Richesse


Par Michel Delanature − Mars 2019

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D’après les paroles de l’Abbé Pierre, ce qui caractérise l’activité du puissant, c’est de vider l’assiette d’autrui pour entasser dans sa propre assiette plus qu’elle ne peut contenir. Il ajoutait que c’est la cause de toute violence, par la misère et le désespoir que cela entraîne. Le pouvoir est intimement lié à l’argent et la liberté personnelle du puissant est liée à son pouvoir. Au premier rang des puissants sont les commerçants et leurs banques. En plusieurs siècles des structures ont multiplié les activités commerciales, engrangé des fortunes inimaginables et dévoyé la société entière. Il n’est pas question ici de celui qui gagne sa vie avec son travail, voire à la tête d’une petite entreprise et dont les activités restent modestes. D’ailleurs, si nous hésitons sur notre place, consultons notre agenda et dénombrons les repas ou les réunions passés avec des députés, des sénateurs, des ministres, voire plus. Il est ainsi possible de se situer dans la catégorie des puissants, ou pas.


Depuis des siècles, la classe des commerçants étend son pouvoir. Au 18ème siècle, elle était une des forces de la révolution française. Au 19ème, elle a accompagné l’industrialisation qui a radicalement transformé la société, vidant les campagnes de leurs paysans pauvres mais quasiment autonomes et les entassant, ouvriers misérables et dépendants, dans les usines. Au 20ème, elle s’est emparée des moyens de manipulation du comportement. Au 21ème, elle est à la tête du mouvement dit de globalisation qui consiste à voir les intérêts privés commander aux peuples et aux États.

L’argent achète pratiquement tout. Cette classe, auxquels les représentants politiques qu’elle installe font allégeance, confisque peu à peu aux peuples toute liberté d’échange qui ne passerait pas par elle et étend ses activités et son pouvoir tous azimuts.

Existe-t-il un moyen pour ces gens de se reconnaître ? Existe-t-il un texte secret signé en cachette par les puissants ? Cela ne semble pas nécessaire. Considérons un indicateur tout simple : « bon pour le commerce » ou « pas bon pour le commerce » et parcourons une partie des activités humaines, réduite ici pour cause de place.

La dictature en politique qui réduit le nombre de représentants à circonvenir, c’est excellent. 1. Et la dictature économique a supplanté toutes les autres préoccupations de la société humaine. La démocratie, même imparfaite, et qui prend en charge son destin, c’est mauvais. Les services publics sont évidemment mauvais. Mais le transfert des mêmes fonctions à des sociétés privées, c’est bon.

Le pouvoir agit par les lois. Les lois qui entravent les citoyens, c’est bon. Mais les lois qui contraignent les commerçants, c’est mauvais. Les normes de toutes sortes qui, à l’origine, étaient des standardisations des matériels deviennent des modèles de comportement et des obligations de faire (même le secteur médical est infecté) ; elles instituent les dépenses obligatoires, magnifique levier de consommation ; elles pullulent et c’est bon.

La publicité qui pervertit, rend malheureux, pousse à acheter, c’est évidemment très bon, quoi qu’elle vende. Le décervelage médiatique continuel est bon pour le commerce. Mais l’information rationnelle et éclairée est bien entendu mauvaise car elle pousse à la réflexion, et c’est pour cela qu’elle se rétrécit comme la flaque d’eau au soleil, de même qu’une éducation constructive et humaniste qui inciterait à penser par soi-même est mauvaise.

Le gaspillage inconsidéré tous azimuts, c’est bon, en particulier grâce à la généralisation de la camelote, pompeusement rebaptisée « obsolescence programmée ». L’écologie officielle qui n’est qu’un moyen de se partager le butin, c’est bon. 2. Le pillage et la destruction de la planète pour en tirer à n’importe quel prix (car la véritable addition, c’est pour plus tard) les éléments précieux, polluer et laisser la facture aux collectivités, c’est évidemment bon. Mais prendre soin de la nature, préserver les ressources, le milieu naturel, c’est mauvais. La transformation de tout organisme vivant en produit commercial, la captation de la production de semences ou d’autres organismes par des sociétés commerciales, c’est bon. Mais la production de ces mêmes semences par des moyens traditionnels, c’est mauvais.

