Qui gouverne le monde ?


Par Bernard Pons − Avril 2024

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Bertrand Badie nous rappelle que le monde est gouverné par les hommes, et non pas par les forces établies, ce n’est pas la puissance ni par les rapports de forces des grandes structures prédéterminées, non. Contre-intuitivement, c’est le plus faible qui gagne.

Pourquoi ? Car le plus fort est un principe, et le plus faible est constitué par des humains, et ce sont les humains qui font le monde ; pas les principes. C’est le déterminisme qui fait le monde. Les peuples, les identités ont une mémoire longue ; chacun existe par lui-même et par ses racines, par son identité qui est l’identité de ses racines. C’est la raison pour laquelle, malgré l’apparition de l’agriculture, il reste des gitans nomades, et il restera toujours des gitans. Ils sont un morceau de la mémoire des hommes, les gitans existent pour eux mêmes, mais aussi pour rappeler au monde son histoire. Une puissance extraordinaire assure leur survie, leurs continuités. Ils sont un morceau de mémoire de l’humanité, et celle-ci ne veut pas perdre la mémoire.

Le même principe se reforme pour la religion juive ; une force extraordinaire qui appartient à l’humanité assure leurs continuités. C’est sans doute ce que ressent chaque individu, gitan, juif, ou plus généralement une minorité, une immense fierté d’être cette particule de mémoire. Raison pour laquelle le régime sioniste actuel n’a absolument aucune chance de réussir à éradiquer Gaza, la mémoire longue, il a juste des probabilités de faire des blessures à l’histoire des hommes, de créer d’inoubliables souffrances. Mais le peuple de Gaza fait partie de l’histoire des civilisations, il ne peut disparaître. Une force extraordinaire qui appartient à l’humanité assure leurs continuités en tant que hommes, pas en tant que principe.

Ce sont les hommes qui font le monde, -il n’est de valeurs que d’hommes-, chaque moment de relation international est créé par des hommes, par l’interprétation individuelle de chaque acteur de la géopolitique. L’interprétation des forces est aussi importante que les forces, le déterminant est dans la médiation. Une idée appartient à ceux qui la portent, si un dingue se trouve au pouvoir, il comprendra le monde dingue, alors nous aurons un monde de dingue.

Le monde est globalement divisé en trois, l’Est, l’Ouest et le Sud. Ce sont des appellations, le sud a toujours été compris comme le tiers-monde, enfin nous disions cela, plus personne n’ose dire cela, mais l’idée porteuse demeure. Par la mécanique des corps de la connaissance objective, l’ouest rejette toujours le sud, par facilité, par confort, par sécurité identitaire.

Qu’est-ce que le monde ? Le monde est ce que l’on connait. Dans un monde de compétition nous définissons l’autre par des rapports de puissance. L’ouest rejette le sud car prétendument faible. Même si ce n’est plus vrai mais cela reste toujours un peu au fond des consciences. Ce qui est un euphémisme pour dire que nos dirigeants sont des vieux crabes terriblement racistes ! Dans une vidéo des années 2000 nous pouvons voir Bush rigoler en parlant de Poutine ; « qu’il essaye avec les chinois ! si ça ne marche pas qu’il aille voir l’Iran ! » avec une folle prétention d’être le centre, la condition sine qua none.

Généralement les consciences ont toujours une cinquantaine d’années de retard sur la
réalité. La réalité est que le sud est prépondérant, car le monde est nouveau !

Ce qui est nouveau c’est que le monde est actuellement interconnecté, ma mère allait en Amérique en bateau, sans radio et avec un retour incertain, maintenant il est plus rapide de faire Paris/ NY que Paris/Roissy. Pire ! Nous sommes à NY en appuyant sur un bouton. A Singapour, Bangkok, à Innsbruck ou Kinshasa d’un souffle ! et j’attire votre attention, si nous sommes connectés à eux ; eux sont connectés à nous ! le monde est un, c’est nouveau. Cela n’est jamais arrivé dans l’histoire de l’Humanité. Il est évident qu’une nouvelle ère arrive.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous interprétons le monde par rapport à nos racines, cela implique que par essence toutes les interprétations ne sont pas les mêmes ! Une Londonienne interprétera différemment qu’un habitant de Rio ! Chaque action existe dans un contexte, l’interprétation se fait sur des fondements culturels différents. Rien n’est facile.

