La Cour pénale internationale lance une enquête sur l’armée américaine


Le monstre se retourne contre son créateur…


Cour pénale internationale

Andrei AkulovPar Andreï Akulov – Le 26 novembre 2017 – Source Strategic Culture

Tout le monde connaît l’histoire du monstre de Frankenstein qui se retourne contre son créateur. De telles choses se produisent dans la vraie vie. Le respectable Wall Street Journal a été utilisé par John Bolton, un avocat et diplomate américain qui a servi dans plusieurs administrations républicaines, comme héraut pour sonner l’alarme. La menace pour les États-Unis est posée par la CPI.

La CPI, établie en 2002, est la première cour permanente au monde créée pour poursuivre les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide. L’institution est connue pour son biais pro-occidental. C’est la raison pour laquelle les États africains l’ont quittée l’année dernière. Le tribunal a été généralement utilisé comme un instrument pour agir sur ceux qui ont refusé de se plier à la pression des États-Unis et d’autres puissances occidentales. Mais les choses changent. Aujourd’hui, la CPI est considérée par les États-Unis comme une source de danger et un organisme qui mine l’image de l’Amérique à l’échelle mondiale.

Un événement extraordinaire a déclenché la réaction de M. Bolton. Il a été rapporté que le procureur en chef de la CPI, Fatou Bensouda, sollicitait l’autorisation d’enquêter sur les allégations de crimes de guerre en Afghanistan, y compris les éventuelles tortures infligées par les forces américaines et la CIA. Dans une déclaration sur le site Internet de la CPI, Mme Bensouda a déclaré que le bureau du procureur estimait qu’une enquête était nécessaire en raison de « la gravité des actes commis. . . et l’absence de procédures nationales efficaces contre ceux qui semblent être les principaux responsables des crimes les plus graves dans ce contexte ». Cette déclaration est susceptible de provoquer la colère à Washington et l’article de Bolton n’est que la première salve.

L’étape suivante consiste, pour une chambre préliminaire de juges, à examiner la demande du procureur. Selon un rapport publié l’année dernière, l’armée américaine et la CIA auraient commis des crimes de guerre en torturant des détenus en Afghanistan entre 2003 et 2014. Le porte-parole du Pentagone, Eric Pahon, rejette les accusations. Selon lui, « Notre point de vue est clair : une enquête de la CPI concernant le personnel américain serait totalement injustifiée et indue. Plus généralement, notre opinion est que le lancement d’une enquête de la CPI ne servira pas les intérêts de la paix ou de la justice en Afghanistan. »

La liste comprend des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre tels que le meurtre, l’emprisonnement, le ciblage de travailleurs humanitaires, l’utilisation d’enfants soldats et les exécutions extra judiciaires.

Human Rights Watch critique également l’armée américaine en Afghanistan. Si des enquêtes sur les informations de WikiLeaks sont diligentées, les preuves seront abondantes.

Le fait même que les agences étatiques américaines – l’armée et la CIA – soient soumis à une enquête internationale portera un coup sévère à la réputation internationale des États-Unis. Washington peut bien protéger son personnel des procureurs de la CPI, mais le sentiment d’impunité pourrait disparaître. Les États-Unis n’ont pas adhéré à la CPI, mais leurs ressortissants peuvent être accusés de crimes commis dans des pays membres.

Le président Bill Clinton a signé le Statut de Rome en 2000, mais il n’a jamais été soumis à la ratification du Sénat. En 2002, le président George Bush a informé le secrétaire général des Nations Unies que les États-Unis n’avaient plus l’intention de ratifier le Statut de Rome et qu’ils ne se reconnaissaient aucune obligation envers ce dernier. En fait, il a renié sa signature du traité avant qu’il ne prenne effet. Mais celui-ci est ratifié par les membres de l’UE. Ce fait renforce la légitimité de la cour.

John Bolton a exprimé l’essentiel de la position américaine dans une phrase. « L’administration Trump ne devrait pas répondre à Mme Bensouda de quelque manière que ce soit qui reconnaisse la légitimité de la CPI, écrit-il, même contester sa compétence risque d’embourber les États-Unis plus profondément dans les sables mouvants. » Donc, les États-Unis sont un cas spécial et leurs militaires peuvent commettre des crimes en toute impunité.

Fait intéressant, les États-Unis ont appuyé l’idée de renvoyer la Syrie devant la CPI. Ils ont trouvé de bonnes raisons pour justifier une telle décision. Washington a déclaré que la Russie entravait l’action de la justice en opposant son veto à la décision. Les États-Unis ont soutenu la France lorsque celle-ci a demandé que la Russie soit déférée à la CPI pour des crimes présumés en Syrie. Mais quand il s’agit des États-Unis, l’attitude change. La mention même d’une possibilité d’investigation, par la CPI, des activités américaines déclenche la colère. Ainsi, l’armée syrienne ne peut pas commettre de « crimes » dans son pays, mais l’armée américaine peut le faire en Afghanistan et aucune institution internationale ne devrait lui barrer la route !

Il est intéressant de noter que l’enquête préliminaire a été lancée en 2006 mais personne n’y a prêté attention jusqu’à ce que Fatou Bensouda rende publique sa position. Cela a duré onze ans. Pourquoi maintenant ? On dirait que l’idée de lancer une enquête formelle est une décision politique. Cela se passe à un moment où les fissures dans les relations entre les États-Unis et l’UE commencent à se manifester. En réalité, un scandale lié aux « méfaits » de l’armée américaine en Afghanistan sert les intérêts de ceux qui préconisent la création d’un système de dissuasion européen indépendant pour la défense (Armée européenne). L’Allemagne a grandement contribué à la création de la Structure de coopération permanente (PESCO) dans le domaine de la sécurité et de la politique de défense. Elle sera signée par les chefs d’État à la mi-décembre. C’est la première fois que les États membres de l’UE s’engagent juridiquement dans des projets conjoints et décident d’augmenter les dépenses militaires et de contribuer à un déploiement rapide. Les États-Unis et le Royaume-Uni sont tenus à l’écart. Beaucoup de politiciens à Berlin et à Paris se demanderont s’il est raisonnable de faire accuser l’armée américaine de crimes de guerre sur le sol européen.

Il y a une autre question ici. À travers toutes les raisons évoquées pour rejeter la compétence de la CPI, la preuve de la culpabilité américaine est amplement démontrée. Alors pourquoi les États-Unis ne lancent-ils pas leur propre enquête sur les crimes allégués en Afghanistan ? Il y a plusieurs rapports de violations des droits de l’homme par des militaires américains dans d’autres endroits. Les droits de l’homme dans d’autres pays ont toujours figuré en tête des priorités des États-Unis. Mais avec toutes les preuves disponibles, aucune enquête liée aux activités des militaires américains et des agents de la CIA en Afghanistan n’est lancée. L’idée n’est même pas discutée. Peut-être, s’agit-il d’un bon exemple de ce que l’exceptionnalisme américain signifie dans la pratique.

Andreï Akulov

Note du Saker Francophone

Sans fonder d'espoirs chimériques quant à  la suite qui sera réservée à la demande d'enquête formulée par la CPI, on peut quand même constater que sur le plan symbolique, l'idée de voir les États-Unis perdre leur impunité en dit long sur l'état de leur déclin.

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

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