Top Gun Maverick : La campagne de recrutement du Pentagone


Par Binoy Kampmark − Le 23 juin 2022 − Source Oriental Review

Des officiers de la marine américaine posent pour une photo avec Tom Cruise à la station aéronavale de Whidbey Island

Hollywood, comme la presse américaine, n’a pas été épargnée par la main influente du gouvernement. Sous le masque de divers projets, l’establishment de la défense a cherché à influencer la narrative sur les objectifs du « Pays de la Liberté », en achetant une participation dans la manière dont les exploits sont commercialisés ou, lorsque cela est nécessaire, enterrés.

L’étendue de cette collaboration, de cette manipulation et de cette ingérence peut être rassemblée dans « National Security Cinema : The Shocking New Evidence of Government Control in Hollywood«  (2017). Matthew Alford et Tom Secker soutiennent qu’un certain nombre d’opérations montées par le Pentagone, la CIA et le FBI ont été conçues pour favoriser « des solutions violentes et américano-centrées aux problèmes internationaux, basées sur des lectures tordues de l’histoire ».

L’US Air Force a son propre bureau de liaison pour le divertissement à Hollywood, dirigé par le lieutenant-colonel Glen Roberts. « Notre travail, expliquait-il en 2016, est de projeter et de protéger l’image de l’US Air Force et de ses aviateurs dans l’espace du divertissement. » La propagande n’est pas un mot qu’il connaît, même s’il en est le plus ardent praticien. Il décrit l’implication de son bureau à travers la télévision avec ou sans scénario, les films, les documentaires, la télé-réalité, les remises de prix et les jeux télévisés, les événements sportifs et les jeux vidéo. Son objectif : « présenter l’armée de l’air et son personnel d’une manière crédible et réaliste » et fournir à l’industrie du divertissement « un accès aux aviateurs, aux bases et aux équipements s’ils répondent à certaines normes fixées par le ministère de la Défense ».

Ce lien entre le celluloïd, le divertissement et le complexe militaro-industriel n’a jamais été aussi flagrant que lors de la promotion de Top Gun. Lorsque le film est sorti dans les salles en 1986, l’armée américaine a reçu une avalanche de demandes d’inscription dans les académies de service, bien qu’il ne soit pas facile de trouver les chiffres exacts de recrutement liés au film (ce qui n’a pas empêché des publications comme Military History Now d’affirmer avec assurance que l’intérêt pour la formation au pilotage de la marine américaine a augmenté de 500 % cette année-là).

Le film n’était, après tout, rien d’autre qu’une publicité implacable et éblouissante (enfin, au moins 100 minutes) pour l’armée américaine, une suite d’embardées, de saccades à la testostérone et de masculinité puérile. « C’était probablement les mouvements en vol les plus réalistes que j’avais vu, et cela m’a marqué », a déclaré le général Charles Brown, chef d’état-major de l’armée de l’air, lors d’une réunion au National Press Club à Washington, en août dernier. Je sortais de la formation de pilote et je pilotais déjà dans des avions de chasse, alors c’était l’un de ces films où l’on se dit « c’est assez réaliste ».

Top Gun a également servi en quelque sorte à nettoyer la palette de la puissance américaine, meurtrie par ses échecs en Indochine et entravée par le « syndrome du Vietnam ». Selon Roger Stahl, universitaire spécialiste de la communication basé à l’université de Géorgie, « le premier Top Gun est arrivé juste à temps pour nettoyer cette image et ouvrir la voie à une vision high-tech plus acceptable de l’impérialisme et, finalement, de la guerre du Golfe persique ».

Avec Top Gun : Maverick, la collaboration entre le Pentagone et les producteurs du film est infaillible et nue. Alors que Cruise joue le rôle d’un pilote qui enfreint les règles et fait honneur à son nom, sa production obéit clairement aux diktats de l’US Navy.

Il convient également de noter que Cruise a eu des difficultés à utiliser les installations d’autres ministères de la défense pour tourner ses films, en raison de ses liens avec l’Église de scientologie. Il n’a pas eu de tels problèmes avec le Pentagone. Tous deux, semble-t-il, ont des fantasmes mutuels à promouvoir.

