Des réunions autour de la situation économique entre Poutine, le ministre de l’Économie Ulyukaev et son équipe indiquent une confiance en hausse et des décisions sur les taux d’intérêt, alors que l’inflation est en baisse et que le remboursement de la dette extérieure est en bonne voie.
Par Alexander Mercouris – le 28 janvier 2016 – Source Russia Insider
Poutine a récemment eu une réunion intéressante avec le ministre de l’Économie Ulyukaev, dans laquelle ils ont discuté de cette question. Comme la transcription de la rencontre publiée sur le site du Kremlin est relativement brève, je la joins en entier ci-dessous. Évidemment, la transcription ne couvre que la partie publique de ce que Poutine et Ulyukaev se sont dit.
Il est quasiment certain que la rencontre a duré beaucoup plus longtemps que ne l’indique la transcription, qu’il s’y est dit beaucoup plus de choses que ce qui est publié, et que la partie vraiment importante de la discussion est le passage non publié.
Il n’y a cependant aucune raison de penser que la transcription ne restitue pas la tonalité générale et le sens de la réunion. Les chiffres que Ulyukaev débite sont ceux publiés auparavant par Rosstat et ils peuvent être vérifiés de manière indépendante. Il est difficile de voir ce qu’il pourrait avoir dit à Poutine en privé qui diffère de la situation suggérée par les chiffres qu’il cite, et qui sont publics.
Le ton des commentaires de Ulyukaev dans la partie privée de cette conversation avec Poutine était sans doute plus modéré et pragmatique que ceux auxquels nous avons accès. La différence, cependant, n’est probablement qu’une question de degré.
La première chose à retenir de cette réunion est que l’humeur était à l’optimisme.
J’ai souvent dit que la façon dont la Russie traverse la récession est fondamentalement un exercice de rééquilibrage de l’économie, visant à l’éloigner de sa dépendance historique aux capitaux et aux importations étrangers, en faveur d’un modèle plus fondé sur l’investissement.
C’est essentiellement ce que dit Ulyukaev, qui ajoute d’ailleurs que le rééquilibrage s’effectue avec succès et va bientôt porter ses fruits.
Le second point à retirer de la conversation est que Ulyukaev confirme la chronologie de la récession, souvent évoquée par Russia Insider.
Le pire moment de cette récession a été le deuxième trimestre de 2015. Depuis, la production a été stable, en général. L’économie a bien absorbé ce que Ulyukaev appelle «le second choc externe» – la deuxième chute du prix du pétrole et du rouble, qui a commencé dans la seconde moitié de 2015.
Alors que le premier choc – la chute du prix du pétrole et celle du rouble au deuxième semestre de 2014 – a provoqué une récession et un grand pic d’inflation, le second a passé avec à peine une petite baisse.
Je n’ajouterai que deux points à ce que Ulyukaev a dit à Poutine.
Le premier, j’en ai déjà parlé. C’est que je suis sûr que la contraction de l’économie en 2015 aurait été proche ou même en dessous de la prévision de 3% suggérée originellement par Ulyukaev, au lieu des 3.7% qui se sont révélés, si la Banque centrale avait réduit les taux d’intérêt au printemps et en été comme je pense qu’elle aurait dû le faire.
D’ailleurs, certaines choses qu’a dites Ulyukaev en juin dernier me convainquent qu’il pense la même chose. Je ne serais pas surpris si cela faisait partie de ce qu’il a dit à Poutine dans la partie privée de leur conversation, non publiée.
Le second point est que même si la baisse de novembre mentionnée par Ulyukaev était vraiment due à un deuxième choc externe comme il le dit, ce qu’il ne dit pas est que toutes les grandes économies, sauf la Suède, ont subi une contraction ce mois-là. En d’autres termes, la contraction de l’économie ne s’est pas limitée à la Russie, mais fait partie d’un phénomène mondial.
