La testostérone comme ingrédient de base du soft power russe


Une stratégie gagnante à long terme?


Par Laurent Schiaparelli – Le 13 mars 2016

La superstar mondiale d’arts martiaux mixtes 1, Conor McGregor, champion du monde des poids plumes de la ligue Ultimate Fighting Championship, a reçu l’invitation à demander la nationalité russe de la part d’un député de la Douma (chambre basse du Parlement de la Fédération de Russie), Dmitry Nosov, lui-même judoka et médaillé de bronze aux J.O. d’Athènes.


Même si la motivation principale du champion d’accepter une telle offre serait de profiter d’une assiette fiscale plus basse en Russie qu’en Irlande, son pays de résidence, ou qu’aux États-Unis, où il participe aux compétitions, il y a peu de chances que McGregor saisisse cette chance, tant il est porté aux nues par le patriotisme irlandais, aussi bien en Irlande qu’aux États-Unis; un élan patriotique qui ferait rougir de honte tout citoyen européen contemporain qui (ne) se respecte (plus), c’est-à-dire, de nos jours, un mouton docile (pléonasme, mais il est attendu du mouton européen qu’il soit particulièrement docile), suspect voire coupable de racisme et d’antisémitisme, prompt à l’auto-flagellation et adepte malgré lui du vivre-ensemble.

S’il lui prenait l’envie d’accepter cette offre généreuse, McGregor rejoindrait notre monument national Gérard Depardieu, en disgrâce auprès du Parti socialiste (le comble de l’ignominie), mais également de nombreux autres champions sportifs, notamment dans le domaine des sports de combat, tels Jeff Monson (autre vétéran américain de MMA) et Roy Jones Jr. (champion de boxe olympique en 1988, et surtout champion multi-catégories, de poids moyen à poids lourd), qui ont récemment bénéficié des largesses du Président Poutine.

La politique d’octroi de la nationalité russe ne se limite pas aux hommes de caractère, loin s’en faut. La baronne française Irina von Dreyer s’est vue remettre son passeport russe lors de son 100e anniversaire en 2015, et l’architecte italien célèbre à Moscou Lanfranco Cirillo a bénéficié de ce même honneur en 2014, aussitôt raillé par les médias de la nébuleuse Soros (Radio Free Europe et Radio Liberty) pour ses liens privilégiés avec ses clients fortunés.

Vin Diesel, qu’on ne présente plus tant ses rôles de gros bras sont caricaturaux, et Cary-Hiroyuki Tagawa, acteur américano-japonais de films d’arts martiaux, sont également sur les rangs pour demander la nationalité russe. D’autres comédiens américains, virils sans être pour autant connus pour leurs exploits physiques, tel Robert de Niro, ont également exprimé leur intérêt pour le passeport orné de l’aigle bicéphale.

Le Kremlin accepte volontiers les avances qui lui sont faites par un certain nombre d’acteurs de films d’action de Hollywood, et sait les utiliser à des fins de communication.

L’image masculine du Président Poutine, habilement entretenue par son équipe de communication, attire forcément les sympathies d’hommes et femmes du monde entier qui ont appris la discipline physique et morale, le respect de l’adversaire, autant de qualités forgées dans les salles de sports de combat et sur les tatamis. Conor McGregor a d’ailleurs déclaré au sujet de Vladimir Poutine : «Poutine est un homme bien, qui lui aussi pratique les arts martiaux. On ne la lui fait pas. Les Russes sont un peuple fort. Ils peuvent détecter le baratin et la frime à des kilomètres

La Russie, par l’intermédiaire de Vladimir Poutine, bénéficie d’une image positive en se voyant ainsi courtisée par des hommes d’action, champions sportifs ou acteurs de cinéma. Et cela sans effort particulier de la part du Kremlin.

Cet élan de sympathie des acteurs de films d’action américains se transforme ainsi peu à peu en outil de soft power russe.

