Trois cibles et trois leurres


Par Marc Rameaux − Le 28 juillet 2016 − Source le-troisième-homme

La situation est telle que nous semblons être cernés de toutes parts, sans savoir laquelle des menaces est la plus critique : néolibéralisme, islamisme, ou corruption et lâcheté de l’état détournée à des fins personnelles ?

Savoir lesquelles sont les causes, lesquelles les effets, comment trouver des parades, et laquelle des trois est la plus critique nous est difficile. D’autant plus que la pression de l’urgence et la dégradation maintenant quotidienne de notre société sont propices à la panique.

Dans de telles situations, il faut garder la tête froide, affronter les menaces une par une, en gardant surtout le sens des priorités.

Le néolibéralisme

Nous le plaçons en tête des menaces létales qui pèsent sur nos libertés. Détournement et perversion du libéralisme politique, il se définit et se distingue de ce dernier par les caractéristiques suivantes :

  • La prétention à l’explication définitive et irréfutable du fonctionnement de l’économie.
  • La croyance en un déterminisme et une finalité historique de la mondialisation, régie par les seules lois du marché comme société ultime.
  • Un culte du pouvoir obtenu par la recherche des positions sociales et de l’argent comme seuls buts de l’être humain, a contrario du libéralisme historique, qui se fixait la recherche de l’indépendance comme premier objectif.

En définitive, le néolibéralisme a connu une trajectoire similaire à celle qui a mené du marxisme à une société totalitaire, en inversant ses valeurs mais en suivant les mêmes mécanismes d’oppression :

L’intolérance totale à tout discours contradictoire est similaire à la voix du parti; le finalisme historique vers la mondialisation régie par le seul marché est l’équivalent du matérialisme historique; le culte du pouvoir est une lutte des classes inversée, dans laquelle la position de dominant est toujours légitime et celle du révolté inadmissible. Ironiquement, l’on peut adresser au néo-libéralisme les mêmes reproches que ceux qu’Hayek avait brillamment adressés à la coercition étatique et à sa culture du rapport de force.

Il pourra nous être objecté que la course aux positions sociales et à l’argent est ce qui mène le monde depuis des millénaires, et que s’en inquiéter relève de l’idéalisme. Sans doute s’agit-il de moteurs puissants, mais il est historiquement inédit qu’ils soient devenus les seuls et qu’ils exercent leur emprise de façon aussi absolue.

Il est normal et légitime que l’homme cherche à se différencier de ses semblables, mais la façon saine de le faire est d’exceller, puis d’en toucher les fruits. Dès lors que le résultat final, argent ou position sociale, deviennent des buts en soi, la recherche d’excellence sera inéluctablement pervertie pour en devenir une parodie.

C’est un phénomène classique de l’économie que, dès lors qu’un indicateur trop explicite de réussite est mis en place comme incitation, il en est fait rapidement un usage perverti, aboutissant au résultat inverse de ce pour quoi l’indicateur a été conçu.

Lorsque l’arrivisme social devient l’alpha et l’oméga de l’existence humaine, il ne permet pas même la promotion de l’excellence au prix du cynisme : il sera une société dirigée par des médiocres, dont la seule compétence sera l’accaparement de l’excellence des autres, la dérobade, la communication superficielle. Si l’on a un doute sur ce beau résultat, il suffit de contempler le spectacle des « élites » politiques et économiques de notre monde, pour que le constat nous dispense de démonstration.

Le leurre est ici de faire une confiance aveugle dans les mécanismes du libéralisme, même pris dans une bonne acception. La poursuite d’intérêts individuels, comprise comme sens de l’initiative et des responsabilités personnelles, est censée s’équilibrer d’elle-même, pour conduire au bien commun.

Ce raisonnement est exact et fonctionne, mais sous un faisceau de conditions qui le rendent très fragile et applicable dans peu de cas. Dès lors que des effets pervers apparaissent, qui dénaturent la poursuite de l’excellence comme intérêt personnel, la main invisible converge non vers le bien commun mais vers un gouvernement des médiocres et une confiscation du bien commun par ceux-ci.