Je n’ai aucun doute que la cause en était l’alarme mondiale provoquée par la décision de la direction de la Réserve fédérale américaine, lors de sa réunion de décembre, d’augmenter les taux d’intérêts. Je ne doute pas non plus que ce soit cette décision de la Réserve fédérale – et plus encore ses projets de continuer à augmenter les taux d’intérêt en 2016 (on parle de quatre hausses des taux en 2016) – qui a sous-tendu les plongées sur les marchés (y compris le marché du pétrole) intervenues ce mois de janvier.
Avec le dollar qui reste la monnaie de réserve mondiale dans un monde grotesquement surendetté – à cause de la politique impitoyable menée par la Réserve fédérale, la planche à billets depuis la crise de 2008 et sa politique monétaire exagérément laxiste dans les années qui l’ont précédée – tout soupçon d’une hausse des taux d’intérêts suffit à provoquer la panique des marchés et à les faire s’effondrer.
Il n’est donc pas surprenant qu’une colère croissante gronde contre la décision de la Réserve fédérale d’augmenter ses taux d’intérêt en décembre, et que de plus en plus de gens disent que c’était une erreur.
Sur la question de l’effet de levier, la Russie est l’exception à ce qui est considéré comme une règle universelle dans le reste du monde. Des politiques monétaires et fiscales historiquement strictes, jointes à des restrictions sur les emprunts extérieurs après le krach de 2008 – encore renforcées même à l’été 2012 – signifient que malgré les sanctions, la Russie est entrée dans la période de crise mondiale qui a commencé à la mi-2014 avec une situation financière bien meilleure que d’autres économies de marché émergentes, comme on les appelle – et même que certaines de ce qu’on qualifie d’économies développées en l’Occident.
Une bonne comparaison est celle avec le Brésil, un pays dont la population est à peu près de même importance que celle de la Russie, et dont l’économie lui est souvent comparée. La dette de l’État du Brésil, par rapport à son PIB, est de 66% environ. Le déficit budgétaire du Brésil atteignait grosso modo 10% du PIB en 2015. Celui de la Russie était de 2.6% (le chiffre de 3% donné par Ulyukaev à Poutine est faux, celui de 2.6% a été récemment donné par le ministre des Finances Siluanov). La dette extérieure totale du Brésil (État et entreprises) était de $3400 milliards à compter du 1er janvier 2016. Celle de la Russie (État et entreprises) à la même date était de $515 milliards.
Le résultat est que, bien que la contraction de l’économie au Brésil et en Russie en 2015 ait été presque la même – 3.6% et 3.7%, respectivement – et bien que l’inflation signalée ait été plus élevée en Russie qu’au Brésil (12.9% contre 10%, mais ce chiffre rapporté par le Brésil pourrait être trop bas), l’humeur chez les dirigeants politiques en Russie est de plus en plus à l’optimisme – comme le montre la réunion avec Ulyukaev – tandis que celle du Brésil est à la panique et à la crise, avec des craintes croissantes d’un défaut à venir et le sentiment que la situation échappe au contrôle.
Bien que l’histoire du Brésil soit connue, parce que les médias internationaux se sont – injustement – focalisés sur elle, ce pays est en fait beaucoup plus typique de ce qu’on appelle une économie de marché émergente que ne l’est la Russie.
Non seulement la Russie est beaucoup plus riche que les autres économies de marché émergentes, mais elle a des ressources scientifiques, technologiques et industrielles qu’aucun des autres pays ne peut même vaguement égaler, ses finances sont dans une bien meilleure forme et la qualité de sa gouvernance est beaucoup plus élevée.
En l’occurrence, je ne pense pas que la Russie puisse être qualifiée d’économie de marché émergente du tout – pas plus que la Chine – et je pense qu’il est tout à fait trompeur de mettre la Russie dans le même sac que les économies généralement désignées sous ce terme.
Dans une correspondance privée, Jon Hellevig m’a fait remarquer qu’une partie importante des quelque $500 milliards que les banques et les entreprises russes doivent nominalement au titre de la dette extérieure n’en est pas vraiment une, mais qu’il s’agit plutôt du résultat de transactions inter-entreprises que des sociétés russes effectuent souvent au travers de paradis financiers comme Chypre, dans le but de couvrir leurs opérations de change et, évidemment, de pratiquer l’évasion fiscale.
