Ukraine SitRep. Krynky – La stratégie médiatique teintée de rose de Zelenski – Les nouveaux ordres de Washington


Par Moon of Alabama − Le 11 décembre 2023

Fin octobre, l’armée ukrainienne a commencé à envoyer des soldats sur la rive gauche du Dniepr, tenue par les forces russes. Des dizaines de soldats ont traversé la région de Kherson, au nord, en utilisant des canots pneumatiques et d’autres petites embarcations. Ils se sont emparés d’une partie de la ville rurale de Krynky (Krinki).

L’utilité de cette opération, menée par les brigades de marine ukrainiennes, a toujours été remise en question. S’agissait-il du début d’une traversée plus importante ? Cela semblait peu probable, car les petits canaux qui traversent les marais et l’intense couverture par les drones ne permettent pas un mouvement de grande ampleur.

S’agissait-il d’une diversion ? Peut-être, mais une diversion de quoi ?

Chaque nuit, les Ukrainiens envoyaient de nouveaux bateaux avec des forces fraîches et du matériel, et évacuaient les soldats blessés. L’armée russe n’a pas tenté d’expulser les Ukrainiens par des forces terrestres, mais les a touché intensément avec de l’artillerie, des bombardements aériens et des drones. Les bateaux ont été détruits les uns après les autres lors des tentatives de traversée. Dans le résumé de l’opération de la semaine dernière, le ministère russe de la défense a affirmé détruire trois bateaux par jour.

Pour moi, cette opération ressemblait à l’échec de la prise de Bakhmut au début de l’année : un gaspillage de soldats pour un gain de propagande de courte durée.

Il a fallu un certain temps pour que les médias occidentaux remettent en question l’opération. La semaine dernière, la BBC a été la première à en donner un compte rendu de première main :

Ukraine war : Soldier tells BBC of front-line « hell » (Un soldat raconte à la BBC l’enfer de la ligne de front)

En infériorité numérique et sans arme, un soldat de la ligne de front a donné un compte rendu qui donne à réfléchir sur la lutte de l’Ukraine pour s’accrocher à son point d’appui sur la rive orientale de l’immense fleuve Dnipro.

Plusieurs centaines de soldats ukrainiens y sont parvenus dans le cadre d’une contre-offensive lancée il y a six mois.

Sous le feu incessant des Russes, le soldat a passé plusieurs semaines sur la rive occupée par les Russes, alors que l’Ukraine tentait d’établir une tête de pont autour du village de Krynky. La BBC ne le nomme pas afin de protéger son identité.

Son récit, envoyé via une application de messagerie, parle de bateaux de transport de troupes emportés par le vent, de renforts inexpérimentés et d’un sentiment d’abandon de la part des commandants militaires ukrainiens.

Il met en évidence les tensions croissantes alors que la défense de l’Ukraine contre l’invasion russe se rapproche de la fin d’une nouvelle année.

L’armée ukrainienne a déclaré à la BBC qu’elle ne commentait pas la situation dans cette zone pour des raisons de sécurité.

Le soldat n’est pas satisfait de la situation :

L’ensemble de la traversée de la rivière est sous un feu constant. J’ai vu des bateaux avec mes camarades à bord disparaître dans l’eau après avoir été touchés, perdus à jamais dans le fleuve Dniepr.

Nous devons tout emporter avec nous : les générateurs, le carburant et la nourriture. Lorsque vous mettez en place une tête de pont, vous avez besoin de beaucoup de choses, mais le ravitaillement n’était pas prévu pour cette zone.

Nous pensions qu’une fois sur place, l’ennemi s’enfuirait et que nous pourrions alors transporter tranquillement tout ce dont nous avions besoin, mais cela n’a pas été le cas.

Lorsque nous sommes arrivés sur la rive [orientale], l’ennemi nous attendait. Les Russes que nous avons réussi à capturer nous ont dit que leurs forces avaient été informées de notre débarquement et que, lorsque nous sommes arrivés, elles savaient exactement où nous trouver. Ils ont tout lancé contre nous : artillerie, mortiers et lance-flammes. J’ai cru que je ne m’en sortirais jamais.

« Nous pensions que les Russes s’enfuiraient ». On se demande qui a endoctriné ces hommes. Aujourd’hui, il semble qu’il n’y ait plus de plan d’ensemble. Les ordres sont de s’accrocher à Krynky et d’y mourir.

Plusieurs brigades étaient censées être postées ici, pas des compagnies individuelles – nous n’avons tout simplement pas assez d’hommes.

Il y a beaucoup de jeunes parmi nous. Nous avons besoin de gens, mais de gens formés, pas des jeunes que nous avons actuellement. Il y a des gars qui n’ont passé que trois semaines en formation et qui n’ont réussi à tirer que quelques fois.

C’est un véritable cauchemar. Il y a un an, je n’aurais pas dit cela, mais maintenant, j’en ai marre.

Tous ceux qui voulaient se porter volontaires pour la guerre sont venus il y a longtemps – il est trop difficile aujourd’hui de tenter les gens avec de l’argent. Maintenant, nous recevons ceux qui n’ont pas réussi à échapper à l’appel sous les drapeaux. Cela va vous faire rire, mais certains de nos marines ne savent même pas nager.

