La pandémie a-t-elle été utilisée pour précipiter le monde dans une spirale de chômage massif, de faillite et de désespoir ?
Par Michel Chossudovsky − Le 17 avril 2020 − Source Global Research
Il y a une grave crise sanitaire qui doit être dûment résolue. Et c’est une priorité numéro un. Mais il y a une autre dimension importante qui doit être prise en compte.
Des millions de personnes ont perdu leur emploi et leurs économies de toute une vie. Dans les pays en développement, la pauvreté et le désespoir règnent. Alors que le confinement est présenté à l’opinion publique comme le seul moyen de résoudre une crise mondiale de santé publique, ses effets économiques et sociaux dévastateurs sont ignorés au passage.
La vérité tacite est que le nouveau coronavirus fournit un prétexte aux puissants intérêts financiers et aux politiciens corrompus pour précipiter le monde entier dans une spirale de chômage de masse, de faillite et d’extrême pauvreté.
C’est là le véritable tableau de ce qui se passe. La pauvreté est mondiale. Alors que des famines éclatent dans les pays du Tiers-Monde, et plus près de chez nous, dans le pays le plus riche du monde,
Des millions d’Américains désespérés attendent dans de longues files d’attente pour recevoir l’aumône.
Des files d’attente de plusieurs kilomètres se sont formées devant les banques alimentaires et les bureaux de chômage de tous les États-Unis au cours de la semaine dernière.
En Inde :
La nourriture disparaît, …. dans les bidonvilles, trop effrayés pour sortir, pour rentrer chez eux à pied ou piégés dans les violences de rue.
En Inde, il y a eu 106 décès dus au coronavirus à ce jour, pour mettre les choses en perspective 3 000 enfants indiens meurent de faim chaque jour.
De Bombay à New York. C’est la « Mondialisation de la pauvreté ». La production est au point mort. La famine en Asie et en Afrique. La famine aux États-Unis. Tous les pays sont désormais des pays du Tiers-Monde. C’est le « Tiers-Monde » des pays dits « développés » à hauts revenus.
Et que se passe-t-il en Italie ?
Les gens sont à court de nourriture. Des rapports confirment que la mafia plutôt que le gouvernement « gagne le soutien local en distribuant gratuitement de la nourriture aux familles pauvres en quarantaine qui n’ont plus d’argent ». (The Guardian)
Cette crise combine la peur et la panique concernant le COVID-19 avec un processus sophistiqué de manipulation économique.
Examinons d’abord les impacts concernant les pays en développement.
Les pays en développement. La « médecine économique » du FMI et la mondialisation de la pauvreté
La crise du coronavirus fait-elle partie d’un programme macro-économique plus large ?
Tout d’abord, un peu d’histoire.
J’ai passé plus de dix ans à effectuer des recherches sur le terrain concernant les impacts des réformes économiques du FMI et de la Banque mondiale en Afrique, en Asie, en Amérique latine, en Europe de l’Est et dans les Balkans.
Depuis le début des années 1980, une « médecine économique forte » a été imposée aux pays en développement endettés dans le cadre de ce que l’on appelait le « Programme d’Ajustement Structurel » (PAS).
De 1992 à 1995, j’ai entrepris des recherches sur le terrain en Inde, au Bangladesh et au Vietnam et je suis retourné en Amérique latine pour terminer mon étude sur le Brésil. Dans tous les pays que j’ai visités, y compris le Kenya, le Nigeria, l’Égypte, le Maroc et les Philippines, j’ai observé le même schéma de manipulation économique et d’ingérence politique de la part des institutions basées à Washington. En Inde, conséquence directe des réformes du FMI, des millions de personnes ont été poussées à la famine. Au Vietnam – qui compte parmi les économies productrices de riz les plus prospères du monde – des famines ont éclaté au niveau local, conséquence directe de la levée du contrôle des prix et de la déréglementation du marché des céréales. (Préface de la deuxième édition de la Mondialisation de la Pauvreté, 2003)
L’hégémonie du dollar a été imposée. Avec l’augmentation de la dette libellée en dollars, l’ensemble du système monétaire national a finalement été « dollarisé » dans la plupart des pays en développement.