Cette inversion de la méritocratie ne surprendra que des esprits naïfs n’ayant jamais eu à exercer de responsabilité concrète, ce qui est de plus en plus le cas des sphères dirigeantes, ne développant plus que des compétences en communication. Nous vivons dans une dictature de la futilité, son aspect frivole ne la rendant pas pour autant moins implacable ni destructrice, bien au contraire : la destruction d’autrui est d’autant plus impérative que l’imposture est grande.

L’homme qui s’est véritablement frotté au monde de l’entreprise connaît bien ces « side effects », qui font sentir leur courant contraire à celui de la main invisible, et font parvenir celle-ci au point opposé à la méritocratie. Les néo-libéraux se targuent de réalisme, ils sont en réalité extrêmement idéalistes, et comme tels extrêmement dangereux, armés de la suffisance et de la détermination des théoriciens prêts à nier tout retour du réel. Tout cours de management devrait commencer par une étude des effets pervers induits par les indicateurs de performance, permettant de comprendre au passage le jeu des comportements humains, indispensables à l’appréhension de l’économie.

Emmanuel Macron faisait fausse route et montrait par là sa méconnaissance totale d’un domaine qu’il se targue de connaître, en souhaitant voir davantage de jeunes français avoir la volonté de devenir milliardaires. Si cela avait été le but de Steve Jobs, jamais Apple n’aurait vu le jour avec un tel retentissement. Le moteur de l’entrepreneur est la volonté d’être indépendant, d’être son propre maître. Être entrepreneur est un mode de vie avant que d’être un statut social. Par sa petite phrase, Emmanuel Macron trahissait l’inconscient néo-libéral, à mille lieues de l’esprit d’entreprise.

Il peut sembler plus qu’osé de placer le néo-libéralisme en tête des menaces, surtout dans le contexte que nous vivons, l’islamisme apparaissant comme le danger critique par excellence.

C’est ici qu’il ne faut pas tomber dans les pièges du monde moderne. Il pourra difficilement m’être reproché d’être complaisant vis-à-vis de l’islamisme, et son compagnon monstrueux qu’est l’islamo-gauchisme. J’ai même reçu de vives critiques, pour le seul fait d’avoir employé ce dernier terme dans mes articles : il semble que l’on ait encore plus peur des mots que des menaces réelles.

Mais il faut comprendre que si nous parvenions à vaincre l’islamisme – et nous y parviendrons – une autre idéologie tout aussi dangereuse apparaîtra ex-nihilo. Les esprits naïfs s’en étonneront, et clameront une fois encore la petite litanie du « pourquoi tant de haine ». Lorsque l’on comprend qu’un phénomène comme celui de l’islamisme est une conséquence obtenue par réaction au néo-libéralisme, l’on quitte le chœur des grands étonnés.

Lorsque l’islamisme aura disparu, la haine absolue que certains vouent au néo-libéralisme leur fera prendre une autre idéologie d’emprunt, dont ils inventeront la foi et la conviction inaliénable, affirmée d’autant plus fortement qu’elle est factice. Le néo-libéralisme engendre mécaniquement sa réaction monstrueuse, qui se fabriquera de nouveaux habits chaque fois que les précédents auront été détruits.

Pourquoi ? Une idéologie fondée in fine et malgré ses professions de foi sur la bassesse, la servilité, et la dépravation de l’homme, et plus encore érigées en système complet de société humaine, engendre de telles réactions. La dégradation absolue de l’être humain à laquelle se livre l’islamisme, justifiant le terme de « nazislamisme », est l’acte criminel par lequel il cherche à forcer le néo-libéralisme à sortir de son hypocrisie, pour lui faire admettre qu’il est fondé sur les mêmes valeurs.

Le néo-libéralisme réussit finalement là où le nazisme a échoué : il rétablit et promeut (sans jamais l’admettre bien sûr) la notion d’untermenschen. Mais là où le nazisme a cherché à imposer cette notion par l’oppression absolue, le néo-libéralisme parvient à en convaincre beaucoup qu’elle est nécessaire, rationnelle économiquement et qu’il faut pour cela l’accepter : une stratégie de communication et de conviction d’une efficacité supérieure à celle des armes.

