Par Leonid Savin − Le 1er décembre 2020 − Source Oriental Review
La Corne de l’Afrique elle-même présente un intérêt important pour de nombreux pays qui se considèrent comme une entité géopolitique, car sa situation géographique lui permet de contrôler la connexion entre la mer Rouge (et donc le canal de Suez) et l’océan Indien, où passe un grand nombre de navires. Djibouti accueille des bases militaires françaises, italiennes, américaines et même chinoises. De l’autre côté du détroit se trouve le Yémen, où le conflit militaire se poursuit, dans lequel l’Arabie Saoudite et ses partenaires interviennent.
Des signes évidents de déstabilisation ont été observés récemment dans deux pays de la région, la Somalie et l’Éthiopie.
La veille, un message a été diffusé concernant la mort d’un officier de la CIA en Somalie. Il s’agissait d’un agent de la Division spéciale, un ancien Marine. Cet événement a été interprété comme quelque chose d’extraordinaire, puisque dans ce pays d’Afrique de l’Est il y a un grand nombre de troupes américaines – plus de 700 soldats. Certains d’entre eux sont en mission anti-terroriste.
La Somalie reste l’un des pays les plus dangereux au monde. Bien que la Somalie soit officiellement une fédération, ce qui est inscrit dans la constitution provisoire du pays, la confrontation inter-clanique et inter-ethnique y demeure, à laquelle s’ajoutent les activités de groupes criminels et terroristes. Il y a une dizaine d’années, les pirates somaliens étaient connus pour détourner les navires passant près des côtes et exiger des rançons pour les marins et les cargaisons saisies. Ce problème a été partiellement résolu grâce aux opérations militaires de divers États, mais il n’a pas complètement disparu. Un autre problème est l’activité du groupe terroriste Al-Shabab qui est associé à Al-Qaïda. Fin novembre, des responsables d’Al-Shabab ont tué un groupe de soldats somaliens entraînés par l’armée américaine.
Un rapport sur la lutte contre le terrorisme dans la région, préparé pour le Congrès américain, indique que d’ici 2021, les forces de sécurité somaliennes locales seront en mesure de faire face aux menaces par leurs propres moyens. Apparemment, c’est ce qui a motivé la décision de retirer les troupes américaines de Somalie. Et Donald Trump a donné les instructions appropriées. Cependant, cela a suscité des critiques de la part des politiciens et de la communauté de renseignement américaine qui ont affirmé que si les troupes américaines étaient retirées, le pays plongerait sûrement dans une guerre civile. Tous les clans ne soutiennent pas le gouvernement fédéral de ce pays, donc même si des bases spéciales du commandement africain restent dans la région (on suppose que les opérations contre Al-Shabab se poursuivront avec l’aide de drones de combat lancés du Kenya et de Djibouti), un conflit interne pour le pouvoir pourrait commencer.
Des élections parlementaires doivent se tenir en décembre en Somalie et des élections présidentielles doivent avoir lieu en février. C’est une autre source d’inquiétude, car de nombreux hommes politiques et chefs de clan ne veulent pas que le chef du pays en exercice, Mohammed Abdullahi Mohammed, conserve son poste. Il a pourtant l’intention de se présenter à nouveau aux élections. Il est également intéressant de noter qu’il est soutenu par le Qatar – le principal sponsor des Frères musulmans.
Si Djibouti peut atteindre une sécurité relative grâce à la présence de bases militaires étrangères, la situation en Éthiopie voisine reste critique.
Après le déclenchement du conflit avec le Front de libération nationale du Tigré, les forces gouvernementales ont capturé l’une des principales villes de la province d’Adigrat le 20 novembre, tuant des centaines d’habitants et en faisant fuir des dizaines de milliers vers le Soudan voisin.
Le 24 novembre, la Commission éthiopienne des droits de l’homme a déclaré que plus de 600 personnes avaient été tuées à Mai Kadra, une autre ville de la province du Tigré. Un nettoyage ethnique y a été effectué avec le soutien de la police locale. Malgré les appels des Nations unies et de l’Union africaine à mettre fin à l’effusion de sang, le Premier ministre Al-Ahmed a refusé d’arrêter l’opération militaire et d’entamer des négociations.
Ce qui se passe peut également affecter l’économie du pays, notamment les activités des investisseurs extérieurs comme les EAU. Les Émirats financent 92 projets dans une grande variété de secteurs en Éthiopie. En outre, 50 000 travailleurs migrants originaires d’Éthiopie se trouvent aux Émirats arabes unis dans le cadre du programme de réduction du chômage. En outre, il est prouvé que les Émirats aident à combattre les rebelles en utilisant la base militaire d’Assab en Érythrée.
Un autre facteur de déstabilisation est la construction d’un grand barrage en Éthiopie, qui est appelé le projet du siècle. Il s’agit d’une grave préoccupation pour l’Égypte et le Soudan, car son lancement affectera le niveau de l’eau du Nil, qui est directement lié aux activités agricoles de ces deux pays.
Le déclenchement de la guerre civile peut servir de prétexte à une intervention en Éthiopie. Il est à noter que les représentants de l’Égypte ont déjà discuté de cette possibilité avec les représentants de l’Érythrée. Jusqu’à présent, le Caire utilise la pression diplomatique pour obtenir le soutien de la Zambie et de la Namibie dans la construction du barrage. Le Soudan, pour sa part, a boycotté les dernières négociations qui ont eu lieu le 21 novembre.
En même temps, il faut noter le partenariat entre les EAU et l’Égypte sur un certain nombre de problèmes régionaux, notamment la lutte contre l’expansion de la Turquie et la lutte contre l’organisation des Frères musulmans. Il n’est pas encore clair comment des points de vue différents sur le conflit éthiopien et la construction du barrage pourraient affecter la coopération des deux pays. Mais il existe un potentiel de refroidissement de la relation.
Ces facteurs indiquent que l’instabilité chronique dans la région, qui repose en partie sur des conflits historiques, pourrait dégénérer en un grave chaos. Cela nécessitera non seulement l’introduction de troupes étrangères (pays de l’Union africaine, contingent arabe, probablement les États-Unis ou l’OTAN) comme contingent de maintien de la paix, mais aussi la nécessité d’un certain nombre de tâches humanitaires.
D’autre part, il existe également un potentiel de coopération. L’ancien président de la Somalie rappelle dans son article qu’en 1977, l’Éthiopie et la Somalie ont entamé une guerre pour le contrôle de la région de l’Ogaden. À cette époque, Fidel Castro a proposé aux dirigeants soviétiques un plan pour établir la paix dans la région – la création d’une confédération de l’Éthiopie, de la Somalie, du Yémen du Sud et le futur Djibouti (qui, à l’époque, était une colonie française). La solution de ce problème conduirait à l’établissement d’un contrôle sur la mer Rouge et, par conséquent, sur le canal de Suez, ainsi qu’à la révélation du potentiel économique de la région. Ces plans n’étaient pas destinés à se réaliser, notamment parce que le chef militaire de la Somalie, Siad Barre, a rejeté cette proposition et a préféré un conflit avec l’Éthiopie. Cependant, l’idée d’intégration régionale continue de vivre aujourd’hui. En 2018, les dirigeants éthiopiens ont entamé un rapprochement avec la Somalie et l’Érythrée en signant un accord tripartite qui, selon le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, pourrait être le prélude à une intégration politique. Mais il est probable que certaines forces ne soient pas intéressées par ce processus, ce qui explique pourquoi il y a des processus de déstabilisation et de frictions.
Traduit par Hervé pour le Saker Francophone