Vers une égalité amorphe


Par Jean-Luc Mello – Janvier 2018

Veux-tu une tasse de thé? – Jean-Luc Mello

Veux-tu une tasse de thé? – Jean-Luc Mello

Ce n’est pas l’idéologie morale d’un féminisme aux idées simplistes comme #MeToo qui est impressionnante. Il existe des tas d’idées simples qui ont toutes la particularité d’être nécessairement très abstraites : les hommes (tous en général et depuis les débuts de l’humanité) sont… Ou alors : les femmes (toutes, depuis le début de l’humanité) sont… L’étonnant, c’est comment des idées aussi simplistes peuvent, d’un coup, rentrer dans les pensées actuelles comme dans du beurre. Ce n’est pas seulement des médias « consentants » dont il s’agit, même si ceux-ci remplacent de nos jours de grands pans religieux : notamment celui d’édicter une morale formatée et avec elle les crises pleureuses d’indignations consensuelles masquant son hypocrisie.

L’exception sexuelle

La récente déclaration commune parue dans Le Monde, mise sur le compte de Catherine Deneuve, a la particularité première d’affirmer que le mouvement féministe ne saurait parler de manière aussi prétentieuse au nom de toutes les femmes depuis le début de l’humanité. Cela prend la forme d’une exception sexuelle française, revendiquée, résistant aux idées établies par le monde anglo-saxon, après celle revendiquée de l’exception culturelle. Cannes verra les actrices continuer à se vêtir d’or et de paillettes, celles d’Hollywood s’habillant momentanément toutes en noir par solidarité avec les « victimes » de la branche. Tiens ! On ne dit pas « un victim ». Mais toutes ces actrices maintiennent de forts jolis décolletés. Boby Lapointe : « Davantage d’avantages avantagent davantage. »

Si le féminisme, même avec ses excès, a permis de mettre à plat des inégalités sociales d’aujourd’hui entre hommes et femmes, il a créé une confusion en y ajoutant la sexualité comme extension des égalités nécessaires. Or la sexualité – qui englobe elle-même la fécondation, heureusement sans l’y réduire (mais depuis peu) – n’est pas la même chez l’homme et chez la femme. Ce ne sont pas les mêmes hormones qui fonctionnent indifféremment, comme les têtes ou les bras des êtres humains. Un des deux est bien chargé de la pénétration lors de l’acte sexuel. Du reste les homosexuels des deux sexes le savent aussi : il reste la réalité de la pénétration et ce n’est pas la même chose d’un côté ou de l’autre.

Il n’y a que dans la sexualité et la reproduction qu’il y a différence entre hommes et femmes. L’égalité des salaires ne se traite donc pas comme l’égalité des rapports sexuels entre hommes et femmes. Il faudrait aller dans le sens d’une égalité entre hommes et femmes vue comme une règle constante entre êtres humains, mais différenciée seulement sexuellement. Seul le rapport sexuel et la reproduction de l’espèce humaine sont différenciés « par nature ». Sur tous les autres sujets, il n’y a aucune différenciation basée sur la nature. Si les femmes qui courent le 100 mètres olympique ne se mesurent pas avec les hommes sur la piste, elles battent pourtant en vitesse la grande majorité des hommes.

L’égalité par la différence

C’est en n’acceptant pas cette égalité dans et par la différence que le machisme réduit la femme à un objet de désir et non à un être humain. Aujourd’hui une forme de féminisme, qui n’exprime pas la pensée de toutes les femmes, recourt à deux stratégies pour réduire l’homme à son désir (sinon ce sont des porcs ?).

Premièrement, ce féminisme parle au nom d’une femme-enfant, non adulte, condition essentielle pour pouvoir brandir à tout moment le drapeau de la victime innocente, donc asexuée. Deuxièmement, les expériences concrètes de vie s’effacent dans des simulacres qui deviennent prédominants : je vis imaginairement ce que d’autres vivent réellement, comme si je simulais une blessure. La vie à l’écran fait justement écran à la vie en situation réelle.

Une femme qui, de sa vie, ne s’est jamais fait voler son sac a maintenant une peur bleue de se le voir arracher. Ce simulacre permet à des Parisiennes aisées de s’approprier un voile qu’elles rejettent alors qu’elles ne le porteront jamais, parlant au nom de femmes qui en portent dans des contrées qu’elles ne visiteront jamais, exigeant une loi applicable à quelques centaines de femmes dans toute la France.