Deux pièges sont alors à éviter. Le premier est de considérer que ceci fonde moralement l’islamisme, ou dans une moindre mesure l’excuse et le relativise. Les actes de l’islamisme n’ont évidemment aucune excuse et doivent être combattus sans merci. Certains milieux gauchistes dérapent vers ce retournement des responsabilités, se complaisant dans une culture de la justification permanente.

Lorsque nous disons que le néo-libéralisme engendre l’islamisme, cela ne constitue en aucun cas une circonstance atténuante pour ce dernier. Il s’agit non d’une justification morale, mais de la remarque d’une causalité mécanique. Nous pourrons nous agiter autant que nous voudrons, des idéologies et actes immondes apparaîtront spontanément aussi longtemps que le néo-libéralisme exercera son emprise. Bien entendu, cette forme de révolte selon la politique du pire n’a aucune base morale : la désobéissance civile contre le néo-libéralisme est légitime, l’emploi de n’importe quel moyen pour se faire ne l’est absolument pas.

Le second piège est de ne plus discerner ce qui – dans nos sociétés – relève du néo-libéralisme de ce qui relève du véritable libéralisme politique, auquel nous devons une grande partie de notre indépendance et de nos libertés démocratiques. Le néo-libéralisme vit à crédit des institutions et des libertés que le libéralisme politique a permis d’instituer. Il en est l’exact contraire, car il en sape les fondations de façon systématique, mais a tout intérêt à s’enchevêtrer étroitement à celui-ci, afin d’en conserver toutes les formes extérieures.

L’actuelle classe politique tenant en surface un discours parfaitement rodé de libertés démocratiques, et se vautrant dans les pires turpitudes en arrière-plan, est une bonne illustration de ce camouflage. Les formes de révolte contre le néo-libéralisme doivent veiller à ne pas démolir au passage des acquis essentiels de la liberté démocratique, en les assimilant à l’antienne néo-libérale. La fascination qu’éprouvent certains pour des régimes autoritaristes, par le seul fait qu’ils combattent le néo-libéralisme, est un effet typique de ce deuxième piège.

Jacques Attali, esprit autrefois brillant et aujourd’hui ravagé par le simplisme, rêvait d’une « hyper-classe » n’étant plus reliée à rien d’autre qu’aux lois du marché mondial, vivant dans un monde sans pesanteur, sans résistance, d’absolue fluidité et de nomadisme permanent. Cette caste de privilégiés devait représenter le summum de l’esprit d’ouverture aux autres, de compréhension, de maîtrise des concepts de l’économie ouverte.

Or notre « hyper classe » actuelle est une caste dont le sectarisme et la fermeture d’esprit ont atteint des niveaux jamais connus à travers l’histoire. La réaction des dirigeants d’Air France, face à une salariée demandant un dialogue, montrait un niveau de morgue, de cynisme et de mépris de l’être humain, bien emblématique de leur soubassement mental. Il en est de même des dirigeants de l’ancienne France Telecom, actuellement sous le faisceau de la justice, tant leur perversité avait atteint des sommets.

En matière de maîtrise des concepts de l’économie ouverte, l’ « hyper-classe » a avant tout assimilé l’art des manœuvres et de la communication permettant de ne tolérer aucune discussion, de traiter leurs semblables comme des déchets, d’usurper toute valeur produite dans l’entreprise à leur bénéfice propre. La protection dont dispose cette « hyper classe » n’est pas la hauteur de vue conférée aux meilleurs, mais les forteresses que tous les imposteurs sont obligés d’ériger, dans la terreur permanente qu’elles éclatent, sous le coup de leur illégitimité toujours plus scandaleuse.

Ce songe d’Attali (pardon pour le trait d’esprit facile) montre à la fois l’inconscient collectif du néo-libéralisme fondé sur le culte du pouvoir et non de l’indépendance (le terme d’hyper-classe est déjà en soi tout un programme), sa reprise de la lutte des classes en inversant son sens mais en versant dans les mêmes dérives totalitaires, enfin les propres errements d’Attali lui-même. Une intelligence fulgurante lui permettant de tout comprendre, mais un défaut de caractère ne lui permettant pas de résister aux séductions de ce qu’il a fort bien compris.

