Que pourrait-il se passer si les États-Unis rejettent l’ultimatum russe ?


Par The Saker – Le 21 décembre 2021 – Source The Saker’s Blog

Il y a beaucoup de discussions en cours sur ce que la Russie pourrait faire si l’Occident ignore l’ultimatum russe. Tout ce que je me propose de faire ici, c’est de partager quelques réflexions avec vous. Il ne s’agit pas d’une analyse approfondie, mais seulement de quelques réflexions sur ce que j’entends à ce sujet.

Premièrement, Poutine est à la fois très prévisible et, en même temps, très imprévisible. Ce qui est prévisible chez Poutine, c’est qu’il n’utilise la force que lorsqu’il n’y a plus d’autre option. Ce qui est très imprévisible chez Poutine, c’est comment et où il est prêt à utiliser la force. Il n’est pas intervenu dans le Donbass, ce que tout le monde attendait, et il n’a pas permis à la LDNR de prendre ne serait-ce que Marioupol, sans parler du reste de l’Ukraine. Mais lorsqu’il a envoyé une force opérationnelle spéciale en Syrie, personne ne l’a vu venir. Idem pour la décision de protéger la Crimée d’une invasion ukrainienne. Lorsque nous évaluons les prochaines étapes possibles de Poutine, nous devons garder à l’esprit ce paradoxe selon lequel il est à la fois prévisible et imprévisible. Ainsi, déplacer des armes nucléaires vers Kaliningrad et/ou le Belarus n’est pas la seule option pour la Russie.

Deuxièmement, il est impossible que la Russie déclenche simplement une guerre, ni contre l’Ukraine, ni contre l’UE ou l’OTAN, ni contre les États-Unis. Seul un imbécile ignorant déclencherait délibérément une situation qui pourrait aboutir à un holocauste nucléaire planétaire. Mais la Russie a beaucoup d’autres options.

Troisièmement, alors que dans les années 60, l’URSS avait besoin de Cuba pour déployer ses missiles afin de forcer les États-Unis à retirer leurs missiles de Turquie, la Russie n’a plus ce besoin aujourd’hui. Les missiles russes, tant nucléaires que conventionnelles, peuvent atteindre les États-Unis depuis à peu près n’importe où, y compris depuis la Russie, bien entendu. La création de bases à Cuba, au Venezuela ou au Nicaragua n’est pas, à mon avis, faisable ni même souhaitable : Je préfère voir cet argent injecté dans l’armée russe.

Quatrièmement, tous les porte-avions et autres navires de l’US Navy ont désormais une cible hypersonique peinte sur eux, et ils le savent. Cela aura une incidence considérable sur ce que l’US Navy peut se voir ordonner de faire ou sur les endroits où elle peut se déployer. Certains observateurs ont accusé la Russie de prendre l’Ukraine en otage. C’est une absurdité. Mais oui, les Russes retiennent, à toutes fins utiles, l’ensemble de l’US Navy en otage, des petits patrouilleurs aux groupes de combat de porte-avions. La seule, mais importante, exception à cette domination concerne les sous-marins nucléaires d’attaque, où la Russie a une parité qualitative (voire une supériorité) mais où les États-Unis ont un fort avantage quantitatif sur la Russie. Cependant, les sous-marins de l’US Navy ne disposent pas de missiles modernes et ne peuvent pas gagner une guerre à eux seuls. Ils ont également fort à faire avec la Chine.

Cinquièmement, nous savons, au vu de la taille de la force terrestre russe actuellement déployée à plusieurs centaines de kilomètres de la frontière russo-ukrainienne, qu’il s’agit d’une force défensive dont la tâche serait d’arrêter une attaque terrestre ukrainienne sur la LDNR (les forces ukrainiennes, de taille plus ou moins similaire, sont déployées à quelques dizaines de kilomètres de cette même frontière). Ne vous attendez donc pas à voir des chars russes dans le centre-ville de Kiev de sitôt.

