt prêt. (Son premier livre s’est assez bien vendu.) Les chevaux sont une partie essentielle du système qu’il a adopté lorsqu’il a découvert que les tracteurs ne gagnaient pas leur vie (en plus ils ne se reproduisent pas, ne courent pas sur l’herbe et ne sont pas attachants). Déplacer des bûches d’un terrain boisé ou cultiver des pommes de terre avec une houe est un travail éreintant, à moins que vous n’ayez un cheval, de préférence une équipe de chevaux, qui tire pour vous.

Mais vivre dans un « homestead » n’est pas pour tout le monde non plus ; vous devez avoir un apport pour acheter la terre et vous installer, être assez en forme pour faire beaucoup de travail physique, être doué avec les animaux et, peut-être le plus important, vous devez être assez jeune (et assez marié) pour supporter et élever un groupe d’enfants adaptés qui vont prendre en charge la gestion du « homestead » familial, de sorte que vous puissiez prendre votre retraite à 40 ans, parce que c’est votre « homestead » qui vous fournira également votre retraite.

J’ai également essayé de faire une incursion en écrivant sur la construction d’une communauté, vu que ce qui passe pour la communauté nationale aux États-Unis et dans d’autres pays développés, prête à s’effondrer, ne vaut pas la peine d’être décrite. Il y a peut-être plus à dire sur le sujet, mais la triste constatation est que les meilleures pratiques que j’ai découvertes ne sont pas applicables à la plupart des situations. Les « communautés qui durent » ne peuvent pas être organisées artificiellement ; elles évoluent toutes, surtout en traversant des circonstances difficiles et en survivant. Peut-être que certaines d’entre elles prendront forme à la suite de l’effondrement, mais il est peu probable que cela se produise comme une préparation à l’effondrement. Pourtant, il y a une leçon importante ici : survivre à l’effondrement est beaucoup plus facile si vous êtes avec votre propre peuple plutôt que dans un cadre diversifié, multiculturel, hautement individualiste et aliéné. Ceci est certainement une mauvaise nouvelle pour les gens qui sont différents, multiculturels, individualistes et aliénés.

Enfin, il me semble avoir réussi à combiner tous ces éléments ensemble. Nous sommes retournés en Russie, où je suis né et où j’ai grandi, et où j’interagis et me fond dans le paysage de façon assez transparente. Ici, nous passons les étés dans notre maison d’été (datcha) dans un petit village. Il y a des champs ouverts, une rivière pour nager et beaucoup de bois pleins de baies et de champignons. Le verger, le potager et la serre nous fournissent un flux constant de produits. Mais ce n’est pas tout à fait parfait en tant que « homestead » autosuffisant – même si ça l’était autrefois et que cela pourrait l’être encore une fois si la situation l’exigeait. En fait, il y a peu de « homesteaders » dans ces régions. La plupart des gens préfèrent passer l’hiver dans les villes et l’économie russe se débrouille trop bien pour rendre attrayant le « homesteading » à temps plein pour un très grand nombre de personnes.

Le manque de résidents à l’année est un problème pour garder du bétail. Mais la plupart des autres problèmes n’existent tout simplement pas ici. L’Internet à haut débit est à environ 8€/mois, ce qui rend possible le travail à distance. Une bonne quantité de bois de chauffage, deux ans de coupes faites manuellement, livrée par un camion est de l’ordre de 80$. L’électricité coûte 0,030€/kWh, soit à peu près la moitié de ce qu’elle coûte aux États-Unis. La plupart des autres dépenses – impôt, assurances, permis de construire, etc. – sont très faibles ou inexistantes. Il n’y a personne pour vous coller une amende pour avoir planté des cultures devant votre maison ou pour ne pas avoir tondu votre pelouse. (Quelle pelouse ?). Les champs à cultiver peuvent être loués au gouvernement à environ 40€ par année et par acre. Bien que beaucoup de gens ici possèdent des voitures, nous avons pu nous en passer. Le service de taxi est disponible partout, c’est assez bon marché – 6€ pour un trajet vers la ville la plus proche – et il y a des trains et des bus de là vers plusieurs grandes villes.

Il s’avère également que c’est un bon endroit pour construire des bateaux. Il y a toutes sortes de boutiques et de gens qualifiés dans les environs, et le contreplaqué, du genre nécessaire pour construire un Quidnon, coûte neuf fois moins cher qu’aux États-Unis. D’autres ingrédients, tels que la fibre de verre et l’époxy, le câblage et l’électronique, etc., coûtent le même prix que partout ailleurs. Il est probable que la première coque de Quidnon sera construite juste ici, peut-être l’été prochain, sur la rive d’une rivière navigable, et aussi testée ici, sur un lac voisin. Avec 67 500 kilomètres carrés, le lac Ilmen n’est pas assez grand pour être appelé une mer intérieure, mais il est assez grand pour être un terrain d’essai. Une fois le test grandeur nature terminé, le Quidnon pourra se déplacer vers la mer Baltique, via la rivière Volkhov, le lac Ladoga, la rivière Neva et le golfe de Finlande, et de là vers le monde. Prendre à droite au lieu de prendre à gauche au lac Ladoga et suivre une série de rivières, de lacs et de canaux, conduirait à la puissante rivière Volga et de là, à la mer Noire et à la Méditerranée, un voyage de toute une vie.

Enfin, ce village est un bon endroit pour élever des naturalistes. J’ai récemment pris livraison d’une benne pleine de bois de chauffage et mon fils m’a aidé à l’empiler dans le bûcher. Au cours de la journée qui s’est écoulée entre la livraison et l’empilage, un mulot a décidé de faire un nid sous la pile de bois de chauffage et de donner naissance. Mon fils a découvert les bébés souris en ramassant du bois pour que je puisse l’empiler. Ils étaient nus et aveugles, et mon fils les regardait avec étonnement tandis que la souris s’affolait. Puis il a remarqué que les bébés souris disparaissaient un par un ! Après un moment, nous avons compris ce qui se passait : la souris avait décidé de déménager dans le bûcher et transportait les bébés souris dans le nouveau nid. Je savais que les chats faisaient ça, mais les souris ? Eh bien, il semblerait que tous les mammifères ont à peu près le même ensemble d’instincts maternels. Ce fut une découverte vraiment passionnante pour un enfant de six ans. Ces moments propices à l’apprentissage, ainsi que les nombreuses tâches pour lesquelles les enfants peuvent aider, brouillant la ligne entre le travail et le jeu, sont inestimables et gratuits.

Les cinq stades de l'effondrementDmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone

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