Il faut du simulacre pour confondre viol, harcèlement, séduction. La séduction peut simuler un harcèlement, si le « non » d’une femme est la réponse. Mais comment le savoir d’emblée tant la séduction évolue de part et d’autre par paliers imprévisibles, sous forme d’un jeu des deux parties qui ne correspond pas aux personnes réelles ? « Il avait un scooter mais c’était celui d’un copain… ». Les personnes ne se découvriront que plus tard… si entente, et aussi en se découvrant nus.

La raison n’y pourra rien

L’égalité entre êtres humains différenciés sexuellement nécessite pour la femme une acceptation de son rôle sexuel spécifique, qui commence par son mode de séduction. Ce n’est pas celui d’un homme et il n’est pas plus innocent, ni moins pervers. Les rez-de-chaussée des grands magasins regorgent d’outils de séduction. Les hommes traversent les rayons sans broncher ni trop respirer, pourtant ces objets, pour les femmes, leur sont destinés.

Cette égalité nécessite aussi une défense de la liberté sexuelle, des choix incroyablement variés sous la forme hétérosexuelle ou homosexuelle. Depuis fort longtemps, c’est l’apanage de l’humanité et de son surplus imaginaire de ne pas réduire la sexualité au strict besoin de la reproduction de l’espèce, au contraire de beaucoup de mammifères.

Il est juste de revendiquer l’acceptation d’une femme adulte sexuée, donc qui a des désirs avec des stratégies de séduction… face à l’homme sexué qui a les siens propres, autant que la liberté sexuelle de chacun. Et là, les variations combinées sont exponentielles. Du coup, le formatage de cette relation selon une norme morale et un comportement idoine défini par l’alliage des statistiques et de la psychologie comportementale, augmenté d’une tolérance zéro, va à l’encontre d’une telle liberté intégrant pleinement la différence entre sexualité féminine et masculine. Ce formatage vise une égalité amorphe.

Une mode consiste, entre un homme et une femme, à se donner par écrit le consentement d’un acte sexuel futur imaginaire. Un formulaire circulant sur internet peut simplifier la tâche. On peut imaginer des cases à cocher : « oui », « non », « peut-être » ; et une longue liste d’items : toutes les positions possibles et, au bout d’une longue liste, massages, fellation, bondage, anal… à trois, à quatre. Mais rien n’est sûr d’avance malgré le contrat… et malgré toute raison évoquée pour baliser les sens. Le désir sexuel de part et d’autre a émerveillé la littérature et l’art comme quelque chose qui, précisément, échappe à la rationalité et la planification, puisqu’il va même jusqu’à l’acceptation de la mort contre toute raison. Roméo et Juliette et tant d’autres.

La liberté sexuelle ne va pas sans lois

Les lois ont évolué vers une liberté sexuelle un peu plus « démocratisée ». De tout temps, les pouvoirs royaux ou autres en ont bénéficié (même le Pape) alors que la sévérité s’abattait sur les peuples soumis à des règles sévères, et que les enfreindre se faisait au péril de sa vie. Il faut voir la loi d’aujourd’hui comme nécessaire à tout ce qui enfreint la liberté sexuelle entre hommes et femmes, entre femmes entre elles et entre hommes entre eux. L’objet de ces lois vise le viol, le plus souvent celui d’un homme vis à vis d’une femme, mais aussi d’hommes entre eux (autour de 20%) et d’un petit nombre de femmes sur un homme – cela existe. Ces lois régulent la violence, inadmissible dans l’acte sexuel comme dans toute relation entre êtres humains. La loi traite aussi de la prostitution, l’autre versant, féminin cette fois, de l’« agression » sexuelle. Elle vise tout ce qui a trait à un mac (ou une maquerelle) et à une mafia qui réduit des femmes, mais aussi de jeunes hommes, à l’esclavage. Dans certains pays, une femme décidant seule de se prostituer ne tombe pas sous le coup de la loi.

Cette logique ne relève pas des seules questions de commerce sexuel. Pour une femme, obtenir un « bon parti » lors d’un mariage n’est pas toujours l’affaire exclusive de deux personnes qui s’aiment.

En dehors de cela (la loi), toute velléité de contrôler les relations sexuelles est une fantaisie morale qui relève d’églises et de chapelles laïques bien pensantes. Il en va de même des prétentions actuelles de contrôler la vérité. Le contrôle de la vérité et de la sexualité est bien ce qui n’a jamais pu être formaté. Accepter la liberté sexuelle, c’est en accepter les risques. Si on est libre de voyager, il est certain que les risques vont s’accroître par rapport à son chez soi. L’homosexualité étant admise, il est parfaitement naturel qu’un homme soit « importuné » par un gay. Formater ce risque en rêvant qu’il soit égal à zéro, comme il est tenté de l’essayer pour la sécurité, la vérité… n’est qu’une entreprise morale vaine à terme mais qui peut provoquer de grands dégâts à court terme.

