Promouvoir la théorie de la « fuite de laboratoire » ne fait que servir les intérêts des sinophobes


Par Moon of Alabama – Le 27 mai 2021

Il est triste de constater que plusieurs auteurs que j’apprécie et avec lesquels je suis souvent d’accord soutiennent désormais une théorie du complot semblable à celle du Russiagate sur l’origine du nouveau coronavirus.

Commençons par Kit Klarenberg qui, dans un long essai sur la « théorie de l’évasion d’un laboratoire », cite avec approbation un article de Technology Review :

[La modélisation informatique] a donné un résultat surprenant : les protéines en forme de pointes qui constituent le SRAS-CoV-2 se lient plus étroitement à leur récepteur cellulaire humain, une protéine appelée ACE2, que les récepteurs cibles de toute autre espèce évaluée. En d'autres termes, le SRAS-CoV-2 était étonnamment bien adapté à sa proie humaine, ce qui est inhabituel pour un pathogène nouvellement émergent.

Hein ?

URGENT : Le virus qui infecte principalement les humains est bien adapté pour infecter principalement les humains !

Ce qui prouve exactement quoi ?

Le 7 mai, Michael Tracey a retransmis des absurdités similaires :

Alors que de nouvelles preuves viennent étayer la théorie de la « fuite du Covid d’un laboratoire », les journalistes qui ont crié « au complot » s’humilient.

À maintes reprises au début de l'année dernière, alors que la pandémie de COVID s'intensifiait mais n'avait pas encore atteint les États-Unis pour de bon, des journalistes travaillant pour des publications nationales de premier plan ont prétendu avoir des renseignements concluants sur les origines du virus. Ils ont déclaré que le virus pouvait provenir d'un laboratoire spécialisé dans les expériences sur les maladies infectieuses humaines à Wuhan, en Chine, une théorie qui a été traité de "théorie du complot" ayant été largement "démystifiée". ...

Ces déclarations semblent plus dopées que jamais après la publication cette semaine d'un nouvel article du journaliste Nicholas Wade, qui a été pendant de nombreuses années correspondant scientifique du New York Times. Wade démontre à tout le moins que la théorie de la "fuite de laboratoire" ne doit pas être écartée. Mais il va aussi beaucoup plus loin, en montrant que la théorie est en fait hautement plausible.

La théorie de la « fuite de laboratoire » est-elle aussi « hautement plausible » que la théorie précédente soutenue par Wade selon laquelle les différences raciales en matière de réussite économique proviennent de différences génétiques amplifiées par la culture ?

Le fait que plus de 140 généticiens reconnus aient signé une lettre publique rejetant la théorie antérieure de Wade comme étant une « supposition » pourrait peut-être nous éclairer ?

Il y a deux jours, Glenn Greenwald a mis son grain de sel :

Glenn Greenwald @ggreenwald - 0:09 utc - 25 mai 2021

C'est stupéfiant de voir à quelle vitesse, dans les secteurs grand public, cela est passé de "théorie du complot folle et déséquilibrée qui doit être censurée sur Internet en tant que désinformation nuisible" à "possibilité sérieuse et plausible pour laquelle des preuves rationnelles existent".

Tirons-en les leçons.

The Hill @thehill - 25 mai

Ancien chef de la Food and Drug Administration : De plus en plus de preuves circonstancielles que le COVID "aurait pu sortir d'un laboratoire" http://hill.cm/cYH8yN8

Ensuite, sous un manteau similaire de « critique des médias », Matt Taibbi a renforcé la théorie de « l’évasion du laboratoire ».

Lorsque le Wall Street Journal a publié une histoire selon laquelle un rapport des services de renseignement américains, non divulgué jusqu'alors, détaillait comment trois chercheurs de Wuhan étaient devenus suffisamment malades pour être hospitalisés en novembre 2019, le dentifrice était complètement sorti du tube : il n'y avait plus moyen de dire que l'hypothèse "venant d'un laboratoire" était trop idiote pour être divulguée.

Cela ne veut pas dire que la théorie de la "fuite d’un laboratoire" est correcte, pas du tout. Cependant, cela n'a rien à voir avec la question qui nous préoccupe.

Non, cela n’a pas « rien à voir ».

Il y a quelques heures, Jimmy Dore et Matt Taibbi ont à nouveau fait la promotion de cette merde en citant l’article douteux publié le 15 janvier qui n’était pas, comme on l’a prétendu, un « rapport des services de renseignement », mais une spéculation réchauffée par un petit groupe du département d’État sous Mike Pompeo et récemment réchauffée par Michael R. Gordon (!) et d’autres dans le Wall Street Journal.

TheNarrator a décortiqué cette performance bâclée :

TheNarrator @TheNarrator000 - 23:52 utc – 26 mai 2021

Je suis stupéfait de voir Matt Taibbi noter correctement que cette question est "hautement technique" et nécessite un examen ardu par des experts, pour ensuite pivoter et dire que cette théorie marginale a été supprimée pour "créer le consentement". Wow.

