Honte et déni de la mort : l’atemporalité moderne


La civilisation occidentale post-Chrétienne cherche à se débarrasser de la mémoire de la mort, à la fuir ; et la Russie seule résiste à cette course suicidaire.


Par Mikhail Touïourenkov – Le 21 janvier 2019 – Source Katehon

Pourquoi le culte de la « jeunesse éternelle » est-il si commun dans l’Occident moderne ? Il ne s’agit pas seulement d’un « mode de vie sain », mais d’un « parasitisme » du vivant, avec les modifications génétiques (juste pour donner l’illusion de l’immortalité). Pourquoi, avec la promotion active des droits de tuer les bébés à naître et l’euthanasie, les « maîtres de la vie » tentent-ils aujourd’hui de prolonger leur âge de pré-retraités à l’infini ?

Pourquoi l’information sur l’utilisation des cellules souches embryonnaires, au service du rajeunissement, évoque-t-elle tant les histoires des « salles de bain » sanglantes de la comtesse Báthory ? Pourquoi la surprenante longévité des nombreux « maîtres » âgés de l’Occident moderne évoque-t-elle une thérapie anti-âge inhumaine et originale ? Quels secrets cache-t-elle ? Guy de Rothschild (1909 – 2007) ; David Rockefeller, SR. (1915 – 2017) ; Ronald Reagan (1911 – 2004) ; George W. Bush (1924 – 2018) ; Jimmy Carter (né en 1924) ; Henry Kissinger (né en 1923) ; enfin, le « bambin » George Soros (né en 1930) – et ce n’est que le sommet de l’iceberg « gérontocratique ».

Pourquoi les cultes adolescents de la mort (toutes sortes de films et même des séries de dessins animés avec vampires et autres esprits maléfiques, les groupes suicidaires sur les réseaux sociaux, etc.) sont-ils ainsi associés à un infantilisme adulte intégral sur cette même question ? Enfin, pourquoi préfèrent-ils sérieusement, non seulement de ne pas parler de la mort elle-même, mais aussi ne pas en évoquer le souvenir ? La conséquence en est la distanciation du monde occidental vis-à-vis des traditions des funérailles, qui deviennent trop chères, et hors de la portée des « simples mortels ». Au point que dans de nombreuses villes américaines et européennes, le nombre de corps non réclamés croît chaque année.

Et des dizaines et des dizaines de « pourquoi » s’accumulent autour de cette question complexe, que l’on peut à peine comprendre, mais sur laquelle il est cependant nécessaire de réfléchir. Essayons de saisir la principale différence entre, d’une part, les partisans de ce « déni de la mort », et, d’autre part, ceux qui s’en souviennent.

Memento mori

Les anciens généraux romains victorieux, de retour de leur campagne militaire, tenaient un esclave derrière eux, afin de rappeler régulièrement au triomphateur qu’il était mortel. Il en a peut-être été ou non ainsi, mais Tertullien, penseur du christianisme primitif, adhéra à cette version dans son Apologétique. Plus tard, ce « pense-bête » s‘est transformé en une phrase latine porteuse de sens : « Memento Mori », « souviens-toi que tu vas mourir ». Une phrase dont les chrétiens occidentaux sont très friands, en lui conférant bien davantage de sens que celui dont elle était porteuse dans la Rome pré-chrétienne. Ainsi, dans certains ordres monastiques catholiques, ces mots formèrent-ils une devise, et même une salutation.

Les Chrétiens orthodoxes orientaux, que ce soit de la nouvelle Rome (Constantinople et l’Empire byzantin), ou de la Troisième Rome (Moscou et l’État russe), connaissaient parfaitement bien ces phrases latines porteuses de sens, mais préféraient leurs textes liturgiques. Et en premier lieu le « Credo ou Symbole de la Foi », qui énonce clairement l’aspiration à la résurrection corporelle générale des morts, lors du second avènement du Christ, « Qui  viendra de nouveau, avec la gloire, pour juger les vivants et les morts ».

« Juger » ; « les Vivants et les Morts ». Il s’agit bien ici du Jugement dernier dont nous savons très peu de chose, mais dont la scène est souvent représentée sur les icônes et les fresques des églises. La scène est véritablement terrible, mais permet de se souvenir du principal remède chrétien contre la mort, le Repentir, que la civilisation post-Chrétienne tente vainement de « fuir », croyant qu’ainsi elle fuit également le Jugement dernier et sa sentence elle-même.

Pas de mort, l’âme est immortelle

La « Mémoire de la mort » fondant la conception chrétienne de la mort, en fait, est très relative, dans la mesure où elle ne concerne que notre corps. Notre mort corporelle inévitable est une « nouvelle naissance » à la vie éternelle. Mais c’est précisément pour cela qu’il faut toujours se souvenir de la mort, afin d’être prêt à cette nouvelle naissance, à tout moment de la vie.

Trop compliqué et prêtant à confusion ? Comme bien d’autres choses en notre monde, la mort est un grand mystère. Et donc, peu importe l’intensité de la foi, ou la perfection de la connaissance de l’Écriture sainte et des Œuvres patristiques, l’être humain ne sera jamais en mesure de comprendre pleinement la frontière entre la vie et la mort.

Il n’y a pas de mort, mais toute la vie doit être une préparation à la mort, parce que la mort est la porte de l’Éternité.

Le mystère de l’immortalité Russe

Pour les Russes, la mort a toujours été importante ; les morts faisaient l’objet de leurs prières comme s’ils étaient vivants. Pâques, la Résurrection du Christ des morts, est pour le monde Orthodoxe russe une fête beaucoup plus importante que Noël. Et même à l’époque Soviétique, quand les gens ont été forcés d’oublier les rites orthodoxes, les cimetières sont restés l’un des principaux espaces de vie pour tout le monde, et les rites ont continué à y être observés. En même temps, les Russes n’ont jamais eu cette crainte des cimetières, typique de l’homme Occidental, et qui a été pénétré par l’industrie hollywoodienne et toutes sortes de « films d’horreur ». Au contraire, les Chrétiens orthodoxes y ressentent un frisson sacré et une tristesse joyeuse.

Memento Mori

Mikhail Touïourenkov

Traduction de Carpophoros pour le Saker Francophone

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