Attali a fini par céder aux ors de la République, ainsi qu’à l’apparat des milieux aussi vides que hautains des artisans de la mondialisation. On est loin du jeune conseiller prometteur du PS, de la « Figure de Fraser », ou de sa biographie de Marx, l’une des meilleures et les plus équilibrées qui existent. Il est vrai que rester longtemps dans l’entourage de Mitterrand exposait à un niveau de toxicité, auquel seuls les caractères les plus trempés et les plus insensibles aux apparences pouvaient résister.

Non, le monde n’est pas sans inertie, sans frottement, même avec le secours des technologies du virtuel : ces dernières entretiennent l’illusion que le monde l’est aussi, comme des palets sur une table à coussin d’air, n’observant plus qu’une version simplifiée des lois de la mécanique. Et la dualité des racines et des ailes demeure en tout homme. La parfaite fluidité n’existe que dans la vie de l’esprit, mais celle-ci, dans sa version pleinement authentique, se moque du pouvoir et des courses aux positions, parce qu’elle est avant tout un itinéraire personnel, une exploration gratuite.

L’islamisme

L’islamisme, c’est la mauvaise conscience de la gauche européenne, qui a failli à sa mission de défendre la classe ouvrière contre les ravages du néo-libéralisme en se couchant intégralement devant lui. Elle cherche ainsi à se racheter, en soutenant sans condition d’autres « damnés de la terre », y compris lorsque ceux-ci n’ont plus rien d’un statut de victime mais sont des criminels organisés et parfaitement coordonnés.

L’islamisme n’est en rien une conviction et encore moins une foi. L’islamisme est le rejeton de la complaisance, la nôtre, de la justification et de l’excuse permanente donnée à tout migrant musulman, même lorsque celui-ci dérape dans des dérives inacceptables.

Qu’importe pour la gauche, que de plus en plus de musulmans soutiennent une vision d’arriération sociale ou que de petits caïds sèment la terreur dans leur quartier ou à l’école contre des enfants juifs ou chrétiens, refusent d’apprendre des pans entiers de l’histoire française, abolissent les lois de la République pour imposer leurs règles claniques. La gauche leur donne toujours raison.

Ce qui n’était au départ que des phénomènes isolés de délinquance est devenu un sentiment collectif d’impunité et une opportunité d’exercer un rapport de forces croissant. La lâcheté et la complaisance de nos élus est ce qui a permis cette redoutable cohésion d’une part toujours croissante du monde musulman, faisant des petits caïds de quartier une réserve inépuisable de combattants de Daesh, figeant délinquance et terrorisme dans un seul corpus monstrueux et redoutablement coordonné.

Nous avons montré précédemment que la trame néo-libérale engendrera toujours de tels monstres, par une réaction totalement condamnable mais inévitable. Cela n’empêche en rien de considérer l’islamisme comme une menace en tant que telle, pourvue de sa puissance autonome et de sa seule responsabilité. En premier lieu parce que lorsque quelqu’un vous menace d’un couteau sous la gorge, il est peut-être exact qu’il a connu un itinéraire social difficile dans son enfance, mais que contrairement à l’antienne de la gauche cela n’a plus aucune importance, la seule action à mener dans cette situation étant de se défendre et de l’abattre. En second lieu, parce que bien d’autres ont connu des itinéraires tout aussi difficiles et n’ont pas choisi ce mode de révolte. Encore une fois, la causalité mécanique d’engendrement des monstres sortis du néo-libéralisme ne leur confère en rien une légitimité morale.

L’islamisme est en train de franchir, voire a déjà franchi, un point de non-retour où son autonomie propre est totale. La puissance et la perversité de son organisation ont atteint une redoutable cohérence, une coordination qui fait immanquablement penser à celle du nazisme naissant, d’autant plus que les dirigeants démocratiques, baignés dans l’inconscient gauchiste, leur offrent un oasis munichois. Enfin, il est maintenant environné et soutenu d’une nuée de « collabos », Edwy Plenel en tête, assurant une propagande et une infiltration dans toutes les couches de notre société. Toute la structure est en place, il ne manque qu’un Hitler pour en prendre les commandes.