Des mesures d’austérité massives ont conduit à l’effondrement des salaires réels. Des programmes de privatisation de grande envergure ont été imposés. Ces réformes économiques meurtrières – appliquées au nom des créanciers – ont invariablement provoqué l’effondrement économique, la pauvreté et le chômage de masse.
Au Nigeria, à partir des années 1980, l’ensemble du système de santé publique a été démantelé. Les hôpitaux publics ont été acculés à la faillite. Les médecins avec lesquels je me suis entretenu ont décrit le tristement célèbre programme d’ajustement structurel (PAS) avec une touche d’humour :
« Nous avons été détruits par le PAS », disaient-ils, nos hôpitaux ont littéralement été détruits par le diptyque FMI-Banque Mondiale.
De l’ajustement structurel à l’ajustement global
Aujourd’hui, le mécanisme de déclenchement de la pauvreté et de l’effondrement économique est fondamentalement différent et de plus en plus sophistiqué.
La crise économique actuelle de 2020 est liée à la logique de la pandémie COVID-19. Pas besoin pour le diptyque FMI-Banque Mondiale de négocier un Prêt d’Ajustement Structurel avec les gouvernements nationaux.
Ce qui s’est produit dans le cadre de la crise COVID-19 est un « ajustement global [c’est nous qui soulignons] » dans la structure de l’économie mondiale. D’un seul coup, cet ajustement global déclenche un processus mondial de faillite, de chômage, de pauvreté et de désespoir total.
Comment est-il mis en œuvre ? Le confinement est présenté aux gouvernements nationaux comme la seule solution pour résoudre la pandémie COVID-19. Il devient un consensus politique, indépendamment des conséquences économiques et sociales dévastatrices.
Il n’est pas nécessaire de réfléchir ou d’analyser les impacts probables. Les gouvernements nationaux corrompus sont contraints de s’y conformer.
La fermeture partielle ou complète d’une économie nationale est déclenchée par l’application de ce que l’on appelle les « directives de l’OMS » relatives au confinement, ainsi qu’aux restrictions en matière de commerce, d’immigration et de transport, etc.
De puissantes institutions financières et des groupes de pression comme Wall Street, Big Pharma, le Forum Économique Mondial (WEF) et la Fondation Bill et Melinda Gates ont participé à l’élaboration des actions de l’OMS concernant la pandémie COVID-19.
Le verrouillage des marchés et la réduction des échanges commerciaux et des voyages aériens avaient préparé le terrain. Cette fermeture des économies nationales a été entreprise dans le monde entier à partir du mois de mars, touchant simultanément un grand nombre de pays dans toutes les grandes régions du monde. C’est un événement sans précédent dans l’histoire de l’humanité.
Pourquoi les dirigeants de haut niveau ont-ils laissé faire ? Les conséquences étaient évidentes.
Cette opération de fermeture affecte les lignes de production et d’approvisionnement de biens et des services, les activités d’investissement, les exportations et les importations, le commerce de gros et de détail, les dépenses de consommation, la fermeture d’écoles, de collèges et d’universités, d’instituts de recherche, etc.
À son tour, elle entraîne presque immédiatement un chômage de masse, des faillites de petites et moyennes entreprises, un effondrement du pouvoir d’achat, une pauvreté et une famine généralisées.
Quel est l’objectif sous-jacent de cette restructuration de l’économie mondiale ? Quelles en sont les conséquences ? Cui Bono ?
- Une concentration massive de richesses et de capitaux d’entreprises,
- La déstabilisation des petites et moyennes entreprises dans tous les grands domaines de l’activité économique, y compris l’économie des services, l’agriculture et l’industrie manufacturière.
- La facilitation de l’acquisition ultérieure d’entreprises en faillite
- La dérogation aux droits des travailleurs. Elle déstabilise les marchés du travail.
- La création d’un chômage de masse
- La compression des salaires (et les coûts du travail) dans les pays dits « développés » à revenu élevé ainsi que dans les pays du quart monde
- Une augmentation de la dette extérieure
- La facilitation de la privatisation ultérieure
Il va sans dire que cette opération d’ajustement global est bien plus préjudiciable que le Programme d’Ajustement Structurel (PAS) du FMI et de la Banque Mondiale au niveau des pays.
C’est du néolibéralisme à la puissance dix.
D’un seul coup, au cours des derniers mois, la crise COVID-19 a contribué à appauvrir une grande partie de la population mondiale.