Les médias ukrainiens, qui avaient jusqu’à présent évité toute critique à l’égard du gouvernement et de l’armée, commencent eux aussi à se montrer grincheux. Via Strana (traduction automatique) :

Krynki. Problèmes liés à la tête de pont des FAU sur la rive gauche de la région de Kherson

L’opération des forces armées ukrainiennes visant à tenir la tête de pont sur la rive gauche du Dniepr n’a pas de sens et ne conduit qu’à de lourdes pertes.

C’est ce que rapporte l’édition d’Odessa de « Dumskaya« .

« Les marins traversent le fleuve et la plupart d’entre eux sont tués à l’approche de la rive. Ceux qui ont survécu et traversé le fleuve seront repassés au fer rouge avec tout ce qui se trouve dans l’arsenal russe. Les gens sont constamment jetés par-dessus le fleuve, vague après vague. Il n’est pas question de faire une nouvelle percée, les forces sont maintenant dépensées pour rester sur place. Pour quoi faire ?

Cela aurait fait une différence si nous avions obtenu une avancée ailleurs. Ces têtes de pont auraient alors distrait l’ennemi. Mais non, nous sommes déjà en mode défensif ailleurs. Alors pourquoi tout cela ? Le commandement doit de toute urgence mettre un terme à cette opération. Elle devait clairement être liée à l’offensive dans la région de Zaporozhye, mais elle est déjà terminée. À cet égard, les tentatives actuelles de lancer des marines sur la rive gauche est quelque chose qui dépasse le bien et le mal« , écrit « Douma« .

Le Financial Times d’aujourd’hui se fait l’écho de la grogne croissante de la société ukrainienne :

Les Ukrainiens remettent en question les discours « teintés de rose » de Volodymyr Zelenskyy (archivé)

Pendant plus de 650 jours consécutifs, le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy a prononcé au moins un discours vidéo à la nation, faisant l’éloge de ses troupes, célébrant les avancées sur les lignes de front et réaffirmant sa détermination face à l’agression russe.

Le message est toujours « nous allons de l’avant« , dans le but de maintenir l’optimisme à l’intérieur et à l’extérieur du pays, selon trois personnes familières avec la stratégie de communication. Cette politique est appliquée à tous les niveaux de l’État, depuis les ministères et les administrations locales jusqu’aux commandants militaires, et comprend une censure stricte des mauvaises nouvelles telles que le nombre de victimes ukrainiennes ou les frappes russes réussies.

Toutefois, l’Ukraine ayant obtenu peu de résultats militaires cette année et le soutien occidental s’affaiblissant, la stratégie de communication crée un fossé entre l’administration présidentielle et les dirigeants militaires, selon des responsables des forces armées, d’anciens collaborateurs de la présidence et des stratèges en communication.

« Nous devons faire preuve de plus de réalisme […] et nous devons être aussi courageux que nous l’étions le 24 février [2022] », a déclaré une personne liée à la stratégie de communication présidentielle, en référence au jour où la Russie a commencé son invasion à grande échelle de l’Ukraine.

Dans son analyse de l’article du FT, Andrew Korybko résume la situation :

Les conditions sociopolitiques créées par le refus de Zelensky de reconnaître la réalité et de désamorcer le conflit en vue de le geler donnent du crédit à ce qu’a déclaré lundi le chef des espions étrangers russes, Naryshkin, concernant l’intérêt croissant de l’Occident à le remplacer. Il a expliqué que l’Occident ne le considérait pas capable de faire ce qui précède en raison de l’ampleur de son image de faucon, d’où la nécessité de le remplacer éventuellement par quelqu’un d’autre afin d’initier ce processus.

Hier, le président ukrainien a été vu à Buenos Aires où il a assisté à l’investiture du nouveau président argentin de droite, Javier Milei. Il a également eu un échange bref mais apparemment important avec le premier ministre hongrois Victor Orban, qui bloque actuellement toute nouvelle action et tout nouvel argent de l’UE en faveur de l’Ukraine.

Avant de pouvoir reprendre l’avion pour Kiev, Zelenski a reçu l’ordre de se présenter à Washington DC :

Le président Biden a invité le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy à la Maison Blanche pour une réunion le mardi 12 décembre afin de souligner l’engagement inébranlable des États-Unis à soutenir le peuple ukrainien qui se défend contre l’invasion brutale de la Russie. Alors que la Russie intensifie ses attaques de missiles et de drones contre l’Ukraine, les dirigeants discuteront des besoins urgents de l’Ukraine et de l’importance vitale d’un soutien continu de la part des États-Unis en ce moment critique.

L’administration Biden pourrait chercher à organiser des discussions entre Zelenski et les dirigeants du Sénat et de la Chambre des représentants. Mais il est peu probable que ces discussions débloquent l’aide future à l’Ukraine, actuellement bloquée. Elle utilisera également la conversation avec Zelenski pour le pousser à négocier avec la Russie. En d’autres termes, il s’agit de lui faire la leçon.

Si l’Ukraine ne commence pas à négocier avec la Russie dans les prochaines semaines, Zelenski sera remplacé.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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