Depuis l’apparition du virus, j’ai suivi avec assiduité les discussions scientifiques sur l’origine du SRAS-CoV-2. Je peux affirmer avec certitude que la théorie de Nicolas Wade n’est pas « plausible » et certainement pas « hautement plausible » du tout. Wade et d’autres affirment que deux thèses – « le virus est apparu naturellement » et « le virus a été créé dans un laboratoire chinois et/ou s’en est échappé » – ont le même poids.

Nous connaissons le truc. En 2002, les deux affirmations – « Saddam Hussein aura bientôt des armes nucléaires » – et – « Saddam Hussein n’a pas les moyens de développer des armes nucléaires » – ont été présentées comme également probables alors qu’elles ne l’étaient pas. Ces deux thèses étaient théoriquement possibles. Mais la première était un non-sens évident tandis que la seconde était bien fondée sur des faits objectifs. La théorie de la « fuite de laboratoire » est similaire à la première revendication sur les Armes de Destruction Massiveune spéculation sans preuve longtemps promue par une administration à tendance néoconservatrice extrêmement hostile au pays « coupable » en question.

Pour rappel, voici ce que Michael R. Gordon et Judith Miller rapportait le 8 septembre 2002 :

Plus de dix ans après que Saddam Hussein a accepté de renoncer aux armes de destruction massive, l'Irak a intensifié sa quête d'armes nucléaires et s'est lancé dans une chasse mondiale aux matériaux nécessaires à la fabrication d'une bombe atomique, ont déclaré aujourd'hui des responsables de l'administration Bush.

Le même jour, Condoleezza Rice allait en direct répandre cette absurdité :

Le 8 septembre 2002, sur CNN, la conseillère à la sécurité nationale de l'époque, Condoleezza Rice, avertissait, de manière infâme et fausse, que Saddam Hussein pourrait être sur le point de produire une arme nucléaire. Lorsqu'on lui a demandé à quel point Saddam était "proche" de "développer une capacité nucléaire", Rice a répondu :

RICE : Le problème ici est qu'il y aura toujours une certaine incertitude quant à la rapidité avec laquelle il peut acquérir des armes nucléaires. Mais nous ne voulons pas que la fumée qui sort du pistolet soit un champignon atomique.

Pour pousser à l'action contre l'Irak, elle a ajouté : "Combien de temps allons-nous attendre pour faire face à ce qui est clairement une menace croissante contre les États-Unis, contre nos alliés et contre sa propre région ?"

Voir que des auteurs comme Tracey, Greenwald, Taibbi et Dore, habituellement considérés comme des adversaires des bêtises propagées par les médias grand public, citent maintenant des imbéciles comme Nicolas Wade et des propagandistes comme Michael Gordon – qui cite à nouveau des « responsables de l’administration » anonymes – est plus que décevant.

Ils encouragent d’autres personnes comme cet imbécile de la BBC à suivre la voie de Rice :

John Sudworth @TheJohnSudworth - 16:10 utc – 25 mai 2021

Il n'y a aucune preuve que le virus ait fui d'un laboratoire. Bien sûr, c'est fait exprès. Sans transparence, on ne peut pas non plus l'exclure. Je suis fier d'avoir fait partie de l'une des premières équipes de journalistes des médias mainstream à poser ces questions cruciales.

« Il n’y a aucune preuve que Saddam disposera bientôt d’armes nucléaires. Mais, bien sûr, c’est là le problème. Sans transparence, nous ne pouvons pas non plus l’exclure. Je suis fier d’avoir fait partie de l’une des premières équipes de journalistes des médias mainstream à poser ces questions cruciales. »

Oui, le sinophobe John Sudworth pose à nouveau ces questions cruciales… :

Dépêchez-vous ! Envahissons la Chine irakienne !

Eh puis, que diriez-vous de ces incidents de laboratoire :

Du 1er janvier 2015 au 1er juin 2020, l'Université de Caroline du Nord à Chapel Hill a signalé 28 incidents de laboratoire, impliquant des organismes génétiquement modifiés, aux responsables de la sécurité des Instituts nationaux de la santé, selon les documents que l'UNC a communiqués à ProPublica dans le cadre d'une demande de documents publics. Le NIH supervise les recherches impliquant des organismes génétiquement modifiés.

Six des incidents concernaient divers types de coronavirus créés en laboratoire. Nombre d'entre eux ont été modifiés pour permettre l'étude du virus chez la souris. Contrairement aux directives du NIH, l'UNC a refusé de répondre aux questions sur les incidents et de divulguer au public des détails essentiels à leur sujet, notamment le nom des virus concernés, la nature des modifications qui leur ont été apportées et les risques encourus par le public.

Quand et où John Sudworth, ou l’un des autres auteurs mentionnés ci-dessus, a-t-il posé les « questions cruciales » concernant les recherches de l’Université de Caroline du Nord sur les coronavirus modifiés en laboratoire ?

Le fait qu’il n’osera jamais le faire vous dit tout ce que vous devez savoir sur la question. Il ne s’agit pas seulement d’une histoire invraisemblable et sans preuves d’évasion d’un laboratoire de SRAS-CoV-2. Il s’agit d’une campagne lancée pour dépeindre la Chine comme un ennemi de l’humanité.