Et devinez qui vient à la rescousse ? Le FMI et la Banque mondiale :
La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, a reconnu avec désinvolture que l’économie mondiale est au point mort, sans s’attaquer aux causes de l’effondrement économique.
« L’OMS est là pour protéger la santé des populations, le FMI est là pour protéger la santé de l’économie mondiale », explique Mme Georgieva.
Comment compte-t-elle « protéger l’économie mondiale » ?
Au détriment de l’économie nationale ?
Quelle est sa « solution magique » ?
« Nous comptons sur une capacité de prêt globale de 1 000 milliards de dollars. » (FMI M-D Georgieva, conférence de presse début mars)
À première vue, cela semble « généreux », beaucoup d’argent. Mais en fin de compte, c’est ce qu’on pourrait appeler de l’« argent fictif », ce qui signifie :
« Nous vous prêterons l’argent et avec l’argent que nous vous prêterons, vous nous rembourserez » (paraphrase).
L’objectif ultime est de faire monter en flèche la dette extérieure (libellée en dollars).
Le FMI est explicite. Dans l’un de ses guichets de prêt, le Catastrophe Containment and Relief Trust, qui s’applique aux pandémies, généreusement
accorde des subventions pour l’allègement de la dette de nos membres les plus pauvres et les plus vulnérables.
Déclaration absurde : il est là pour renflouer les caisses des créanciers, l’argent est affecté au service de la dette.
Pour les pays à faible revenu et pour les pays émergents à revenu intermédiaire, nous avons … jusqu’à 50 milliards de dollars qui ne nécessitent pas un programme complet du FMI.
Aucune condition sur la façon dont vous dépensez l’argent. Mais cet argent augmente le niveau de la dette et nécessite un remboursement.
Les pays sont déjà dans une camisole de force. Et l’objectif est qu’ils se conforment aux exigences des créanciers. C’est la solution néolibérale appliquée au niveau mondial : pas de véritable reprise économique, plus de pauvreté et de chômage dans le monde. La « solution » devient la « cause ». Elle initie un nouveau processus d’endettement. Elle contribue à une escalade de la dette.
Plus vous prêtez, plus vous poussez les pays en développement à se conformer aux règles politiques. Et c’est finalement l’objectif de l’empire américain en faillite.
La vérité cachée est que ces mille milliards de dollars, et plus, des Institutions de Bretton Woods sont destinés à faire augmenter la dette extérieure.
Lors de récents développements, les Ministres des Finances du G20 ont décidé de « suspendre » le remboursement des obligations de service de la dette des pays les plus pauvres du monde.
L’annulation de la dette n’a pas été envisagée. Bien au contraire. La stratégie consiste à accumuler la dette.
Il est important que les gouvernements des pays en développement adoptent une position ferme contre l’« opération de sauvetage » du FMI et de la Banque mondiale.
La crise mondiale de la dette dans les pays développés
Une crise fiscale sans précédent se déroule à tous les niveaux de gouvernement. Avec des niveaux de chômage élevés, les recettes fiscales dans les pays développés sont presque au point mort. Au cours des deux derniers mois, les gouvernements nationaux se sont de plus en plus endettés.
À leur tour, les gouvernements occidentaux ainsi que les partis politiques sont de plus en plus sous le contrôle des créanciers, qui en fin de compte mènent la barque.
Tous les gouvernement ont été précipités dans un étranglement de la dette. La dette ne peut être remboursée. Aux États-Unis, le déficit fédéral « a augmenté de 26 % pour atteindre 984 milliards de dollars pour l’exercice 2019, soit le plus haut niveau en 7 ans ». Et ce n’est que le début.
Dans les pays occidentaux, une expansion colossale de la dette publique a eu lieu. Elle est utilisée pour financer les « sauvetages », les « aides » aux entreprises ainsi que les « filets de sécurité sociale » aux chômeurs.
La logique des plans de sauvetage est à certains égards similaire à celle de la crise économique de 2008, mais à une échelle beaucoup plus grande. Ironiquement, en 2008, les banques américaines étaient à la fois les créanciers du gouvernement fédéral américain et les heureux bénéficiaires : l’opération de sauvetage a été financée par les banques dans le but de « renflouer les banques ». Cela semble contradictoire ?