La Banque centrale l’a admis par le passé et a confirmé que le chiffre total de la dette extérieure publié (présentement $515 milliards) exagère en fait le montant réel de la dette effectivement due.
Sans surprise, il est très difficile de chiffrer la partie de la dette extérieure qui correspond effectivement à l’endettement net interne aux entreprises. On pense toutefois qu’elle est très importante. J’ai entendu des suppositions mettant ce chiffre à plus de la moitié de la dette extérieure nominale totale.
La Banque centrale russe vient de publier les chiffres du niveau de la dette extérieure à compter du début de 2016, et des paiements de celle-ci en 2016. Ils montrent qu’elle est tombée à $515 milliards à partir d’un pic de $733 milliards au milieu de 2014. Ce graphique montre le rythme du désendettement. Les remboursements de la dette en 2016, à hauteur de $100 milliards, semblent à peu près semblables à ceux de l’an dernier, bien qu’ils paraissent plus espacés dans l’année plutôt que d’être concentrés sur le dernier trimestre comme c’était le cas en 2014 et en 2015. Selon la Banque centrale, les paiements du premier trimestre se monteront à $26 milliards ($21 milliards pour le principal et $5 milliards d’intérêts), à comparer avec les $43 milliards du dernier trimestre 2015.
On s’attend à ce que les paiements suivants de la dette restent environ au même niveau, totalisant $27 milliards au deuxième trimestre, $21 milliards au troisième et $24 milliards au quatrième, atteignant un total de $98 milliards de remboursement sur toute l’année. Le mois le plus chargé pour les remboursements en 2016 sera apparemment mars, avec des versements totalisant $12.5 milliards. C’est comparable aux remboursements de $24 milliards effectués en décembre de l’an dernier.
En supposant qu’environ un quart des paiements de la dette en 2016 correspond à des intérêts, cela signifierait que le montant total de la dette extérieure devrait tomber à environ $430 milliards à la fin de 2016. Étant donné qu’une part importante de la dette résiduelle de la Russie correspond à l’endettement interne des entreprises, cela renforce l’impression que la fin de la période d’amortissement de la dette extérieure est maintenant en vue.
Comme je l’ai dit précédemment, le fait en lui-même provoquera le renforcement du rouble, indépendamment de ce qu’il se passera pour les prix du pétrole. La diminution de la pression sur le rouble, comparée à ce qu’elle était dans la seconde moitié de 2014 lorsque le rythme du remboursement de la dette extérieure atteignait deux fois le niveau actuel, montre que cela commence déjà à se passer.
Bien que le rouble ait brièvement atteint le taux de 85 pour un dollar ces deux dernières semaines, il l’a fait lorsque le prix du pétrole est tombé à $26 pour le baril de brut Brent. C’est comparable à la situation du 17 décembre 2014, lorsque le rouble a atteint 80 pour un dollar avec un prix pour le brut Brent de $57 le baril. Au moment de la rédaction de ce article, le rouble s’échange à 78 pour un dollar, avec le prix du brut Brent au-dessus de $30 le baril.
Dans le passé, j’ai spéculé que le moment où le rouble commencera à se découpler du prix du pétrole arrivera lorsque la totalité de la dette extérieure effectivement due sera inférieure aux réserves de change de la Russie détenues par la Banque centrale (actuellement environ $370 milliards).
Tout porte à croire que ce moment approche rapidement, et s’il est vrai que seulement la moitié du montant nominal de $515 milliards de dette extérieure est effectivement due, alors ce moment est peut-être déjà passé – même si cela ne se voit pas encore dans les chiffres publiés.
En considérant qu’il en est ainsi, et puisqu’il est tout à fait dans l’intérêt de la Russie de maintenir le rouble bas, en concordance avec le prix du pétrole – pour assécher les importations afin de soutenir l’agriculture et l’industrie et maintenir le commerce extérieur excédentaire à un moment où le prix du pétrole est bas – je me suis rallié au point de vue de Jon Hellevig selon lequel la Banque centrale pourrait baisser les taux d’intérêt sans plus tarder.