Les acteurs de films d’action Mickey Rourke, admirateur de Vladimir Poutine, et Steven Seagal, se sont eux aussi rapproché du Kremlin, au beau milieu de la crise ukrainienne, ce qui dénote quand même un certain courage. Officieusement invités par Doors to Hollywood, une société russe de relations publiques dirigée par Bob van Ronkel – un producteur hollywoodien pur jus expatrié en Russie, qui y a fait venir une centaine de célébrités américaines pour animer des événements sportifs, de charité et des festivals –, leurs voyages ont pris une tonalité politique, du fait de la nationalité des deux acteurs, et de la propagande russophobe rabique qu’ils doivent affronter une fois rentrés dans leur pays.

Steven Seagal est probablement l’acteur le plus proche des cercles du pouvoir russe. Il n’hésite pas à faire des déclarations fracassantes (car pleines de bon sens) dans les médias russes,  ce qui lui vaut d’être systématiquement tourné en dérision par les médias américains.

Il  fait régulièrement des déclarations pro-Poutine ou pro-russes, et ose des critiques acerbes de la politique américaine en Ukraine, qu’il qualifie de stupide. Il a également déclaré publiquement réfléchir à demander la citoyenneté russe.

Son enthousiasme à défendre la Russie, peut-être teinté d’opportunisme pour raviver une carrière cinématographique en berne, le place sous le feu de la critique des médias américains, qui ne se privent pas d’attaques personnelles et sous la ceinture, teintées de sarcasme et d’insinuations d’homosexualité pour expliquer sa proximité avec Vladimir Poutine.

Les deux hommes sont nés la même année, partagent une passion et une compétence reconnue en arts martiaux japonais, et ont éventuellement une vision géo-stratégique commune. Mais pour Bloomberg.com, il s’agit d’un «coup de foudre entre mecs» (man crush), tandis que pour Buzzfeed.com, c’est une «idylle entre potes» (bromance, contraction de brother et romance).

Brocarder ainsi deux amis, dont un chef d’État, comme étant deux homosexuels, faisant donc de l’homosexualité un sujet de plaisanterie, n’attire pas, dans ce cas précis, les foudres de l’ACLU (American Civil Liberties Union, le bouledogue de la bien-pensance et du politiquement correct aux États-Unis). Ou comment l’humour de caserne, interdit au peuple, est autorisé pour soutenir une certaine politique étrangère.

Ainsi, de façon assez paradoxale, les médias aux États-Unis, pays ou l’acteur Ronald Reagan a été président, et l’acteur bodybuildé Arnold Schwarzenegger a été gouverneur de l’État le plus riche du pays, ricanent au sujet du rapprochement d’acteurs de Hollywood ou de France avec Moscou.

Ce paradoxe est d’autant plus étrange que les médias américains ne peuvent ignorer que la Maison Blanche, découvrant avec hébétude l’éventualité que Steven Seagal, qui aurait des origines russes, soit nommé consul honoraire de Russie en Californie et en Arizona, et donc pourrait devenir un émissaire du Kremlin auprès de la Maison Blanche, a essayé de le faire remplacer par Arnold Schwarzenegger, décidément le nouveau Mister Europa de la Maison Blanche (on se souvient de sa mission en service commandé à Paris en décembre 2015 pour célébrer publiquement la fête juive hanouka), en expliquant sans rire que Poutine et Schwarzenegger «sont tous les deux des durs, et peuvent en plus converser en allemand». Cette idée a été soutenue en haut lieu par l’analyste sur la Russie de l’administration Clinton et de la Brookings Institution, Strobe Talbott, pour ensuite, certainement devant une fin de non-recevoir du Kremlin, le remplacer par une tête d’œuf habituelle du State Department au poste d’émissaire entre le Kremlin et la Maison Blanche.

Le Kremlin joue ainsi un jeu habile d’utilisation de la russophilie et de la bonne volonté de certains acteurs et sportifs américains à des fins de communication positive envers les peuples occidentaux. La notoriété de ces sportifs et de ces acteurs, même sur le retour, comme le disent les médias américains, sont un formidable outil de soft power à la disposition du Kremlin pour lutter contre la propagande de l’establishment occidental, qui lui est majoritairement hostile.

