Quel mouvement l’emportera ?


Par Christian Darlot − Décembre 2019

Partout dans le monde, des groupes oligarchiques rivalisent pour le pouvoir mais s’accordent pour dominer les peuples et réduire la controverse démocratique à de vaines parlotes et de piètres gesticulations. Parallèlement à l’imposition du libre-échange commercial et financier, le débat a été peu à peu anémié depuis un demi-siècle, tendance restée cependant longtemps masquée par des apparences de vie politique régulière. Toutefois depuis quelques années (en France depuis 2008, lors de la ratification du traité de Lisbonne), les oligarchies ne prennent plus guère de gants pour imposer leurs décisions : la main invisible ne se dissimule plus. Sont-elles sûres de l’emporter ou craignent-elles de perdre ? Veulent-elles par le fait accompli couper court à la révolte des peuples ? Veulent-elles effrayer en jetant bas les masques ?


La hâte des oligarchies

À présent, en France, une stratégie de la tension fait alterner des attentats au scénario répétitif et des incendies ou des agressions individuelles, afin de répandre l’angoisse et faire accepter un « état d’urgence » permanent. Bien entendu des excités islamistes existent – et des hommes de main aussi. Et évidemment il n’y a pas de coupole centrale d’où émaneraient tous les ordres, mais des réseaux entremêlés et des groupes oligarchiques – dont des étrangers – soudoyant des organisateurs qui recrutent ou manipulent des exécutants. L’accusation de “complotisme” n’a pas de sens, puisqu’elle affirme que des gens croiraient à l’existence de complots réglés jusque dans les détails, voire d’un complot mondial. Nul n’est aussi sot.

Seuls se laissent abuser par cette stratégie quelques “sachems sachants”, universitaires, membres de professions libérales, hauts fonctionnaires ou cadres d’entreprise, qui imitent les classes dominantes auxquelles ils s’imaginent pouvoir accéder, et que leur rationalité abstraite empêche de prendre du recul et d’analyser les situations réelles. Le populo, lui, a bien compris, habitué qu’il est à la réalité des choses, aux contraintes hiérarchiques et à l’authenticité des relations humaines.

Complétant les attentats en série, l’immigration massive de personnes étrangères à la culture européenne sert à déstructurer les sociétés des pays d’Europe et à diviser les populations pour les rendre inaptes à contester. Le sort des immigrants illégaux laisse les oligarques de marbre ; il est même fort bon que beaucoup soient noyés ou aient été réduits en esclavage, afin de susciter l’émotion et permettre ainsi de renforcer les flux. Là encore, ne se laissent tromper que ceux qui veulent ne pas comprendre.

Il est aussi de bonne guerre sociale de laisser des banlieues devenir des petits États dans l’État, afin d’opposer des parties de la population (habitants de souche et nouveaux venus, ethnies diverses) et de disposer d’un épouvantail commode (voire – qui sait ? – peut-être bientôt d’un moyen de pression réel). Les dominants ont, hélas, choisi d’utiliser la police – et même l’administration judiciaire – pour mater les citoyens qui manifestent pour maintenir leurs droits, plutôt que d’envoyer les forces de l’ordre rétablir l’ordre légal dans les quartiers tombés sous la coupe de bandes mafieuses. Tant pis pour les habitants – surtout les jeunes femmes – qui subissent les conséquences de ce choix cruel.

La plupart des journalistes, larbins des propriétaires des médias, font régner le terrorisme intellectuel et embrouillent à plaisir les débats publics par le moralisme gnangnan, le féminisme loufoque, l’elgébétisme, l’anticolonialisme anachronique, l’antiracisme sans racistes, l’invocation d’une guerre civile imminente, l’évocation hors de propos et à tout bout de champ des zeurlépluçombres. Autant de diversions.

La globalisation appauvrit les peuples et agresse leur personnalité culturelle. Mais l’injustice et l’absurdité du désordre établi apparaissent de plus en plus clairement, et la révolte s’étend donc dans le monde. Un courant de démondialisation économique, par retour partiel à la production locale, commence à peine et progresse lentement. Aussi la séparation des classes sociales durera-t-elle encore longtemps, et les mouvements de contestation, désormais lancés, ne s’arrêteront pas, au risque d’oppositions violentes, prétextes à imposer des régimes politiques autoritaires à l’occasion d’une crise monétaire mondiale.