L’inflation diminue rapidement et, comme le dit Jon Hellevig, en Russie, ce n’est de toute façon pas essentiellement un phénomène monétaire.
Comme l’inflation baisse rapidement et qu’il n’est pas nécessaire de soutenir le rouble – au contraire, une hausse excessive comme celle du printemps dernier lui nuirait effectivement – il n’y a aucune raison de maintenir des taux d’intérêt élevés. Tous les taux d’intérêt élevés prolongent la récession.
Malheureusement, si l’histoire récente est un guide, la Banque centrale va de nouveau commettre l’erreur de la prudence et – effrayée par la récente chute du rouble et soucieuse d’une prochaine hausse des taux d’intérêt aux États-Unis – décidera de maintenir ces taux élevés lors de sa prochaine réunion, fixée à la fin de janvier.
Le jour où les taux d’intérêt seront baissés n’est cependant pas loin. Au-delà d’un certain point, ce ne sera pas seulement la logique économique, mais la pression politique des milieux d’affaires, de la Douma et du gouvernement qui rendront une baisse inévitable.
À ce moment-là, avec une inflation en baisse, le remboursement de la dette largement accompli et la perspective d’une augmentation de la production ainsi que de l’investissement et de la demande, Ulyukaev et Poutine auront davantage de bonnes nouvelles à se communiquer.
Postscriptum : J’ai écrit ci-dessus que la publication de chiffres supplémentaires par Rosstat a montré que l’inflation a diminué à un niveau annualisé exactement au-dessus de 10% au 25 janvier 2016. Son taux annualisé pourrait tomber à des valeurs à un chiffre déjà la première semaine de février.
La récente chute du rouble pourrait retarder d’autres baisses de l’inflation pendant quelques semaines, mais la tendance est clairement fortement à la baisse. C’est effectivement frappant de voir combien la récente baisse du rouble a eu peu d’effet sur l’inflation.
D’autres chiffres que vient de publier Rosstat ont montré aussi qu’en décembre, les entreprises russes ont largement payé les arriérés de salaires qui s’étaient accumulés en novembre, résultat de la contraction intervenue ce mois-là.
Cela renforce l’impression – comme Ulyukaev l’a dit à Poutine – que la contraction de novembre était exceptionnelle, provoquée par la panique sur le marché mondial à partir de novembre, quand il est devenu clair que la direction de la Réserve fédérale s’apprêtait à augmenter les taux d’intérêts et que cela a été suivi par un rebond de l’économie en décembre.
Le Kremlin quant à lui a aussi confirmé qu’une réunion a eu lieu mercredi entre Poutine et les membres du gouvernement en charge de l’économie. Bien que Nabiullina, la directrice de la Banque centrale, ne soit pas, techniquement, membre du gouvernement, elle était aussi présente.
Il est inconcevable que la question des taux d’intérêt n’ait pas été soulevée à cette réunion. Il est presque certain que Nabiullina ait été mise sous pression par certaines des personnes présentes demandant quand les taux seront baissés, dont certaines réclamant presque certainement une baisse immédiate.
Alexander Mercouris
Ci-dessous, la transcription d’une conversation publiée d’abord par le site présidentiel russe.
Le président de la Russie, Vladimir Poutine : – Monsieur Ulyukayev, nous résumons les résultats de l’an dernier. Bien qu’il puisse être encore trop tôt pour parler de résultats définitifs, les chiffres dont dispose votre ministère sont très proches de ce que nous verrons dans le rapport final.
Cela n’a pas été une année facile ; néanmoins, nous avons des raisons de nous sentir optimistes par rapport à la période actuelle et future. Quelle est la raison de cet optimisme ?