Les apparitions publiques de Vladimir Poutine à des événements d’arts martiaux mixtes, assis entre Silvio Berlusconi et Jean-Claude van Damme 2, et serrant la main du champion poids lourd de la discipline, Fedor Emelianenko, lui rapportent plus de capital sympathie auprès des masses populaires du monde entier que n’importe quel budget de campagne électorale ne pourrait en rapporter à un dirigeant occidental. Et tout cela sans dépenser un seul denier public.

Vladimir Poutine engrange les dividendes en soft power de sa personnalité entière et virile et de ses politiques volontaristes, qui tranchent avec les personnalités molles, peu viriles, et les politiques étrangères de nos dirigeants occidentaux, aux limites de la trahison des intérêts nationaux .
Des think-tanks américains essaient de tourner Poutine en dérision en le décrivant comme un président super-héros. Est-ce pire que notre Bisounours 1er, François Hollande, ou que le président aux ordres de lobbies industriels et confessionnels, Barack Obama, qui en huit ans d’exercice du pouvoir ne parvient pas à faire voter au Congrès une seule des législations importantes qu’il a promises au peuple américain ?

L’utilisation habile du Kremlin de la personnalité de son président pour fédérer autour de la Russie les hommes et femmes qui comprennent encore l’importance de la virilité, des valeurs, des politiques volontaristes et du patriotisme, se fait paradoxalement grâce au pur produit de l’Amérique, le film d’action hollywoodien, vecteur du patriotisme et de la force dominatrice, qui se retourne finalement peu à peu contre la politique étrangère de l’Empire.

C’est le retour inexorable du Réel. Le peuple va chercher en Russie ce qu’on lui interdit en Europe et aux États-Unis depuis 50 ans: la virilité, le patriotisme, les valeurs religieuses et familiales, l’esprit sain dans un corps sain, etc.

Le mâle français urbanisé est devenu majoritairement un être efféminé, car soumis à différentes formes de terrorisme intellectuel: féminisme, anti-racisme et relativisme culturel. On a fait croire au mâle français qu’il était macho, raciste, xénophobe et antisémite, et que sa rédemption passerait par sa soumission aux femmes, aux immigrants, et à la pensée unique du vivre-ensemble. Il lui a été imposé comme seul cadre de discussion la matrice intellectuelle droitdelhommiste, forcément noble, tout en lui ôtant, à lui et à lui seul, la possibilité de refus catégorique ou d’une rébellion violente, qui seraient forcément primaires et bas de plafond.

Cette violence sociale appliquée sur le mâle français (et on doit pouvoir généraliser au mâle occidental) a été si bien intériorisée par celui-ci, que la possibilité de se trouver dans une situation de violence le terrifie au plus haut point.

Ce que les féministes et certains groupes d’immigrés ont bien senti, et ne se privent pas d’utiliser à leur avantage depuis des décennies. Avant même de parler d’immigration sauvage, les tragiques événements du Nouvel an à Cologne nous font poser la question: «Où étaient les hommes» ? Le même événement a eu lieu à Mourmansk, avec un dénouement assez différent, dont nos médias ne parlent pas, au cas où cela donnerait des idées.

C’est cette privation de virilité, cette diabolisation du patriotisme et cette interdiction de toute possibilité de violence auto-protectrice qui créent un manque naturel, que le peuple cherche à combler, par procuration, en plaçant sur un piédestal les champions de sports de combats et les acteurs virils.

Comme toujours, les États-Unis sont en avance de vingt ans sur l’Europe: les dérives extrêmes du féminisme aux États-Unis ont donné lieu depuis une décennie à l’émergence d’une nouvelle forme d’humour que l’on peut qualifier de gras: gentiment misogyne, légèrement xénophobe, il glorifie le politiquement incorrect, au nom de la revendication de l’homme blanc, accablé de tous les maux, de pouvoir rire à nouveau de ce qui l’a toujours fait rire.