Indépendamment de sa genèse, l’islamisme doit être combattu et abattu de façon implacable, sans question aucune, en considérant même toute atténuation comme de la haute trahison. Dans une hypocrisie générale, tout le monde sait ce qu’il faut faire, mais rien ne se passe. Non seulement les fichiers S du « haut du spectre » devraient être expulsés, mais il serait de bon ton de les abattre sans sommation. Les territoires doivent être regagnés en banlieue, le lien direct entre délinquance anti-française et terrorisme n’étant questionnable que pour les imbéciles.

Les caïds de quartier doivent être physiquement anéantis et leurs bandes terrorisées. Les rappeurs appelant à « niquer la France » doivent être poursuivis et emprisonnés sous des peines lourdes. Les enseignements de l’école de la République sont non négociables, et le dernier mot doit leur être donné, y compris par la force par une surveillance à poigne dans chaque salle de classe, en adjonction du professeur.

Il est malhonnête de présenter comme « respect de l’état de droit » l’actuelle inaction. Avant même que de commencer la discussion, cela induit implicitement qu’il n’y aurait qu’une seule déclinaison possible de l’état de droit, celle d’une justice passive n’intervenant que lorsque l’irréparable est commis, se refusant à toute analyse de risque. En quoi des mesures prophylactiques seraient-elles étrangères à l’état de droit ? Une fois encore, le légalisme et l’humanisme de façade sont le simple paravent de la mauvaise conscience et de la lâcheté. Il est vrai que les décisionnaires de ce type de mesure, ainsi que leurs familles, ne sont jamais exposés à ce type de menace : notre « hyper-classe » n’est jamais avare de la souffrance et de la terreur infligées aux autres.

Le leurre concernant l’islamisme est de ne le rattacher qu’à un phénomène religieux, une question de foi ou d’idéologie. C’est ne pas voir le phénomène plus profond de combat contre le néo-libéralisme générant ces idéologies mortifères, qui épousent le même soubassement idéologique que leur ennemi déclaré : le mépris total de l’être humain. Un néo-libéral et un islamiste ont ceci de commun, qu’ils représentent les deux méthodes actuelles les plus efficaces de destruction de notre héritage humaniste.

L’Islam est l’habit que ce rejet d’égout du néo-libéralisme a choisi d’emprunter aujourd’hui. Demain il empruntera un autre habit, s’emparera d’une autre foi ou d’une autre idéologie, à laquelle il clamera une allégeance et une croyance absolues, quand il n’aura agi que par seul effet d’opportunité. L’on s’attaquera alors à cette nouvelle idéologie, comme à la dernière frontière des méchants nous empêchant d’atteindre le bonheur de la mondialisation heureuse, et l’histoire se répètera indéfiniment, tant que les flammes n’auront pas été attaquées à leur base, tant que nous ne dénoncerons pas l’anti-humanisme qu’est le néo-libéralisme.

On voit ainsi fleurir des débats hallucinants sur les réseaux sociaux, des « discussions » que je n’aurais jamais crues possibles au XXIème siècle. Il y est question de savoir ce qui appartient « intrinsèquement » ou « par essence » à l’Islam, et comparativement aux autres religions. Le tout, assorti par chacun d’une défense de sa propre religion comme la seule véritable, les autres n’étant que des religions de pacotille, sous-entendez pratiquées par des êtres de pacotille. La contagion du mépris est décidément florissante : faut-il que le néo-libéralisme nous ait habitués à considérer l’autre comme un moins que rien, à ce que chacun traite chaque autrui d’untermensch, pour en arriver là.

On voit apparaître sur Facebook et Twitter des considérations sur la « vérité intrinsèque » de chaque texte, sur « la véritable signification, fidèle aux origines » de telle ou telle religion. Va-t-on aussi rencontrer les preuves a priori de l’existence de Dieu de Saint-Anselme, et les promesses de bûchers pour ceux qui continuent à dénier le caractère supérieur et seul véritablement authentique de sa propre foi ? Ironie, les sommets de la communication digitale d’aujourd’hui, symboles de la modernité, charrient les remugles les plus arriérés de ce qui n’est ni une foi, ni une pensée.

