S’il n’y a aucun signe d’interférence, il faut le fabriquer


La RAND Corporation établit de nouveaux records en matière de biais et de partialité


Par Leonid Savin − Le 28 octobre 2020 − Source Oriental Review

Les planificateurs politiques américains sont bien conscients de la nécessité de diffuser rapidement des informations spécifiques. Un bon timing est nécessaire à la fois pour influencer l’opinion publique et pour leur permettre de formuler leurs propres stratégies, y compris en faisant appel à des partenaires et à des intermédiaires.

À cet égard, les rapports récemment publiées par la RAND Corporation à la veille de l’élection présidentielle sont révélatrices. L’un des nouveaux rapports traite de la “propagande russe”. En même temps, il indique que les auteurs ont testé expérimentalement l’impact de la propagande elle-même et des contre-interventions. Peu avant, la RAND Corporation a également publié deux rapports sur l’ingérence dans les élections américaines qui envoient un message clair sur le rôle de la Russie dans le processus.

Les auteurs du rapport sur la propagande écrivent “Nos conclusions indiquent que le contenu de la propagande russe est particulièrement efficace pour atteindre son objectif de susciter de fortes réactions selon des lignes partisanes, d’engendrer des réactions émotionnelles plus fortes que celles provoquées par des nouvelles réelles ou fausses et de créer un clivage partisan plus marqué. Ce qui est également préoccupant, c’est que les réactions émotionnelles fortement positives à ces contenus de médias sociaux augmentent les chances que les participants déclarent les aimer et les partager. Ces résultats semblent correspondre à notre compréhension des buts et objectifs de la propagande russe : susciter de fortes réactions chez les partisans qui, à leur tour, peuvent faciliter la diffusion et l’influence potentielle de contenus manipulés. Nous avons également constaté que le fait de révéler la source des mèmes russes réduisait la probabilité d’une réaction émotionnelle positive à un contenu qui s’aligne sur l’idéologie d’un participant. Par rapport aux effets émotionnels générés chez les participants pour lesquels la source a été cachée, la volonté des participants de s’engager avec le contenu sur Facebook en “aimant” ou en partageant le matériel pour lequel la source a été exposée était plus faible. Dans l’ensemble de l’échantillon, la révélation de la source a réduit la probabilité que les participants “aiment” le contenu russe pro-américain, mais aucun autre effet d'”appréciation” ou de partage n’a été statistiquement significatif”.

Le public cible américain a été divisé en “gauche partisane”, dont les membres lisent habituellement le New York Times, et “droite partisane”, dont les membres regardent Fox News et lisent des publications conservatrices. Les deux groupes ont généralement réagi d’une manière ou d’une autre au matériel associé aux mèmes russes.

Le rapport contient cependant quelque chose de plus intéressant que les groupes de référence et l’histoire de la propagande pendant la période de la guerre froide, et c’est ainsi que l’expérience elle-même a été menée.

Les participants âgés de 18 ans et plus ont été ciblés par des publicités sur Facebook, ce qui a permis d’atteindre 762 624 profils uniques et de générer 6 968 clics.

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Des courtes vidéos et des mèmes ont été utilisés, tandis que le test lui-même comprenait un mélange de propagande russe (apparemment telle que les auteurs eux-mêmes la voient), de faux titres d’information et de contenu factuel. En d’autres termes, des informations de grande envergure avec une étiquette “made in Russie” claire ont été placées sur un réseau social ouvert en utilisant l’argent des contribuables américains. Qui plus est, nombre de ses participants n’étaient pas au courant. Se pourrait-il que les précédentes “traces d’ingérence russe” soient également des expériences comme celles-ci, réalisées dans le cadre du dernier projet de la RAND Corporation ?

L’étude sur l’ingérence dans les élections américaines a abouti à cinq conclusions essentielles :

  1. l’ingérence étrangère dans la politique américaine est un problème depuis la fondation du pays ;
  2. les efforts d’information russes visent à provoquer une forte réaction et à pousser les gens à des positions extrêmes afin de réduire les chances de parvenir à un consensus – le fondement de la démocratie américaine ;
  3. les nouvelles technologies ont facilité les efforts d’information de la Russie par rapport aux campagnes de propagande de l’URSS pendant la guerre froide ;
  4. les études sur la manière de se défendre contre ces efforts ont porté sur différentes unités d’analyse : certaines études se concentrent sur le contenu original ; d’autres sur la manière dont ce contenu est diffusé au sein des réseaux ; et d’autres encore sur la protection des consommateurs ; et
  5. afin de répondre à l’ingérence étrangère, nous recommandons
    1. d’adopter une approche holistique qui anticipe la détection des groupes d’Américains susceptibles de devenir des cibles, et
    2. de concevoir des méthodes préventives fondées sur des preuves pour les protéger.