En France, le champ des avenirs possibles est balisé par l’emploi de la police comme milice au service des dominants, par l’épuisement de l’armée française dans des gardes inutiles et des guerres contraires aux intérêts du pays, et par l’hétérogénéité de son recrutement. L’OTAN, servant à vassaliser les pays d’Europe, est un machin sans efficacité militaire mais un instrument de répression potentiel. Toutefois l’échec des agressions commises au Proche-Orient l’a affaibli. Par ailleurs, le retour à la puissance de pays non soumis à l’empire financier anglo-saxon change les perspectives à long terme.

Comment caractériser l’évolution des sociétés, afin de prévoir les périls ?

L’Histoire du monde est, bien sûr, le grand livre pédagogique, mais peut-être est-il possible aussi de tirer des enseignements de lois scientifiques, comme celles de la Thermodynamique, branche de la Physique décrivant les transformations de l’énergie et généralisée sous le nom d’Énergétique. En effet, dans tout domaine de la connaissance, un cadre théorique – s’il est pertinent – aide à ne pas omettre une partie du raisonnement et permet d’éprouver la cohérence d’une interprétation d’ensemble.

Toute l’activité sociale est animée par le travail des humains, celui des animaux et celui des machines mues par l’énergie physique issue des ressources fossiles, nucléaires ou solaires. Toutefois, les machines sont toujours commandées par l’activité physique et mentale des humains. L’activité sociale met ainsi en œuvre de l’énergie, et procède de l’activité biologique consistant en de nombreuses réactions chimiques. Or toute réaction chimique nécessite la mise en contact de réactifs ayant une affinité, et l’apport d’une quantité d’énergie dépassant un seuil d’activation. Si l’énergie potentielle chimique et les affinités sont grandes, l’interaction des réactifs dégage de l’énergie ; une réaction en chaîne peut même s’enclencher et changer beaucoup la composition chimique du mélange de produits. Ainsi, par des interactions entre maints niveaux de réalité dont les échelles sont très différentes, la vie sociale dépend réellement de réactions chimiques.

La monnaie permet la circulation de l’énergie dans la société. Idéalement, la monnaie est attribuée en contrepartie d’un travail déjà effectué, donc d’une dépense d’énergie physique et mentale, et cette créance permet d’acquérir un bien produit par le travail d’autrui, ou la nourriture renouvelant l’énergie. La monnaie transmet donc la confiance réciproque dans des sociétés trop grandes pour que tous les membres se connaissent. Et en assurant la reconnaissance du travail, elle incite chacun à exercer une activité.

Mais, progressivement depuis cinq siècles et officiellement depuis 1971, la monnaie a été détachée de tout élément matériel. Les détenteurs du pouvoir peuvent en créer sans contrepartie, usurpant la confiance publique. 1 Ainsi l’équivalent en énergie de la monnaie est dilué ; chaque utilisateur ne dispose plus que d’une part du montant nominal, et la somme de toutes les valeurs que chacun a perdue est accaparée par les créateurs de monnaie fiduciaire. Or ces créateurs ne sont plus à présent les États, encore vaguement contrôlés politiquement, mais les banques, échappant à tout contrôle grâce aux paradis fiscaux et aux transactions occultes. La monnaie n’est plus un bien public, et la création monétaire profite aux banques et à ceux bien placés pour siphonner un peu de la monnaie circulant entre celles-ci (actionnaires, dirigeants, clients privilégiés, firmes supranationales, avocats d’affaires, maîtres chanteurs…).

Contrôlant la création monétaire, l’alliance des banquiers et des dirigeants de firmes supranationales dispose de beaucoup d’énergie sociale, et peut donc maîtriser des pans entiers de l’activité économique et faire travailler maints salariés. Parmi les employés les plus utiles, les politiciens sont désormais choisis par des groupes oligarchiques, puis confirmés lors de simagrées électorales, et chargés de faire agir les États au profit de leurs commanditaires. Ces groupes s’opposent par rivalité mimétique et se combattent pour accaparer les richesses (terres, matières premières, industries, brevets) payées en monnaie de singe, mais se concertent dans des forums internationaux (Davos, Bilderberg), comme les réactifs sont rapprochés par les catalyseurs. L’homogénéité mentale leur confère une grande affinité pour élaborer ensemble des actions, comparables à des réactions chimiques. Les relais dont ces groupes disposent dans les cercles mondains, les institutions, les médias et les partis politiques, répandent des projets, diffusent des opinions, comme pour préparer des réactifs chimiques.

