Novembre 2022 – Source Nicolas Bonnal
L’Amérique est en guerre perpétuelle depuis 1941, et on peut considérer qu’auparavant elle n’était pas en reste, qu’il s’agît de déclarer la guerre à l’Espagne impotente pour lui voler Cuba et les Philippines, d’intervenir de manière récurrente en Amérique centrale ou dans le Pacifique (lire et relire Smedley Butler) ; ou bien de l’incapacité résolue de Roosevelt de résoudre la crise de 1929, jointe à l’évident désir de répandre la croisade démocratique histoire de créer la deuxième guerre mondiale. En imposant l’embargo sur le pétrole au Japon, les États-Unis voulaient provoquer un Pearl Harbour que leur intelligence avait d’ailleurs prévu, et qu’ils laissèrent faire.
L’existence de l’union soviétique tempéra parfois cette ardeur au combat ; mais depuis la chute de l’URSS, on ne se retient plus. Dès les années 80, les budgets militaires explosent comme les déficits budgétaires ; on conçoit l’aberrante guerre des étoiles, substitut à l’impuissance de persévérer dans l’inexistante conquête spatiale, et dans l’ombre on finance et on entretient une armée toujours plus coûteuse et cancéreuse.
C’est le moment de relire Tocqueville :
Car la même agitation d’esprit qui règne parmi les citoyens d’une démocratie se fait voir dans l’armée ; ce qu’on y veut, ce n’est pas de gagner un certain grade, mais d’avancer toujours. Si les désirs ne sont pas très vastes, ils renaissent sans cesse.
Tocqueville développe un long passage sur l’avenir des guerres démocratiques qui n’ont cessé d’agiter les siècles récents. Pour lui, un peuple démocratique est long à sortir de la guerre, s’il est long à y entrer. Car il crée une clientèle de la guerre, avatar de l’économie de services dont on nous a rebattus les oreilles depuis la désindustrialisation forcée.
Un peuple démocratique qui augmente son armée ne fait donc qu’adoucir, pour un moment, l’ambition des gens de guerre ; mais bientôt elle devient plus redoutable, parce que ceux qui la ressentent sont plus nombreux.
Depuis quinze ans, les USA dépensent la moitié du budget militaire mondial, cherchant systématiquement, çà et là, un « rogue state » (expression qu’avait courageusement combattue Derrida) pour reprendre l’expression de l’impayable Albright, à corriger. Cette agitation est allée de pair avec l’explosion des budgets militaires et les besoins d’une hiérarchie désireuse de guerres. L’outil crée sa fonction, et l’armée son conflit. On conçoit qu’alors les militaires américains ne s’arrêtent pas plus que le Tom Cruise de Collateral qui ne peut cesser de tuer – et donc meurt – que lorsque son chargeur est vide. En Afghanistan ou ailleurs en Ukraine, il leur faut toujours plus d’hommes et de moyens. De Jack Reacher à Top Gun ou Collatéral en passant par les ubuesques Missions Impossibles, Cruise est devenu l’incarnation planétaire de cette folie fondée sur la violence et l’activisme fébrile.
Tous les ambitieux que contient une armée démocratique souhaitent donc la guerre avec véhémence, parce que la guerre vide les places et permet enfin de violer ce droit de l’ancienneté, qui est le seul privilège naturel à la démocratie.
Rothbard et les libertariens ont dénoncé cette montée collatérale (bis) de l’État social et de l’État militaire.
On comprend alors pourquoi on a besoin de terrorisme, de tyrans, de « bad guys », de menaces visibles et invisibles, de toutes ces choses. C’est comme pour la vache folle ou le virus. il ne faut pas baisser la garde, et surtout pas les donations en argent. L’Amérique a besoin de la guerre comme le malade de son psychanalyste ; et c’est surtout parce que le soldat a besoin d’un ennemi, et le psychanalyste de son client.
Les États-Unis ont laissé détruire toute leur industrie pour satisfaire aux exigences des marchés financiers : mieux vaut un peuple ruiné qu’un actionnaire mécontent. C’est la règle du post-capitalisme des décombres. Mais ils ont développé une industrie de guerre dont ils ne peuvent plus se passer, celle que Tocqueville, avec son génie visionnaire habituel (en fait il se souvient de la Révolution et de notre Empire), pressent :
La guerre, après avoir détruit toutes les industries, devient elle-même la grande et unique industrie, et c’est vers elle seule que se dirigent alors de toutes parts les ardents et ambitieux désirs que l’égalité a fait naître.
La gesticulation militaire, remarquait l’optimiste Olivier Todd, est l’apanage des empires agonisants. Ils commettent souvent le geste irréparable. On verra si Biden sera l’heureux élu.
Sources
- De la démocratie en Amérique, tome II, troisième partie, chapitres XXII, XXIII et XXIV.
Ping : Repentinum inopinatumque : Certains de ses parents eurent l’impression que César ne voulait pas vivre davantage, ni se soucier d’une santé qui se détériorait; c’est pourquoi il aurait négligé les avertissements de la religion et l
Ping : Ne pas être un lâche qu’on laisse vivre par mépris. « Eh bien, la vie, Lucilius, c’est la guerre. Atqui vivere, Lucili, militare est. Ainsi ceux qui, toujours alertes, vont gravissant des rocs escarpés ou plongent dans d’affreux ravins, et