D’ailleurs, pourquoi la Russie devrait-elle interférer de quelque manière que ce soit si l’Ukraine et l’UE commettent de manière proactive un suicide culturel, économique, politique, social et même spirituel ?

Sixièmement, nous ne devons pas nous concentrer uniquement sur le théâtre européen des opérations militaires. N’oublions pas que la Chine et la Russie sont désormais officiellement « plus que des alliés » et que la Russie peut vendre à la Chine exactement le type de matériel militaire qui horrifierait vraiment les États-Unis. De même, la Russie peut facilement cibler les forces américaines n’importe où dans le Pacifique, secrètement et ouvertement, d’ailleurs.

Septièmement, il y a le Moyen-Orient. Imaginez ce que la Russie pourrait livrer, rapidement, à l’Iran, par exemple (tout en fournissant des garanties verbales, mais significatives, à Israël que la Russie ne permettra pas à l’Iran d’utiliser ces systèmes contre Israël, à moins, bien sûr, qu’Israël n’attaque en premier (Remarque : il n’y a pas beaucoup d’amour entre la Russie et Israël, mais au moins les deux parties sont assez intelligentes pour se comprendre, ce qui aide beaucoup en cas de besoin).

Huitièmement, la Russie a un avantage énorme sur les États-Unis et l’OTAN en matière de guerre électronique (du niveau tactique au niveau stratégique) et elle peut facilement l’utiliser pour obtenir un effet dévastateur alors que l’OTAN n’a rien pour riposter. Cela s’applique d’ailleurs aussi au Moyen-Orient où, apparemment, la Russie a les moyens de perturber ou de brouiller les signaux GPS dans toute la région.

Neuvièmement, nous ne devons pas supposer que la Russie ne peut riposter que de manière proactive, ce serait une erreur. Par exemple, la Russie peut faire à l’Allemagne ce que le Kremlin a fait à l’Ukraine : cesser de prendre leurs appels et permettre l’arrêt complet de NordStream2. Pourquoi ? Parce que cela n’affectera que marginalement la Russie (les prix du gaz sont déjà très élevés et la Chine en absorbe une grande partie), tout en étant un arrêt de mort pour l’économie allemande, en particulier ses exportations. Donc, en fait, permettre à NordStream2 d’être suspendu « indéfiniment » (en réalité temporairement) serait la meilleure et, peut-être même, la seule façon de ramener les Allemands, actuellement en plein délire, à la réalité.

Dixièmement, la Russie pourrait cesser de vendre de l’énergie aux États-Unis. Oui, les États-Unis importent beaucoup d’énergie russe et si les Russes décident d’arrêter cela, l’état déjà clairement « pré-apocalyptique » de l’économie américaine en souffrira encore plus et ce n’est pas comme si les États-Unis pouvaient se tourner vers le Venezuela ou l’Iran pour l’énergie 🙂 Quant à « Biden », il a déjà dû libérer une partie des réserves américaines.

Onzièmement, la Russie pourrait fermer son espace aérien à tous les pays de l’OTAN, je parle ici du trafic aérien civil. La Russie possède l’espace aérien le plus cher de la planète, et si elle le ferme aux transporteurs occidentaux, le chaos qui en résultera dans les airs et au sol sera total. Quant aux coûts des vols contournant la Russie, ils seraient absolument énormes.

Douzièmement, nous savons tous que la Russie a un énorme avantage sur tous les autres pays en matière de défenses aériennes. Si l’on ajoute à cela son avantage en matière de guerre électronique et de systèmes automatisés de gestion des combats, cela signifie que la Russie peut déployer une « coupole électronique » non seulement au-dessus de la Baltique ou de la mer Noire, mais aussi au-dessus de toute l’Ukraine ou des principales régions du Moyen-Orient. Les États-Unis et l’OTAN appellent cela « anti-accès/déni de zone (A2/AD) » et ils sont très inquiets à ce sujet.