Je ne vais pas me faire que des amis et vais sans doute en perdre, notamment parmi ceux très versés dans la religion, en disant que « la vérité intrinsèque », « l’interprétation fidèle aux origines », etc. de toute religion sont des expressions dénuées de sens, et qu’elles mènent tout droit aux pires formes d’intolérance.

La vérité d’une religion n’est ni prouvée ni révélée, elle est créée. La « vraie interprétation fidèle aux sources » est le chemin qui se donne les allures de la pureté, mais n’est que celui du plus monstrueux ego.

Il faut considérer le fait qu’un texte puisse prendre plusieurs sens, qu’il n’ait pas une seule interprétation « pure et véridique », non comme une faiblesse mais au contraire comme la manifestation de la puissance divine. La puissance est polysémique, en quelque domaine que ce soit, y compris en sciences, qui décrit la réalité selon plusieurs modèles, parfois même contradictoires. J’entretiens moi-même une foi chrétienne, mais je suis partisan de donner à toutes les religions de régulières raclées par les scientifiques, en termes de travail et de rigueur de la pensée, les ramenant à l’humilité et leur faisant se demander si elles servent leur divinité ou leur petit ego.

Il est mensonger, comme le font certains, de nier que l’islamisme puise ses sources dans l’Islam : il en est bien l’un des versants. Mais il est stupide de disserter à l’infini sur le fait de savoir s’il s’agit du « vrai Islam », si l’Islam est « intrinsèquement et par essence » mauvais et violent : je ne rentre pas dans le début de cette discussion, car sa réponse n’est ni « vrai » ni « faux », la question n’ayant au départ aucun sens, pas plus que pour toute autre religion. Après tout, l’on pouvait poser les mêmes questions concernant le christianisme il y a cinq siècles.

Combattre l’islamisme sans aucune merci, et sans aucune complaisance vis-à-vis des soutiens tacites dont il bénéficie de façon croissante, au sein même de l’Islam : oui. En revanche, cela reste un combat purement politique, ainsi qu’une question d’orgueil et d’ego. Le fait religieux n’est ici qu’un prétexte, qui vient brouiller les cartes et nous entraîner nous-mêmes dans l’arriération, si nous rentrons sur le terrain de la « vraie foi ».

La seule question valable est de savoir si l’islamisme est en train d’entraîner une majorité de musulmans dans son sillage, même pour en obtenir le soutien silencieux − la petite satisfaction secrète à chaque attentat − tout comme il y a eu un point de basculement, où les nazis ont entraîné une majorité d’Allemands dans leur approbation.

Ce risque est effectivement à craindre. Nous avons peut-être passé ce point de non-retour. Mais dans ce cas, ce n’est pas par de la théologie que nous y répondrons. Il faut donc renvoyer dos-à-dos l’angélisme persistant de la gauche et du PS en particulier, avec ceux qui en font une guerre de religion.

Seules les actions militaires et policières sans état d’âme sont la bonne réponse, en refusant de rentrer dans le faux débat théologique, pour bien marquer que Daesh n’a aucune légitimité à un débat religieux : faire l’effort de les réfuter serait déjà leur faire trop d’honneur. Nous avons simplement à riposter sans faille, en défendant par les armes nos valeurs républicaines, infiniment supérieures à leur foi en carton-pâte.

La corruption de l’état

Ce troisième mal vient accompagner de façon d’autant plus pénible les deux premiers, que nous nous disons, à chaque découverte des turpitudes de nos politiques, que nous n’avions vraiment pas besoin de cela en ce moment.

Je ne m’étendrai pas sur la façon dont les serviteurs de l’état ou de l’économie détournent presque à chaque instant les biens dont ils ont la charge à des fins personnelles. D’autres l’ont fait bien avant et beaucoup mieux que je ne pourrais le faire : je renvoie le lecteur aux remarquables ouvrages d’investigation de Sophie Coignard ( L’oligarchie des incapables , etc.).