L’économisme, le droidelomisme ou l’anti-nationisme, abaissent le seuil d’activation individuelle des gens encore sensibles à ces idéologies controuvées. L’idéologie universaliste européenne a été distordue pour faire accepter le libre-échange, sans restriction ni régulation, non seulement des produits commerciaux mais aussi « d’actifs » financiers créés sans contrepartie réelle. Ainsi a été fabriqué le grand bocal global où se produisent des réactions à l’échelle mondiale, dont les nouveaux produits modifient sans cesse la composition. Les oligarchies peuvent y mettre en action une grande quantité d’énergie, efficacement et en peu de temps, et exercent donc une puissance importante.

L’énergie potentielle des peuples est beaucoup plus grande que celle des oligarchies, mais difficile à mobiliser. Pour la mettre en action, les moyens sont les lideurs (en Chimie, les catalyseurs facilitant les interactions), la conscience politique (abaissant le seuil d’activation) et la tradition historique commune (affinité réactionnelle), facilitant l’entraînement mimétique (activation en chaîne). Si l’énergie est mise en action, un mouvement d’ensemble peut se produire dans la direction de moindre résistance (celle d’un piston mobile). À l’opposé, la fragmentation de la population réduit les interactions, son hétérogénéité culturelle diminue les affinités, tandis que les collisions entre personnes ou entre groupes dissipent l’énergie en agitation générale (la chaleur) sans direction d’ensemble.

Or en Physique comme en Chimie, les systèmes réels – une locomotive, un avion, un nuage, une cellule biologique ou un être vivant, plante ou animal – sont dits « ouverts » parce qu’ils échangent de la matière et de l’énergie avec leur environnement, et « dissipatifs » parce qu’ils sont parcourus par un flux d’énergie, entrant et sortant. Sous les contraintes physiques propres à chaque système, ce flux détermine la structure du système – par exemple le mouvement tourbillonnant ascendant de l’air dans un ouragan – et la maintient au cours du temps. Dans ces systèmes, le processus qui l’emporte parmi plusieurs possibles – par exemple une réaction chimique parmi celles qui se produisent – est celui qui mobilise le plus d’énergie dans le moins de temps, c’est à dire qui maximise la puissance exercée, ou encore, selon une formulation équivalente, qui transforme le plus vite l’énergie potentielle disponible en énergie cinétique.

C’est le principe de moindre action, pressenti par Fermat en Optique (1655), énoncé par Maupertuis (1744), formalisé par Lagrange (1756), développé pour la Mécanique par Euler (1760), Hamilton (1827), Jacobi (1840), et appliqué à la Thermodynamique chimique par Gibbs (1875), de Donder (1922) et Prigogine (1977). L’application à l’évolution biologique et sociale a été esquissée par François Roddier (2012).

Que les auteurs mal compris ou oubliés me pardonnent ! C’est le bon sens : à ressources énergétiques égales, le mouvement le plus impétueux domine : les sportifs, militaires et sociologues le savent depuis longtemps ! L’art pour les adversaires est alors de le bloquer. L’avenir montrera si ce lien entre Sociologie et Énergétique n’est qu’une coquetterie intellectuelle ou s’il aide à penser l’évolution de la société.

Les flux d’interactions humaines suscitent des structures politiques, et les relations sociales évoluent sous l’influence des structures qui mobilisent le plus d’énergie et développent le plus de puissance. En France, les médias sont entre les mains des oligarchies et l’idéologie européiste reste puissante, mais les lideurs européistes n’inspirent plus confiance, donc ont perdu leur efficacité catalytique, tandis que les lideurs nationistes manquent encore d’audience. Les corps intermédiaires, syndicats et partis, peinent à suivre les mouvements revendicatifs spontanés. La conscience politique fluctue, orientée à la baisse ; les mouvements d’ensemble augmentent mais les collisions aussi. La répression sépare les classes sociales mais rapproche les réprimés. Quelle réaction l’emportera ? Quelle sera la direction de moindre résistance ?

Christian Darlot

Notes

  1.  L’air humide s’élevant au-dessus de la Tamise, de l’Hudson et du Main (à Francfort), est un ingrédient essentiel de la monnaie moderne.
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