L’individu « libre » est aveugle

La pression des médias ne peut totalement jouer le rôle des Églises. Mais elle représente avec force le même fondement, celui du culte de la douleur. Combien de douleurs chaque soir aux infos de 20h ? Cette pression médiatique demande à l’État de suppléer à une morale « défaillante ». Or ce n’est fondamentalement pas son rôle. L’État édicte des lois permettant à différentes morales, religions et cultures de coexister. Il est assez cocasse de voir que le contrat entre un homme et une femme concernant le consentement d’une future relation sexuelle, et donc le balisage de tout ce qui peut précéder et suivre, prenne à la lettre le contrat de mariage religieux. Les catholiques disaient : pas de relation sexuelle avant le mariage. Les contrats à deux disent : pas de relation sexuelle avant d’avoir signé un contrat de consentement mutuel.

Peut-être touche-t-on ici au summum de l’individualisme exacerbé de notre époque. Le mariage n’est plus l’affaire de deux familles donnant leur consentement. L’individu est tellement « libre » c’est-à-dire tellement aveugle aux contraintes sociales et économiques qui lui sont imposées, qu’il ne lui reste plus, pour pallier le manque de symbolisme et d’insertion sociale, qu’à inventer un pauvre rituel privé, résumé au seul acte sexuel : je consens par écrit. Quid du contrat de divorce prévu par la loi, réduit à la seule fin des rapports sexuels, signé « avant » le moment flou où il n’y a plus consentement ? Quels items pour y mettre quelles coches ?

Et pourtant, il y a reproduction

Des femmes très minoritaires, tant par leurs idées que par leur statut social aisé, se voient comme les seules vraies porte-parole des femmes, comme une avant-garde dogmatique. Il y a là aussi un lien avec l’individualisme de notre époque, poussé à son extrême. Si le moi prend l’ascendant sur toute autre référence sociale, alors moi, femme, je n’ai pas besoin d’un homme sauf à mes conditions, à mon désir. Pourquoi s’étonner s’il en va de même pour l’homme qui réduit la femme à ses désirs ? Dans l’individualisme actuel, la femme n’a même pas besoin d’un homme pour enfanter puisqu’elle peut aller chercher ce qu’il lui faut dans une banque de sperme. Elle n’a plus besoin d’une structure familiale – mais quand même du versement mensuel de l’homme divorcé ou de celui qui a reconnu l’enfant.

La grande oubliée dans ce débat, c’est la question de la reproduction de l’espèce humaine. C’est aussi matériel que précis : sans reproduction efficace, l’humanité est en péril. Si on enlève l’Afrique des statistiques, l’humanité est en faillite sur ce point.

L’extension de la liberté sexuelle a rejeté la fécondation nécessaire à l’humanité dans un domaine qu’on veut voir séparé de la sexualité. L’individualisme dans l’assouvissement du désir sexuel (certains veulent même instaurer un « droit à la jouissance ») est complètement schizophrénique dans sa manière de dissocier le désir et l’activité sexuelle de la fécondation. In fine, cependant, toutes ces expressions de désirs et d’activités sexuelles, mêmes les plus éloignées de la fécondation, doivent assurer la survie de l’humanité. Et cette survie passe par la fécondation aussi sûrement que l’humanité ne peut survivre sans se nourrir. On peut faire ce qu’on veut, mais pour la très grande majorité des hommes et des femmes, la sexualité y sera liée. Cette schizophrénie permet de moins en moins à une structure familiale de tenir la durée. Certaines femmes renforcent ainsi la « propriété » individuelle de l’enfant par leur nature même de mère. Elles peuvent aller jusqu’à développer une sorte d’hyper attention à l’Enfant, comme concept même d’Innocence à protéger, pour finalement amalgamer leur propre condition de femme à l’innocence de l’enfant-roi qu’elle sont « seules » à protéger. Un couple d’innocence asexué.

Le bras augmenté d’un Smartphone

Cette forme d’individualisme caractérise notre époque. Il est poussé à son extrême par les nouvelles technologies et le bout du bras de la majorité des humains est « augmenté » par un Smartphone. L’individualisme est exacerbé par l’économie et la modélisation qu’elle impose avec sa technologie. Chaque homme et chaque femme a une carrière à gérer.