Passons-donc directement au leurre relatif à cette troisième cible. Les turpitudes de la haute fonction publique française et sa consanguinité avec la direction des grandes entreprises ont fourni quantité d’arguments à des libéraux acharnés, qui ont beau jeu d’y voir la malfaisance inévitable de l’État. Leur solution est d’appeler à un démantèlement drastique de celui-ci : le remède au capitalisme de connivence et aux conflits d’intérêt serait de se jeter dans les bras du néo-libéralisme.

Ont-ils observé que notre « élite » du capitalisme de connivence s’est pourtant déjà fort bien accommodée du discours néo-libéral, en en étant le principal porteur au sein des instances de l’Union Européenne ? Le néo-libéralisme n’est pas l’opposé ni l’antidote des pratiques incestueuses de la haute fonction publique française : les corruptions de l’état ne sont qu’une autre des sous-productions du néo-libéralisme, l’une des déclinaisons de son culte du pouvoir et de sa course aux positions et à la réussite considérées comme des buts en soi.

Qu’importe que cela aboutisse à des violations patentes des règles d’une économie de marché bien réglée : le néo-libéralisme n’admet que l’appétit de pouvoir comme seul règle, le bien commun devant nécessairement en résulter. Le néo-libéralisme aura finalement décliné toute la palette des possibles du mépris de l’être humain, la morgue de la haute fonction publique dévoyée n’en étant que l’un des aspects, qu’elle soit à la tête des grandes administrations ou des entreprises du CAC 40. C’est la raison pour laquelle – contrairement à l’antienne néo-libérale – nos énarques se sont très bien coulés dans le moule de la dérégulation économique totale. L’apparente contradiction ne sera incomprise que de ceux qui chantent l’esprit d’entreprise en purs théoriciens, sans jamais y avoir mis les pieds.

Et l’extrême droite dans tout cela ?

J’entends déjà des voix me signalant une quatrième menace oubliée, celle de l’extrême-droite, alerte appuyée par des résultats électoraux montés en flèche dans toute l’Europe.

Soyons clairs : je ne me rallierai pas au FN, mais ne suis pas dupe du discours qui le brandit comme une menace fasciste. Les raisons de cette position en sont fort bien expliquées dans cet excellent article de  L’œil de Brutus :

Le FN a été depuis trente ans l’alibi de ceux qui ne voulaient pas – ou n’avaient pas le courage – d’affronter les trois menaces pré-citées du présent article : l’urgence de la lutte contre la « menace fasciste » permettait d’ajourner indéfiniment les actions à entreprendre contre les maux réels.

Qui plus est, la façon dont l’électorat du FN peut être considéré ne peut plus suivre le schéma simple et commode de la période où il ne faisait que 5% des scores électoraux. Si je ne tiens pas à me rallier au FN, j’attache beaucoup d’importance à maintenir un dialogue constant avec ses électeurs.

Dans les années 1970, la question du FN était simple à traiter : constitué d’un ramassis de nostalgiques de l’OAS, souvent ennemis jurés de la république par anti-gaullisme, d’intégristes catholiques, de frustrés refoulés et de quelques skinheads avinés, il était aisé de les considérer comme des arriérés bas-de-plafond.

La classe politique française a refusé de voir que la situation est autrement moins facile à présent. Il y a maintenant au FN des personnalités intellectuellement brillantes et – j’ose le dire – parfois des hommes et des femmes de très grande valeur.

Afin de montrer que la situation est devenue extraordinairement complexe et doit se refuser à tout simplisme, je citerai le cas de l’un de mes très grands amis, qui a inspiré l’un de mes textes – « Antidote » – de défense contre l’antisémitisme. Cet homme n’est ni un « bas-de-plafond » − c’est un mathématicien et informaticien de très haut niveau − ni un aigri, il a monté une start-up avec grand succès, en parallèle à son poste de professeur à l’université, et en aucun cas un raciste ou un xénophobe. Juif, il puise dans le talmud qu’il connaît très bien, de passionnantes références. Or, ce grand ami soutient le FN depuis maintenant quelques années.