Treizièmement, il y a l’action évidente : reconnaître les LDNR comme des États souverains. Il existe un fort soutien en faveur d’une telle démarche, tant en LDNR qu’en Russie. Le Kremlin pourrait le faire sans déplacer un seul soldat ni tirer un seul coup de feu, puis observer ce que les Ukronazis de Kiev feraient à ce sujet. Je pense que les Ukronazis ne feront pas grand-chose, mais s’ils le font, les Russes déclareront simplement une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la LDNR et préviendront que toute attaque contre la LDNR entraînera la destruction de la force attaquante. Si les Ukies persistent, les forces attaquantes seront vaporisées tandis que le reste de l’armée ukie perdra sa cohésion et se disloquera sous l’effet combiné des frappes russes et des capacités A2/AD. Poutine a récemment parlé de régions « non encore reconnues » et il a parlé de « génocide ». Maintenant que nous savons qu’un Kalibr lancé par un sous-marin a une portée de « plus de 1000 km », voyons comment un sous-marin russe peut atteindre l’ensemble des cotes de l’Ukraine depuis le centre de la mer Noire (Odessa serait à moins de 500 km de ce sous-marin) et n’oubliez pas que les Ukrainiens n’ont aucune capacité ASW et ne disposent que des défenses aériennes de l’ère soviétique (qui sont d’ailleurs en très mauvais état). Pour votre information, la flotte de la mer Noire dispose de 6 à 7 SSK, tandis que les défenses côtières russes couvrent l’ensemble de la mer Noire.

Quatorzièmement, il est rarement, voire jamais, rapporté en Occident que l’Ukraine a mené des attaques terroristes à la fois en LDNR et même en Russie proprement dite. Jusqu’à présent, la Russie n’a jamais exercé de représailles. Mais vous souvenez-vous de ce qui s’est passé après que les Takfiris ont fait exploser plusieurs bâtiments en Russie ? Sinon, ce qui s’est passé, c’est la deuxième guerre de Tchétchénie et l’anéantissement total des Takfiris en Tchétchénie (ce qui, selon tous les « analystes » occidentaux, était une tâche impossible au départ). Jusqu’à présent, le FSB a réussi à déjouer toutes les attaques ukrainiennes, mais si l’une d’elles réussit, c’en est fini du régime de Kiev.

Quinzièmement, l’Ukraine construit actuellement des bases navales pour l’OTAN à plusieurs endroits, dont une sur la mer d’Azov (c’est le plan que les deux génies Johnson et Ze ont imaginé). Ce plan est censé créer une marine ukrainienne en deux ans. Pouvez-vous imaginer à quel point il serait facile pour la Russie de laisser Johnson et Zelenskii « jouer aux Lego » pendant un petit moment, puis de désactiver tout simplement ces futures bases ?

Je suis certain qu’il existe encore de nombreuses autres options que je n’ai pas envisagées.

La puissance de l’ultimatum russe réside précisément dans le fait que les Russes ont promis de faire « quelque chose » de militaire et/ou militaro-technique, mais n’ont pas précisé ce que ce « quelque chose » pourrait être. Je vous parie qu’en réalité, nous n’avons pas affaire à un seul « quelque chose », mais à une succession de mesures graduelles qui exerceront une pression de plus en plus forte sur les États-Unis et l’OTAN/UE (même si cette dernière n’a pas la moindre importance). N’oubliez pas que si les États-Unis peuvent faire des contre-propositions, ils ne sont pas en mesure de proférer des menaces crédibles, d’où l’asymétrie fondamentale entre les deux parties : Les Russes peuvent proférer des menaces crédibles, tandis que les États-Unis ne peuvent que multiplier les mots, ce à quoi les Russes ont pratiquement cessé de prêter attention.

À partir de maintenant, le jeu est simple : La Russie va progressivement augmenter la « pression et la douleur » et voir comment l’Empire va y faire face. La Chine fera exactement la même chose, car les actions russes et chinoises sont évidemment soigneusement coordonnées.