C’est à peu près au même moment que s’est développée aux États-Unis et au Brésil la discipline des arts martiaux mixtes, le MMA, aujourd’hui en passe de devenir le sport qui se développe le plus rapidement dans le monde.
Passé d’une discipline souterraine, dont les premières compétitions télévisées ont eu lieu en 1993, dans un statut semi-clandestin à cause du manque de régulation, le MMA est aujourd’hui le sport le plus regardé aux États-Unis après le football américain et la basket-ball.

Ce sport est pratiqué par un nombre croissant de jeunes Américains et Brésiliens, qui dominent la discipline, mais aussi des Européens de souche (Italiens, Anglais, Irlandais, Allemands, Islandais, Suédois). Les Russes, Ukrainiens, Daghestenais et Géorgiens ne sont bien sûr pas en reste.

Selon le président de l’UFC, la principale ligue de MMA aux Etats-Unis, le développement du sport a été fulgurant car il a apporté une certaine réponse à ce qu’il appelle «la castration de l’Amérique» (The Pussification of America, terme partagé par de nombreux écrivains pour expliquer la disparition aux États-Unis du mâle, du père protecteur de sa famille et de son pays, et citoyen responsable et engagé).

On peut, comme l’a fait le gouvernement français au sujet de Gérard Depardieu, caricaturer le départ de certains acteurs et sportifs occidentaux vers les pâturages plus verts de la Russie comme étant de l’opportunisme fiscal. C’est probablement un des facteurs, mais l’attraction de la Russie de Poutine est indéniable, et pourrait fort bien se développer en rayonnement civilisationnel.

La politique du chef du Kremlin envers les hystériques féministes Femen, son encadrement de l’apparition de la communauté homosexuelle sur la scène publique russe, ses liens étroits avec le clergé orthodoxe, ses interventions musclées et sans ambiguïté contre le terrorisme en Russie et au Moyen-Orient, ne peuvent que plaire aux peuples occidentaux, qui se savent trahis par leurs élites, et se mettent à espérer l’avènement d’un Poutine dans leur propre pays.

L’épisode d’Edward Snowden avait été le premier pas significatif de l’établissement d’un soft power russe. Il a été utilisé magistralement pour dénoncer l’hypocrisie des États-Unis et de l’Europe occidentale sur les questions de protection de la vie privée et des droits de l’homme, et pour présenter la Russie de Poutine comme défenseur des dissidents occidentaux, un incroyable retournement de situation si l’on se rappelle que les dissidents russes se réfugiaient en Occident il y a à peine quarante ans.

La Russie est maintenant entrée dans une nouvelle phase de développement de son soft power: autant Edward Snowden est une personnalité ambivalente, tantôt adulé par les défenseurs de la liberté d’expression, tantôt haï des néoconservateurs de l’establishment et du patriote américain moyen, qui ne saisit pas que si Snowden a bien commis une trahison, ce n’est pas envers le peuple américain,  mais envers ceux qui trahissent secrètement le peuple américain.

En capitalisant sur la personnalité de Poutine auprès des hommes occidentaux virils, vrais, et passablement désenchantés par leur propres gouvernements, le Kremlin dispose d’un outil encore plus efficace et utilisable sur le long terme qu’un geek de la NSA: il peut maintenant compter sur les ambassadeurs du soft power américain et français qui passent à l’Est!

Laurent Schiaparelli

  1. MMA, discipline sportive interdite en France, sous la pression des fédérations françaises d’arts martiaux traditionnels, qui, grâce à leurs affinités avec leurs frangins de la franc-maçonnerie à l’Assemblée nationale, réussissent à faire interdire les compétitions sportives d’une discipline concurrente, pourtant en plein essor dans le monde entier, et qui de l’avis de tous les spécialistes, représente l’avenir des sports de combat.
  2. JCVD était l’invité le 11 mars 2016 du Grand Journal de Canal+, au cours duquel il s’est insurgé que Ted Cruz, l’adversaire républicain de Donald Trump, ait pu qualifier Vladimir Poutine de gangster. Il a également suggéré que Trump, s’il était élu, serait bien inspiré de chercher des solutions aux problèmes du monde avec Poutine autour d’une vodka.
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