Son itinéraire est plus qu’instructif. Issu d’une famille très modeste de l’immigration séfarade, il s’est élevé à la force du poignet par l’instruction et le travail au sein de l’école de la république, avec les très brillants résultats mentionnés plus haut. Il vouait pour cette raison une quasi vénération à notre système éducatif français. Dans ses jeunes années, il était socialiste et hussard noir de la république comme peu le sont, par un attachement irrémissible à ce qu’était l’éducation nationale de notre époque.

La démolition systématique de ce système qui représentait la lumière et le savoir, par les différents gouvernements, fut pour lui un drame personnel, l’effondrement du temple de la connaissance, du bien méritocratique et d’une part de sa vie. Cela ne l’empêcha pas de mener brillamment son chemin, mais toute sa recherche politique s’orienta vers ceux qu’il estimait être encore les gardiens des valeurs de la république. Après quelques passages auprès de l’UMP, et de nouvelles déceptions, un homme de ce calibre considéra que les meilleurs défenseurs de ces valeurs étaient le FN, même si je suis sur ce point en complet désaccord avec lui. Ceci pour illustrer que les jugements lapidaires sont à présent à ranger au placard, et que les discours d’intolérance ne sont plus là où on les attend.

De même, le FN étant passé, en quelques décennies, de scores de 5% à 30% lors des élections nationales, faut-il considérer que 25% de la population était constituée d’honnêtes citoyens démocrates, qui se sont tout à coup couvert d’immondes pustules, les rendant infréquentables à la minute même où ils ont glissé un bulletin FN dans l’urne, comme dans un mauvais film d’horreur sur les mort-vivants ?

Il faut sortir de cet infantilisme politique et tenter de comprendre. Ce qui marque notre époque est une sur-sophistication technologique cachant une misère intellectuelle et morale, une incapacité à raisonner et analyser, remplacées par le jet d’anathèmes. Là encore, l’arrivisme néo-libéral a commis des ravages, car ce mode d’argumentation est celui de la soif maladive de pouvoir, devenu la seule valeur admissible mais jamais avouée de notre société post-moderne.

On remarque ainsi que le terme « populiste » désigne de moins en moins souvent de véritables démagogues, mais ceux qui ont la manie très dérangeante et salvatrice de confronter les discours théoriques à l’épreuve de l’expérience réelle, ce qu’aucun politicien contemporain ne peut supporter. Tout ce qui peut avertir que le roi est nu est considéré comme infiniment plus dangereux et subversif, que les entreprises de démolition de notre civilisation et de nos institutions décrites plus haut. Je n’ai aucun problème dans ce cas, à être qualifié de populiste.

Je ne sais quelle sera l’évolution des partis politiques dans la France des prochaines années. Mais, face aux trois menaces que nous venons de décrire, voir comme premier danger la montée du fascisme, quand nous avons maintenant affaire en grande partie à des hommes et des femmes de bonne volonté, a quelque chose de plus en plus indécent et fallacieux.

Les soi-disant tenants de la société ouverte sont devenus à ce titre, d’un aveuglement et d’une rigidité mentale qui les rend chaque fois un peu plus désemparés, en voyant les scores croissants de formations comme le FN ou équivalentes dans d’autres pays développés, à commencer par celle de Donald Trump aux États-Unis. En restant braqués sur le principal alibi à leur paresse intellectuelle et à leur lâcheté, ils en viennent à ignorer les trois menaces autrement plus graves que nous devons affronter, toutes trois issues de cette formidable entreprise de démolition systématique de l’être humain et de perversion des valeurs méritocratiques qu’est le néo-libéralisme.

Marc Ramaux

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« L’orque : une nouvelle forme d’organisation de la société et de l’économie »

Note du Saker Francophone

On avait déjà publié un article du même auteur sur un monde vide de sens, vraiment?. Ce nouvel article vous aura certainement à nouveau intéressé, sur le sens des priorités face aux menaces qui s'accumulent à l'horizon.
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1 réflexion sur « Trois cibles et trois leurres »

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