Nous comprenons différemment mais nous disons une même chose… Qui veut dire une chose différente ! Ce constat appelle à la modestie.

Maintenant que tous les peuples du monde sont ensemble, cohérents dans leurs incohérences de compréhension, il nous faut nous rappeler que tous les hommes ont le même rapport à la domination ; un être humain est un être qui se bat pour acquérir sa  propre liberté, c’est ontologique. Sa liberté et sa souveraineté. Souveraineté ne veut pas dire «se passer des autres », mais signifie «ne pas en être dépendant ».

La paix de Westphalie, 1648, dont le concept s’est étendu à l’Amérique, est le modèle que nous sommes en train d’essayer d’étendre CONTRE l’Est et le Sud, que l’on voudrait dominer et dont nous voudrions monopoliser les normes. Nos politiques reproduisent un système ancien qui concerne une toute petite partie du monde pour l’étendre en un système global qui concerne tout le monde. Mais ça ne marche pas comme cela ! Le non-dit est qu’une norme est porteuse de pouvoir, cela fonctionne sur un petit village, un seigneur et ses serfs, ou plusieurs villages qui ont des interactions entre eux, avec différents niveaux de seigneurs et serfs. Mais cela ne peut pas fonctionner sur la globalité du monde. Ce modèle est notre histoire, il nous appartient, mais le monde n’est pas d’accord, les pygmées ont leurs propres normes, basées sur autant d’histoire que nous. Autant de racines et d’identité.

Hegel a dit que le tout est la vérité, et la moitié est le mensonge. Tant que l’occident était isolé il pouvait se considérer comme un tout. Mais l’évolution veut que les parties du monde se rapprochent, l’occident n’est plus isolé ; se considérer comme un tout est un mensonge.

Décolonisation, dépolarisation et mondialisation.

L’histoire se déroule sous nos yeux ; la décolonisation est le moment où le faible gagne sur le fort ; à la fin les hommes gagnent toujours ; au Vietnam, en Algérie, au Salvador.

Ces détails font l’histoire. Mais le fort reste fort et impose sa norme au faible qui s’émancipe. Le prêt à porter étatique occidental établissant un système de gestion dans d’autres cultures ne fonctionne pas, les sociétés post coloniales doivent se réinventer, nous en sommes là. Cela ne peut pas fonctionner, l’histoire, les imaginaires étant très différents, l’imposition de normes étrangères crée du chaos. De surcroît, l’occident ne veut pas forcément que ça fonctionne, maintenir les pays en état de panique, de déstructuration, de dépendance a bien des avantages. Pourtant il semble évident que cela ne peut être pérenne. Les peuples aspirent à la dépolarisation, c’est-à-dire la fin des rapports de force. Ou le retour de la coopération.

N’oublions pas que la force des hommes réside dans la coopération, il n’y a pas si longtemps, c’est la coopération qui a permis aux hommes de survivre nus dans les plaines d’Afrique habitées d’animaux sauvages. Coopération et compétition sont frères complémentaires ;

L’intelligence provient de la compétition / La survie appartient à la coopération. Tant que le monde n’était pas connecté, il se pensait en compétition ; mais maintenant que nous sommes tous connectés sur le même bateau, quelque chose de nouveau arrive, il nous faut repenser en termes de coopération. Pas par bonté d’âme, par pur intérêt. L’intérêt coïncide souvent avec la bonté d’âme.

C’est-à-dire que dans ce monde inclusif ; coexistent les Luxembourgeois et nos amis les pygmées. La diversité l’emporte sur les enjeux stratégiques. Il ne peut être question de compétition. Il ne peut être question de mettre sur un ring un philosophe et un boxeur, un pygmée et un gars de Wall street, il ne peut être question d’éradiquer les peuples de la jungle. La question change ce n’est pas vivre ou tuer, c’est tuer ou tuer, mourir ou mourir, car vous savez quoi ? l’occident dépend des peuples de la jungle ; ils sont une partie de la mémoire longue du monde, les tuer revient à nous faire hara kiri.
Il faut donc adopter un système favorisant notre développement en permettant l’existence sereine et pérenne de tous les peuples de la terre. Les pygmées, les indiens, les Mapuches, les Russes, les Américains.