Le ministre du Développement économique Alexei Ulyukayev: – Monsieur le Président, c’est vrai, l’année a été économiquement unique par la combinaison de circonstances objectives et subjectives défavorables, à commencer par la situation sur le marché des matières premières. Une quadruple chute du prix du pétrole, sans précédent, et une chute semblable des prix des biens non primaires, des turbulences sur les marchés financiers, plus les agissements géopolitiques de nos partenaires – tout cela a créé beaucoup de nervosité, évidemment.
Vladimir Poutine: – Et un marasme économique mondial.
Alexei Ulyukayev: – Absolument. La demande mondiale a fortement baissé, des foyers de risques graves sont apparus là où personne ne s’y attendait, et je pense aux anciens dirigeants – d’Asie du Sud-Est.
C’est dans ce contexte, comme vous vous en souvenez peut-être, qu’en janvier dernier, il y a un an exactement, nous ajustions nos prévisions dans une atmosphère assez nerveuse, pratiquement dans une atmosphère de panique chez certains acteurs et analystes du marché. Les attentes était les plus défavorables, mais néanmoins, je veux regarder les prévisions et la réalité.
Il s’avère que nos prévisions étaient très proches de la situation actuelle.
Nous nous attentions à ce que le prix du pétrole soit à $50 le baril, et le chiffre effectif a été de $51. Nous nous attentions à ce que l’indice des prix à la consommation soit de 12.2, il a été de 12.9 – une différence de moins de 1%. Nous avons estimé le taux de change du dollar à 61.6, et la moyenne annuelle a été de 60.
Vladimir Poutine: – C’est la moyenne annuelle pour toute l’année dernière ?
Alexei Ulyukayev: – Exactement, pour tout 2015. Nous nous attentions à une baisse du PIB de 3% et pour finir elle a été un peu plus élevée, à 3.7%. D’autre part, le taux de déclin des investissements en capital fixe s’est révélé beaucoup plus bas – 8.4% au lieu de 13.7%. Mais cela après des ajustements, parce que les investissements sont toujours réglés à la fin de l’année.
Je tiens à souligner tout particulièrement la situation avec les capitaux et leurs mouvements. Nous nous attendions tous à des sorties élevées, autour de $115 milliards, mais en fait, elles ont été de $57 milliards, exactement la moitié de ce que nous attendions. La fuite des capitaux est une évaluation commerciale de facteurs internes et externes, une évaluation des conditions de travail futures.
Pourquoi cela est-il arrivé ? Je pense que le facteur le plus important a été la grande adaptabilité de l’économie russe. En quelques mois seulement, les participants au marché, les entreprises et des secteurs entiers ont été en mesure de trouver leurs niches et de s’adapter à l’évolution des circonstances.
C’est illustré par deux ondes de choc, dans la seconde moitié de 2014 et la seconde moitié de 2015 – je fais allusion aux chocs objectifs sur les marchés des matières premières. Il suffit de regarder, l’indicateur de base a a changé presque de la même manière ; le prix du pétrole a chuté à $45, une diminution de 60%.
Dans le second cas, pendant le deuxième semestre de 2015, il y a eu une baisse de 62%. Comment les marchés et les secteurs russes ont-ils répondu à cela ? Dans le premier cas, nous avons eu le même niveau de dévaluation de la monnaie – plus du double, de 33 à 69 roubles [pour un dollar]. Les prix à la consommation ont plus que doublé, le taux est passé de 7.8 à 16.9. Le taux d’intérêt directeur de la Banque de Russie a plus que doublé, passant de 7.5% à 17% : celle-ci a été contrainte de répondre à ces circonstances. Résultat, le PIB a diminué de 2.4% supplémentaires.
Dans la seconde moitié de 2015, nous avions la même économie russe, un choc de même intensité. Nous avons eu une dévaluation de 70%. C’était énorme, mais significativement moins que pendant la première période. Les prix à la consommation ont décéléré plutôt que d’accélérer. Nous avons entamé cette période avec 15.5% en négatif, et nous avons terminé l’année à environ 10%. Non seulement le taux directeur n’a pas augmenté, mais il a même légèrement diminué pendant cette période, parce que les risques d’inflation avaient été évalués correctement.
