Gibraltar et les origines pirates de la fortune anglaise


Nicolas Bonnal

Source Nicolas Bonnal − Le 4 avril 2016

L’Angleterre menace une autre fois l’Espagne de guerre pour Gibraltar. Comme on sait l’inventrice de la démocratie oligarchique est toujours en guerre pour un peu de terre.

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Je redécouvre un texte de Keynes sur les origines pirates de la fortune anglaise. Tout cela rappelle la phrase de Trotski que j’avais citée ici :

« L’Histoire favorise le capital anglo-saxon : pour chaque brigandage, elle lui sert un mot d’ordre d’émancipation. »

Le bon sénateur La Follette se demandait au Sénat en 1917 comment le président Wilson pouvait lancer l’Amérique dans une guerre aux côtés de l’empire, des colonies et de la couronne (au sens de keter) britannique, connue pour son sens de la hiérarchie sociale, son goût du sang et de la taxation planétaire.

Avant de rappeler Keynes, je citerai les Mémoires d’outre-tombe :

« Ainsi ces Anglais qui vivent à l’abri dans leur île, vont porter les révolutions chez les autres ; vous les trouvez mêlés dans les quatre parties du monde à des querelles qui ne les regardent pas : pour vendre une pièce de calicot, peu leur importe de plonger une nation dans toutes les calamités. »

C’est qu’un certain monsieur Fox s’était mis à tirer sur les troupes de Charles X. Ce fut ce qui déclencha les tristes Trois Glorieuses. Travaillait-il pour le MI5 ? Mais on m’accuserait de théorie de la transpiration…

Je cite Keynes :

« Car je fais remonter les premiers placements étrangers de la Grande-Bretagne au trésor que Drake vola à l’Espagne en 1580. Cette année-là, il revint en Angleterre, chargé des trophées prodigieux de la Toison d’Or. La reine Élisabeth était une des principales actionnaires du consortium qui finança l’expédition. Avec ses bénéfices, elle remboursa toute la dette étrangère de l’Angleterre, rétablit l’équilibre budgétaire, et se trouva encore en possession de £ 40 000. »

Keynes ajoute avec un flegme certain :

« Elle plaça celles-ci dans la Compagnie du Levant qui fit des affaires florissantes. Avec les bénéfices de la Compagnie du Levant, on fonda la Compagnie des Indes Orientales, et ce sont les bénéfices de cette magnifique entreprise qui constituèrent la base des placements anglais à l’étranger. Or, il se trouve que £ 40 000 placées à 3% d’intérêts composés, correspondent environ au volume des placements de l’Angleterre à l’étranger de nos jours et à des dates différentes ; elles équivaudraient aujourd’hui à une somme de £ 4 000 000 000, ce qui, je l’ai déjà indiqué, est le montant actuel du total de nos placements à l’étranger. Ainsi, chaque livre rapportée par Drake en 1580 est devenue aujourd’hui 100 000 livres. Telle est la puissance des intérêts composés. »

J’en reviens à Chateaubriand et à ses volumes sur le congrès de Vérone. Rien ne lui a échappé ni la tartuferie sur la traite ni la crapulerie sur l’indépendance de l’Amérique du sud (la révolution orange) :

« … L’Angleterre a reconnu dès 1821 le pavillon des colonies espagnoles, et elle se proposait de reconnaître incessamment leur indépendance, bien que les Cortès même ne voulussent pas entendre parler de cette indépendance : séparer le nouveau monde espagnol de l’ancien monde espagnol, ce n’est pas, pour l’Angleterre, intervenir. »

Il sait très bien que l’anglais trafiqua de l’esclave blanc, surtout de l’irlandais (celui qui survit aux famines provoquées). Et cela donne :

« … des Anglais, des Blancs ont été vendus pour esclaves en Amérique dans un temps aussi rapproché de nous que le temps de Cromwell. Le secret de ces contradictions est dans les intérêts privés et le génie mercantile de l’Angleterre ; c’est ce qu’il faut comprendre afin de n’être pas dupe d’une philanthropie si ardente et pourtant venue si tard : la philanthropie est la fausse monnaie de la charité… »

Au nom de la noble lutte contre l’esclavage l’Angleterre est prête à confisquer toutes les marines mondiales.

« Chargés du travail par M. de Montmorency, nous lûmes avec attention le mémoire du duc de Wellington, et nous y répondîmes article par article. Ce cauteleux mémoire cache, sous des plaintes fort justes, trois prétentions exorbitantes : prétention du droit de visite sur les vaisseaux ; prétention d’assimiler la traite des noirs à la piraterie, pour attaquer impunément toutes les marines du monde ; prétention d’interdire la vente des marchandises provenant des colonies européennes cultivées par les nègres, c’est-à-dire privilège exclusif de substituer à ces marchandises les produits de l’Inde et de la Grande-Bretagne.

Et on laissera Léon Bloy conclure, au moment du martyre des Boers :

« Guerre du Transvaal. L’univers entier fait des vœux pour la défaite des Anglais. C’est la première fois, je pense, qu’une pareille unanimité s’est vue. Je ne me lasse pas d’admirer qu’un grand homme à peu près sans Dieu, Napoléon, ait eu l’intuition prophétique de la délivrance du monde par l’humiliation ou la destruction de l’Angleterre. »

Espérons qu’on s’en rapproche.

Nicolas Bonnal

Nicolas Bonnal est né en 1961 en Tunisie. Il étudie à Louis-Le-Grand et sciences-po et entame dès les années 1970 une longue série de voyages en Asie, en Amérique et en Océanie. Il publie ses premiers textes en 1990 dans l’Idiot international.

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Sources
  • Léon Bloy – Journal (sur Gutenberg.org).
  • Chateaubriand − Mémoires d’outre-tombe, 3 L32 Chapitre 2 ; Congrès de Vérone, tome premier, chapitre XIV (sur archive.org).
  • John Maynard Keynes – Essais de persuasion, p. 172 (sur classiques.uqac.ca).

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