On est bien loin de l’homme qui travaille et de la femme à la maison qui s’occupe des enfants (sauf au Japon), origine de la différence salariale : au début, le salaire de l’homme devait permettre à une famille de tenir le coup, avec difficulté, chaque mois. Sauf pour la classe ouvrière, où il a toujours été prévu que la femme travaille. Et même, au début, l’enfant a été mis à la tâche pour qu’une famille ouvrière résiste dans la misère. C’est là qu’une interrogation peut être posée. La campagne médiatique concernant le harcèlement à partir d’events bien construits, visant des hommes célèbres, a pris, de ce fait, un essor mondial instantané. C’est un axe parfaitement revendiqué par ce type de féminisme : s’attaquer par la même occasion au « Pouvoir » forcément « Mâle ».

Au moment où le pouvoir du capitalisme financier globalisé contraint les États par la dette et contraint les individus à être des pions branchés dans l’organisation digitalisée du travail (Uber où un homme « libre » travaille avec sa propre voiture pour 5€ de l’heure pour une plate-forme informatique qui vaut des milliards en bourse), au moment où cette économie est dans une crise due à son incapacité d’imaginer une alternative autre que technologique au réchauffement climatique, à la pollution, à l’écart toujours plus grand entre riches et pauvres… À ce moment même, le problème est posé comme étant celui du rapport de l’Homme à la Femme. L’Homme usurpe le pouvoir, sexuellement, économiquement, politiquement, idéologiquement, artistiquement… et les femmes sont partout victimes de ce pouvoir. La contradiction entre le capital et le travail, reconnue comme un fait par les économistes libéraux comme par des marxistes, cette économie qui assure la survie de l’humanité, mais cette fois du côté de la bouche, disparaît – comme un fakir féministe pourrait la faire disparaître dans sa manche.

Les cancres

Tout mouvement a ses excès nécessaires et le mouvement féministe n’est pas épargné. La question fondamentale est bien celle du pouvoir. Le nommer est une première chose et le faire le mieux possible est essentiel pour déterminer une stratégie de changement. Là, un choix est nécessaire.

Si le pouvoir c’est le Mâle, alors la lutte pour une « libération » de la Femme, qui est formellement celle de se libérer du pouvoir de l’Homme abstrait, conduit à une lutte portant la haine du mâle dans toutes les structures sociales, jusqu’au plus inattendues.

Cette lutte a la décence de ne pas vouloir l’entièreté du pouvoir, même après s’être « libérée » du pouvoir Mâle. Elle revendique le partage, l’égalité des salaires, ce qui est parfaitement nécessaire à la nouvelle organisation du travail individualisé, dont les féministes de pointe ne parlent pas. Mais, dans la foulée, voici l’égalité du nombre de femmes dans toute structure de pouvoir, dans les conseils d’administration, dans les parlements… Et même l’extraordinaire victoire égalitaire : être soldat pour une femme. Sauf que les multiples Reines des siècles passés, les Thatcher, Merkel, May d’aujourd’hui, ne changent pas la politique. Pas plus que Mme Clinton ne l’aurait fait, pas plus que 50% de femmes dans un conseil d’administration ne changerait la stratégie visant à réaliser les profits maximum. Les femmes dans l’armée ne feront pas changer qui il faut tuer. Mme Lagarde, patronne du FMI, ne modifie en rien les structures du capitalisme financier mondial à grande majorité mâle et dont fait partie M. Trump. Toutes ces femmes n’ont pas apporté plus pour la libération des femmes que Obama n’a apporté d’amélioration aux Noirs des États-Unis.

Traiter les rapports entre homme et femme en lien avec la domination du capitalisme financier mondial permet de devenir moins simpliste et moins pétri de morales qui ont pour particularité d’arriver rapidement à leur limite : l’hypocrisie. Ce n’est pas du tout la même chose d’être féministe si on est femme millionnaire, Présidente comme San Suu Kyi en Birmanie, petite-bourgeoise à Paris, ouvrière en Chine, paysanne au Bénin.

Ces différences sur le plan international existent à l’identique dans chaque pays. Les femmes millionnaires qui s’attaquent au milliardaire Weinstein – avec sans doute à la clé un arrangement financier comme le promeut le système judiciaire étasunien pour faire retomber le soufflé et empocher le pactole – ne peuvent décemment être une référence pour toutes les femmes, et surtout pas pour leur grande majorité. Elles ont pourtant eu une tribune médiatique mondiale grâce aux quelques milliardaires « mâles » qui détiennent les grands médias.

Quand une telle unité de la « vérité » (il est « vrai » que toutes les femmes ont été « harcelées » une fois dans leur vie) fait surgir une telle unité « morale » (dénonçons et accablons ces mâles en dehors de toute loi puisque celles-ci sont elles-mêmes « mâles »), il vaut mieux être au fond de la classe, lever le doigt pour poser quelques questions. Mais il n’y a pas que des cancres « mâles » au fond de la salle, bien que le mot soit masculin.

Jean-Luc Mello

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