La privatisation de l’État
Cette crise finira par précipiter la privatisation de l’État. De plus en plus, les gouvernements nationaux seront sous la coupe de la Big Money.
Criblé par l’accumulation des dettes, ce qui est en jeu est l’éventuelle privatisation de facto de toute la structure de l’État, dans différents pays, à tous les niveaux de gouvernement, sous la surveillance de puissants intérêts financiers. La fiction de « gouvernements souverains » défendant les intérêts des électeurs sera néanmoins maintenue.
Le premier niveau de gouvernement à privatiser sera les municipalités, dont beaucoup sont déjà partiellement ou totalement privatisées, comme Detroit en 2013. Les milliardaires américains seront incités à racheter des villes entières.
Plusieurs grandes villes sont déjà au bord de la faillite. Ce n’est pas nouveau.
La ville de Vancouver est-elle prête à être privatisée ? « Le maire de Vancouver a déjà indiqué qu’il craignait la faillite de sa ville. » (Le Devoir, 15 avril 2020)
Dans les grandes villes américaines, les gens sont tout simplement incapables de payer leurs impôts : La dette de la ville de New York pour l’année fiscale 2019 s’élève à 91,56 milliards de dollars (FY 2019), soit une augmentation de 132% depuis l’année fiscale 2000. En retour, les dettes personnelles ont explosé dans toute l’Amérique.
Les ménages américains ont collectivement environ 1 000 milliards de dollars de dettes de cartes de crédit. Aucune mesure n’est prise aux États-Unis pour réduire les taux d’intérêt sur les dettes de cartes de crédit.
Le nouvel ordre mondial ?
Le confinement appauvrit les pays développés et en développement et détruit littéralement les économies nationales.
Il déstabilise l’ensemble du paysage économique. Il sape les institutions sociales, notamment les écoles et les universités. Il conduit les petites et moyennes entreprises à la faillite.
Quel genre de monde nous attend ?
Un « nouvel ordre mondial » diabolique en devenir, comme le suggère Henry Kissinger ? (WSJ Opinion, 3 avril 2020) :
La pandémie de coronavirus va changer à jamais l’ordre mondial.
Rappelez-vous la déclaration historique de Kissinger en 1974 :
Le dépeuplement devrait être la priorité absolue de la politique étrangère américaine à l’égard du Tiers-Monde. (Mémorandum du Conseil national de sécurité de 1974)
Remarques finales
Il y a beaucoup de malentendus concernant la nature de cette crise.
Plusieurs intellectuels progressistes disent aujourd’hui que cette crise constitue une défaite du néolibéralisme. « Elle annonce un nouveau départ ».
Certains y voient un « tournant potentiel », qui ouvre une opportunité de « construire le socialisme » ou de « restaurer la social-démocratie » dans le sillage du verrouillage.
Les preuves confirment amplement que le néolibéralisme n’a pas été vaincu. Bien au contraire.
Le capitalisme mondial a consolidé son emprise. La peur et la panique l’emportent. L’État est en train d’être privatisé. La tendance est aux formes de gouvernement autoritaires.
Ce sont les problèmes auxquels nous devons faire face.
Cette opportunité historique de confronter les structures de pouvoir du capitalisme mondial, y compris l’appareil militaire des États-Unis et de l’OTAN, reste à être fermement mise en place à la suite du confinement.
Michel Chossudovsky
Dans cette édition révisée du best-seller international du professeur Michel Chossudovsky, l’auteur esquisse les contours d’un Nouvel Ordre Mondial qui se nourrit de la pauvreté humaine et de la destruction de l’environnement, génère un apartheid social, encourage le racisme et les conflits ethniques et porte atteinte aux droits des femmes. Le résultat, comme le montrent de façon si convaincante ses exemples détaillés provenant de toutes les régions du monde, est une mondialisation de la pauvreté.
Ce livre est une combinaison habile d’explications lucides et de critiques argumentées des directions fondamentales dans lesquelles notre monde évolue financièrement et économiquement.
Traduit par Michel, relu par jj pour le Saker Francophone
Ping : Vers un nouvel ordre mondial ? La crise de la dette mondiale et la privatisation de l’État – Saint Avold / The Sentinel
Ping : Ploutocratie et ultralibéralisme - Au Souffle de l'Esprit