Les maladies, malgré les larmes de crocodile, cela augmente l’activité économique et c’est bon pour le commerce. Mais ceux qui refusent les habitudes artificielles nuisant à la santé, les ersatz industriels de nourriture, qui se soignent de rien, c’est mauvais.

Pour les salariés à bas prix, la conclusion n’est pas compliquée, et pour le chômage qui baisse le coût du salarié, n’insistons pas. D’ailleurs, le but ultime est de se passer des salariés.

Les guerres par les armes ne sont plus indispensables. Il est en effet devenu possible pour le commerce international, d’imposer sans armes sa volonté à un pays. Mais les guerres, malgré leur côté vulgaire de rapine moyenâgeuse, présentent toutefois l’intérêt, outre les marchés de destruction et de reconstruction qu’elles ouvrent, de donner le change. En effet, elles font croire à des oppositions entre pays, à des menaces extérieures alors que ce qui confisque le pouvoir est caché dans le pays même. Les offices médiatiques vivent du brouillage de pistes. Tout cela est bon. Alors que la paix, c’est  mauvais.

Le recours universel aux banques, pour créer l’argent, pour empêcher tout échange sans leur intermédiaire, c’est évidemment bon (et le but est proche grâce à l’informatique, dieu moderne et pierre philosophale, outil miraculeux qui transforme un être humain en bétail identifié, outil aussi dangereux pour la Liberté en temps de paix, que les bombes en temps de guerre). Les collectivités, précipitées dans les activités commerciales, qui restent garantes des commerçants et payent les factures en dernier ressort, c’est bon. Contrôler l’action des banques et des commerçants est bien entendu tabou.

La liste n’est pas close ; chacun peut la compléter.

Ainsi, un grand nombre de fonctionnements apparemment aberrants, proches de la tendance suicidaire, des sociétés humaines, sont favorables au commerce. Pas besoin de contrats secrets, de rencontres de comploteurs autour d’une table, tard dans la nuit. Tout peut se passer au grand jour avec ce simple repère : si c’est bon pour le commerce, et donc in fine, pour ceux qui en tirent profit, on fait ; dans le cas inverse, on s’oppose et on détruit (c’est un système aussi rudimentaire qui permet aux fournis, avec des comportements unitaires simples de constituer des sociétés au fonctionnement très élaboré). Le fait que les votes des citoyens sont toujours bons pour la poubelle est aussi une conséquence directe de cette situation.

Il existe une opposition fondamentale entre les intérêts d’une collectivité et celui qui court après la fortune matérielle personnelle illimitée. Le fortuné est celui qui compte plus que les autres et qui finit par orienter, grâce à sa fortune matérielle, le fonctionnement d’une société entière afin que cela serve ses intérêts. La finance et le commerce ont su créer l’internationale financière alors que les ouvriers rêvaient depuis presque deux siècles de l’internationale ouvrière sans pouvoir l’organiser. L’OMC, le FMI sont les syndicats des commerçants qui imposent leurs volontés à la terre entière. Ce qu’on appelle le globalisme, c’est à dire la création d’instances qui dictent leurs règles aux États, n’est que le prolongement de la prééminence du commerce sur les autres activités des sociétés et des hommes. Et on peut être saisi d’inquiétude sur ce que sera la politique, ou l’absence de politique à venir sur l’ensemble de la planète. Car dans les faits, un grand nombre de peuples se plient et renoncent à leurs droits de définir eux-mêmes leurs règles de vie. Si on extrapole d’après ce qui se passe dans les sociétés occidentales depuis des siècles et qui se répand sur la planète entière, on peut être pessimiste. Il subsiste cependant une lueur d’optimisme portée par ceux qui refusent le somnambulisme.

Michel Delanature

Notes

  1.  Toute ressemblance avec le fonctionnement de l’Union Européenne ne peut être que coïncidence fortuite
  2.  Ce domaine de la manipulation contemporaine évite soigneusement les vraies questions comme par exemple, les conséquences sur la santé publique des pratiques de l’agriculture industrielle et de l’industrie agro-alimentaire, ou les conséquences de la déforestation planétaire sur le climat
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