Ainsi, deux conclusions concernent exclusivement la Russie ! Et pas un mot sur l’ingérence d’un autre pays. Dans le même temps, les auteurs émettent l’hypothèse que la Russie utilise la théorie du contrôle par réflexe pour manipuler les gens à l’intérieur des États-Unis.

L’opinion des auteurs américains, qui ont identifié 11 domaines clés de la propagande russe, est également intéressante :

  1. Désinformation sur mesure – basée sur la mise en concurrence de différents groupes en identifiant les contenus et les sujets auxquels chaque groupe ciblé pourrait être le plus sensible.
  2. Théories du complot – promouvoir ou se concentrer sur un problème, semer la méfiance et diffuser des informations confuses, des rumeurs et des fuites.
  3. La publicité payante – qui pousse les gens à aimer des pages, à suivre des comptes, à participer à des événements et à visiter des sites web.
  4. Développement des ressources américaines – visant à réduire la probabilité d’être découvert en recrutant des Américains pour effectuer des tâches pour les gestionnaires.
  5. Blanchiment de récits – faire passer un récit de ses origines étatiques à l’écosystème médiatique au sens large par le biais de participants volontaires ou involontaires.
  6. Opérations de piratage et de fuite – s’emparer illégalement d’informations et les partager par le biais de plate-formes telles que WikiLeaks.
  7. Faux personnages en ligne – créer de faux personnages, parfois en utilisant des informations qui appartiennent à de vraies personnes, pour cacher de vraies identités.
  8. Groupes de médias sociaux – exacerber des problèmes existants, collecter des informations et recruter pour des événements en créant des groupes de médias sociaux dédiés à des questions qui divisent.
  9. Mèmes et symboles – utilisation de mèmes pour créer des fragments d’informations simples et faciles à partager qui pourraient avoir une résonance émotionnelle chez les gens.
  10. Soutien à la sécession – saper les États-Unis en établissant des liens avec les idées et les mouvements sécessionnistes et en les soutenant.
  11. Soutien aux mouvements marginaux – renforcer le soutien aux valeurs et à la société russes en établissant des liens avec les groupes extrémistes.

Il est important de noter que ni les noms de ces groupes et organisations ni des exemples spécifiques ne sont fournis.

Putin writing

Un rapport sur l’ingérence directe dans les États où se tiendront les élections de 2020 : “Nous avons trouvé des preuves crédibles d’ingérence dans les élections de 2020 sur Twitter. Cette interférence comprend des messages provenant de comptes de trolls (fausses personnalités diffusant des thèmes hyper-partisans) et de comptes de “super connecteurs” qui semblent conçus pour diffuser des informations. Cette tentative d’ingérence vise à semer la division et à saper la confiance dans la démocratie américaine. Cette ingérence sert les intérêts de la Russie et correspond au cahier des charges de la Russie en matière d’ingérence. Nos méthodes peuvent aider à identifier les interférences en ligne des adversaires étrangers, ce qui permet de prendre des mesures proactives”.

Bien que le titre fasse référence aux élections américaines de 2020, l’étude utilise des travaux précédemment réalisés pour le ministère britannique de la défense, ainsi que des données de 2016. De toute évidence, le principal indice est désormais la vieille histoire de l’“Agence de recherche sur Internet” de Saint-Pétersbourg, puisque aucune nouvelle donnée n’a été fournie.

Le rapport indique que 630 000 comptes Twitter ont été analysés, mais que seuls 130 d’entre eux avaient une cote élevée pour les trolls. Est-ce que 0,02 % du nombre total de comptes analysés peut être considéré comme un véritable facteur d’ingérence dans les élections américaines ? Il n’y a pas non plus d’information indiquant qu’un seul compte est associé à la Russie. Et de toute façon, si quelqu’un de l’extérieur des États-Unis discute des élections américaines (quelle que soit sa position), s’agit-il vraiment d’une ingérence ? Malgré les belles infographies avec des groupes de préférences électorales et des hashtags, de telles affirmations sans fondement ne sont tout simplement pas assez convaincantes. La liste des sources montre également à quel point les arguments présentés sont faibles. Elle est constituée d’un petit groupe d’auteurs qui ont le même intérêt que les employés de la RAND Corporation. Et, dans un avenir proche, ce rapport sera cité comme une source fiable et vérifiée, bien qu’il ne le soit pas.

Bien sûr, le problème de l’Amérique est qu’elle considérera toute suggestion faite par la Russie pour résoudre le problème comme une sorte de ruse, même si elle est authentique. Les États-Unis sont passés maîtres dans l’art d’apposer de terribles étiquettes aux autres, mais ils ne veulent pas admettre qu’ils font eux-mêmes quelque chose de mal.

Leonid Savin

Traduit par Hervé, relu par Wayan pour le Saker Francophone

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