Finalement, le PIB a légèrement baissé en novembre, mais le déclin général a été de 0.4%, ce qui est sans commune mesure avec ce que nous avions auparavant. C’est très important. Cela signifie qu’apparemment, les acteurs du marché ont travaillé proprement et, peut-être, que le gouvernement les a même aidés à prendre les bonnes décisions grâce à ses actions.
Vladimir Poutine: – Est-ce que la dette a diminué ?
Alexei Ulyukayev: – La dette a diminué de manière très significative. Notre dette souveraine a toujours été basse, mais la dette extérieure des entreprises a été énormément réduite. Incidemment, nous avions prévu le remboursement de $130 milliards pour la dette extérieure l’an dernier, tandis que la fuite des capitaux pendant la même période a diminué à $57 milliards. Il s’est avéré que des entreprises savent comment travailler dans cette situation. Elles trouvent des moyens de se refinancer, et bien que les choix de nos partenaires soient devenus beaucoup plus compliqués, cela a quand même été fait.
Une partie de la dette était de la dette interne des entreprises, ce qui devait aussi être résolu. Il est très important que le public et les entreprises aient cessé d’être sensibles aux fluctuations du taux de change. Ils sont habitués à ces changements de taux, donc il n’y a pas besoin de courir changer de l’argent, il n’est pas nécessaire de modifier immédiatement la structure de son portefeuille de placements. C’est aussi très important.
Vladimir Poutine: – Conjointement au déficit budgétaire, et avec un déficit plus bas qu’attendu ainsi que de bonnes réserves, un faible niveau d’endettement – conjointement à ce qui s’est franchement révélé comme un petit déficit budgétaire, verrons-nous des conditions favorables qui nous permettront de compter sur l’amélioration de la situation actuelle ?
Alexei Ulyukayev: Absolument. Le budget prévoit une baisse du PIB de 2.6%; le budget de l’an dernier avait un déficit de plus de 3%. Les réserves de la Banque de Russie restent à un niveau assez élevé historiquement. Tout cela a créé une situation de stabilité macro-économique incitant les participants au marché à y répondre correctement.
Nous avons déjà souvent parlé du fait que le moment le plus profond de la récession, lorsque l’adaptation a eu lieu, se situait quelque part vers la fin du second trimestre. À partir du troisième trimestre, nous avons observé un mouvement dans la bonne direction. Nous avons vu apparaître ce qui pourrait être le fondement de la croissance – peut-être pas très important ou certain, mais néanmoins de la croissance. Alors que nous avons enregistré une certaine baisse du PIB au premier trimestre (2.2%), puis des baisses de 4.1% et 3.8% aux troisième et au quatrième trimestres, respectivement. Nous avons eu une baisse cumulée de 3.7% sur l’année.
Nous voyons des chiffres similaires dans l’industrie manufacturière, la construction et le transport de marchandises, et dans l’ensemble de ces industries, le point le plus bas était au deuxième trimestre, après quoi il y a eu une stabilisation, incertaine peut-être, mais une stabilisation avec des éléments de croissance. En novembre, nous avons eu une légère vague à la baisse, en réponse au second choc. Depuis décembre, nous entrons de nouveau dans une période où la situation devient relativement favorable.
Vladimir Poutine: – Y a-t-il eu de la croissance dans l’agriculture?
Alexei Ulyukayev: Nous avons enregistré 3% de croissance dans l’agriculture. Surtout dans l’élevage – plus de 4% de croissance. Tandis que la récolte de céréales dépend beaucoup de la météo, l’élevage est beaucoup plus stable. Cet indicateur montre les résultats de l’activité économique et des investissements, avec une croissance de plus de 4%.