Mon sentiment est que l’oncle Shmuel laissera les Européens couiner de douleur et ne leur apportera qu’un « soutien moral ferme à nos amis, partenaires et alliés » tout en ne se souciant que d’une seule chose : lui-même. Dès que la douleur commencera à atteindre sérieusement les États-Unis, ces derniers seront contraints de négocier avec la Russie et la Chine.

À ce moment-là, la Russie et la Chine auront gagné.

Quand la Russie va-t-elle augmenter la pression et la douleur ?

Je pense que les premières mesures seront prises rapidement, à moins que les États-Unis ne montrent des signes tangibles de leur volonté non seulement de négocier sérieusement, mais aussi de le faire rapidement. Poutine vient de répéter aujourd’hui qu’aucune tactique dilatoire américaine ne sera acceptable pour la Russie.

Jusqu’à présent, il semble que les États-Unis vont faire une contre-offre à Moscou. S’il s’agit des habituelles conneries sur l’exclusivité des États-Unis, la douleur sera très vite augmentée, au cours des deux prochaines semaines. Si l’administration « Biden » est réellement sérieuse et montre des signes tangibles, vérifiables, que Washington négociera, alors la Russie pourrait attendre un peu plus longtemps, nous parlons d’un mois, peut-être un peu plus. Mais personne en Russie ne parle d’années, ni même de plusieurs mois. L’horloge tourne maintenant et les États-Unis doivent agir très rapidement : avant mars, c’est certain.

Je terminerai sur une note semi-optimiste : « Biden » m’a déjà surpris au moins deux fois et « il » le fera peut-être à nouveau ? De nombreux analystes russes semblent penser que Sullivan est la voix de la raison dans l’administration américaine. Nous savons également que le général Milley n’était pas disposé à prendre le risque d’une attaque préventive chinoise (qui serait un pet dans un ouragan comparé à ce que les Russes pourraient déclencher contre les États-Unis s’ils décidaient de préempter une attaque américaine contre la Russie). Peut-être y a-t-il encore d’autres voix saines d’esprit dans l’État américain (profond ou autre) ? Peut-être les États-Unis feront-ils ce que la Russie a fait et tenteront-ils de donner l’impression de battre en retraite juste pour gagner du temps ? Même cela serait préférable à une guerre totale. D’ailleurs, les Russes sont bien conscients d’une éventuelle stratégie de retardement, d’où leur ultimatum assorti d’une date limite spécifique : « Montrez-nous quelque chose de tangible, pas seulement des platitudes, ou bien nous prendrons des mesures unilatérales ».

Tout président américain sain d’esprit n’essaierait pas de « mettre Poutine au pied du mur ».

Espérons et prions pour que « Biden » ait assez de bon sens pour comprendre cela. Les États-Unis viennent d’annoncer qu’une réponse officielle sera présentée à Moscou vendredi.

Je reste très, très dubitatif, mais l’espoir fait vivre, je suppose.

Andrei

PS : aujourd’hui Poutine a parlé avec Sholtz et Macron, hier avec Johnson.

PPS : Poutine a déclaré aujourd’hui qu’il en avait « marre » de l’Occident : « Et quand le droit international et la Charte de l’ONU interfèrent avec eux, ils déclarent tout cela obsolète et inutile. Et quand quelque chose correspond à leurs intérêts, ils se réfèrent immédiatement aux normes du droit international, à la Charte de l’ONU et aux règles humanitaires internationales. J’en ai marre de ces manipulations « .

PPPS : juste pour vous donner une idée de l’humeur en Russie, le talk-show « 60 minutes » d’aujourd’hui sur la TV russe a présenté non pas un mais DEUX généraux qui sont également des héros russes, dont le général Shamanov, l’homme qui a détruit les Takfiris en Tchétchénie, et qui a déclaré que la Russie « mettra en pièces » tout ennemi imaginable. Quelqu’un pense-t-il que Shamanov bluffe ? J’espère bien que non.

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

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