En d’autres termes :

Si la question est "les deux hypothèses sont-elles possibles ?", la réponse est oui. Les deux sont possibles. Si la question est "sont-elles également probables ?", la réponse est absolument non. L'une des hypothèses exige une dissimulation colossale et le respect silencieux, indéfectible et étanche d'un vaste réseau de scientifiques, de civils et de fonctionnaires pendant plus d'un an. Dans l'autre, il suffit que la biologie se comporte comme elle l'a toujours fait, qu'une famille de virus qui a déjà fait cela auparavant le fasse à nouveau. L'hypothèse du débordement zoonotique est simple et explique tout. C'est une faute professionnelle scientifique que de prétendre qu'une idée est aussi méritoire que l'autre. L'hypothèse de la fuite en laboratoire est un deus ex machina scientifique, un raccourci narratif qui pointe du doigt un ensemble spécifique de mauvais acteurs. Je serais gêné de me tenir devant une assemblée de scientifiques, d'exposer les deux hypothèses et de prétendre que l'une n'est pas clairement et manifestement meilleure que l'autre.

Outre le flou scientifique, il y a un aspect politique indéniable à cet argument. Alors que la violence à l'encontre des Asiatiques monte en flèche aux États-Unis, il est, au mieux, naïf et, au pire, violent de prétendre que le fait de soutenir une hypothèse sans preuve qui alimente clairement l'idée que la Chine a infligé le COVID-19 au monde, qu'elle nous a fait ça, est une noble neutralité scientifique. Il s'agit ici d'un choix entre deux idées - l'une qui s'inscrit parfaitement dans le monde de la biologie, et l'autre qui réunit théorie du complot, intrigue politique et xénophobie.

La poursuite des spéculations sans fondement sur une « évasion de laboratoire » du SRAS-CoV-2 a de graves conséquences politiques :

Le président Joe Biden a déclaré mercredi qu'il ordonnait aux agences de renseignement américaines de "redoubler d'efforts" pour enquêter sur les origines du COVID-19, y compris "des questions spécifiques concernant la Chine".

Biden a déclaré qu'un premier rapport qu'il avait demandé au début du mois pour savoir si le virus provenait d'un contact humain avec un animal infecté ou d'un incident en laboratoire en Chine n'était pas concluant, il demande donc un deuxième rapport dans 90 jours pour "nous rapprocher d'une conclusion définitive."

"À ce jour, les services de renseignement américains se sont ralliés à deux scénarios probables, mais n'ont pas encore tiré de conclusion définitive sur cette question", a déclaré Biden dans un communiqué. "Voici leur position actuelle : 'si deux éléments de la Communauté du Renseignement penchent pour le premier scénario et un autre pour le second - chacun avec une confiance faible ou modérée - la majorité des éléments ne pense pas qu'il y ait suffisamment d'informations pour évaluer l'un comme étant plus probable que l'autre."

Cette capitulation devant les va-t-en-guerre n’a bien sûr fait qu’encourager ces derniers à en rajouter :

"Je pense que nous devrions envoyer un signal clair à la Chine", a déclaré [le sénateur Lindsey Graham, R-S.C.], "qui semble être la source de beaucoup de pandémies, que si cela vient bien d’un laboratoire, il faudrait s'attendre à ce que quelque chose se passe, car si nous ne le faisons pas, nous ne ferons que renforcer ce phénomène à l'avenir". ...

"Le président Biden se range du côté de la Chine, de l'OMS et des médias libéraux au sujet du virus de Wuhan - il se joint à la "foule qui dit qu’il n'y a rien à voir ici" en mettant fin à l'enquête sur l'origine de la pandémie que j'avais lancée au département d'État", a tweeté [l'ancien secrétaire d'État Mike Pompeo]. "Ce n'est pas politique. L'Amérique doit prendre l'initiative dans ce domaine." ...

La théorie de la fuite en laboratoire ayant fait l'objet d'une nouvelle attention, [l'ancien président Donald Trump] a publié une déclaration cette semaine, disant : "Maintenant, tout le monde s'accorde à dire que j'avais raison lorsque j'ai très tôt désigné Wuhan comme la source du COVID-19, parfois appelé le virus chinois."

L’affirmation selon laquelle le SRAS-CoV-2 est créé par des hommes et/ou s’est échappé d’un laboratoire est une théorie sans aucune preuve à l’appui. D’un autre côté, il existe au total des centaines d’adénovirus, de rhinovirus et de coronavirus de différents types qui ont évolué naturellement et ont finalement réussi à infecter les humains. Voir Tracey, Greenwald, Taibbi et Dore reprocher aux médias grand public d’accorder plus de poids au processus naturel bien connu qu’à la théorie sans preuves de l’« évasion de laboratoire » n’est pas seulement hilarant, c’est surtout triste.

D’autant plus qu’ils savent que leurs spéculations ne font que servir les intérêts des sinophobes bellicistes.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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