Par The Saker – Le 9 décembre 2016 – Source The Saker
Très intéressante nouvelle aujourd’hui : selon le journal Izvestia, la Russie enverra des agents des bataillons appelés «Ouest» et «Est» des forces spéciales dites «tchétchènes» en Syrie, pour «protéger les installations russes» à Khmeimim et Tartous. Selon des sources russes, ces deux bataillons ont été transformés en une force de «police militaire», qui sera pleinement déployée à la fin de décembre.
Cette information laisse de nombreuses questions fascinantes sans réponse.
Premièrement, même si les sources russes laissent entendre que nous parlons de deux bataillons entiers, je soupçonne que ce n’est pas le cas et que quelques compagnies seront formées d’éléments tirés de ces bataillons. Pourquoi ? Parce que ces bataillons font partie de la colonne vertébrale du système de sécurité russe dans le Caucase et qu’employer de telles forces d’élite, uniquement pour protéger deux installations militaires n’a aucun sens.
Deuxièmement, cela soulève la question de ce que ces «Tchétchènes» (en fait un abus de langage – voir plus bas) feront réellement en Syrie. La seule circonstance dans laquelle cela aurait du sens de les envoyer protéger les bases russes de Kheimim et Tartous, serait si une attaque massive était attendue contre ces installations et qu’il n’y avait pas d’autres renforts disponibles, ce qui n’est clairement pas le cas.
Troisièmement, ces deux bataillons sont principalement, mais pas exclusivement, composés d’agents musulmans sunnites. Cela comporte des avantages évidents. En outre, ces bataillons ont eu une histoire de victoire sur l’insurrection wahhabite en Tchétchénie. Cela pourrait être d’une importance cruciale, parce que les Tchétchènes wahhabites constituent aussi certaines des meilleures forces disponibles pour le commandement Daesh/ISIS/US en Syrie.
Donc, que se passe-t-il vraiment ici ?
Tout d’abord, il faut souligner que ces deux bataillons sont des unités tout à fait uniques. Alors que, formellement, elle ne constituent qu’une partie de la plus large communauté des forces spéciales russes, elles ont une histoire et une réputation exceptionnelles. Traditionnellement, la Russie s’est toujours reposée sur les forces d’élites musulmanes, et la plupart d’entre elles ont été des Tchétchènes. C’était vrai avant la Révolution de 1917, comme ce l’était après. Par exemple, celui qu’on appelait le «bataillon musulman» a joué un rôle essentiel dans l’invasion de l’Afghanistan. Et en 2008, les bataillons tchétchènes «Ouest» et «Est» ont eu un rôle déterminant dans la contre-offensive russe contre les forces géorgiennes. Bref, non seulement ces bataillons sont connus pour leur courage et leurs qualités extraordinaires, mais leur apparence jette souvent les forces opposées dans la panique.
Ensuite, Ramzan Kadyrov a déversé d’énormes sommes, avec le total soutien de Poutine, évidemment, dans la création d’un centre d’entraînement unique pour les forces spéciales de Tchétchénie, où des opérateurs provenant de toute la Russie viennent apprendre, enseigner et partager leur expérience. Résultat, celles qu’on appelle les unités «tchétchènes» sont, en réalité, un mélange d’agents spéciaux venant de toute la Russie, qui ont été spécialement entraînés pour faire face à des insurrections du genre de Daech.
Cela signifie qu’indépendamment de la taille effective de la force envoyée en Syrie, l’utiliser pour protéger des installations est tout à fait exagéré et personne en Russie ne croit réellement que ces gars ne feront que garder des postes de contrôle. Leur véritable mission sera quelque chose de très différent.
Certains analystes russes ont spéculé que leur fonction réelle sera de nettoyer Alep des troupes d’al-Nusra/Daesh/ISIS restantes. Peut-être, mais j’en doute. Je trouve beaucoup plus vraisemblable que ces hommes soient envoyés pour entraîner les forces spéciales syriennes à des opérations de renseignement contre-insurrectionnelles avancées. Pour une raison, c’est que les Russes ont admis qu’ils avaient des agents de renseignement tchétchènes infiltrés dans Daesh. Ce serait cohérent de la part des Russes, de partager leur expérience avec leurs partenaires syriens. La raison principale ici, est que plutôt que de mener la guerre pour les Syriens, les Russes doivent permettre aux Syriens de faire leur propre guerre.
Hélas, le bilan réel des forces de sécurité syriennes, selon des sources russes, a été, au mieux, irrégulier, et les Russes sont, dit-on, circonspects. Alors que les Syriens ont quelques unités de combat d’élite, ils n’ont pas d’agents de renseignements de grande qualité. Ce qui est nécessaire dans ce cas n’est pas seulement un bon soldat (disons, comme un parachutiste russe ou un ranger US), mais un combattant entièrement formé et un officier de renseignement entièrement formé aussi, quelque chose de similaire à la Division des activités spéciales de la CIA ou de la force russe Vympel. Le genre d’entraînement nécessaire pour préparer à une telle fonction est beaucoup plus complexe, coûteux et long, que ce qu’il faut pour former un bon parachutiste ou un ranger. Mon hypothèse est que tandis que les «Tchétchènes» fourniront un soutien immédiat aux Syriens, si nécessaire, ils auront aussi un rôle durable dans l’organisation d’une force contre-terroriste/contre-insurrectionnelle efficace.
Bien sûr, je peux me tromper. Si je me trompe, alors l’autre raison pour laquelle ces deux bataillons ont été envoyée en Syrie est de participer directement à des opérations de combat contre les Takfiris. Nous savons que Poutine a envoyé une lettre secrète au président iranien Rouhani. Serait-ce pour coordonner une augmentation des opérations russes et iraniennes en Syrie ? Si oui, alors envoyer les forces spéciales «tchétchènes» en Syrie aurait du sens, en particulier pour garder les Turcs à distance si et quand cela sera nécessaire.
Quel que soit le cas, la décision d’envoyer les «Tchétchènes» est clairement un développement majeur et le signe que quelque chose d’important se prépare.
The Saker
PS: Ramzan Kadyrov a publié un démenti, disant qu’il n’y a pas de bataillons «Ouest» et «Est» en Tchétchénie, ce qui est TECHNIQUEMENT vrai, puisque ces deux bataillons ont été maintenant inclus dans la 8e brigade de montagne et la 18e brigade de fusiliers motorisée. Il est également vrai que les commandants originels de ces forces ont été remplacés, mais les agents existent toujours et Kadyrov a admis qu’ils étaient déjà en Syrie.
L’article original a été publié sur The Unz Review
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker francophone
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