C’est l’interdépendance, tout le monde dépend de tout le monde, et réciproquement, c’est-à-dire que le système l’emporte sur l’acteur. La bonne nouvelle est que cela implique une augmentation de notre niveau de conscience, nous sommes le système monde. Nous entrons dans un monde où chacun dépend de chacun, sur le plan économique, sur les ressources, mais aussi le spirituel.

Le monde est constitué de quantités de petits et moyens cercles interdépendants
constamment en échanges d’informations, d’idées, de ressources. Échange et statique
découlent du même principe, car la vie elle-même c’est quoi ? un oiseau qui se pose sur une branche. Le mouvement qui articule le statique. Une équation c’est quoi ? une liberté (mouvement) d’articuler des postulats (statique) le sens, la conscience sont la jointure de ces deux principes fondamentaux. Au début est le verbe.

Le verbe est l’articulation des mots.

Le surgissement du sud dans notre monde se fait en trois temps, émancipation,
marginalisation, et maintenant nous sommes au temps du multi-alignement. Concept
fondamental. Un peu comme si le monde devenait quantique. Une particule est alignée sur Beta et aussi sur Alfa.

La force de l’identité n’est pas de se refermer sur soi-même, ça marche dans les deux sens, pour influer sur l’autre il faut une force intérieure, pour avoir une force intérieure, il faut une reconnaissance de l’autre. Carl Schmitt ne disait pas autre chose en nous expliquant la nécessité de l’ennemi, ce n’est pas la nécessité de l’ennemi mais la nécessité de l’autre.

Encore faut-il qu’il y ait un autre.

L’évolution du monde implique un changement de paradigme, c’est comme cela, c’est
mécanique. Le nouveau monde est une quantité de petits cercles statiques, -les états exerçant- des échanges entre eux ; mouvement d’informations, de ressources, de hanches, mouvement de ce que vous voulez. L’important est la pluralité des cercles. Inclusion interdépendance, le sud est réévalué.

Nous sommes dans le temps de la construction ; la naissance des Brics -conférence afro asiatique, Bandung avril 1955 ; Egypte. Ethiopie Liberia, – les mouvements de libération, Birmanie Indonésie, les émergeants disent que ; « nous n’allons pas sacrifier ce que nous sommes ». « Les mêmes droits pour tous, pas de racisme, vive le développement ». Ces deux idées fortes conjointes ont mis le sud en orbite. -Nasser, Nehru et Tito, les trois grandes figures du non-alignement, réunis à Brioni en juillet
1956 donnent un contenu politique aux principes énoncés à Bandung et préparent la
Conférence de Belgrade, acte de naissance du mouvement des non-alignés. est ouest et nous.

Et le nous c’est quoi ?

– la conférence de Belgrade 1961, puis la création en 1961 du mouvement des non-alignés, Alger 1973, a regroupé les pays qui ne souhaitaient pas s’inscrire dans la logique d’affrontement Est-Ouest mais au contraire favoriser l’indépendance effective des pays du Sud. Cette liste n’est pas exhaustive, des conférences apparaissent en Amérique latine.

Ces mouvements appellent un nouvel ordre économique, « vous n’allez pas continuer à nous dominer, on a les ressources. Il faut repenser l’économie mondiale. »

L’ONU ne connaissait que 51 membres à l’époque, 193 maintenant. Le monde change, l’ONU a très peu changé. Les membres permanents chapeautent l’organisation sur leurs vieilles idées ; on n’a pas voulu de l’Iran-8000-ans-d’histoire à la tête de l’ONU, on a remplacé un norvégien par un suédois ! Les vieux crabes restent dans la négation de l’émergence, là se trouve la pathologie du monde actuel, aujourd’hui les émergeants sont devenus les Brics.

L’occident fonde le G7, avec le Japon comme extrême occident. Le G7 comme fermeture oligarchique, le but étant d’obliger les émergeants à s’aligner. Le résultat est une bipolarisation du monde, la barrière, mais le principe de coopération ne connaît pas de barrière, les nations fonctionnent en union libre, chacun négociant avec chacun selon le terrain d’intérêts. Et nous, Européens, somme tributaires des ressources du sud.

Qui gouverne le monde ? Les grandes doctrines géostratégiques ou les hommes pratiquant le négoce, la coopération, l’économie ?

Bernard Pons

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