Par conséquent, l’industrie alimentaire a eu une croissance de plus de 3%. Dans l’ensemble, je veux dire que c’est très important, c’est un très bon résultat financier pour les entreprises russes. C’est arrivé en partie en raison de la baisse des coûts, en partie parce que les taux d’intérêt ont changé et en partie parce que la politique salariale est devenue plus adéquate, une attention plus grande a été portée à l’augmentation de la productivité du travail, en partie pour mieux contrôler les taux des monopoles naturels. Tout cela a conduit à ce que le revenu des entreprises russes a augmenté de 48%, ou 1.5 fois. C’est plus de 8 milliards de roubles de fonds supplémentaires qui peuvent être investis et qui peuvent servir de base au développement.
Dans certains domaines, la situation est tout simplement incroyable. Par ailleurs, c’est positif que cela ne concerne pas des industries d’extraction, mais plutôt des industries de transformation. Les secteurs de la production de biens manufacturés ont presque triplé leur rentabilité – 2.9 fois. L’industrie chimique détient le record, avec une rentabilité 15 fois supérieure. Et ce qui est très intéressant, c’est que nous avons vu une véritable augmentation de la rentabilité dans le secteur scientifique.
Le domaine recherche et développement est devenu une activité rentable, ce qui signifie qu’il est en demande. Les entreprises recherchent des occasions d’utiliser la recherche scientifique pour réduire leurs dépenses et progresser. Les profits de la recherche et développement ont augmenté 2.1 fois. Je pense que c’est un élément de développement extrêmement important. Dans ce secteur, nous avons vraiment une très bonne base ; maintenant, nous devons seulement l’utiliser intelligemment. Je pense que nous pouvons commencer cette année avec un optimisme mesuré et prudent.
Vladimir Poutine: – Nous avons une balance commerciale positive. Si on tient compte de la chute des prix de nos principaux biens d’exportation, y compris les matières premières, qu’est-ce qui a provoqué cette balance commerciale positive ?
Alexei Ulyukayev: Nous avons une balance commerciale positive et l’équilibre pour les opérations courantes. C’est le plus important. En 2015, nous avons eu un excédent commercial d’environ 145 milliards de roubles. C’est légèrement moins que ce que nous avions auparavant. Tout d’abord, c’est dû à la chute de nos prix à l’exportation. Les volumes physiques n’ont pas diminué et la quadruple baisse sur le marché du pétrole, ainsi que la baisse des prix sur les marchés du gaz et des métaux ferreux et non ferreux, ont provoqué une diminution importante des prix des biens d’exportation. Mais le coût des importations a baissé.
Ensuite, comme résultat de la politique de substitution des importations, nous avons eu une augmentation du commerce de détail russe : la part des produits russes est beaucoup plus élevée. Ainsi, la balance commerciale a légèrement diminué, mais elle reste fortement positive, alors que la position de la balance actuelle des paiements n’a pas baissé du tout, et en fait elle a légèrement augmenté.
Pourquoi cela s’est-il révélé bien meilleur que nos prévisions ? Parce que la facture dans le secteur des services a bien diminué. Fondamentalement, nos citoyens ne laissent plus leur argent en Turquie, en Égypte et dans beaucoup d’autres pays, et ils ont commencé à le dépenser à Sotchi, en Crimée et dans d’autres régions russes pour le tourisme et les loisirs.
Grâce à notre dette d’entreprises réduite, les sommes allouées à ses intérêts ont aussi diminué. Donc notre compte courant est en bonne santé, comme je l’ai déjà dit, et notre compte de sortie de capitaux s’est révélé beaucoup plus bas. La position globale nette de la balance des paiements est positive. Nous avons 66 pour le compte courant, et 57 en négatif pour le compte de capital, avec un résultat net de 9. Cela signifie que nous n’avons pas besoin de puiser dans nos réserves, et nous pourrions même être en mesure de les augmenter. Tout cela ajoute de la stabilité à l’économie.
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Diane pour le Saker francophone
Liens
05/02/16 : L’état de l’économie russe – Jacques Sapir
Ping : ECONOMIE ACTUALITÉS 5 | Pearltrees
Ping : NOUVELLES de RUSSIE | Pearltrees
Ping : RUSSIE et POUTINE 3 | Pearltrees