Par Moon of Alabama – Le 13 décembre 2022
Il y a quelques jours, une petite nouvelle concernant l’Inde et la Russie a été publiée, ce qui a fait le bonheur de certains scribes anti-russes/pro-indiens :
La politique de l’Inde vis à vis de la Russie n’est pas aussi mauvaise que Washington le pense – Foreign Policy, 9 déc.
L’Inde défend l’ordre international fondé sur des règles et dirigé par l’Occident, mais à sa manière…
Modi fait également l’impasse sur un sommet annuel avec Poutine, apparemment en raison des menaces de ce dernier d’utiliser des armes nucléaires en Ukraine.
Cette affirmation m’a paru étrange. L’auteur de l’article de Foreign Policy est Derek Grossman, “analyste principal de la défense à la Rand Corporation, professeur adjoint à l’Université de Californie du Sud et ancien conseiller quotidien en matière de renseignement du secrétaire adjoint à la défense des États-Unis pour les affaires de sécurité en Asie et dans le Pacifique“.
Hmm. Le lien qu’il donne mène à un article de Bloomberg :
Modi évite un sommet annuel avec Poutine à cause des menaces nucléaires envers l’Ukraine
Le Premier ministre indien Narendra Modi ne tiendra pas son sommet annuel en personne avec Vladimir Poutine après que le président russe a menacé d’utiliser des armes nucléaires dans la guerre en Ukraine, selon des personnes ayant connaissance du sujet.
Les relations entre l’Inde et la Russie restent fortes, mais jouer la carte de l’amitié à ce stade pourrait ne pas être bénéfique pour Modi, a déclaré un haut fonctionnaire ayant connaissance du dossier, qui a demandé à ne pas être nommé en raison de la sensibilité du problème.
Poutine n’a jamais menacé d’utiliser des armes nucléaires en Ukraine ou ailleurs :
Notez que Poutine ne mentionne pas les armes nucléaires de la Russie. Au lieu de cela, il souligne que la Russie dispose de nouvelles armes “différentes“, “plus modernes” que celles de “l’Occident“. Il s’agit de missiles hypersoniques qui peuvent éviter les défenses aériennes “occidentales” et frapper les centres de décision à Bruxelles, Londres et Washington, même sans ogives nucléaires.
…
Tous les discours et rapports belliqueux sur la prétendue menace russe d’utilisation d’armes nucléaires en Ukraine sont totalement infondés. Le fait que tous les médias “occidentaux” s’y adonnent soudainement montre que cela fait partie d’une campagne de propagande bien dirigée.
Il s’agit d’une invention de la propagande américaine. Il est peu probable que le gouvernement indien soit tombé dans le panneau. Alors, qui a poussé Bloomberg à publier cette absurdité ?
Notez que si le rapport de Bloomberg a été rédigé par son correspondant en Inde, la nationalité de ses sources n’est pas indiquée. Il y a en fait deux sources distinctes : “des personnes ayant connaissance de l’affaire” et “un haut fonctionnaire ayant connaissance de l’affaire“. La question du “nucléaire” semble provenir de la première source “populaire“, tandis que la deuxième source “officielle” ne donne qu’une image générale de la motivation potentielle de Modi.
Dans une version actualisée de l’article, dont le titre est resté inchangé, les responsables russes ont rejeté toute l’histoire :
“Ce ne sera pas cette année“, a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, à propos de la perspective d’un sommet Poutine-Modi, a rapporté le service de presse étatique Tass plus tard dans la journée de vendredi.
La décision de l’Inde a été clairement exprimée lors d’un sommet régional qui s’est tenu en septembre en Ouzbékistan, lorsque Modi a exhorté Poutine à rechercher la paix en Ukraine, a déclaré un fonctionnaire russe familier des préparatifs, qui a demandé à ne pas être identifié pour discuter de sujets qui ne sont pas publics.
Un sommet russo-indien avait déjà eu lieu en marge de la réunion en Ouzbékistan et aucun autre sommet n’était nécessaire.
Dans un article de Reuters, une source indienne a également rejeté cette affirmation :
La source gouvernementale, qui a refusé d’être nommée en raison du caractère sensible de l’affaire, a déclaré que la décision de ne pas organiser de sommet avait été prise bien plus tôt et que l’aspect nucléaire n’était pas un facteur.
Modi et Poutine se sont rencontrés en marge d’un sommet du bloc de sécurité régional en Ouzbékistan en septembre et se sont entretenus au téléphone à plusieurs reprises cette année, notamment au sujet de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
L’Indian Economic Times a également démenti l’affirmation de Bloomberg :
Le sommet annuel Inde-Russie n’a pas pu avoir lieu en raison de problèmes de calendrier
Le sommet annuel Inde-Russie n’a pas pu avoir lieu cette année en raison de problèmes de calendrier, selon des sources haut placées qui ont rejeté les informations selon lesquelles le sommet aurait été reporté en raison de la menace de guerre nucléaire en Ukraine.
Les sources ont rejeté les rapports des médias occidentaux selon lesquels la “menace nucléaire” du président russe aurait un rôle à jouer dans l’échec du sommet Inde-Russie en décembre.
La décision de ne pas organiser le sommet pour des raisons de calendrier a été prise il y a plusieurs mois, ont indiqué les sources.
Les relations entre l’Inde et la Russie sont vivantes et excellentes :
Economic Times a appris que de hauts fonctionnaires russes pourraient se rendre en Inde dans un avenir proche pour discuter des contours du partenariat. En décembre dernier, le président russe s’était rendu en Inde pour le sommet annuel.
Le Premier ministre Narendra Modi et le président russe Vladimir Poutine se sont entretenus plusieurs fois au téléphone cette année et les deux hommes se sont rencontrés à Samarkand en septembre pour donner une impulsion au partenariat stratégique.
Lors de la réunion de septembre, un temps considérable a été consacré aux exportations d’engrais russes vers l’Inde pour répondre à la demande des agriculteurs locaux.
Modi et Poutine ont également discuté des liens dans le domaine de l’énergie (pétrole et gaz), ainsi que des investissements dans le charbon, le coke et autres dans leurs pays respectifs. Les deux dirigeants ont également discuté de la prévisibilité de l’approvisionnement de l’Inde en produits de base essentiels.
Plus tard en novembre, le ministre des affaires étrangères, S. Jaishankar, s’est rendu à Moscou avec une délégation intra-ministérielle pour promouvoir le partenariat économique. Auparavant, la NSA s’était rendue à Moscou avec une délégation intra-ministérielle pour promouvoir le partenariat économique.
L’Inde a résisté aux pressions occidentales pour prendre parti dans le conflit ukrainien et la Russie est désormais le premier fournisseur de pétrole de l’Inde. Le commerce bilatéral s’est multiplié cette année.
L’histoire de Bloomberg est donc complètement démentie. Mais l’article est toujours là, sans aucune correction. Les “personnes ayant connaissance du sujet” qu’il cite pour imaginer l’histoire du nucléaire étaient probablement soit des étasuniens, soit des anglais.
Ni la partie indienne ni la partie russe n’avaient prévu de sommet cette année. Ils entretiennent d’excellentes relations et cette histoire de bombe atomique est tout simplement absurde.
Il est dangereux que des experts de la RAND, ceux-là même qui rédigent des plans stratégiques pour le Pentagone, se laissent prendre à une propagande aussi évidente.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.