Des documents obtenus dans le cadre de la liberté d’information montrent que le film n’a été réalisé qu’à condition que le ministère de la Défense soit largement impliqué. L’accord de production entre le département de la défense (DoD) et Paramount Pictures est explicite quant à ce rôle. Le corps des Marines des États-Unis a expressément garanti la mise à disposition de 20 Marines de la Marine Corps Air Station (MCAS) Miramar, en Californie, « afin qu’ils fassent partie de la garde funèbre officielle pour la séquence de tournage », ainsi que l’accès à la MCAS Miramar « pour permettre aux acteurs de s’entraîner sur un simulateur de vol. Tous les aspects de la familiarisation et de la formation seront capturés par la deuxième unité de production ».

En échange de cet accès aux équipements et aux installations, ainsi que du soutien technique et du personnel nécessaires, le ministère de la Défense mentionne ouvertement l’affectation « d’un officier supérieur, en retrait de son commandement, chargé d’examiner avec les affaires publiques les thèmes du scénario et d’y intégrer des points de discussion clés concernant la communauté aéronautique ».

La clause 19 de l’accord réaffirme l’importance du rôle du Pentagone dans le processus de production. Un « visionnage de la version grossièrement montée mais finale de la production (le ‘rough cut’) » devait être fourni au ministère de la Défense, aux responsables de projet concernés et au directeur des médias de divertissement du ministère de la Défense « à un stade du montage où les changements peuvent être pris en compte ». Cela permettrait au ministère de la Défense « de confirmer que le ton des séquences militaires est essentiellement conforme au traitement scénaristique ou à la description narrative convenus ». Tout élément jugé compromettant serait retiré.

L’USAF a lancé une campagne de recrutement enthousiaste, dans l’espoir d’injecter un peu de verve dans les chiffres. En soi, cela n’a rien de remarquable, étant donné une pénurie de pilotes qui était déjà pointée du doigt en mars 2018. Ce mois-là, le Congrès a été averti d’une pénurie de 10 %, soit 2 100 des 21 000 pilotes nécessaires à la mise en œuvre de la stratégie de défense nationale. Des pénuries étaient également constatées par la marine américaine.

Des stands de recrutement se sont multipliés dans les salles de cinéma. Le commandant Dave Benham, porte-parole de la marine, est optimiste. « Nous pensons que Top Gun : Maverick sensibilisera certainement les gens et devrait contribuer positivement aux décisions individuelles de servir dans la marine ». Avec le film diffusé dans tout le pays, les objectifs de recrutement de la marine pour l’exercice 2022, à savoir 40 000 enrôlements et 3 800 officiers dans les composantes d’active et de réserve, pourraient être d’autant plus faciles à atteindre.

Les publications patriotiques se sont également réjouies du potentiel de recrutement du nouveau film, qu’elles considèrent comme éminemment plus approprié et plus percutant que des gadgets publicitaires tels que la vidéo de deux minutes mettant en scène le caporal Emma Malonelord. Sorti l’année dernière, il met en scène un individu qui fait fonctionner le système américain Patriotic Missile Air Defence. D’emblée, on nous parle d’une « petite fille élevée par deux mamans » en Californie. « Bien que j’aie eu une enfance assez typique, j’ai fait du ballet, joué du violon, j’ai aussi manifesté pour l’égalité. J’aime à penser que je défends la liberté depuis mon plus jeune âge ».

La vidéo est également un papier d’un type différent. Elle montre que ces types amoureux de la liberté à défendre peuvent aussi être des produits musicaux, ballets, d’unions lesbiennes et de protestations pacifiques. « La raison pour laquelle Emma s’est engagée est égoïste », déclare un article narquois dans The Federalist. « Il n’y a rien dans la vidéo qui puisse inspirer une quelconque forme de bravoure, de sacrifice, de devoir, d’honneur, d’intégrité, d’excellence, de travail d’équipe ou de respect ». Le sénateur Ted Cruz a été plus direct dans son évaluation. « Bon sang de bonsoir. Peut-être qu’une armée rétrécie et émasculée n’est pas la meilleure idée ».

Mieux vaut laisser à des gens comme Cruise le scientologue patriote, lubrifié par des conseils et beaucoup d’aide du Pentagone, le soin de donner leur version du service dans l’armée américaine. Même si c’est une version trompeuse et contrôlée.

Binoy Kampmark

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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